14-18Hebdo

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108e semaine de guerre - Lundi 21 août au dimanche 27 août 1916

 

LUNDI 21 AOUT 1916 - SAINTE JEANNE-FRANÇOISE DE CHANTAL - 750e jour de la guerre

MARDI 22 AOUT 1916 - SAINT TIMOTHEE - 751e jour de la guerre

MERCREDI 23 AOUT 1916 - SAINT PHILIPPE BENITI - 752e jour de la guerre

JEUDI 24 AOUT 1916 - SAINT BARTHELEMY - 753e jour de la guerre

VENDREDI 25 AOUT 1916 - SAINT LOUIS, ROI DE FRANCE - 754e jour de la guerre

SAMEDI 26 AOUT 1916 - SAINT ZEPHIRIN - 755e jour de la guerre

DIMANCHE 27 AOUT 1916 - SAINT JOSEPH CALASANZ - 756e jour de la guerre

Revue de presse

-       Sur le front de la Somme, grande activité de notre artillerie

-       Sur le front de Verdun, malgré de puissantes contre-attaques, Fleury est resté en notre pouvoir

-       Les Bulgares en Macédoine orientale

-       En recherchant l'ennemi les Anglais ont perdu deux croiseurs légers - Deux sous-marins allemands détruits

-       Les Alliés attaquent les Bulgares

-       L'offensive de Salonique

-       L'état sanitaire du corps expéditionnaire de Salonique

-       A la Chambre des communes - M. Winston Churchill demande qu'on prenne des mesures pour une longue guerre

-       Les zeppelins sur l'Angleterre - Ils ont tué deux enfants et trois femmes

-       Impuissantes contre-attaques allemandes sur la Somme et dans la région de Verdun

-       L'Italie prend possession du Palais de Venise, siège de l'ambassade autrichienne

-       Le sous-lieutenant Nungesser descend son onzième avion et l'adjudant Dorme son septième

-       Pie X et François-Joseph - Le pape aurait voulu empêcher la guerre, l'empereur ne l'a pas écouté

-       Le désarroi de la Chambre hongroise

 

Morceaux choisis de la correspondance

Je crains bien en effet que ta permission de septembre ne soit pas encore la dernière, et que nous en ayons encore pour longtemps à être séparés, quelle tristesse !

21 août - ELLE.- Je suis sur ma chaise longue en train de me reposer et de répondre à mes nombreuses offres d’institutrices.

 

Nous sommes allés hier soir, Maman, André et moi à Gérardmer. Maman a l’ennui d’avoir une grosse quantité de pâte achetée l’an dernier à un excellent prix, qui vient d’être envoyée au fond de la mer par Messieurs les Allemands sans doute ou coulée par une mine, et elle voulait demander à l’oncle Henry s’il n’y aurait pas moyen d’être dédommagée ou tout au moins de savoir si c’est bien vrai que le navire est coulé car cela nous semble louche. Aucun des marchés avantageux pour le vendeur n’a été torpillé et il faut que ce soit justement le lot que nous étions si ravis de recevoir. Mais nous avons constaté que l’oncle Henry n’a pas plus d’idées que nous à ce sujet. Enfin nous avons fait une bonne petite promenade. André était entre Grand’mère et moi et tenait le volant, je gouvernais seulement les pédales et les leviers et il était ravi.

 

Paul Boucher est dans la Somme et sa mère attend anxieusement de ses nouvelles. Camille Biesse, qui était si optimiste quand il était dans l’EM, l’est beaucoup moins depuis qu’il commande un régiment. Il avait écrit à Jean une lettre, où il n’avait pas l’air de trouver les opérations rapides.

 

Je crains bien en effet que ta permission de septembre ne soit pas encore la dernière, mon pauvre chéri, et que nous en ayons encore pour longtemps à être séparés, quelle tristesse.

 

Georges Garnier a envoyé à Thérèse hier des vers qu’il fait en l’honneur de Françoise qu’il a trouvée une charmante enfant, c’est vrai qu’elle est délicieuse, elle a de magnifiques yeux bleus. Thérèse est partie aujourd’hui pour Raon où elle va souhaiter la fête de sa mère et y rester quelques jours, mais elle ne s’y sent pas en sûreté et n’aime pas y rester longtemps, elle a toujours peur des bombes. Mais je pense que ce séjour sera tranquille, car les Allemands ont l’air bien calme dans notre coin.

 

Fais ton possible pour venir avant le 15 septembre car je t’ai dit mes raisons, ou après le 20.

