14-18Hebdo

14-18Hebdo

132e semaine de guerre - Lundi 5 février au dimanche 11 février 1917

LUNDI 5 FEVRIER 1917 - SAINTE AGATHE - 918e jour de la guerre

MARDI 6 FEVRIER 1917 - SAINT TITE - 919e jour de la guerre

MERCREDI 7 FEVRIER 1917 - SAINT ROMUALD - 920e jour de la guerre

JEUDI 8 FEVRIER 1917 - SAINT JEAN DE MATHA - 921e jour de la guerre

VENDREDI 9 FEVRIER 1917 - SAINT CYRILLE D’ALEXANDRIE - 922e jour de la guerre

SAMEDI 10 FEVRIER 1917 - SAINTE SCHOLASTIQUE - 923e jour de la guerre

DIMANCHE 11 FEVRIER 1917 - SEXAGESIME - 924e jour de la guerre

Revue de presse

-       Riposte américaine à la piraterie boche – Les Etats-Unis rompent avec l’Allemagne

-       Sur le front de Riga des offensives répétées de l'ennemi sont repoussées par les Russes

-       Le froid augmente à Paris

-       Une crise ministérielle en Turquie

-       L'avance de l'heure et l'Académie

-       Des milliers d'Américains combattent déjà sur le front français

-       La disette en Autriche - "Nos savants fabriqueront chimiquement des aliments" dit le ministre de l'alimentation

-       Les suffragettes sont pour M. Lloyd George

-       Pour économiser le charbon - Théâtres, concerts et cinémas n'ouvriront plus que trois jours par semaine - Métro, omnibus et tramways s'arrêteront à 10 heures les autres jours

-       Le rationnement du sucre

-       La fermeture des pâtisseries, confiseries & maisons de thé

-       Alphonse XIII reçoit l'ambassadeur américain

-       Le village de Grandcourt occupé par les troupes britanniques

-       Le "California" torpillé - Frappé sans avertissement le paquebot anglais coule en 9 minutes - 42 morts - 3 Américains étaient à bord du paquebot

-       Un attentat à l'école militaire de West-Point

-       L'appel de la classe 1918 pour le mois d'avril

-       Sur les deux rives de l'Ancre les troupes britanniques continuent à progresser - Nos alliés enlèvent une importante position près de Sailly-Saillisel

-       Réduction du nombre de pages des journaux - Les quotidiens paraîtront sur 2 pages deux fois par semaine

-       Le pain de guerre - Un décret réglemente le nouveau mode de fabrication - Plus de pain de fantaisie ni de pain frais

-       La réponse des neutres - La Suède refuse de rompre avec l'Allemagne - La protestation du Brésil contre le blocus

-       Grands projets russes en Asie

-       Le 31e avion de Guynemer

-       Une nouvelle note allemande aux Etats-Unis en vue d'éviter la guerre

-       La Suisse proteste énergiquement et fait toutes ses réserves contre le blocus - La Suisse ne peut se déterminer à suivre le président Wilson

 

Morceaux choisis de la correspondance

Les soldats sont gelés dans les baraquements et les greniers à foin. Et vous, dans vos cagnas, toi qui n’as pas de gants chauds pour circuler à cheval, et pour la nuit, arrives-tu à te réchauffer ? Dire que tu serais si bien avec ta petite femme serrée contre toi, il fait si délicieux caresser son mari aimé et l’aimer de toutes ses forces. Tandis qu’il faut le sentir loin de soi, roulé dans une couverture et gelé.

5 février - ELLE.- Nous avons eu notre dimanche employé comme toujours à nous réunir avec Thérèse. C’était chez elle cette fois. Maman était restée au lit ayant encore un peu de fièvre, mais aujourd’hui elle va mieux et se lèvera dans la matinée. Hier au moment de partir, la voiture avait un pneu à plat. J’ai vivement fait mettre la roue de secours pour pouvoir partir et ai envoyé Dédé à bicyclette pour prévenir Thérèse de notre petit retard.

