14-18Hebdo

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70e semaine de guerre - Lundi 29 novembre au dimanche 5 décembre 1915

 

LUNDI 29 NOVEMBRE 1915 - SAINT SATURNIN - 484e jour de la guerre

MARDI 30 NOVEMBRE 1915 - SAINT ANDRE - 485e jour de la guerre

MERCREDI 1ER DECEMBRE 1915 - SAINT ELOI - 486e jour de la guerre

JEUDI 2 DECEMBRE 1915 - SAINTE BIBIANE - 487e jour de la guerre

VENDREDI 3 DECEMBRE 1915 - SAINT FRANCOIS-XAVIER - 488e jour de la guerre

SAMEDI 4 DECEMBRE 1915 - SAINTE BARBE - 489e jour de la guerre

DIMANCHE 5 DECEMBRE 1915 - SAINT SABAS - 490e jour de la guerre

 

Revue de presse

-       La position des Serbes est précaire à Monastir

-       La Roumanie ferme le Danube

-       Autour de Goritz les combats sont de plus en plus acharnés

-       La classe 1917 sera appelée le 5 janvier

-       L'héroïque Serbie lutte toujours

-       L'Allemagne prépare des voies ferrées pour ses offensives orientales

-       Succès russes dans la région de Riga et sur le Styr

-       Le général Joffre, commandant en chef des armées du nord-est, est nommé commandant en chef des armées françaises

-       Les Bulgares à Monastir

-       La question de Salonique

-       Les Monténégrins repoussent l'ennemi

 

Morceaux choisis de la correspondance

29 novembre - ELLE.- Je vois que mon Geogi, Maman, Maguy sont tous du même avis pour me déclarer imprudente en partant seule pour faire 45 pauvres petits kilomètres. Même le brave major de Cheniménil, qui est venu nous donner des renseignements sur Arcachon, qui est près de chez lui, avait l’audace de me dire l’autre jour que s’il était mon mari il me l’interdirait formellement et, comme en riant, je lui demandais ce qui pourrait m’arriver de si fâcheux, si j’avais une panne dont je ne puisse faire la réparation, j’en serais quitte pour laisser la voiture, vider le radiateur et aller prendre le train le plus voisin, ou attendre patiemment la venue d’une des nombreuses autos militaires qui sillonnent les routes et leur demander leur aide secourable pour la remise en marche ou la remorque. Il m’a répondu galamment que c’est ce qui pourrait justement m’arriver de plus fâcheux, c’est un enlèvement. Il m’avait déjà dit une fois qu’il regrettait bien qu’on n’appelle pas dans les services automobiles les jeunes femmes qui savent conduire, qu’il leur donnerait ses soins les plus dévoués. On ne peut vraiment être plus aimable comme tu vois. Mais trêve à toutes ces badineries. Le fait est là, je n’ai jamais d’accroc à ma voiture et en aurais-je que je n’en serais pas morte. Je ne vais pas vite, donc ne crains pas un accident (comme ce jeune major justement qui a culbuté dernièrement dans un tournant et a eu sa voiture renversée sur lui et deux autres soldats qui s’en sont tirés d’ailleurs avec quelques contusions seulement). J’ai toujours dans mon coffre une petite caisse pleine de crassin de houille pour jeter sous mes roues en cas de patinage, tu ne diras pas après cela que je suis imprudente. Et si tu savais comme cela m’amuse, tu ne me gronderais pas. Je vais dire comme Robert quand son frère l’ennuie : « Je n’ai déjà pas tant de plaisir », laissez-moi mes petites sorties en auto.

 

Quoi qu’en dise le docteur Froustey, je n’ai rien à craindre des rencontres que je peux faire, partout et toujours je n’ai jamais vu que des gens très convenables. Passe encore si j’avais dix-huit ans, mais maintenant !! Il faut avoir les yeux aveuglés de mon Geogi pour me trouver à son gré. C’est d’ailleurs mon unique désir.

 

Robert et Noëlle toussent énormément, Noëlle surtout et la bonne petite a déjà perdu ses bonnes couleurs. Hier soir elle avait des grands yeux tout alanguis. Aujourd’hui elle garde le lit car elle a un peu de fièvre et j’ai trop peur que cela descende sur les bronches.