 

As-tu reçu des nouvelles d’Henry et de sa vente de propriété. Il paraît qu’il y a beaucoup de Tunisiens qui partent à Salonique. Le jeune Quintard y est. Enfin je pense qu’Henry saura se débrouiller pour être dans les autos et ne pas avoir un poste trop périlleux.

 

21 août - LUI.- J’ai reçu aujourd’hui tes deux bonnes lettres des 18 et 19 août. Tu diras à Dédé que sa lettre m’a intéressé. Je crois qu’il est assez grand pour se rappeler plus tard tout ce qu’il aura vu, les tranchées, les gourbis d’officiers et je pense qu’il gardera un souvenir impressionnant des villages en ruine que vous avez traversés paraît-il. Je suis très content aussi qu’il aille à la menuiserie tous les jours et je me réjouis, lorsque je reviendrai, de voir mon Dédé avec ses instruments, scie et maillet dont il saura certainement déjà bien se servir. Théaude lui montrera certainement comment on fait adroitement une petite boîte, une petite table, ceci un peu plus tard. Mais tu verras que, lorsqu’il saura déjà un peu travailler, il y prendra goût et s’intéressera à son travail.

 

Ma pauvre mie, je crois bien au contraire que je reviendrai justement vers le 15. Mais que veux-tu, tu sais que nous ne sommes pas libres de prendre nos permissions quand nous voulons, il y a un tour établi. Naturellement celui qui me précède ne me donnera certes pas sa place et de mon côté je ne tiens pas du tout à retarder. Les permissions peuvent être suspendues ou même supprimées pendant quelque temps et je craindrais de trop retarder un retour que je vois arriver, tu le penses bien ma Mi, avec un très grand plaisir et que je trouve encore trop lointain, tant je suis en mal de toi.

 

Tu me dis que vous allez tous très bien et que Dédé et Noëlle sont très sages. Je suis bien sûr que notre petit Robert va tâcher d’être très raisonnable et de ne plus faire de colères. Papa sera très content si, lorsqu’il reviendra, Maman Mimi peut lui dire que son petit Robert ne dit plus de vilains mots et est devenu tout à fait un bon petit garçon, docile et soumis, ne se fâchant pas pour des riens et tâchant ainsi de faire grand plaisir à sa maman.

 

La pauvre tante Marthe est en effet bien à plaindre et d’autant plus qu’elle doit être seule bien souvent. Lorsqu’on est triste, la solitude ne vaut rien parce qu’on pense toujours aux causes de la tristesse. Il est regrettable qu’elle n’ait pas une fille qui puisse l’entourer et la distraire comme tu le ferais, n’est-ce pas mie, pour ta mère dans une occasion semblable. Je te sais assez prudente pour ne pas répéter, surtout devant certaines personnes que tu connais, les appréciations, sûrement inélégantes mais peut-être justes, que notre cher cousin eût mieux fait je crois de garder pour lui.

 

Je suis tout à fait ravi de la bonne nouvelle que tu m’apprends concernant notre chère Maguy. Que notre bonne Maman se rassure. Maguy n’avait pas du tout l’air d’une petite personne fatiguée lorsque nous l’avons vue au Moulleau et je suis absolument d’avis que, lorsque les grossesses ne sont pas trop fréquentes, elles doivent être un bien pour la santé générale, comme tout ce qui est naturel. Je vois d’ici Maman bondir et me prier de garder pour moi des appréciations aussi saugrenues. Mais je parle évidemment de personnes tout à fait bien portantes. D’ailleurs je n’insiste pas, mais pour Maguy je suis très content. Franchement je serais désolé de n’avoir qu’un enfant et je ne parle pas comme Français mais pour moi personnellement, qui suis si content que tu m’aies donné nos trois bons chéris. Embrasse-les bien pour moi.

 

Mon pauvre Geogi commence à trouver la campagne bien longue et la vie des camps fort monotone. Comme toi je gémis en voyant la lenteur des opérations et en constatant qu’une année passera encore avant que la paix soit rétablie.

22 août - ELLE.- J’ai reçu déjà ce matin ta lettre du 19 qui m’a presque fait peur en m’arrivant car j’avais eu hier celle du 17 et en reconnaissant ton écriture dans le courrier à un moment où je n’y comptais pas j’ai craint que tu ne m’annonces quelque chose de fâcheux.

