14-18Hebdo

14-18Hebdo

101e semaine de guerre - Lundi 3 juillet au dimanche 9 juillet 1916

 

LUNDI 3 JUILLET 1916 - SAINT HYACINTHE - 701e jour de la guerre

MARDI 4 JUILLET 1916 - SAINT ULRIC - 702e jour de la guerre

MERCREDI 5 JUILLET 1916 - SAINT ANTOINE-MARIE ZACHARRIA - 703e jour de la guerre

JEUDI 6 JUILLET 1916 - SAINT ISAIE - 704e jour de la guerre

VENDREDI 7 JUILLET 1916 - SAINTS CYRILLE ET METHODE - 705e jour de la guerre

SAMEDI 8 JUILLET 1916 - SAINTE ELISABETH - 706e jour de la guerre

DIMANCHE 9 JUILLET 1916 - SAINTE VERONIQUE - 707e jour de la guerre

Revue de presse

-       Notre progression s'accentue sur les deux rives de la Somme

-       Entre le Styr et le Stokhod des contre-offensives allemandes et autrichiennes sont brisées

-       Les Italiens poursuivent leur offensive entre l'Adige et la Brenta

-       Brillante poussée sur la Somme

-       Dans les régions de Loutsk et de Kolomea des combats acharnés ont eu lieu. Les Russes ont fait encore plus de 9,500 prisonniers

-       L'archiduc François-Ferdinand remplacé par le général von Linsingen

-       Succès italiens sur les pentes du Pasubio, dans la vallée de Posina, sur le plateau d'Asiago et sur le Carso

-       La sommation allemande à la Suisse

-       Tout danger de guerre est écarté entre Etats-Unis et Mexique

-       M. Lloyd George succède à lord Kitchener

-       Victorieuse offensive russe en Galicie - L'ennemi, culbuté sur la rive droite du Dniester, se replie

-       Les Autrichiens se replient dans la zone de la vallée de l'Adige et dans le bassin du Haut Astico - Ils abandonnent le massif de Prima Lunetta dans la vallée de Campello

-       Vifs combats autour de Thiaumont

-       Des avions allemands jettent des bombes sur Lure, ville ouverte

-       Les succès russes sur le Styr continuent - La lutte autour de Baranovitchi

 

Morceaux choisis de la correspondance

3 juillet - ELLE (Paris).- Je t’écris comme toujours de mon lit où je fais la paresseuse jusque 10 heures. Je m’y trouve très bien, surtout que je n’ai pas bien dormi cette nuit, sans doute à cause du changement de temps, qui a toujours une influence quelconque sur les personnes un peu faibles. Je me souviens que je faisais aussi la grasse matinée autrefois dans nos voyages à Paris et que tu me servais mon déjeuner et allais fumer ta cigarette à la fenêtre. Mais cette fois, j’ai beau regarder dans la direction du balcon, je ne vois pas ton ombre et je le regrette, tu le devines oh combien !

 

Hier donc, nous sommes allés à Armenonville invités par Paul Cuny ainsi que le jeune Lanique. Paul était très gai et entrain. Nous avons causé naturellement affaires surtout, Russie, mariage même, institution que Paul trouve mal établie, on ne devrait plus donner de dot aux jeunes filles, des maris qui trompent leur femme. Marie Molard et Marie Paul sont très intransigeantes et nous soutenions Paul et moi que le fait d’aller avec une femme quelconque quand on n’a pas sa femme avec soi, cela ne peut pas s’appeler tromper sa femme. Paul était amusant et Marie était outrée. C’est de l’hygiène, comme de prendre un bain, disait Paul. Tandis que tromper sa femme, c’est quand on a une maîtresse, une personne attitrée, avec laquelle on cause de soi, de ses affaires, etc. Tu vois que nous faisions de la philosophie.

 

En quittant le bois, nous sommes allées chez Marie Paul, qui était encore au lit, mais elle avait meilleure mine que les jours précédents. Paul et Adrien, qui avait obtenu un congé pour l’après-midi, sont partis de leur côté pour s’entendre au point de vue de la réunion de la Vologne.