 

Le contremaître-chef a été appelé hier sans délai. Il est parti déjà ce matin de sorte que nous n’aurons plus à l’usine que le vieux Marotel qui n’est plus fort. Il a souvent des rhumatismes et s’il tombait malade on serait forcé d’arrêter.

 

Je fais des vœux pour que tu trouves des camarades agréables à ta fameuse école de tir, cela va te rajeunir et te rappeler Fontainebleau.

 

29 novembre - JMO 5e RAC/Groupe 95.- Il est accordé une permission de 8 jours à titre convalescence au commandant Giraud. Il est dès ce jour remplacé au commandement du groupe par le capitaine Aulard.

 

30 novembre, c’est la fête de Dédé - ELLE.- Je t’écris au cabinet de toilette près de la fenêtre ouverte, tout en gardant Noëlle qui est au lit dans sa chambre. De cette façon elle peut me parler, ne se sent pas seule et je prends l’air.

 

Je ne t’ai pas encore dit, je crois, que je me suis mise depuis une quinzaine à prendre de l’huile de foie de morue malgré toutes mes répugnances, car le docteur Hadot m’a dit que rien ne peut me faire autant de bien. J’ai donc pris mon grand courage car je veux absolument être en bon état pour ton retour à la fin de la guerre. Après le petit moment désagréable, quand on sent cette horreur dans la bouche, je la supporte très bien et au contraire, depuis que j’en prends, je n’ai pas eu mal à l’estomac. Je me promets donc de continuer. Les petits en prennent aussi.

 

Ils sont toujours dans le même état et c’est la nuit qu’ils toussent le plus, ce qui est ennuyeux. Maman ne veut pas que je couche près d’eux pour ne pas me fatiguer et craignant que je n’attrape à mon tour la maladie. Mais elle a ainsi toute la peine, la pauvre Mère. Nous avions demandé à Epinal si on ne pourrait avoir une garde-malade mais impossible, tout est pris par les militaires. D’ailleurs, les pauvres petits ne demandent pas de soins, on leur glisse simplement un bonbon dans la bouche quand on voit qu’ils ont la gorge trop sèche. La nuit dernière, Noëlle pleurait tout en dormant à moitié et disait : « Je ne veux plus tousser, cela fait trop mal ». Enfin, j’espère que la drogue que nous leur donnons finira par les calmer.

 

A part cela, notre vie continue sans autre heurt ni fracas, de temps en temps un peu de spleen en pensant que tu es si loin de moi. On aurait vraiment pu mettre votre école de tir un peu plus à l’arrière pour qu’on puisse se retrouver pendant ce temps. Il paraît que Paul Boucher va revenir aussi quelque temps pour des cours qu’on fera aux officiers à Remiremont, ce qui sera plus agréable que ton Arcy. Vous n’avez vraiment pas de chance dans votre secteur.

 

J’ai vu hier à Epinal Madame Maurice Lanternier qui est gentille et aimable et, ce qui m’a fait plaisir, est encore plus maigre que moi.

 

J’ai transformé en emprunt tous nos bons et obligations ce qui me fait une certaine somme.

 

30 novembre - LUI.- Le gros ennui du cours de tir c’est que je vais recevoir tes bonnes lettres très en retard. J’ai bien donné ma nouvelle adresse : Cours de tir - Secteur 34, mais il est probable que ta lettre arrivée hier mettra au moins deux jours pour venir jusqu’ici. L’essentiel est que vous alliez tous bien et que vous ne souffriez pas trop du vilain temps que nous avons depuis quelques jours.

 

Je me plais très bien ici. D’abord cela me repose un peu de mes perpétuels séjours à l’observatoire ou à la batterie. J’ai un bon lit. Le service n’est pas chargé, le matin conférence ou exercice sur le terrain à huit heures, le soir tir jusque 4 heures. Il est vrai qu’en rentrant il faut mettre en ordre les notes qu’on a prises, mais tu vois que ce n’est pas fatigant. De plus dans la maison où nous faisons notre popote, j’ai trouvé un piano, de sorte qu’après souper nous faisons un peu de musique avec quelques camarades qui aiment beaucoup cela et qui aiment m’entendre jouer car, malgré peu de pratique depuis un an, je m’en tire encore assez bien. Tous ces camarades sont gentils, nous ne sommes d’ailleurs que deux réservistes sur seize, tous les autres sont de l’active et, comme ils appartiennent à d’autres secteurs, on apprend pas mal de choses. Les chefs sont très bienveillants et connaissent parfaitement bien leur affaire. Enfin nous monterons probablement tous dans la saucisse (tu sais ce que c’est qu’une saucisse, ballon captif spécial en forme de saucisse) pour régler un tir, de sorte que mon Dieu cette guerre m’aura procuré le plaisir de monter en avion et en ballon, ce que je n’aurais peut-être jamais fait de ma vie.