 

Heureusement il n’en était rien si ce n’est que j’y vois que mon pauvre Geogi commence à trouver la campagne bien longue et la vie des camps fort monotone. Je n’en suis pas étonnée et comme toi je gémis en voyant la lenteur des opérations et en constatant qu’une année passera encore avant que la paix soit rétablie. Cela me paraît loin loin et parfois je me dis que plus jamais ce bon temps d’autrefois ne reviendra. Et pourtant en me retrouvant dans notre maison l’autre jour, je revivais en pensée nos huit années de mariage, car je ne veux pas compter les deux dernières et je me revoyais toute jeune femme arrivant avec toi, de retour de notre voyage de noces, puis la naissance de nos enfants, et toi mon amour, toujours si bon pour moi, me soignant, me protégeant, m’aimant de tout ton cœur, et j’ai si peur que cette vilaine guerre ne nous sépare et que je ne te retrouve plus jamais auprès de moi.

 

Fais bien attention, soigne-toi bien, je voudrais que les jours passent plus vite maintenant et que ce mois d’août s’enfuie à tire d’aile pour te revoir plus tôt, recevoir tes caresses et refaire une provision d’amour, qui nous donne la patience d’attendre à nouveau quelques mois.

 

Je t’envoie mon chéri aimé mes meilleures et plus chaudes tendresses. Ta Mi.

 

J’ai reçu une gentille lettre de Mr Melchior, mon ancien professeur de littérature, en réponse à une de félicitations que je lui avais écrite. Il m’écrit de Sallanches où ils s’installent pour les vacances ; il me parle de la mort de son beau-frère Arnould qui s’en est allé sans voir la revanche de 1870 qu’il avait toujours rêvée, et il me dit qu’en écrivant toute la partie de son discours où il faisait un retour sur 70, l’image de mon pauvre papa, son condisciple, ne l’a guère quitté : il était des Sept qui traduisaient Démosthène dans un texte unique, un de ceux qui ont souffert avec lui de l’immonde contact, un de ceux enfin qui ont pâti de la brutalité prussienne.

 

23 août - ELLE.- Nous avons eu une messe ce matin pour Bonne Maman Boucher dont c’était le 5ème anniversaire. Cela m’a fait lever un peu plus tôt que d’habitude, j’ai eu le temps de coudre un peu et de donner la leçon de piano à mes deux grands. Mais André bouillait d’impatience car Maman a acheté deux bœufs pour ses charrois de houille et c’était André qui s’était trouvé là au moment où le fermier les amenait. Le charretier engagé n’est pas arrivé à temps et c’est à André qu’on a expliqué toutes les habitudes de ces Messieurs. « C’est Pommé qu’on doit toujours sortir le premier de l’écurie, c’est Jansé auquel on attache le joug », etc. André commence comme tu vois son métier d’agriculteur. Tout l’après-midi il n’a pas quitté le charretier, il a fait les voyages de la gare avec lui et nous est revenu pour goûter avec des mains noires de houille et un fond de culotte ad hoc. J’étais un peu honteuse de le présenter ainsi à tante Caroline, arrivée à trois heures et habituée aux jeunes citadins, Luc ou autres, toujours propres et soignés. Maintenant il est à la charpenterie. Cette vie de mouvements au grand air lui fait beaucoup de bien, je trouve qu’il se développe en ce moment.

 

Quant à maître Robert, je ne sais pas ce que nous en ferons mais il n’écoute plus personne, même pas sa Grand’mère, qui jusqu’alors avait une grande autorité. Quand on lui dit de faire quelque chose qui lui déplaît, il dit des noms affreux, des noms de Dieu, il se met dans des rages bleues. Ce matin je l’avais fouetté, j’en avais eu mal à la main, cinq minutes après il recommençait, mais cette fois je n’ai plus pris ma main et lui ai appliqué trois bons coups de règle sur le postérieur, cela l’a calmé. Cet après-midi, je l’ai couché sur son lit dans l’obscurité pendant une heure. Il faut absolument qu’on sévisse car il a grand besoin d’être assoupli et à la rentrée je le mettrai à l’école chez Mlle Marchal pour qu’il obéisse. Comme elle est très sévère, il faudra bien qu’il joigne. A son âge, André était bien plus facile. J’espère arriver à le mater car vraiment il est insupportable en ce moment. Je lui parle de ton retour, on cherche à faire vibrer la corde du sentiment mais tu sais sans grand succès. C’est mauvais et ingrat les enfants à cet âge.

 

Tante Caroline nous a dit combien elle trouve l’oncle Vautrin changé, amaigri encore par sa saison à Luchon. Il paraît qu’il a des crises de suffocation terribles. Je ne comprends vraiment pas sa femme de l’avoir laissé revenir seul. Il se voit d’ailleurs partir et l’a dit à tante Caroline. Il a dit que c’était surtout pour Madeleine que cela lui ferait de la peine de mourir en ce moment. C’est bien triste. Tante Caroline part déjà demain matin pour Gérardmer, elle va sur la tombe de sa fille.