 

Nous avons fait notre petite partie de bridge et j’ai perdu sept francs, quelle somme. J’étais allée communier le matin avec Dédé et prier pour mon Geogi chéri, et les troupes que nous avions logées partaient à cette heure-là. Les hommes avaient des glaçons à leurs moustaches, ils avaient l’air d’avoir si froid. J’ai regardé le thermomètre en rentrant, il y avait encore - 15 degrés à huit heures du matin, et cela avait monté à - 18 dans la nuit. Les soldats sont gelés dans les baraquements et les greniers à foin. Et vous, dans vos cagnas, toi qui n’as pas de gants chauds pour circuler à cheval, et pour la nuit, arrives-tu à te réchauffer ? Dire que tu serais si bien avec ta petite femme serrée contre toi, il fait si délicieux caresser son mari aimé et l’aimer de toutes ses forces. Tandis qu’il faut le sentir loin de soi, roulé dans une couverture et gelé.

 

Je suis comme toi et ai un peu peur de Cannes et de ses microbes. J’ai écrit à St Raphaël pour avoir des renseignements sur les hôtels et ai écrit aussi à Mr Galin, ce soldat dont te parlaient les enfants. Il est des environs de Marseille et, sa femme étant délicate, il allait souvent à Cannes pour les gros mois d’hiver. Il me donnera des renseignements certains, plus sûrs qu’un syndicat d’initiative qui a intérêt à vous attirer et qui a des hôtels préférés aussi. Je lui ai écrit que je ne voulais pas aller dans un endroit contaminé à cause de Robert qui est délicat et qu’il me faut aussi un coin ensoleillé et chaud.

 

« Chaud » je crois que rien ne l’est actuellement, c’est bien mal tombé pour une année où le chauffage, bois ou charbons sont si chers.

 « Chaud » je crois que rien ne l’est actuellement, c’est bien mal tombé pour une année où le chauffage, bois ou charbons sont si chers. Maguy nous dit qu’à Angoulême ils ont - 10, c’est beaucoup pour leur pays.

 

Toute la division d’André Bertin qu’on avait ramenée vers Bruyères après son séjour à Arches vient de partir sur Belfort, l’infanterie est partie par le train, l’artillerie par étapes. Mr Bertin père, qui avait rendez-vous avec son fils samedi à Lépanges où le 68e devait cantonner y arrive par le train du matin, ne trouve plus le bataillon parti dans la nuit, on lui dit qu’ils sont partis du côté de Bruyères. Mr Bertin entend un train siffler, c’était un train de ravitaillement. Il grimpe à contre-voie pour ne pas être vu et débarque à Bruyères et tombe dans les bras de son fils qui y embarquait. Sans hésitation le père Bertin monte dans le train avec les officiers, « vous allez à Luxeuil, je vais avec vous ». Cela se passe en famille, tout le monde est très gai, mais à l’arrivée à Epinal, chacun descend pour se déraidir. Le commissaire de la gare voit un civil au milieu des alpins. Qu’est-ce que cela, d’où venez-vous ? Explications, Mr Bertin sort un papier signé du commandant qui le nommait « alpin honoraire » et lui donnait le droit de porter le béret. Toi qui connais maintenant le personnage, cela ne doit pas t’étonner. Mais le commissaire ne s’émeut pas, dit que ce n’est pas valable et enjoint à Monsieur Bertin de quitter immédiatement le quai, de sortir de la gare et de n’y reprendre qu’un train de civils. C’est Marie Krantz qui nous a raconté cette odyssée, mais il paraît qu’il faut entendre l’acteur, le héros, c’est roulant.

 

Au fait, tu ne m’as pas dit comment on avait accueilli ta G.O.P.[1]

 

6 février - ELLE.- Cette nuit, nous n’avons plus eu que - 7 degrés et je l’ai enregistré avec joie en pensant à toi et à tous les pauvres soldats du front. Pourvu que cette détente, amenée par la pleine lune, continue et nous donne peu à peu le dégel. Cela devenait calamiteux pour vous tous qui n’avez pas les moyens suffisants pour vous garer du froid. On dit que nous avons beaucoup de soldats gelés, non seulement pieds et mains, mais tout le corps, c’est vraiment affreux.

