14-18Hebdo

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116e semaine de guerre - Lundi 16 octobre au dimanche 22 octobre 1916

LUNDI 16 OCTOBRE 1916 - APPARITION DE SAINT MICHEL - 806e jour de la guerre

MARDI 17 OCTOBRE 1916 - BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARIE - 807e jour de la guerre

MERCREDI 18 OCTOBRE 1916 - SAINT LUC, EVANGELISTE - 808e jour de la guerre

JEUDI 19 OCTOBRE 1916 - SAINT PIERRE D’ALCANTARA - 809e jour de la guerre

VENDREDI 20 OCTOBRE 1916 - SAINT JEAN DE KENTY - 810e jour de la guerre

SAMEDI 21 OCTOBRE 1916 - SAINTE URSULE - 811e jour de la guerre

DIMANCHE 22 OCTOBRE 1916 - SAINT MARC - 812e jour de la guerre

Revue de presse

-       Artillerie et aviation actives sur la Somme

-       Les tribulations du "dictateur" alimentaire

-       Bruits de crise en Suède - M. Hammarskjoeld aurait remplacé à la présidence du conseil M. Wallemberg

-       Nos troupes entrent à Sailly-Saillisel

-       Les Roumains résistent et contre-attaquent

-       Le mariage du duc d'Orléans

-       Brillants coups des Roumains dans la vallée du Trotus - 900 prisonniers - 19 canons détruits

-       Attaques et contre-attaques d'une grande violence sur le mont Pasubio - Les Autrichiens sont partout repoussés

-       Le transatlantique "Alaunia" coulé - Une partie de l'équipage est sauvée

-       La bataille de la Cerna - Les Serbes enlèvent le plateau et le village de Volessolo

-       Les Roumains tiennent bon sur les Carpathes - Mackensen attaque dans la Dobroudja

-       Le Kaiser inspecte les troupes sur les fronts de Verdun et de Champagne

-       Assassinat du comte Sturgkh président du conseil d'Autriche - L'assassin est l'écrivain autrichien Frédéric Adler

 

Morceaux choisis de la correspondance

16 octobre - ELLE (Paris).- Je t’avais écrit une longue lettre hier matin pour te mettre au courant de ce qui se passe pour Pierre Mangin mais je te fais toutes mes excuses, je l’ai gardée dans mon sac toute la journée. Je l’avais d’abord emportée ce matin pensant la jeter à la boîte en allant à la messe, mais il s’est mis à pleuvoir affreusement et c’est peut-être cela qui m’a fait perdre mes idées. Enfin de fil en aiguille ce n’est que le soir quand Pierre Lanique est parti à 7 h 1/2 que je la lui ai confiée pour qu’il l’envoie.

 

Il paraît bien gentil et simple ce garçon, et m’a beaucoup plu. Ce n’est pas le jeune homme qui cherche à plaire, qui fait le cavalier servant, qui se vante ou dit des plaisanteries, mais il paraît sérieux, franc, une très bonne nature. Sa tante l’a beaucoup grondé, car il devait avoir une permission de 24 heures et il l’a donnée à un de ses camarades qui en avait besoin et qui n’y avait pas droit, et comme Marie Paul lui disait qu’il risquait très gros, il a répondu gentiment qu’il faut bien se rendre service entre copains. Mais je suis de l’avis de Marie, il pouvait se faire punir. Enfin il est reparti hier soir à 7 heures ½ au lieu de coucher tranquillement ici.

 

Nous sommes allés tous les trois aux Bouffes parisiens voir jouer une pièce de Sacha Guitry qui doit être malade. Il a maigri et pâli d’une façon étonnante depuis que nous l’avions vu ensemble, te rappelles-tu, c’était « La Pèlerine écossaise ». Cette pièce était extrêmement leste mais presque morale dans son immoralité, parce que cette jeune femme qui prend un amant en semble si désenchantée au bout de deux jours que cela n’engage pas à essayer, je te l’assure. Tu vas me dire que Paris me donne de bien vilaines idées, mon pauvre chéri.