 

23 août - LUI.- Je n’ai rien reçu de toi hier et mon courrier d’aujourd’hui se promène je ne sais trop dans quelle direction. Le commandant m’avait invité à dîner à midi et, comme j’avais passé la matinée à l’observatoire, j’avais été directement au fort St Thierry sans revenir à la batterie et j’avais dit que le vaguemestre m’y apportât mon courrier. Or je ne sais pas trop ce qu’il en a fait et je ne pourrai pas mettre la main sur lui avant sept heures. Enfin j’espère que vous continuez à aller tous bien et que nos enfants sont bien sages.

 

Le commandant va probablement nous quitter et être adjoint au commandant d’une artillerie divisionnaire. J’espère que, cette fois, il sera bientôt nommé lieutenant-colonel, ce qu’il ambitionne par dessus tout. Nous le regretterons car c’était au fond, sous des dehors un peu brusques, un excellent homme, très bienveillant et que les hommes aimaient bien.

 

Nous voici déjà le 23 et les jours filent, la permission approche et je la vois déjà maintenant dans le lointain assez rapproché. Si rien ne survenait, je crois bien que je pourrai partir le 12 et être à Docelles le 13 au matin, c’est-à-dire d’hier en trois semaines. Quel bonheur ma Mi d’être auprès de toi dont je suis si en mal et de passer quelques jours heureux, qui me permettront de patienter encore avant le retour définitif que je n’escompte plus maintenant avant l’année prochaine.

 

Quel beau temps et comme il ferait bon vivre si nous étions ensemble. Quels maudits boches !

24 août - ELLE.- Tante Caroline est déjà partie ce matin pour Gérardmer. Je reviens d’un enterrement auquel j’ai assisté, pour éviter cette fatigue à Maman qui ne va pas très bien. Je voudrais la décider à se reposer et à aller consulter et pense l’emmener à Nancy samedi. Elle se plaint depuis quelques jours de douleurs dans le ventre, qui m’inquiètent et dont elle s’inquiète aussi, car elle a dit à Marie Krantz qui lui disait comme moi qu’elle devrait se faire examiner : « J’ai peur que ce ne soit grave, et dans ce cas, j’aime mieux ne pas savoir ». J’ai écrit à l’oncle Vautrin, pour qu’il soit prévenu et qu’il ne dise pas à Maman si c’est grave, qu’il me dise à moi seule la vérité. Mais je veux espérer que ce n’est que de la fatigue, quelques jours de repos complet lui feraient du bien. J’aurais voulu que Maman parte à Angoulême. Ici, c’est impossible qu’elle se repose, à moins que l’oncle Vautrin ne lui ordonne le lit. Ce serait la seule façon car sur la chaise longue elle y reste une demi-heure et on vient l’appeler. Elle prend tout bien trop à cœur et se fait beaucoup trop de bile. J’ai beau lui dire que nous préférons la garder bien portante et que l’usine ne marche pas, mais tu la connais, elle est comme ta Mère, et ce qu’elle a décidé qu’elle ferait, elle y arrive, quitte à veiller jusque minuit (comme disait notre pauvre Mère).

 

Quel beau temps, mon Gi et comme il ferait bon vivre si nous étions ensemble. Nos enfants vont très bien et nous serions si heureux. Quels maudits boches !

 

Il paraît que Pierre Mangin arrive seulement ces jours-ci à Cornimont et retournera à Paris pour le premier octobre. C’était bien la peine d’avoir un sursis de trois mois, si c’est pour n’en passer qu’un aux usines. Marie Molard le soutient, elle m’écrit que ce n’est pas la peine qu’il se donne tant de mal pour la famille qui est si peu aimable pour lui, qu’on n’arrive jamais à les contenter et qu’il fait bien de s’en moquer.

 

25 août - ELLE.- J’ai reçu ta bonne lettre du 21 et j’ai lu aux enfants les passages qui les intéressaient. Mais Monsieur Robert n’en a pas profité, il a été méchant et boudeur hier soir comme il ne l’avait jamais été. Il avait dit des injures à ses frère et sœur et s’était disputé. J’avais dit aux deux autres de le laisser seul et d’aller jouer dans un autre coin. A sept heures il n’a pas voulu revenir pour le dîner. Elise est allée plusieurs fois le chercher, il courait toujours plus loin. A la fin, j’ai dit bien haut pour qu’il l’entende : « Laissez-le, nous allons avoir fini de dîner, on va aller au lit et toutes les portes seront fermées, il sera obligé de coucher dehors ».