 

J’ai profité de ce que Maman allait mieux hier et de cet abaissement de température pour aller à Arches voir Jeanne Prononce. Autrefois, elle venait souvent ici par le train, mais maintenant qu’il n’y en a plus qu’au début et fin de journée, elle ne peut plus. Elle m’aime beaucoup et je sais qu’elle est contente de me voir. Elle attend avec impatience la fin de la guerre, surveille attentivement dans les journaux ce qui se passe en Belgique, et a vu avec joie que les Allemands ne déporteraient pas les notaires, car ils tiennent à ce que les actes continuent à être passés régulièrement. Comme son fiancé est notaire, elle a été enchantée.

 

En passant à Archettes, je suis allée au bureau du 3e chasseurs demander le capitaine Dupuis qui y était justement. Je lui ai fait deux minutes de visite dans cette petite cabane en planches où il était avec 3 scribes, et l’ai invité à venir déjeuner et faire un bridge à son premier jour de repos. Ces baraques sont bien faites, ils y ont l’électricité, c’est immense et heureusement qu’on trouve toujours des soldats très obligeants qui ne demandent qu’à rendre service. Quand à l’entrée du village, j’ai demandé où était logé le 3e ch. et où je trouverais le capitaine, de suite un soldat s’est offert pour me conduire, ensuite il m’a confiée à un second qui m’a trouvé le bureau. Il y a encore bien des braves gens sur terre et, comme le dit le socialiste Paul Boucher, plus encore dans le peuple que chez les bourgeois qui sont bien plus égoïstes.

 

André continue à être sage, Mlle trouve qu’il fait de grands progrès en sagesse, hélas ! pas autant en science. Il déteste toujours autant la grammaire et l’arithmétique et les analyses. L’histoire, la géographie, les sciences, fables, tout cela l’intéresse et il apprend bien ses leçons. Espérons que le reste viendra peu à peu.

 

Je t’envoie, mon Geogi aimé, ma meilleure caresse. Ta Mi.

 

Le trafic est complètement arrêté dans nos régions, on n’a même pas le droit d’envoyer un colis à Arches ou Epinal. Il vient d’arriver une masse de commandes aujourd’hui, je pense que les marchands de papier craignent la hausse provenant soit d’arrêts de navigation, soit d’arrêts du trafic.

 

Hier nous avons appris les graves événements qui se passent en Amérique. J’estime que si les Allemands ne calent pas, c’est qu’alors ou ils sont trop forts et on ne pourra pas les abattre ou ils sont près de la fin et jouent leur va-tout.

6 février - LUI.- Voici le courrier encore suspendu et je n’ai pas de nouvelles de toi depuis trois jours. Mes hommes eux n’ont rien reçu depuis huit jours. Je ne vois pas pourquoi on supprime ainsi les correspondances qui viennent de l’intérieur. Qu’on arrête les nôtres, à la rigueur je comprends cela mais ce que les hommes aiment le mieux c’est de recevoir des nouvelles des leurs et on devrait leur donner satisfaction.

 

Nous recevons tout de même de temps à autre les journaux et hier nous avons appris les graves événements qui se passent en Amérique. J’estime que si les Allemands ne calent pas, c’est qu’alors ou ils sont trop forts et on ne pourra pas les abattre ou ils sont près de la fin et jouent leur va-tout. En attendant cela va quand même un peu nous ennuyer, car ils ne vont plus se gêner du tout pour couler tous nos bateaux et nos approvisionnements vont encore diminuer. Toutefois sur le moment cette décision des Etats-Unis est une bonne chose et va peut-être remonter pour quelque temps le moral de nos hommes et surtout celui de l’intérieur qui à mon avis en avait grand besoin.

 

Rien de nouveau ici et je ne peux pas te raconter beaucoup de choses. Nous construisons des positions de batterie. Malheureusement nous nous trouvons un peu seuls ici n’étant en tout que trois officiers du groupe, pendant que tous nos camarades sont bien tranquillement au repos. Toujours pas de nouvelles du commandant, qui va probablement me laisser ici jusqu’à la fin des travaux.