 

Ensuite je suis allée à l’ambulance de l’hôtel Meurice où Maurice est arrivé hier matin. Je l’ai trouvé en assez bon état, pâle naturellement, la tête fortement bandée, mais il n’a pas de fièvre. On lui a extrait tous les éclats d’obus et esquilles d’os et je crois que ce sera peu de chose. Il était encore dans toute la fièvre de l’action et ne parlait que de la bataille. Marie et Germaine étaient avec moi. Cet après-midi j’irai seule, on ne reçoit qu’entre 1 h 1/4 et 3 h 1/4. Hier on nous a laissé entrer après les heures parce que c’était la première fois et que nous ne connaissions pas la consigne. J’aurai donc mon après-midi bien occupé : Maurice, thé chez les Mangin et mon docteur. Je fais des dépenses folles en taxis car la marche me fatigue toujours.

 

Tes lettres n’ont aucun retard. Je reçois celle du 30 à l’instant et t’embrasse comme remerciement.

 

Mais puisque tu le désires, j’irai chez Noury et chercherai un joli bijou que je te montrerai à ta prochaine permission.

4 juillet - ELLE (Paris).- Tu m’aimes trop toi aussi, ton petit mot reçu hier soir m’en est une nouvelle preuve, tu me gâtes, je reconnais là mon amoureux chéri qui veut toujours me parer et cherche à me rendre plus belle et à me faire plaisir. C’est trop, Geogi et j’ai honte, en temps de guerre, de penser à des achats de colifichets.

 

Mais puisque tu le désires, j’irai chez Noury et chercherai un joli bijou que je te montrerai à ta prochaine permission. Tu vois, je te gronde et j’accepte tout de même et suis si heureuse d’être aimée comme tu m’aimes. Je suis comblée et continue à te dire que j’ai trop de bonheur dans la vie. Tout le monde m’aime, plus ou moins, mais enfin je n’ai pas de farouches ennemis, j’ai un mari qui est une merveille, une vraie exception, des enfants bien faits auxquels rien ne manque, par notre situation la liberté de mes actes. Quand la guerre sera finie et mon chéri revenu, ce sera le bonheur parfait. Et depuis dix ans il en est ainsi grâce à toi adoré.

 

J’ai été voir quelques photographes hier avant de me décider car finalement nous ne sommes pas allées prendre le thé chez Alice Mangin. Pierre était « bien fatigué » et vers midi Alice a téléphoné pour dire qu’il ne pourrait aller à son bureau l’après-midi et resterait à la maison pour se reposer et qu’on nous priait de remettre notre visite à un autre jour. Je suis allée avec Maurice passer deux bonnes heures, j’avais mon ouvrage. Je lui ai raconté les nouvelles et l’ai beaucoup amusé en lui racontant que j’avais été suivie par un Monsieur pendant une demi-heure dans le métro et dans la rue. J’avais beau faire, je n’arrivais pas à le semer et il commençait à m’exaspérer. Maurice me disait que j’aurais dû lui donner un coup de parapluie mais comme je n’aime pas les esclandres, j’ai mieux aimé ne pas sembler voir, et à la fin, voyant que je ne le regardais pas et ne daignais pas lui répondre, comme si ce qu’il faisait et disait s’adressait à une autre, il s’est lassé et est parti de son côté. Mais vraiment à Paris, il y a des hommes dégoûtants et qui n’ont rien à faire, je pense, pour perdre ainsi leur temps.