 

C’est ce qu’on a fait. Les deux grands sont montés et j’ai fermé portes et volets. Je regardais derrière un volet ce qu’il faisait, il a commencé par clencher et pousser les portes pour s’assurer si elles étaient vraiment closes, et il a commencé par dire tout bas, Maman, ouvrez-moi. Mais à ce moment, Maman a désiré que je la conduise à la gare, où elle avait un renseignement à demander. J’ai bien recommandé aux bonnes de ne pas lui ouvrir en mon absence, car j’aurais voulu le laisser languir jusqu’à la nuit noire pour qu’il ait vraiment peur et que cela lui serve de leçon. En montant avec l’auto, j’ai entendu qu’il commençait à crier, mais naturellement quand je suis revenue Marie Ehling l’avait fait rentrer, elle a trouvé que je « le ferais malade, qu’il était tout pâle, qu’il criait maman chérie je ne le ferai plus » etc. Toujours est-il que Robert est allé au lit. Quand il m’a vue au cabinet de toilette il n’a manifesté aucun repentir. Il est vraiment cabochard au plus haut degré. Ce matin André me disait : « Je ne sais pas comment Robert a fait pour dormir sans vous demander pardon et sans que vous l’embrassiez. Je lui ai dit d’aller vous demander pardon mais il a dit que cela lui était égal ». Ce matin, il tourne autour de moi, mais son orgueil est le plus fort et il ne s’est pas encore humilié. Quel diable de petit bonhomme. Espérons qu’il changera, car nous aurions bien du mal quand il aurait vingt ans. Les deux autres sont bien plus faciles.

 

J’avais encore eu hier l’espoir que nous pourrions nous passer d’institutrice car j’avais appris qu’il y avait comme chef de poste aux G.V.C. un adjudant instituteur et j’étais allée lui demander s’il ne pourrait pas s’occuper d’André une heure par jour. Je n’avais pas parlé de toute l’année, je n’avais parlé que des vacances car je voulais voir comment seraient les leçons, mais il a demandé un jour de réflexion pour en parler à son lieutenant et il vient de me dire qu’il n’avait pas assez de temps, etc., de sorte que nous retombons dans la même situation. J’ai quatre personnes qui me paraissent très bien parmi lesquelles je choisirai sans doute.

 

25 août - LUI.- J’ai reçu avant-hier ta bonne lettre contenant des photographies qui m’ont intéressé. Je regrette seulement que, dans la seule où tu figures, on ne te voie pas très nettement. J’ai reçu aujourd’hui tes deux bonnes lettres avec celle de Mr Melchior que je te retourne inclus et qui est en effet très gentille.

 

Tu me demandes de te donner des détails sur notre vie. Ma pauvre Mi, c’est toujours la même chose et, comme tu le dis, on commence à s’en lasser un peu. D’un autre côté, nos camarades de Verdun ou de la Somme n’ont pas la vie aussi calme, mais ils sont certainement très exposés et je crois bien qu’ils voudraient bien être à notre place. A tout prendre, ne nous plaignons donc pas. C’est encore nous qui avons le meilleur lot et, je t’en prie ma Mie, ne dis pas que cette vilaine guerre nous sépare, elle ne sera pas éternelle et je suis bien persuadé que j’en reviendrai. En tout cas je ne peux pas me plaindre car, depuis plus d’un an, les secteurs dans lesquels nous nous trouvons sont excessivement calmes, ici peut-être encore plus qu’ailleurs. Depuis que nous y sommes, voilà bientôt trois mois, nous n’avons pas reçu un obus. Au point de vue service, rien de fatigant. Je ne prends plus la garde de nuit à l’observatoire qu’une fois par semaine et encore je dors toute la nuit et ne suis jamais réveillé. Seulement que veux-tu, quels que soient les avantages de notre situation comparée à celle de nos camarades, il y a quelque chose qui me manque, et qui me manque de plus en plus au fur et à mesure que la campagne s’éternise, c’est d’abord mes chéris, mais surtout toi ma Mie que j’adore tant et que je n’ai pas vue depuis bientôt quatre mois. Je ne sais pourquoi ces quinze jours qui me séparent de la permission tant attendue me paraissent un siècle et puis, tu vois comme je ne suis pas raisonnable, je ne serai tranquille que lorsque je serai dans le train de Paris, craignant toujours une suppression de permissions. Malgré tout, ne crois pas que nous soyons tristes. Nous avons encore cette chance d’être ici assez nombreux. Les camarades, surtout les jeunes, sont très gais. Le phonographe continue à nous amuser et à nous distraire. Ne nous plaignons donc pas de notre sort et puis, encore une fois, dans quinze jours je reverrai ma Mie, elle sera la toute bonne j’en suis sûr et me donnera dès mon arrivée tous les trésors chéris de son petit corps, que je me réjouis tant de sentir tout près de moi.