 

J’espère que vous allez tous bien et malgré le froid je suis content pour vous de ce beau temps qui est bien meilleur que la pluie. J’espère que notre petite Noëlle redevient sage et qu’elle pourra bientôt m’écrire qu’on n’a plus rien à lui reprocher.

 

il est très inquiet de l’avenir au sujet des usines, si la menace allemande sur mer n’est pas du bluff l’industrie va être arrêtée dans un bref délai.

7 février - ELLE.- Tu ne peux t’imaginer comme les jours me semblent longs et vides depuis ton dernier départ. J’ai été à nouveau si heureuse pendant tes sept jours de présence, en entendant ta chère voix, en voyant tes yeux si aimants se poser sur moi, en me sentant protégée par ton amour si tendre, et maintenant il me semble que tout me manque. Tu vois, c’est mauvais d’être gâtée comme je le suis par toi, on s’habitue au bonheur, à la joie de vivre et lorsqu’on se retrouve seule, on est toute désorientée, on n’a plus son mari si brave et courageux pour vous suggestionner et vous prêcher la patience, mais je ne veux plus me plaindre, je suis si fière de toi, mon chéri et ici j’ai Maman et mes enfants qui m’entourent.

 

Maman va mieux, mais elle a encore mauvaise mine et je fais mon possible pour qu’elle ne recommence pas de suite à se fatiguer. Notre Bertus ne tousse plus, Mlle est dans l’admiration à son sujet car il joue un morceau à quatre mains dans tous les tons. Il joue les deux mains pareilles naturellement, il ne fait pas l’accompagnement, mais c’est vraiment étonnant pour un enfant de cet âge. Il tient de son papa. Quand Mlle nous a raconté cela à Maman et moi, André se trouvait là et comme il est toujours très tendre pour son petit frère, il s’est précipité sur lui : « Bonjour, mon petit artiste, venez que je vous embrasse ». Entendant cela, j’ai de suite dit bien haut pour que Robert le sache, que ce n’était pas difficile, que c’était très amusant et qu’on n’était pas du tout artiste en le faisant, car je craignais qu’André aille raconter à d’autres que son frère était un artiste et tu sais comme moi qu’il ne faut pas demander l’admiration aux autres, mais il est bien certain que ce petit a des dispositions pour la musique, il comprend très vite tout ce qui y a rapport et il faudra plus tard que nous lui donnions les moyens de développer cet art.

 

Paul Cuny est reparti à Paris et je remarque que chaque fois il est repris de pessimisme. Il a envoyé à Thérèse une lettre recommandée pour lui dire qu’il est très inquiet de l’avenir au sujet des usines, que si la menace allemande sur mer n’est pas du bluff, que l’industrie va être arrêtée dans un bref délai.

 

A Cheniménil Thérèse dit qu’ils ont du coton et de la houille pour deux mois. Donc si on n’en reçoit plus, cela amènera jusqu’en avril, au moment où on peut s’occuper de culture. Il n’y a pas à s’affoler, les usines ont été arrêtées plusieurs mois au début de la guerre, elles le seront encore pour la fin et voilà tout. Mais il est vrai que je ne suis pas une femme d’affaires et ne vois pas les choses sous le même angle que ces Messieurs et dames. Marie Molard me trouve étonnante de calme et de sans-souci. Elle a bien facile de dire, si elle avait son mari au front, elle dirait comme moi : « Qu’il me revienne », et le reste m’est bien égal.

 

8 février - ELLE.- Nous avons eu hier la visite du capitaine Dupuis, qui avait repos au camp d’Arches et qui est venu déjeuner et faire un bridge. Nous avons prié Thérèse de venir déjeuner avec ses petits, elle aime bien quand on l’invite et elle est si bonne que nous cherchons à lui faire plaisir autant que possible.