 

Après le théâtre, Marie et son neveu sont rentrés à la maison et je suis allée chez le docteur et maintenant il est neuf heures et nous sommes au lit depuis plus de 12 heures, tu vois que pour des parisiennes, nous nous couchons de bonne heure (excuse mon style, en me relisant je constate que je ne fais pas de frais).

 

J’ai reçu une lettre de Dédé que je te joins, elle t’amusera malgré le nombre considérable de fautes d’orthographe.

 

Paul est parti hier à 5 h 1/2 du matin pour aller à la gare de l’Est à pied. On ne trouve pas de taxi ici, ce quartier n’est pas commode à ce point de vue et, comme Paul voulait être dans son train dès 7 heures pour ne partir qu’à huit, il est parti de bonne heure, tu te reconnais dans ton frère, n’est-ce pas chéri.

 

17 octobre - ELLE (Paris).- J’ai reçu ta lettre du 13 où tu m’annonces la visite d’un sous-officier. J’espère bien être à la maison quand il y viendra cela me ferait plaisir, mais je suis rarement A. Henri-Martin l’après-midi, car je déjeune toujours chez Marie Molard et ne rentre ici que le soir.

 

Hier nous sommes allées toutes les quatre prendre le thé chez Alice Mangin. Pierre était à Besançon pour s’occuper de son sursis et à Lyon pour affaires, il ne rentrera que demain ou après. Il paraît que l’appartement qu’ils ont loué et sont en train de meubler est très beau, avenue Bosquet. Marie Molard croit qu’ils le paient 15 000 francs.

 

Je t’envoie des petites photos que j’ai retrouvées à Docelles et tirées à ton intention pensant que cela t’amuserait. Deux sont anciennes, la troisième a été prise à Arcachon, mais pas assez posée comme Maman le fait souvent. Aussi on distingue à peine les personnages. Mais tu devineras.

 

Sois tranquille, je ne me fatigue pas et prends des taxis, tu te moqueras de moi si je te dis que cela me revient très cher.

 

Tendresses, mon mari aimé de ta petite Mimi.

 

17 octobre - LUI.- Je reçois tes deux bonnes lettres du 15 et du 16 courant. Tu auras su par mes dernières lettres que j’avais reçu une lettre de l’oncle Paul et la réponse que je comptais y faire. Je suis donc bien d’avis qu’il ne faut rien changer à la façon dont a été établi le bilan cette année et je regrette que mes oncles de Nancy n’aient pas été de cet avis.

 

Je suis heureux que tu t’amuses un peu à Paris. Profite en effet de ton séjour pour aller au théâtre mais surtout en matinée pour ne pas trop te fatiguer. Tu ne me dis rien de ta santé ni du docteur. Cela m’intéresse plus cependant, ma petite mie, que les histoires des HGP car, comme tu le dis si bien, nous nous aimons bien et nous sommes bienheureux l’un par l’autre. C’est la chose essentielle et tout le reste ne signifie rien.

 

Tu ne trouves pas qu’on est bête de s’occuper en ce moment de toutes ces questions d’affaires et de s’entre-déchirer. Et on parle d’union sacrée ! Elle est jolie.

18 octobre - ELLE (Paris).- Je reçois ta lettre datée du 15 avec copie de celle que tu comptes adresser à l’oncle Paul. Je la trouve parfaite, tu lui fais remarquer très poliment qu’il est dans son tort et que tu ne le suivras pas dans la bataille. Tu as bien raison, il va à un échec certain et au lieu d’éclaircir les choses il va les embrouiller.

 

Ils sont très montés tous contre Pierre Mangin. Marie Nicolas a écrit hier une lettre stupide à Paul où elle demande encore entre autres choses si « cette déplorable mesure des tantièmes accordés à plusieurs employés a fait l’objet d’une acceptation unanime en séance plénière des associés ». On reconnaît le style pompeux de la dame. C’est effrayant comme ces gens, qui dépensent des millions de francs pour eux, grattent lorsqu’il s’agit des autres.