 

J’ai eu la surprise hier soir à 10 heures, étant bien tranquille dans mon lit en train de raccommoder mes affaires, de voir arriver Maman. Elle venait visiter Maurice et régler avec un marchand de houille un différend qu’elle avait. Nous allons donc sortir ensemble. Elle m’a donné de très bonnes nouvelles des enfants, je te joins une lettre que j’ai reçue d’eux. Maman m’a raconté que samedi, un régiment de chasseurs alpins a passé quand Dédé sortait de la maison pour aller à l’école avec son sac au dos. Maman n’y a pas fait attention mais voilà que vers 9 heures Mademoiselle a fait dire que Dédé n’était pas à l’école, qu’il avait suivi les soldats. Maman est de suite allée jusque la barrière avec les petits à sa recherche et elle a rencontré d’autres gamins qui revenaient. « Où est André ? » - « Il est bien plus loin, il a dit qu’il irait jusque Pouxeux avec les soldats ». Maman était ennuyée mais elle ne pouvait courir jusque là. Mais vers neuf heures ½, Dédé est revenu, il s’était arrêté devant chez Thérèse au moment de la halte. Tu penses qu’on l’a grondé. Il a dû aller le lendemain dimanche à l’école passer ½ heure pour réparer le temps perdu le samedi. Mais tu vois, qu’il devient bien gamin.

 

Tendresses, mon adoré chéri et merci encore. Ta Mi.

 

4 juillet - LUI.- Je reçois tes bonnes lettres du 2 et du 3 juillet et suis bien ennuyé que Maurice soit encore blessé. Mais tu me dis que cela ne sera pas grave et cela le sortira un peu de cet enfer de Verdun et lui donnera quelques moments de repos et peut-être une convalescence qu’il pourra passer au milieu des siens.

 

Tu fais joliment bien de faire remettre à la mode ton manteau d’astrakan. Comme tu vas être jolie là-dedans, c’est moi qui me réjouis de t’admirer. Il est bien entendu que tu ne te serviras pas des 600 francs que je t’envoie pour payer cela. Je veux que tu t’achètes un joli bijou qui sera réellement le souvenir de ma croix. Il n’y a rien de trop beau pour toi ma chérie et j’aimerai bien de te voir la toute belle.

 

Je sais bien que tu aimes de jouer et te passe ta petite fantaisie sur les roubles. Mais dis donc, ma petite mie, tu as sur la manière de tromper sa femme des idées tout à fait neuves. Je te croyais réellement plus difficile. Il est vrai que tu peux avoir ces idées-là, puisque tu sais bien que ton Geogi n’en profitera pas et que ce serait un crime de sa part. D’ailleurs où trouverait-il un amour de femme comme toi ? Où trouverait-il tes yeux, ta bouche et tout ton petit corps chéri dont il est si fou ? Où trouverait-il aussi des caresses pareilles à celles que tu sais si bien donner ? Ah ma pauvre Mie, pourquoi faut-il attendre si longtemps !

 

J’écris à Maurice par le même courrier. Je lui écris à l’hôtel Meurice, je pense que cela lui parviendra mais dis-lui que je pense à lui.

 

Que Messieurs les Anglais se décident à pousser un bon coup et nous aident à débarrasser le territoire et qu’on me rende mon mari cher, c’est ce que je demande au Ciel.

5 juillet - ELLE (Paris).- J’ai accompagné Maman hier chez son marchand de houille et dans les diverses courses qu’elle avait à faire. Elle a déjeuné avec moi chez les Molard qui sont si accueillants et nous sommes allées voir Maurice l’après-midi. Nous y avons trouvé ses beaux-parents que Thérèse m’avait priée de prévenir au Grand-Hôtel de l’endroit où Maurice était hospitalisé. Ils reviennent de la Bourboule. Nous sommes restés tous ensemble jusque 3 heures ¼, heure où les visites doivent sortir. Maurice n’allait pas si bien que la veille, il avait de la fièvre, mais l’infirmière a dit que ce ne serait rien, que la plaie avait bon aspect. Maurice voudrait bien être guéri bien vite pour qu’on ne le remplace pas à sa brigade et qu’il retrouve sa place, car il lui serait particulièrement pénible de troquer son poste dans un état-major, même de brigade, contre celui d’officier de compagnie. Il a reçu une lettre élogieuse de son colonel lui promettant une belle citation.