 

Mr Dupuis est excellent bridgeur, comme beaucoup d’officiers qui ont eu le temps de s’adonner à ce jeu. C’est lui qui a gagné naturellement, car nous ne pouvions soutenir la comparaison. Il est gai et aimable et sa visite nous a fait plaisir. Il a apporté un cornet de chocolats aux enfants qui étaient enchantés, naturellement.

 

Maman ne se sent encore pas très à l’aise et se ménage ces jours-ci, cela lui a fait du bien aussi de jouer pendant deux heures, cela la repose de ses lettres d’usine et de ses ennuis qu’elle prend toujours si à cœur.

 

Je t’envoie une lettre de Marie Molard, qui te montrera que la crise du charbon des Parisiens n’est pas un leurre puisqu’il faut en faire venir de Cornimont par grande vitesse. Je ne plains pas nos sœurs et cousines, qui ont le moyen de se chauffer à n’importe quel prix, mais les pauvres petites gens qui sont obligés de geler. Si toutes ces crises et la cherté de vie détachaient quelques familles des grandes villes et les rejetaient dans les campagnes ce ne serait qu’un bien, mais il n’en est rien sans doute, Paris a tant d’attraits. Toujours est-il que la pauvre Marie a dix degrés dans son salon.

 

Toujours pas de lettres de toi, je commence à trouver très dur cet arrêt dans la correspondance. Ta dernière lettre était datée du 31 et nous voilà au 8.

 

Toujours le même temps, un peu moins froid depuis deux jours et avec du soleil. C’est absolument ce que nous aurions eu à Chamonix, nous avons joliment bien fait de ne pas partir.

 

André est au catéchisme et Noëlle va y aller aussi. Hier soir mercredi, c’était jour de veillée et de nain jaune. André sait jouer, mais n’y met toujours pas plus d’ardeur, tandis que les deux petits adorent. Leurs yeux brillent, Noëlle s’énerve quand elle perd, elle cherche fiévreusement un sou pour payer ses dettes, Robert calcule les points qu’il gagne ou perd avec beaucoup de vivacité et annonce ses richesses d’un air conquérant. Cela fait plaisir de les voir et de les entendre. L’heure du coucher arrive toujours trop tôt.

 

8 février - LUI.- Je file demain matin et n’en suis pas fâché car je préfère retrouver tous mes camarades qui sont je crois bien installés. Nous avons fait ici des choses intéressantes, j’avais des camarades charmants mais une installation fort médiocre et nous avons eu froid. Mais je vais fort bien.

 

Il faudra certainement que je passe par Paris pour rejoindre. J’y passerai donc la soirée de demain soir mais n’irai pas voir Marie Paul, car je suis en tenue guerrière et comme je n’ai pas pu changer de linge depuis huit jours je ne suis guère présentable. Nous sommes d’ailleurs tous logés ici à la même enseigne. Sois tranquille je ne sortirai pas des environs de la gare de l’Est. Peut-être irai-je tout de même entendre un morceau chez Pathé. Je regrette seulement que tu n’y soies pas car nous aurions passé une bonne journée ensemble. Le groupe que je vais rejoindre s’est déplacé et est maintenant à l’ouest de Château-Thierry aux environs de Lucy-le-Bocage. J’y serai après-demain matin et t’écrirai depuis-là.

 

Comme je pars de très bonne heure et que j’ai beaucoup voyagé aujourd’hui, je vais vite me coucher et t’embrasse avec les chéris de tout mon cœur. Ton Geogi.

 

Mon commandant est malade et a dû être évacué, m’écrit-il, pour une quinzaine de jours.

 

La situation charbon est très grave ! Le groupement charbonnier en reçoit 9 000 tonnes par mois, alors qu’il lui en faudrait 120 000 pour alimenter toutes les Vosges.

10 février - ELLE.- Que se passe-t-il donc chez toi, voilà six grands jours que je n’ai pas reçu de lettres et je trouve le temps très long. Je me fais de suite mille idées noires et en suis toute triste. Maman a beau me répéter que c’est un ordre supérieur qui arrête les correspondances militaires, je me laisse convaincre un moment puis retombe ensuite dans le doute et l’anxiété. Ta dernière lettre était datée du 31, voilà donc dix jours de cela. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps, où es-tu, que t’est-il arrivé. C’est vraiment affreux de se dire que l’être qu’on aime le plus au monde est on ne sait pas où, au danger voilà la seule assurance que l’on ait, subissant fatigues et gel. Mon mari chéri, écris-moi bien vite un petit mot, une carte qui ne subisse pas l’arrêt de la censure pour me dire que tu es vivant et que tu m’aimes toujours.