 

Tout cela est donc parfait, seulement voilà il y a toujours un seulement, il me manque mes enfants chéris et surtout ma Mi adorée. Te rappelles-tu ma chérie tu allais arriver il y a un an à Meudon et nous allions passer ensemble cinq bonnes journées dans notre petite chambre de l’hôtel de Meudon et dans celle de l’hôtel Terminus. Te rappelles-tu, Mimi comme il faisait bon. Moi je me le rappelle souvent et voudrais bien recommencer.

 

1er décembre - ELLE.- Te voilà installé dans ton nouveau campement, j’espère que tu t’y plairas et que tu y verras et entendras des choses intéressantes.

 

Ici, nos enfants ont un peu moins toussé aujourd’hui mais ils ont déjà bien pâti depuis leur réclusion. Noëlle s’est levée, n’ayant plus de fièvre. Naturellement j’ai arrêté tout travail pour nos deux petits, qui sont déjà assez fatigués par leur toux. André travaille pas mal, mais il est surtout amusant par sa façon d’observer les poses, manières, façons de s’exprimer, de se tenir, de s’habiller de tous les gens qu’il voit et il imite très bien. Ce soir, Tété nous a amené son beau-fils qui était en permission. Pendant le dîner, Dédé s’est mis à donner à ses lèvres une forme bizarre que ce jeune homme a en effet en parlant, mais tu sais c’était frappant. Les deux petits se sont esclaffés et je n’ai eu qu’une peur, c’est qu’ils le répètent une fois, car Noëlle surtout fait parfois l’enfant terrible.

 

Il s’est offert hier, par l’entremise de Mr Bigaut, le directeur des Longènes, pour servir à Cheniménil, un nommé Auptel, qu’en penses-tu ? Nous lui avons fait répondre qu’il s’adresse directement à Paul Cuny qui s’occupe de l’usine pendant la guerre.

 

Le déménagement du parc sera fini demain. Les derniers camions sont chargés. Il reste maintenant à tout nettoyer, remettre en place, approprier les logements de concierge et autres que les soldats ont occupés et qui sont tellement dégoûtants qu’on croirait qu’ils les ont salis à plaisir. Le capitaine est venu nous faire ses adieux tout à l’heure et nous a annoncé qu’il allait retourner à Bordeaux pour y surveiller la fabrication d’obus installée dans son usine. Sa femme et ses enfants sont à Plombières depuis juillet, ils vont repartir tous ensemble. Tu sais, quand j’entends cela je regrette tout de même que tu n’aies pas accepté le petit moyen de nous réunir que je te proposais. Enfin, il vaut mieux ne pas y penser. Je puis m’estimer heureuse de garder tout ton amour malgré cette si longue séparation.

 

1er décembre - Isidore Voinson à Georges Cuny, son patron.- Cette fois j’ai réussi à avoir une permission qui m’a fait grand plaisir comme vous pouvez le croire. J’ai vu mon petit Robert, gros du moins car il a une belle frimousse. J’ai eu le plaisir de voir Madame le jour où je reprenais la grande direction. Quelle vie ! Ah ! là, là ! Je préfèrerais terminer la campagne dans le fond du parc des daims plutôt que de faire le batracien dans ces boyaux. Enfin j’ai repris du cœur au ventre.

 

2 décembre - LUI.- Enfin notre correspondance nous arrive et j’ai reçu ta bonne lettre du 27 novembre. Je suis ennuyé d’apprendre que les enfants toussent à qui mieux mieux comme tu dis, mais enfin ces petites toux nerveuses ne sont pas graves et il faut bien espérer qu’ainsi nos chéris auront payé leur tribut à l’hiver et que vous serez un peu plus tranquilles. Cela va retarder évidemment le départ de notre petit Robert pour les « Lanndes », mais je crois que tu feras bien de le rejoindre avec les autres le plus tôt possible car cette période d’hiver est vraiment mauvaise dans les Vosges.