 

En tout cas, je suis d’avis quand tu reviendras que tu ne fasses plus pour les associés un inventaire aussi détaillé, on n’a qu’à leur présenter un bilan comme dans les sociétés par actions et ils n’ont pas besoin de savoir ce que l’on paie à l’un ou l’autre employé.

 

Comme disait Paul : « Je ne leur ai pas raconté que Pierrat a eu 40 000 francs chez moi cette année, l’oncle Paul aurait hurlé ». Tu sais qu’à la réunion de la Vologne Paul a été obligé de montrer les dents et de demander si oui ou non c’était lui le chef, et il a offert sa démission. Naturellement les autres, l’oncle Paul et Jules ont bafouillé : « Nous ne voulions pas dire cela ». Il paraît que Paul Luc lançait des grands coups de coude à son oncle pour qu’il se taise.

 

Tu ne trouves pas qu’on est bête de s’occuper en ce moment de toutes ces questions d’affaires et de s’entre-déchirer. Et on parle d’union sacrée ! Elle est jolie.

 

Je t’aime, mon Gi, et suis si heureuse de te retrouver en toutes circonstances comme je t’ai toujours connu et aimé, si droit et loyal. Je suis fière de toi et voudrais que chacun t’apprécie comme je le fais moi-même.

 

Marie Paul, à qui j’ai lu la lettre que tu adresses à l’oncle Paul, m’a demandé de la copier pour que son mari en ait connaissance, qu’il soutienne les mêmes idées que toi. Je pense que cela ne t’ennuie pas.

 

Bonnes tendresses, mon adoré. Ta Mi qui est bien en mal de son mari et qui voudrait être dans ses bras.

 

Ne fais pas attention aux compliments que me fait Maman : « les années de guerre avec toi me sont presque heureuses », la bonne chérie. Elle a accepté une offre de Palpel à 135 f le blanchi, 35 tonnes. Quelle horreur, dit-elle ! Mais c’est encore moins cher que les autres qui avec leur prix de fret et le change nous l’amenait à 165 f. Les commandes ne viennent toujours pas. Monsieur Schwindenhammer lui a offert ses services pour le cas où elle serait embarrassée en quoi que ce soit. Il n’achète pas de pâte blanchie au prix où elle est et déplore comme elle que les choses marchent si mal, mais il dit que si le papier baisse, c’est parce que les Byzontines et les Bergès ont fait marcher tout à coup 6 à 7 machines sans avoir de commandes et que cela n’aura qu’un temps. Il dit que lorsqu’il n’aura plus de pâte blanchie, il ne fera plus de papier blanc.

 

19 octobre - LUI.- Je reçois ta bonne lettre du 17 octobre et en même temps celle du 13. Tu vois que cette dernière a mis du temps mais elle m’a fait bien plaisir, d’abord parce qu’elle est tout à fait affectueuse, et puis aussi parce que tu m’y parles du docteur et que le docteur t’a trouvée en parfait état. Je suis très très heureux ma petite mie et je me réjouis de revenir. Tu verras, nous ferons encore de bonnes promenades avec nos enfants chéris. Il va faire rudement bon à condition que les associés HGP ne soient pas trop ennuyeux.

 

Je t’envoie copie de la dernière édition de ma lettre à l’oncle Paul. C’est l’édition définitive et je pense que tu l’approuveras. J’enverrai copie de cette lettre à Paul et le chargerai, s’il est d’accord, de vouloir bien défendre cette proposition.

 

Maintenant que je crois avoir fait mon devoir, je ne vais plus du tout penser à cela car c’est fort assommant et, comme tu le dis, quand on est ici au milieu des pauvres gens qui sont éloignés des leurs, on a peine à comprendre toutes ces petites histoires-là.