 

Nous sommes allées hier à Epinal Maman et moi. Maman a profité du premier jour où elle se sentait bien, et elle est allée à la Chambre de Commerce, où on lui a dit que la situation charbon est très grave. Le groupement charbonnier en reçoit 9 000 tonnes par mois, alors qu’il lui en faudrait 120 000 pour alimenter toutes les Vosges. Jusqu’alors, cela a marché, car beaucoup avaient des stocks et ne demandaient pas leurs livraisons, ils en fournissent donc à David et Maigret qui n’avaient rien d’avance, à Jules Marchal, à la Lorraine, aux compagnies de gaz d’Epinal, St Dié, Gérardmer, Remiremont. Mais quand les stocks des autres maisons seront épuisés et qu’il faudra les pourvoir, on n’y arrivera pas. Par suite du gel des canaux, la Blanchisserie n’en a plus que pour 15 jours et le préfet fera plutôt arrêter toutes les autres usines que Thaon. Mais il aurait voulu que le chômage ne commence pas avant le 1er avril. Le pourra-t-il ? Chez nous les tas ont bien diminué aussi depuis un mois, le chauffage des salles coûte cher, c’est malheureux, pour une année où il y a pénurie de combustible, d’avoir ce froid.

 

Donne-moi vite de tes nouvelles, mon chéri aimé. Je t’embrasse de tout mon cœur. Ta Mi.

 

11 février - LUI.- Me voici enfin revenu à mon groupe et comme le commandant a été évacué pour une quinzaine de jours à Château-Thierry, je profite de sa belle chambre dans un grand château où il fait glacial mais où j’ai joliment bien dormi dans un lit bien chaud. D’ailleurs on trouve ici du bois et je viens d’en acheter un stère pour me chauffer.

 

J’ai eu le plaisir de trouver ici cinq lettres de ma Mimi dont la lecture m’a fait tu le devines grand plaisir. Merci ma chérie de tes tendres paroles. Tu sais que ton Geogi ne pense qu’à toi et fera comme toujours tout ce qu’il pourra pour t’éviter la moindre inquiétude. Je suis content que Robert ne tousse plus et que Noëlle ne dise plus de mensonges. Je voudrais voir notre petit Dédé dans ses essais de patinage. Tu lui diras que je suis heureux d’apprendre qu’il est très sage et qu’il travaille bien.

 

Je me suis donc arrêté à Paris à mon retour et suis allé voir Adrien, qui m’a appris que sa femme était malade à l’hôtel Majestic. Ils ont dû quitter leur appartement faute de charbon. J’ai donc cru bien faire d’y aller et l’ai trouvée couchée mais en bon état et fort heureuse de me voir. Je ne pouvais m’empêcher d’aller chez les Paul que je n’ai d’ailleurs pas trouvés. Ils avaient dîné en ville à midi et ne comptaient rentrer que le soir vers sept heures. J’ai regretté de ne pas voir mon frère. Après cela, séance chez Pathé comme d’habitude, puis je comptais passer ma soirée au théâtre mais c’était vendredi et tous les théâtres étaient fermés.

 

Nous avons quitté Paris, mon lieutenant et moi, hier samedi à 8h20, nous sommes arrêtés à Mareuil-sur-Ourcq, où nous avons dîné. Mais les villages de ce côté sont dépourvus. Nous avons dû acheter des conserves dans une épicerie. Après quoi nous avons pris un tortillard qui nous a amenés ici vers cinq heures et nous avons été bien contents de retrouver nos camarades. Nous sommes à Marigny-en-Orxois, c’est à dix kilomètres à l’ouest de Château-Thierry.