 

Nous avons d’ailleurs un temps très mauvais pour notre période et sommes trempés tous les jours. Heureusement que nous retrouvons un bon lit quand nous rentrons car, s’il fallait dormir dans la paille avec des manteaux complètement mouillés, cela ne serait pas gai. Je suis ici avec de tous jeunes capitaines de l’active qui ont été nommés depuis la déclaration de guerre et qui commandent tous des batteries de 75. C’est te dire qu’ils connaissent beaucoup mieux que moi le canon de 75 puisque j’ai du 95 depuis un an. Mais figure-toi que ces jeunes gens sont pour la plupart déjà partis en permission deux fois. C’est extraordinaire qu’on fasse une différence pareille entre chaque secteur et qu’il n’y ait pas une règle générale. Il est vrai que cela ne m’avancerait pas plus si ces jeunes gens n’avaient pas eu de permission. Tant mieux pour eux.

 

Je répète encore une fois que vous avez tort de vous embarquer en auto par la neige, tu as dû avoir froid l’autre jour en revenant d’Epinal, et il faut prendre des précautions ma Mi et ne pas attraper de rhumes. Je voudrais bien pouvoir revenir en permission vers le commencement de janvier car je commence à être très en mal de vous tous et je voudrais repasser avec toi les bons moments que nous avons eus il y a un an à Paris et à Meudon.

 

Que dis-tu de la situation des Balkans, elle me semble plutôt fâcheuse ?

3 décembre - ELLE.- Je suis contente de t’annoncer que nos chéris ont passé l’heure de la crise à l’état aigu. La toux a bien diminué, ils n’ont eu que deux grosses quintes cette nuit ce qui est un énorme progrès, car la semaine dernière ils toussaient presque sans arrêt. Nos petits sont très heureux en ce moment, car nous avons comme je te l’ai dit déjà un automobiliste à la maison, qui est employé au déménagement de la filature ou plutôt du parc. Comme on traîne beaucoup pour les chargements, cela lui donne bien du temps libre. Ainsi hier il a passé tout l’après-midi à la maison, les enfants sont allés dans sa chambre de 1 heure à 4, il les a fait dessiner, peindre, danser et chanter pendant que je faisais ma chaise longue près de la fenêtre ouverte au fumoir. Ensuite ils sont tous venus prendre le thé et, jusqu’à l’heure de la soupe à cinq heures, ils ont été comme trois diables pendus à ce Mr Galin, assis sur ses genoux, à lui tirer la barbe, etc. Il est très gentil, n’a pas d’enfant et il n’est pas habitué à les faire obéir. Aussi, naturellement, ceux-ci en abusent. C’est un méridional, artiste, un peu musard comme l’indiquent son origine et son métier, très différent de nous par toutes ses manières de faire et de voir, mais intéressant compagnon. Nous avons parlé d’art, de tableaux ensemble. Il trouve les Vosges superbes sous la neige et reviendra à la paix pour faire quelques toiles.

 

Nous avons un temps pluvieux mais très doux, toute la neige fond même sur les hauteurs.

 

Que dis-tu de la situation des Balkans, elle me semble plutôt fâcheuse.

 

Je t’aime, mon Geogi et t’attends avec grande impatience. Ta Mi.

 

4 décembre - ELLE.- Je vois par ta lettre du 30 nov. que ton petit changement de résidence t’aura fait du bien, tu y auras fait la connaissance d’autres camarades et on peut toujours, surtout quand on est comme mon chéri bon et aimable, trouver des amis. De plus tu as découvert un piano, ce qui te procure du plaisir. Est-ce par télépathie, je me suis remise à en jouer depuis une huitaine, je n’ai malheureusement pas le talent de mon Gi, mais cela me fait tout de même plaisir d’entendre quelques airs et je me dérouille un peu en prévision de la fin de la guerre pour que nous reprenions nos petits déchiffrages à 4 mains, n’est-ce pas chéri ?