 

Bonnes amitiés à Maman. Je te serre ma chérie sur mon cœur avec les enfants. Ton Geogi.

 

26 août - JMO 5e RAC/Groupe 95.- Le chef d’escadron Giraud est classé à l’AD 69 faisant fonction de lieutenant-colonel. Le capitaine Cuny prend à la date de ce jour le commandement du groupe.

 

Ta lettre m’annonçant ton arrivée prochaine pour le 12 septembre m’a fait, tu le devines, un plaisir énorme.

27 août - ELLE.- Ta lettre m’annonçant ton arrivée prochaine pour le 12 septembre m’a fait, tu le devines, un plaisir énorme. Plus tôt tu viendras, mieux ce sera et plus je serai contente. Hier soir en m’endormant, je m’imaginais que tu étais près de moi et il fait si bon avoir son petit mari avec soi.

 

Nous avons fait hier très bonne course à Nancy. Maman voulait y aller par le train, mais je l’ai convaincue que nous serions bien mieux en auto car les trains vont horriblement lentement, on ne peut prendre les express quand on veut revenir dans la même journée. Il aurait fallu partir d’ici à 6 h 1/2 pour arriver à midi avec deux heures d’arrêt à Epinal et repartir à 2 h 1/2 pour rentrer à 7 h 1/2. Tandis que nous sommes parties à 8 h 1/2 et arrivées à 10 h 1/2. Tu vois, c’était bien plus facile. Je suis allée en arrivant à la Banque Renauld, où je voulais réclamer les obligations que je leur avais dit de me prendre avec le montant des coupons que je leur avais envoyés. Heureusement que j’ai gardé les bordereaux, car ils n’ont rien retrouvé sur leurs livres. Dans toutes les banques en ce moment il faut faire joliment attention, ils n’ont que des galopins de 16 ans, qui n’ont pas la tête à ce qu’ils font. L’autre jour à la B. de M., où nous avions donné 30 coupons de Cheniménil à Georges Boucher, ils lui en avaient mis 40 à son compte. Je le leur ai fait remarquer, ils ont retrouvé que c’était 10 en trop à un autre Monsieur. Chez Renauld, c’est la même chose, ils auront mis mon avoir à un autre compte.

 

De là chez l’oncle Paul, parti de la veille à Berck, ensuite chez les Houot qui habitent la maison Giron, rue de Metz. Henri Collin est dans un état-major de corps d’armée dans la Somme. Charles Collin est au G.Q.G. faisant la liaison avec d’autres quartiers généraux, ce qui lui donne en circulant beaucoup la facilité de venir voir souvent sa femme à Paris.

 

Retour pour midi chez l’oncle Vautrin, que nous avons attendu jusque une heure. Au point de vue mine et maigreur, nous ne l’avons pas trouvé pire. Maman l’avait déjà vu aussi changé au printemps, mais il a paraît-il des crises d’étouffement pénibles plusieurs fois par jour. Jusqu’alors elles ne prenaient que le soir et la nuit, elles durent à peu près deux heures. Mais vendredi, il en a eu une au milieu d’une opération. Avec une force de volonté extrême, il a fini son opération, mais il paraît que c’était affreux. Et il a dit à Maman : « Si je ne vais pas mieux, il faudra que je dételle ». Et il avait l’air si malheureux, cela nous a fait de la peine.

 

Tante Caroline nous a dit que Camille Biesse était passé la veille allant à Thiéfosse et il avait trouvé l’oncle Vautrin si mal qu’il voulait écrire à tante Anna, mais les Garnier lui ont dit aussi de ne pas le faire. Camille Biesse rentre aussi au G.Q.G., il s’occupera des « organisations ». Si tu sais ce que cela veut dire, tu me le diras. C’est joliment commode d’être breveté, on ne reste pas longtemps dans la troupe, Camille y a juste été six mois.

 

Nous sommes reparties à 3 heures, avons encore fait quelques courses à Epinal et étions rentrées à 6 heures sans aucun ennui. J’avais pris notre petit jeune homme avec nous par derrière, pour me remettre un pneu si j’avais eu une panne. Tu vois que je sais prendre mes précautions.