 

Marie Molard m’avait appris également que Maman était un peu grippée. J’espère que tu as exigé qu’elle se soigne et qu’elle est maintenant complètement rétablie. Mais il faut prendre des précautions et ne plus se fatiguer.

 

Tu as bien raison de ne pas être une femme d’affaires. Comme tu le dis si bien, ne songeons qu’à la fin de la guerre, sois tranquille nous serons encore heureux.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 11/02/1917 (N° 1364)

LPJ Illustre 1917-02-11 A.jpg

Le général Debenay

On nous dira plus tard tout ce que cette guerre a révélé de talents militaires. Combien de soldats en sortiront justement illustres et qui, en 1914, n’avaient pas encore les étoiles. Combien seraient arrivés à l’âge de la retraite sans avoir dépassé le grade de colonel ! Dès le début des hostilités, ils se distinguèrent par leur savoir, leur valeur, leur esprit d’initiative, leur autorité dans le commandement, et, en quelques mois, ils ont atteint les plus hautes fonctions. Telle est l’histoire du général Debenay dont nous donnons aujourd’hui le portrait à nos lecteurs.

 

 

 

LPJ Illustre 1917-02-11 B.jpg

Comment on distrait nos soldats d’Extrême-Orient - Le théâtre des Annamites

L’Annamite est profondément attaché à ses mœurs, à ses traditions nationales. Le déraciner est chose difficile. Jugez par là de ce que pouvait comporter de mélancolie pour le soldat annamite sa transplantation en Occident. On a heureusement pensé à adoucir pour lui l’exil, d’abord par un traitement excellent, ensuite, en lui rendant un des plaisirs qu’en son pays il apprécie le plus : son théâtre national. Puisqu’on donne aux poilus de France des représentations théâtrales, pourquoi aurait-on privé de la même joie nos poilus -si j’ose dire, car l’Annamite est imberbe- venus d’Extrême-Orient.

 

C’est un singulier théâtre que le théâtre annamite. Il procède évidemment du théâtre chinois. M. Paul-Louis Hervier qui, au cours d’un séjour en Annam, a étudié le théâtre annamite et recherché ses origines, croit que le goût du théâtre fut rapporté jadis dans ce pays par les ambassadeurs qui tous les ans, par trois fois, se rendaient en Chine pour y porter les présents du roi d’Annam à son suzerain. Ce goût s’y répandit rapidement, et l’Annamite aujourd’hui n’est pas moins passionné pour le théâtre que ses frères de race : le Chinois et le Japonais.

 

Le théâtre annamite est moral. Un lettré, que M. Hervier questionnait, lui disait : « Notre théâtre est une école. Le thème des pièces est toujours la vertu. Au début, la vertu opprimée est finalement triomphante, parfois par des voies mystérieuses. Les bons l’emportent toujours, en fin de compte, sur les méchants ». Comme quoi le drame annamite n’est pas sans quelque ressemblance, dans son esprit du moins, avec le bon vieux mélo de nos pères. Mais dans son expression, quelle différence avec nos théâtres d’Occident.

 

Le théâtre annamite est tout de convention. « Pas de décors, dit M. Paul-Louis Hervier. Le public a l’habitude de suppléer par l’imagination à toute indication. Il sait fort bien que si l’on étend une natte sur le parquet, cela signifie que la scène va se passer à l’intérieur du palais royal. Si l’un des acteurs tient un fouet à la main, il faut comprendre que c’est un cavalier. Quelques branches d’arbre promenées par des figurants, simulent une forêt. Une montagne est indiquée par une table surmontée de deux chaises. La mer est représentée par un carré de toile que l’on tient par les extrémités et que l’on agite pour simuler un mauvais temps ou une tempête. On voit que les décors annamites sont très primitifs. Ils rappellent les écriteaux du théâtre Shakespeare. »

 

La musique, dans le théâtre annamite, n’est guère plus compliquée que la mise en scène. L’orchestre se compose d’un tamtam, de tambourins et d’une petite flûte au son aigrelet. Les musiciens qui jouent de ces instruments primitifs se placent sur la scène même, à la droite des acteurs.