 

Veux-tu donner communication de ma lettre à ta mère. Je suis navré de ne pas avoir pensé à sa fête, tu aurais dû m’y faire penser, ma chérie. Dis-lui n’est-ce pas que c’est un oubli tout à fait involontaire. Elle a raison, vois-tu Mie, tu es la meilleure de toutes. Je voudrais bien être avec toi et je t’embrasse de tout cœur. Ton Geogi. Meilleures amitiés à Marie Paul à qui tu pourras montrer ma lettre à l’oncle Paul ainsi qu’aux Molard.

 

20 octobre - ELLE (Paris).- Je reçois ta lettre du 17 et suis entièrement de ton avis. Cela m’ennuie beaucoup et j’ai pensé tous ces derniers jours, depuis que je sais tout cela que ce serait toi qui en subirais les conséquences. Tu pourrais peut-être écrire en effet à Pierre Mangin pour lui dire très correctement ce que tu penses, en semblant croire que cette nouvelle réunion est faite pour réviser les statuts, capital et inventaire, dire que tu espères qu’il saisira l’occasion.

 

Il est en ce moment à Rouen. Au début de la semaine il était à Besançon et Lyon (il part à Cornimont lundi, paraît-il). Alice nous a dit naïvement hier qu’il se met en uniforme pour tous ces voyages pour pouvoir passer partout. L’antimilitariste sait redevenir militaire quand il le faut. Il paraît qu’à l’intendance on l’avait surnommé le « pessimiste ». L’autre jour Adrien entendait deux de ces messieurs qui disaient : « Notre pessimiste est revenu à Paris, je l’ai rencontré » et il s’agissait de P.M.

 

Sais-tu qu’hier, je suis allée aux Ambassadeurs, c’était la première fois de ma vie. Nous y avons pris un thé excellent offert par Marie Paul aux dames Mangin, Molard et moi. Toutes ces jeunes filles avaient de jolies toilettes claires, les demoiselles Mangin un peu excentriques, hautement chapeautées, ne se distinguaient pas de toutes les jeunes personnes parisiennes qui nous entouraient. Elles sont amusantes à entendre, ayant une façon de parler à elles, un peu salée parfois, bien des petites choses que je chercherais à réprimer chez ma fille plus tard si je la voyais tourner dans ce sens. Mais les Mangin trouvent que les jeunes filles doivent connaître la vie, le mariage, les dessous de Paris, enfin être averties de tous les dangers soi-disant. Encore une thèse que je n’ai pas. Qu’on laisse donc un peu de mystère dans la vie des jeunesses, elles auront le temps d’être réalistes.

 

En sortant à six heures seulement, je ne me doutais pas qu’il était si tard, j’avais rendez-vous chez le docteur à 6 h 1/4, pas moyen de trouver un taxi aux environs, je me suis résignée à prendre le métro à la Concorde ou plutôt le Nord-Sud qui m’y menait presque tout droit. Mais je n’ai pas eu de chance, il y a eu un accident à la station de Pigalle quand j’y arrivais, une femme qui était tombée dans une bousculade entre le quai et le convoi. Tu me connais assez pour penser qu’à ce seul nom d’accident qui circulait de bouche en bouche, cette foule qui s’amassait pour « voir », je me suis empressée de gagner la sortie la plus proche. Mais cela m’a mise en retard pour mon rendez-vous. Et je n’ai passé dans le cabinet du Dr qu’à 7 h 1/2. J’avais téléphoné à Marie qu’elle ne m’attende pas pour dîner. Car en sortant à cette heure on a beaucoup de difficulté pour trouver une voiture. Je me suis adressée à six chauffeurs avant d’en trouver un qui accepte de venir dans ce quartier éloigné.

 

Ci-joint lettre de Maman qui te donnera des nouvelles des enfants. Mademoiselle a dû arriver mercredi. J’attends les premières lettres qui me donneront les impressions.