 

Maman n’a rien de grave, ce sont des varices très fortes. Il lui faut du repos deux heures étendues matin et soir. J’en suis bien contente.

 

27 août - LUI.- Je ne m’étonne plus que plusieurs de tes lettres ne m’arrivent pas. Tu verras que tu te trompes parfois de secteur et que les lettres mettent alors plus longtemps à venir. J’ai reçu tes deux bonnes lettres du 24 et du 25.

 

Pour notre petit Robert, ne t’inquiète pas. Tous les enfants ont leur mauvais moment, peut-être aussi est-ce ce temps orageux que nous avons depuis quelque temps. En tout cas je te félicite de ton idée de le mettre lui tout simplement à l’école de Mademoiselle Marchal à la rentrée. Maintenant il va très bien et, s’il a besoin d’être un peu tenu, voilà l’occasion. Notre petit Dédé a bien raison d’aller à la gare chercher de la houille. Il s’occupe, c’est l’essentiel. Il réfléchit aussi car il devra rendre compte de la manière d’atteler les bœufs et de les manier. Tu devrais lui dire qu’il m’écrive une petite lettre pour m’expliquer tout cela.

 

Je suis convaincu que les petite douleurs ressenties par Maman ne présagent rien de grave, mais il est absolument nécessaire qu’elle se repose, ce n’est vraiment pas la peine de tant gagner. Maman est encore comme tous les Français, comme nous serions tous sur le front, plus on avance et plus on a de cœur pour avancer, mais, si l’on recule, on n’est plus bon à rien. C’est la même chose dans les affaires, plus on gagne et plus on a de cœur au travail. Je suis sûr que si vous aviez perdu de l’argent à Docelles, ou du moins si vous en aviez moins gagné, Maman se serait dit : « Ce n’est vraiment pas la peine de se donner tant de mal » et qu’involontairement elle se serait moins occupée des affaires de l’usine. Et puis, il y a aussi cette idée, lorsqu’on a beaucoup gagné une année, on ne veut pas déchoir et l’année suivante on se donne beaucoup plus de mal. Et cependant, quand on réfléchit à tout cela et lorsqu’on a comme nous tous en somme la chance d’avoir bien suffisamment de fortune, on a peine à comprendre ce sentiment et on voudrait pouvoir dire à ceux qui se donnent tant de mal : à quoi cela vous servira-t-il ? Vous allez vous éreinter pendant quelques années pour laisser un peu plus à vos enfants mais vous les quitterez plus tôt et vous ne profiterez pas d’eux. Seulement, je l’ai bien vu avec Maman, il n’y a pas grand chose à faire. Insiste cependant pour que ta mère se repose.

 

Encore quelques jours ma Mie et je serai à Docelles, bienheureux comme tu penses.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 27/08/1916 (N° 1340)

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Le général d’Armau de Pouydraguin - Commandant un corps de chasseurs alpins

C’est une figure originale et pittoresque que celle du général de Pouydraguin. Comme les admirables soldats auxquels il commande le général est toujours coiffé du béret. C’est un véritable alpin, justement fier des troupes superbes qui sont sous ses ordres. Ces alpins, en effet, ont conquis de la gloire un peu partout sur le front, en Belgique, dans la Somme, mais surtout dans les Vosges, en Alsace. Là, ces montagnards sont dans leur élément.

 

« Longtemps, dit M. Borrel, le député de la Savoie, je me souviendrai du départ pour la guerre du bataillon d’Annecy. La nature semblait avoir voulu se montrer dans son impérissable beauté pour saluer les plus intrépides de ses enfants ; des lueurs de soleil illuminaient et coloraient les altières montagnes qui font à la cité savoyarde un cadre admirable et sur l’eau bleue du lac couraient des vagues légères soulevées par la brise. Subitement, au loin, les clairons jetés en avant d’un geste uniforme lancèrent des éclairs avant d’être ramenés sur les lèvres ardentes des instrumentistes. Puis, acclamés par la population, les chasseurs défilèrent d’un pas accéléré. Ah ! quelle fierté dans les regards ! Comme les sacs paraissaient légers pour les solides épaules de ces soldats râblés et comme j’ai compris le cri d’un étranger : « Avec de pareils soldats, la France ne peut pas être vaincue ! » Et quel honneur pour un chef de commander à de tels hommes !

 

 

 

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Le dernier crime des Allemands - Ils traitent en esclaves les populations des pays envahis.