 

Tout le luxe du théâtre annamite est réservé pour les costumes des acteurs, costumes aux couleurs voyantes et semés de pierreries. « Ces costumes, dit M. P.-L. Hervier, sont de deux sortes : ceux de cour et ceux de guerre. Les premiers se composent d’une robe longue tombant à la hauteur des chevilles, d’une jupe passée sous la robe, d’un chapeau ou bonnet et d’une paire de bottes noires. La robe est en soie doublée, de couleurs différentes, sans col, et brodée de fleurs ou d’animaux symboliques, dragon, licorne, etc., suivant le rang du personnage. La jupe est, ou en soie, ou en étoffe plus forte, rayée à petits intervalles de bandes noires. Le chapeau est fait de carton doré. Sa forme et sa hauteur varient suivant le rang du dignitaire à représenter. Les costumes de guerre ne diffèrent des premiers que par l’habit, qui est un semblant d’armure en étoffe, bourrée à l’intérieur de coton ».

 

Dernier détail : les acteurs annamites ne jouent pas en parlant normalement : ils crient sur un mode aigu, rauque, guttural. M. P.-L. Hervier rapporte qu’à ce régime les acteurs annamites meurent presque tous de tuberculose laryngée.

 

Donc, si vous passez aux environs d’une caserne ou d’un cantonnement où se trouvent des soldats annamites, et si vous entendez des cris de femme qu’on égorge, ne vous frappez pas : ce sont les comédiens d’Indo-Chine qui répètent leurs rôles pour l’agrément de nos petits soldats jaunes.

  

 

Les instantanés de la guerre (photos)

LPJ Illustre 1917-02-11 C.jpg

Pièce de 47 m/m de côté, montée sur l'avant d'un chalutier, contre les sous-marins

L'arbalète d'Imphy envoie des grenades aux boches

Pièce de 95 de côté, montée sur un chalutier contre les sous-marins

Boite aux lettres dans les bois près de Vaux

Embarquement d'un cheval à bord d'un transport

Le déblaiement des routes dans les Vosges

La cloche de Vaux

Le calvaire de Vaux

L'église de Vaux

Mulet tirant un 65 sur son affût

Le long des falaises de l'Hartmannswiller

Un lieutenant en grande tenue de tranchée

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Etats-Unis - Riposte américaine à la piraterie boche – Les Etats-Unis rompent avec l’Allemagne
  • Paris - Le froid augmente à Paris
  • Turquie - Une crise ministérielle en Turquie
  • Etats-Unis - Des milliers d'Américains combattent déjà sur le front français
  • Angleterre - Les suffragettes sont pour M. Lloyd George
  • Rationnement - Pour économiser le charbon - Théâtres, concerts et cinémas n'ouvriront plus que trois jours par semaine - Métro, omnibus et tramways s'arrêteront à 10 heures les autres jours
  • Rationnement - Le rationnement du sucre - La fermeture des pâtisseries, confiseries & maisons de thé
  • Marine - Le "California" torpillé - Frappé sans avertissement le paquebot anglais coule en 9 minutes - 42 morts - 3 Américains étaient à bord du paquebot
  • Rationnement - Presse - Réduction du nombre de pages des journaux - Les quotidiens paraîtront sur 2 pages deux fois par semaine
  • Rationnement - Le pain de guerre - Un décret réglemente le nouveau mode de fabrication - Plus de pain de fantaisie ni de pain frais
  • Neutres - La réponse des neutres - La Suède refuse de rompre avec l'Allemagne - La protestation du Brésil contre le blocus
  • Alpin honoraire
  • Rationnement - La situation charbon dans les Vosges
  • Le général Debenay - Nos grands chefs (Portrait dans LPJ Sup)
  • Rationnement - La censure de la table (LPJ Sup)
  • Soldat - Comment on distrait nos soldats d'Extrême-Orient - Le théâtre des Annamites (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Religion - Fête religieuse - Sexagésime


[1] G.O.P. : Grande Offensive du Printemps



03/02/2017
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 388 autres membres