 

J’ai la joie de t’annoncer que nos tousseurs vont bien mieux. Noëlle ne tousse presque plus et Robert n’a plus eu que deux quintes cette nuit, autant ce matin. Si nous sommes sortis de cette coqueluche avec aussi peu de dégâts, c’est une chance merveilleuse. Les enfants ne parlent que de St Nicolas qu’ils attendent avec impatience, on s’en réjouit, on fait des calculs, on cherche à deviner ce qu’on trouvera demain dans la cheminée.

 

Nous attendons ton frère Paul demain pour déjeuner. Il vient constater l’état de la filature après le départ des soldats et voir tout ce qui manque. Marie Paul m’annonce par lettre qu’il me racontera des propos tenus par notre Sieur qui les scandalise par son manque de patriotisme. Cela ne m’étonne pas. Que j’aime donc mieux avoir un chéri mari comme toi dont je puisse être fière quitte à subir encore quelques mois une séparation si dure plutôt que d’avoir honte de mon mari.

 

Ah quand cette maudite guerre se terminera-t-elle ! 

4 décembre - LUI.- J’ai reçu tes deux bonnes lettres du 29 et du 30 novembre et je vois avec plaisir que je ne suis pas le seul à gronder ma Mimi quand elle est imprudente. Autant je comprends que tu fasses 40, 50 Kilomètres en été quand il fait beau et que les journées sont longues, autant je trouve que c’est trop en hiver et quand les nuits arrivent si vite. Mais enfin, puisque cela fait tant de plaisir à ma Mimi, je la laisse bien libre et lui demande simplement d’être prudente. Et puis gare aux enlèvements, comme le dit le major. Il y a certainement bien des yeux qui te trouvent à leur gré quoi que tu en dises, tu sais bien que tu es la toute jolie et que tes yeux si doux sont les plus caressants du monde. Donc attention !!! Tu vois, tu me fais penser à des choses exquises et je suis à quatre cents kilomètres de toi, je revois ton petit corps chéri et tous ses trésors que tu me donnes si gentiment et je suis obligé d’en être loin et de ne pouvoir qu’y rêver. Ah quand cette maudite guerre se terminera-t-elle !

 

Notre cours se continue paisiblement mais malheureusement par un temps épouvantable. Je plains surtout les pauvres canonniers, qui sont trempés tous les jours et qui n’ont pas comme nous un bon lit où se réchauffer. Ils dorment sur la paille et ne peuvent mettre leurs manteaux qui sont trempés. Le cours est intéressant et cela m’amuse d’y être venu, bien que je ne commande pas une batterie de 75 et que au point de vue pratique cela soit moins intéressant pour moi que pour les autres. Mais nous sommes 16 et tous de très gais compagnons. Je t’ai dit que tous mes camarades étaient de jeunes capitaines de l’active, je t’assure qu’ils n’ont pas le cafard comme on dit et qu’on s’amuse. Hier soir nous avons fêté la Ste Barbe, nous avions des huîtres, une dinde, etc.

 

J’espère que nos chéris vont mieux. Tu diras à Dédé que je lui souhaite une bonne fête et que je lui souhaite surtout d’être bien gentil pour sa maman et de bien travailler à l’école. Et notre petit Robert, que devient-il ?

 

5 décembre - ELLE.- J’aurais voulu que tu sois là ce matin pour jouir de la joie de tes enfants. Hier soir, une fois qu’ils ont été endormis, j’ai préparé sur ma cheminée des St Nicolas en pain d’épices, des petits St Nicolas en chocolat sur des assiettes avec de belles étiquettes pour chacun et un livre pour André et Noëlle, pour Robert une auto en bois contenant quelques soldats, quelques petits jouets aussi pour Françoise et Lili, enfin un étalage parfait et vers 7 heures ½ j’ai appelé le trio. Tout a été acclamé. Nous avions d’abord pensé ne rien donner aux enfants d’ouvriers, mais nous avons réfléchi que cela leur ferait plaisir et Maman a couru au village chercher des petits objets et la pauvre Maman, qui a pourtant tant de choses à faire, a pris encore le temps de se déguiser et de faire St Nicolas pour toute cette smala ce soir à 4 heures. Nos enfants n’ont pas eu peur et même j’ai cru qu’André, qui est si observateur, avait reconnu sa Grand’mère, car après la cérémonie il m’a dit : « Vous ne trouvez pas que St Nicolas a la voix de Grand’mère ». Mais d’autre part il est si naïf et confiant que je n’ai eu qu’à lui dire non pour qu’il n’insiste pas.