Non contents de toutes les vexations qu’ils leur ont fait subir depuis deux ans, les Allemands en sont venus à traiter en esclaves les habitants de nos villes du Nord. Au mois d’avril dernier, sur l’ordre du général von Graevenitz et avec le concours du régiment d’infanterie n° 64 envoyé par le grand quartier général allemand, environ 25 000 Français, jeunes filles de 16 à 20 ans, jeunes femmes et hommes jusqu’à 55 ans sans distinction de condition sociale ont été arrachés de leurs foyers à Roubaix, Tourcoing et Lille, séparés sans pitié de leur famille et forcés à des travaux agricoles dans les départements de l’Aisne et des Ardennes.

 

A partir du 9 avril, les Allemands commencent à opérer par rafles, soit dans la rue, soit à domicile, enlevant pêle-mêle hommes et jeunes filles, les expédiant on ne sait où. Mais bientôt la mesure s’exerce de façon méthodique. La population est invitée à se tenir prête à une évacuation forcée. Le maire, l’évêque protestent, rien n’y fait.

 

L’opération se poursuivit la nuit pendant toute une semaine. Vers trois heures de matin les rues étaient barrées par la troupe, baïonnette au canon, mitrailleuses en travers de la chaussée contre des gens désarmés. Les soldats pénétraient dans les maisons, l’officier désignait les personnes qui devaient partir et, une demi-heure après, tout le monde était emmené pêle-mêle, dans une usine voisine, et de là, à la gare où s’effectuait le départ. Et, par un raffinement singulier, les bandits firent conduire le misérable troupeau d’esclaves à la gare, musique en tête. Les victimes de cet acte brutal montrèrent d’ailleurs le plus grand courage et partirent en criant : « Vive la France » et en chantant la Marseillaise.

 

De toutes parts, ce nouveau crime des boches a soulevé la conscience des peuples. Des protestations sont venues du monde entier. Les boches y ont répondu en recommençant les rafles et les évacuations forcées. A Roubaix, ils prirent sept mille hommes et deux mille femmes qu’ils déportèrent en Allemagne pour y accomplir des travaux agricoles. Quand un peuple commet de pareilles infamies, c’est pour des siècles qu’il se met de lui-même au ban des nations.

 

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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En Alsace - Dans le granit de leur abri, nos poilus ont sculpté une Alsacienne

Dans la Somme - A Tilloloy, l'entrée du village

Les dragons et leur mitrailleuse

A l'abreuvoir

Convoi de ravitaillement

Dans la Somme - Artilleurs anglais dans le bois de M…

Le lanceur de grenades

Dans la Meuse - Les troupes fraîches traversent le village de V.

Dans la Meuse - Le général V… assiste au défilé de ses troupes

Les lapins apprivoisés

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Les troupes annamites - Le coiffeur

Départ d'avions en reconnaissance

Un poste d'opérations souterrain

Un cimetière près de Verdun

Arbalète de tranchée

Une pièce de 65 de montagne installée sous casemate

Mitrailleuse en batterie

Ambulance du château de X… - Le pavillon des Sénégalais

Nos poilus jouent aux barres

Tranchée de Rouveaux avec caillebotis

 

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Les Bulgares en Macédoine orientale
  • Bulgarie - Les Alliés attaquent les Bulgares
  • Grèce - L'offensive de Salonique
  • Grèce - L'état sanitaire du corps expéditionnaire de Salonique
  • Angleterre - A la Chambre des communes - M. Winston Churchill demande qu'on prenne des mesures pour une longue guerre
  • L'Italie prend possession du Palais de Venise, siège de l'ambassade autrichienne
  • Aviation - Le sous-lieutenant Nungesser descend son onzième avion et l'adjudant Dorme son septième
  • Pape - Pie X et François-Joseph - Le pape aurait voulu empêcher la guerre, l'empereur ne l'a pas écouté
  • Hongrie - Le désarroi de la Chambre hongroise
  • Marine - Navires torpillés avec des matières premières - Trafic pour dire que ce sont ceux-là qui ont péri
  • Allemagne - Le roi de Bavière frappé d'apoplexie
  • Front - Vie monotone
  • Armée - Etre breveté
  • Le général d'Armau de Pouydraguin, commandant un corps de chasseurs alpins (Portrait dans LPJ Sup)
  • Allemagne - Le dernier crime des Allemands - Ils traitent en esclaves les populations des pays envahis (LPJ Sup)
  • Allemagne - De Sennachérib à Guillaume II (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Conseils pratiques - La rougeur du teint (LPJ Sup)


19/08/2016
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