 

J’ai vu ton sous-officier hier, il est venu heureusement vers 10 heures ¼, je n’étais pas sortie. A peine je commençais à m’habiller, il a fallu que je me presse. Il a été très gentil, m’a donné de bonnes nouvelles de toi, il m’a dit que tous tes hommes t’aimaient beaucoup, qu’ils croyaient tous que ce serait toi qui prendrais le poste du commandant Giraud et qu’ils avaient été bien déçus en en voyant un autre arriver.

 

21 octobre - ELLE (Paris).- J’ai reçu hier matin la copie de la lettre dont tu voudrais faire donner lecture en réunion des associés. Je te remercie, tu sais, de me mettre si bien au courant de tout ce que tu fais et de tes réflexions. Plus que toi encore je regrette que tu ne puisses assister à la réunion, où tu aurais certainement obtenu une entente, tandis que les deux partis ennemis vont se trouver en présence et sans médiateur, ce qui va être très grave. C’est pourquoi à mon avis il vaudrait mieux que Paul y soit. Maman, comme femme, aurait moins de poids et on ne ferait pas attention à ce qu’elle pourrait dire, tandis que Paul a de l’autorité surtout sur P. Mangin.

 

Marie Paul est très, très gentille et en cette circonstance bien plus raisonnable que ta sœur, qui veut me faire croire que c’est de la fausseté de sa part. En tout cas, depuis que je suis ici, elle ne m’a pas dit un mot qui m’ait déplu ou que je n’aie pas approuvé. Il n’y a qu’une chose que je tâcherai de lui dire en douceur c’est qu’elle aille à Thaon l’été prochain, car la solitude et la vie à Epinal est détestable pour Paul. Il y voit un monde très inférieur, hommes et femmes qui le tapent et le grugent et lui font absorber trop de choses.

 

Avant-hier Marie Molard a rencontré devant le Printemps Alice Kempf, sa fille et Titite Perrin avec les demoiselles Mangin. A. Kempf, pour une fois très aimable, a emmené Marie prendre le thé et Marie l’a invitée à venir le lendemain chez Rumpelmayer. Marie m’avait dit d’y venir aussi mais j’ai refusé car je ne tenais pas à revoir A. Kempf. Il paraît que son fils veut être industriel, mais cette année on va lui faire faire de la banque, ce qui est très utile pour un industriel, et puis Alice veut toujours avoir l’air d’être très riche, d’avoir des masses de valeurs. Enfin son fils sera un industriel très rare qui connaîtra tout, ce sera épatant. Vivons dans cet espoir.

 

Je vais cet après-midi chez le docteur à trois heures cette fois. Je n’ai plus voulu de rendez-vous tardif, vers six heures, car cela me fait rentrer trop tard ici où les communications ne sont pas faciles. J’aurai fini mon traitement mercredi et irai probablement faire une petite visite à Maguy de deux ou trois jours. Il faut que je me renseigne pour les départs des trains.

 

En ce moment, je vais pas mal et ne me sens pas fatiguée, il est vrai que je ne me remue pas beaucoup, mais néanmoins plus qu’à Docelles naturellement. D’ailleurs le docteur m’a trouvée en bon état, il a encore vu à la radiographie les traces de ma pleurésie du printemps 1914 et comme il voit que j’ai très bien supporté les applications de rayons X cet été, il m’en fait à nouveau et de plus répétés pour m’enlever tous ces restes qui m’empêchaient de me bien porter.

 

21 octobre - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre de mercredi au sujet de la phrase que tu incrimines. Je te dirai que je ne suis pas de ton avis. Il faut cependant bien que j’explique pourquoi je ne veux pas qu’on diminue les tantièmes donnés cette année aux employés. Or une des raisons est certainement que j’ai touché moi-même une somme considérable. Tu dis que je ne suis plus patron, je te le dirai en riant que je le suis encore un peu puisque j’ai touché 50 000 francs. Tu dis que je n’ai pas d’avis à donner pour l’inventaire, mais si car, en admettant même que je ne sois plus patron, je suis tout de même associé.