 

Nous avons eu Paul à déjeuner. Il a passé la matinée à Cheniménil. Il est arrivé avec une nouvelle auto Chenard et Walcker qu’il a achetée pour la Vologne parce que Knipiler se trouvait trop fatigué dans celle des Molard trop secouante, disait-il. Il a d’ailleurs racheté aux Molard leur vieille limousine et Adrien a eu l’audace (ceci entre nous est de la juiverie) de la faire payer 10 000 fr., un vieux clou pareil duquel il n’aurait pas tiré trois mille francs. De sorte que la Vologne est à la tête de deux voitures. La Chenard toute neuve, quatre places, est de 8 800. Elle a bonne mine et ne dépense pas beaucoup, paraît-il. Après la guerre, au lieu d’acheter une auto si chère, il vaudra mieux nous donner une petite voiture comme celle-là.

 

Le brave Paul dit des choses qu’il ferait mieux de ne pas dire. Ainsi il m’a froissée en disant que si les Vosges étaient annexées qu’il marcherait aussi bien avec les Allemands et gagnerait encore plus d’argent qu’avec les Français. S’il ne le dit qu’ici, cela va bien, mais dans d’autres milieux, cela peut être bien mal pris et vu. Enfin on ne le changera pas, surtout n’en dis rien, de loin il pourrait s’en vexer et en somme, malgré ses imprudences de langage, il est quand même gentil.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 05/12/1915 (N° 1302)

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Comme au temps de Jean Bart - Douze marins français prennent un transport turc à l’abordage

C’est dans la mer Egée qu’un aviso français s’empara dernièrement d’un transport turc. Cet aviso, en mission, patrouillait dans le Levant. Un matin, il se trouva en présence d’un voilier à l’allure suspecte. Le commandant stoppa à portée de voix du navire, tandis qu’une embarcation montée par un enseigne et trois hommes partait en reconnaissance. En accostant, l’enseigne s’aperçut qu’il était en présence d’un transport de guerre turc rempli de troupes, bondé de matériel et de munitions. Laissant un homme dans l’embarcation, l’officier sauta vivement à bord avec deux autres hommes. Il y eut un moment de stupeur parmi les Turcs. Un de leurs officiers, le lieutenant Loufti bey, essaya de décharger son revolver sur l’enseigne ; mais ce dernier se précipitant sur lui réussit à le désarmer. Pendant ce temps, le commandant de l’aviso envoyait une amarre, le voilier fut halé et huit hommes de l’équipage s’occupèrent de mettre à raison les Turcs. Ensuite on procéda au transbordement de troupes, du matériel et des munitions. L’opération se fit avec une hardiesse et une rapidité telles qu’un seul homme seulement fut blessé. Une demi-heure plus tard, le voilier turc, complètement vide, fut coulé à coups de canon ; l’aviso alors gagna le large.

 

   

 

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Femmes monténégrines transportant les blessés

C’est un journal de Berlin, le ‘Lokal Anzeiger’, qui rendait justice, l’autre jour, à l’énergie des femmes monténégrines. « Voilà déjà quatre ans, écrivait-il, que les hommes du Monténégro sont à la guerre, mais ce sont plutôt les femmes et les enfants qui supportent la charge de la misère. Ce sont les femmes qui font tout le travail à la maison et dans les champs, les femmes qui font le service des étapes et ravitaillent les hommes en première ligne, leur apportant des munitions et des vivres. Lorsqu’un homme est blessé, sa femme le transporte à l’arrière soit à dos d’âne soit sur son propre dos. C’est elle qui le panse et le soigne. Infatigables elles courent pendant des heures portant leurs plus jeunes enfants sur leur dos. » Ce sont, en effet, de véritables héroïnes, ces femmes de la Montagne Noire qui supportent si vaillamment les fatigues de la guerre et prennent, avec tant de dévouement, leur part des dangers subis par leurs maris, leurs fils ou leurs pères. Leur rôle en tous temps fut, lorsque le pays était en guerre, de relever les blessés, de les soigner, de ravitailler les troupes. En outre, comme les femmes serbes, leurs voisines et leurs sœurs de race, elles ont prouvé à maintes reprises qu’elles étaient capables de tenir un fusil et de faire le coup de feu contre l’envahisseur. Ces femmes, si fortes en temps de guerre, sont, en temps de paix, soumises, et aiment l’époux énergique. Jugez-en plutôt par cette histoire qui est traditionnelle au Monténégro.