 

Au sujet de la façon d’établir l’inventaire, tu peux faire remarquer à ceux qui voudraient que nous établissions le bilan comme dans une société par actions, que nous ne sommes pas une société par actions. Dans nos statuts, il existe un article nous forçant à envoyer à tous les associés un résumé de l’inventaire, qui doit être suffisamment clair pour qu’ils puissent présenter leurs observations. Ils doivent faire leurs observations dans l’intervalle d’un mois. Tout cela est prévu. Il est possible que ceci soit mauvais, je ne le discute pas, mais enfin, nous gérants, nous avons accepté les statuts et, à moins qu’ils soient modifiés à l’unanimité comme dans la question de l’évaluation des fabriqués, nous devons les respecter.

 

Pour ta mère, elle n’a pas besoin du tout d’assister à la réunion. Mais je l’engage à se faire représenter par l’oncle Paul tout en disant que, dans la question qui sera soulevée, elle demande surtout qu’on tâche de s’entendre et en faisant remarquer qu’ayant déjà répondu qu’elle était d’accord, elle ne peut guère revenir sur ce qu’elle a dit.

 

Au surplus tout cela ne signifie rien. L’essentiel est que tu ailles bien et que nos enfants soient aussi bien portants. Mlle Ferney est-elle enfin arrivée ? Il serait tout de même temps je crois que Dédé commence un peu à travailler. Combien de temps comptes-tu rester à Paris ? Je t’ai dit ma pauvre Mie qu’il m’était impossible d’y venir. Tu penses bien que je le regrette fort, car voilà à peine un mois que je suis rentré de permission et je suis déjà en mal de toi.

 

22 octobre - ELLE (Paris).- Ta lettre à l’oncle Paul est très bien mais je crois que tu aurais bien fait d’écrire aussi à Pierre Mangin car il prétend que son inventaire est fait tel que vous le faisiez les années dernières. Comme je l’ai vu avant d’avoir reçu tes dernières lettres très explicites, je n’ai pas pu lui faire remarquer qu’il fait erreur. Mais toi, tu pourrais peut-être le lui dire, tout en lui disant que tu acceptes les comptes tels qu’ils sont faits pour cette année, que tu trouverais ridicule de les changer, mais lui donner tes idées pour l’avenir, cela le ferait peut-être réfléchir avant la réunion.

 

Paul rentre ce soir passer la semaine ici, mais Pierre part demain à Cornimont, donc ils ne se verront pas, sans quoi j’aurais demandé à Paul de l’influencer un peu.

 

Il fait déjà bien froid, as-tu assez de choses pour te couvrir, n’as-tu pas froid dans ton lit ? Demande-moi ce qu’il te faut.

 

Hier j’ai vu chez Marie Molard Madame Benoit de Reims et Madame Piler, sœurs de Mr Vincent. Elles m’ont beaucoup parlé de la femme d’Alfred Geny, qu’elles trouvent très bizarre, originale et peu aimable. Il paraît que son intérieur était très joli mais dénotait des idées particulières. Ces dames ne croient pas qu’Alfred soit très heureux avec elle. Mais à mon avis, Alfred ne demande pas à sa femme une grande tendresse, il lui donnera des enfants et leur intimité se bornera à cela.

 

Maman m’écrit que Robert est un peu enrhumé, elle le garde à la chambre. André a déjà dit à Thérèse qu’il trouvait Mademoiselle bien laide et vieille. Kommer est revenu pendant deux jours et a remis l’auto en état ce qui a intéressé André avant que Mlle ne soit là, il était au garage toute la journée.

 

J’ai posté chez Mr Euvrard un petit paquet pour toi, bonbons et pruneaux.

 

22 octobre - LUI.- Je reçois ta bonne lettre du 20. Tu comprends bien que c’est fort ennuyeux d’écrire des lettres de rigueur sans avoir sa chérie à ses côtés qui vous dise : « Moi je ne mettrais pas cela ou je mettrais ceci ». Comme je n’avais plus beaucoup de temps, j’ai envoyé la lettre à l’oncle Paul comme je te l’avais dit hier car j’ai eu peur qu’il ne la reçoive pas avant la réunion. J’ai envoyé copie à Paul en le priant instamment d’aller à la réunion. Il a de l’influence sur les deux partis.

 

Autre chose. Je crois que nous ferons bien à partir de maintenant de nous garder un peu d’argent. Si tu en touches, mets-le en banque ou ne prends que des bons de la défense nationale qu’on puisse réaliser au bout de quelques mois. Sans doute tout cela s’arrangera mais il vaut mieux prévoir.

 

Fais mes bonnes amitiés aux Laroche-Joubert. Je t’écrirai après-demain à Lescalier.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 22/10/1916 (N° 1348)

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M. Alexandre Ribot - Ministre des Finances

A côté des portraits des chefs illustres qui conduisent nos soldats à la victoire, il est équitable de donner celui du grand Français qui, dans les circonstances tragiques créées par la guerre, a assumé la lourde charge de nos finances ; et qui, confiant dans le crédit national, a accepté la mission de fournir à nos défenseurs les ressources nécessaires pour assurer le triomphe du pays.

 

M. Alexandre Ribot est une des plus hautes figures du Parlement français où il entra il y a près de quarante ans. Ministre des Affaires étrangères en 1890, dans le cabinet Freycinet, il conserva ce portefeuille dans le cabinet Loubet et dans le cabinet suivant, qu’il présida. En 1895, il fut pour la première fois ministre des finances. Depuis lors, M. Ribot avait quitté le pouvoir. Comme l’observe notre confrère Gustave Babin dans un excellent article de l’’Illustration’ consacré au grand argentier de la Défense nationale, « il fallut les circonstances graves entraînées par la guerre, la nécessité qui s’imposait de compléter, d’élargir le ministère, de lui donner, vis-à-vis du pays comme de l’étranger, un prestige plus que jamais nécessaire, pour que M. Alexandre Ribot fût rappelé dans les conseils du gouvernement. Lors du remaniement ministériel du 26 août 1914, il accepta, dans le cabinet Viviani modifié, le poste redoutable de ministre des Finances. Ce seul concours constituait, pour le ministère de Défense nationale, un renfort moral inestimable. » Certes, le poste était redoutable. Mais nul n’était mieux armé que M. Ribot pour l’assumer.

 

Au moment où éclata la guerre, rien n’était prévu au point de vue financier, pas plus chez nos alliés, d’ailleurs, que chez nous, pour faire face à une situation aussi grave. M. Ribot eut tout à organiser. « Quelle expérience, dit encore M. Babin, quelle sagesse, quel tact ne fallait-il pas déployer pour conduire, sans en fausser un seul rouage, un mécanisme si compliqué et si fragile ! Seul, un homme d’Etat rompu à toutes les subtilités du droit constitutionnel, familier avec tous les arcanes de l’économie politique pouvait, sans péril, aviser aux solutions urgentes, à mesure que la nécessité s’en faisait sentir, prendre les mesures salutaires capables d’assurer le bon fonctionnement du formidable organisme de défense nationale, régulariser le service de la trésorerie, faciliter la reprise progressive de la vie commerciale et industrielle, et surtout maintenir intact et sain le crédit de la France. » M. Ribot fut cet homme-là. Et la France lui en gardera une reconnaissance profonde.