 

Un aubergiste du pays avait une fille d’une grande beauté appelée Gordanne. Parmi les nombreux prétendants qui aspiraient à sa main, elle en distingua trois entre lesquels elle promit de faire son choix et, dans ce but, elle les convoqua pour le même jour à la maison de son père. Le jour venu, la jeune fille se plaça à travers de la porte d’entrée ; le premier soupirant avait appris à Cattaro les manières des villes, il pria poliment Gordanne de le laisser passer. Elle s’écarta pour le faire entrer, mais en murmurant : « Tu ne seras jamais mon mari. » Le second, moins policé, lui dit : « Laissez-moi passer ». Elle obéit, mais « Toi non plus, je ne t’épouserai pas », fit-elle. Le troisième y alla plus carrément ; il prit Gordanne par le bras, la jeta de côté et entra en maître dans la pièce. Ravie, la jeune fille s’écria : « Toi, tu es un vrai Monténégrin, c’est toi seul que j’épouserai. »

 

Telle est l’âme de ces femmes dans la paix. Ce qu’elle est dans la guerre, un autre tableau nous le dira. C’est un correspondant de guerre à l’armée monténégrine en 1912 qui nous le rapporte. « J’ai visité, dit-il, l’hôpital de Cettigné. J’ai vu les visages héroïques, l’air glorieux et calme des blessés. J’ai vu mourir là un grand diable au visage poilu, aux pommettes saillantes, au nez couturé, aux gros doigts noueux. Il s’est brusquement dressé sur son séant, a levé en l’air, comme pour brandir une arme, ses deux longs bras maigres, a poussé un rauque et sauvage gémissement et est retombé raide mort entre les bras de l’infirmière, tandis que sa mère, debout à son chevet, s’écriait : « Ah ! la belle mort ! » Est-il rien de plus beau, dans l’histoire de l’héroïsme antique, que le cri de cette mère qui voit mourir son fils ?

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Canon autrichien enlisé dans la boue en Serbie

Prisonniers serbes entre les mains des Allemands à Semendria

Un canon dissimulé dans les montagnes du Monténégro

Transport de bagages allemands en Serbie

Transport de troupes anglaises à Salonique

Infanterie serbe se dirigeant vers le front

La salle du Trône du palais de Belgrade après le bombardement

A Tahure - Boyaux construits par les Allemands au moyen d'innombrables sacs de sable

Après la chasse - Le tableau des rats

Un vétéran monténégrin

 

Les instantanés de la guerre (photos)

LPJ Illustre 1915-12-05 D.jpg

Troupeau de bœufs, réquisitionnés par les Allemands, dans les rues de Belgrade

Les marchandises destinées au ravitaillement de l'armée allemande dans le port de Belgrade

Un débarquement de troupes en Orient

En Serbie - Arrivée de troupes françaises

Défense d'un village serbe

A Salonique - Avant le départ pour le front serbe, les Anglais font un  bon repas

Le Christ de l'église de Revigny

Une tranchée en Serbie

Les paysannes serbes ravitaillant les aviateurs français

Le général C... visitant les tranchées de son secteur

 

  

Thèmes qui pourraient être développés

  • Appel de la classe 1917
  • Généraux - Nomination de Joffre, commandant en chef des armées françaises
  • Automobile - Les femmes et la conduite des autos
  • Santé - Huile de foie de morue
  • Aviation - La saucisse : ballon captif spécial en forme de saucisse
  • Les gens du Midi
  • Santé - La coqueluche
  • La Saint-Nicolas et Père Fouettard
  • Automobile - Chenard et Walcker
  • Le Monténégro - Femmes monténégrines transportant les blessés (LPJ Sup)
  • Soldat - Mots de soldats (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)


27/11/2015
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