 

Car dans cette victoire, le ministre des Finances aura aussi sa large part. Lui aussi aura su tirer le meilleur parti des forces financières du pays, organiser la mobilisation de la fortune nationale et employer au mieux les ressources immenses que lui apporta la confiance du pays. On sait avec quelle faveur fut accueillie l’émission des bons de la Défense nationale. Cette émission avait été décrétée le 13 septembre 1914, c’est-à-dire à une heure où l’on ne connaissait pas encore complètement l’heureux effet de la bataille de la Marne. Cependant, suivant la phrase même prononcée par M. Ribot devant la Chambre, « le succès dépassa toutes les prévisions ». En moins d’une année, le public avait souscrit 6 milliards 977 millions de ces bons. Et ce succès, depuis lors, ne s’est pas ralenti. Les obligations de la Défense nationale, émises plus tard, ne furent pas moins favorablement accueillies. De septembre 1914 à septembre 1915, la confiance du pays avait apporté au Trésor plus de dix milliards. Le ministre des Finances pouvait être fier de son œuvre et du crédit que la nation lui accordait.

 

L’emprunt de l’an dernier continua la série de ses succès. Et celui qui vient de s’ouvrir ne lui cédera en rien. En face de l’ennemi, la France envahie a donné l’exemple d’une sécurité, d’une force, d’une foi que rien ne put ébranler. Honneur à l’homme qui a su lui inspirer une telle confiance ! Son nom doit vivre éternellement parmi ceux des hommes que cette guerre a faits grands et glorieux !

 

 

 

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La vache russe et l’avion boche

L’autre jour, près de Loutsk, un aéroplane allemand venait d’atterrir ; les paysans informèrent aussitôt le poste militaire russe, mais celui-ci étant éloigné, les aviateurs boches ayant fini de réparer leur mécanique allaient reprendre la route de l’air. Déjà, ils mettaient le moteur en marche. Mais, une vache qui passait là « désespérée de voir échapper ces ennemis, affirment les paysans, se rua sur l’appareil, enfonça ses cornes dans le moteur et rendit la fuite impossible ».

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Tombes anglaises dans la Somme

Tranchées anglaises dans la Somme

Les signaleurs anglais à Salonique

A Salonique - Parc de cavalerie et train de combat anglais

Lanciers anglais

Le port de la Canée (Crète) décoré en l'honneur du départ de M. Venizélos pour Salonique

Construction de tranchées par les Allemands

Sur la Somme - Un coin de Vermandovillers

Sur le front italien - Une tranchée du Carso défendue par un canon- revolver

Télégraphistes réparant les lignes

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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En Transylvanie - La fameuse passe de la Tour Rouge

Sur les rives du Vardar - Un officier en observation

Dans la Somme - (Deniécourt) - Tranchée prise aux boches après un combat à la grenade

Sénégalais de faction dans une tranchée de la Somme

Transport par eau de rondins pour la construction d'abris et de casemates

A l'abri des marmites à 10 mètres sous terre

Attaque à la grenade

La rééducation de la marche dans un hôpital

Régiment de marche attendant le moment de monter dans les camions-autos

Tranchées creusées à travers les maisons

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Allemagne - Les tribulations du "dictateur" alimentaire
  • Suède - Bruits de crise en Suède - M. Hammarskjoeld aurait remplacé à la présidence du conseil M. Wallemberg
  • Politique - Le mariage du duc d'Orléans
  • Autriche - Assassinat du comte Sturgkh président du conseil d'Autriche - L'assassin est l'écrivain autrichien Frédéric Adler
  • Permissions - Dons de permissions à un copain
  • Théâtre des Bouffes Parisiens - Sacha Guitry
  • Mobilisation - Les sursis
  • Procès - Arrestation de l'ex-financier Rochette
  • Femmes - Mes années de guerre avec toi sont presque heureuses
  • Les taxis parisiens, difficiles d'en trouver
  • Politique - M. Alexandre Ribot, ministre des Finances (Portrait dans LPJ Sup)
  • Les femmes et la guerre (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Conseils pratiques - L'instruction (LPJ Sup)
  • Religion - Fête religieuse - Apparition de Saint Michel - 16 octobre
  • Religion - Fête religieuse - Bienheureuse Marguerite-Marie (Alacoque) - 17 octobre


14/10/2016
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