 

Ensuite Maman a reçu Monsieur Haumont. Tu sais, le papier baisse et on ne peut pas faire les prix qu’on veut. Le papier étranger est entré en France et les magasins sont pleins ce qui force à baisser les prix. Mais Monsieur Haumont croit que cela remontera à l’automne. Il faut donc prendre quelques commandes en baisse pour s’alimenter jusque là.

 

Sois tranquille mon chéri, à toi je dis tout, à Maman beaucoup, mais à Marie Molard, qui est pourtant très bonne et affectueuse, il y a bien des choses que je tais. Ainsi pour les étrennes des enfants, je n’en ai rien dit. D’ailleurs très souvent, nous n’avons pas la même façon de voir entre nous, Marie est bien plus intéressée que moi. Tu ne saurais croire comme les bons inventaires la mettent en joie. Je ne veux pas dire que j’aime autant perdre que gagner, mais enfin je ne suis pas si enthousiaste. Il est vrai que je n’y ai pas la belle part d’Adrien, mais de même que nous sommes plus modestes dans nos gains, de même nous le sommes dans nos aspirations, n’est-ce pas, Gi.

 

Cela t’intéressera de savoir pourtant que le tissage dont t’a parlé une fois Mr Champouillon ou Mr Tack, je ne sais plus lequel, a gagné 300 000 passés. C’est ce qui s’appelle une belle affaire et j’ai vu que la personne qui s’en est occupée depuis la guerre en est très fière. Et à ce propos Marie Molard trouve que le gérant n’a pas assez, qu’est-ce que c’est que 6 000 frs par an ? dit-elle. Je la trouve un peu gourmande et parfois cela choque. Tu n’as pas ce caractère insatiable, toi mon chéri, et je t’en estime encore plus. Mais tout ceci entre nous.

 

Tu sais Monsieur chéri qu’il est bien heureux qu’on n’ouvre jamais tes lettres, parce que vous m’y dites des tendresses que j’aime beaucoup entendre et même lire mais qui doivent m’être réservées et ne pas être entendues par des oreilles indiscrètes. Mon Geogi si aimé, c’est triste d’être ainsi séparé quand on s’aime tant. Que Messieurs les Anglais se décident à pousser un bon coup et nous aident à débarrasser le territoire et qu’on me rende mon mari cher, c’est ce que je demande au Ciel.

 

Je t’embrasse mon adoré. Ta Mi. Ne m’écris plus ici car je quitte Paris samedi à midi. Envoie-moi une lettre à Nancy 22 rue Isabey et ensuite à Docelles.

 

5 juillet - JMO 5e RAC/Groupe 95.- Le lieutenant Grosperrin est classé de nouveau à l’AC/37 groupe du 5e le 2 juillet et rejoint le groupe le 5 juillet.

 

6 juillet - ELLE (Paris).- J’ai assisté à une petite scène hier soir chez les Molard qui m’a ennuyée, j’aurais mieux aimé ne pas être là. C’est entre Paul Cuny et Marie Molard.

 

Paul venait après le dîner causer d’affaires avec Adrien car il retourne dans les Vosges aujourd’hui. Il arrive avant que nous ayons fini de dîner et se met à table entre Marie Molard et moi, commence à causer très entrain. Il parle d’un Monsieur d’Armentières charmant, très riche, ayant 4 fils à l’armée, ayant toutes les qualités. Tu connais Paul, il s’emballe très vite et j’ai démêlé qu’il avait été très honoré parce que ce Monsieur âgé de 65 ans était venu le premier lui faire visite ce jour-même. « Il est très intelligent, très travailleur, très royaliste et, si ses fils lui ressemblent, je tâcherai d’en avoir un pour ma nièce ». Pan, voilà le pavé. Je sens que Marie Molard se crispe : « Pour quelle nièce ? ». Paul qui n’est pas perspicace aurait dû sentir que le ton de sa sœur était changé et il était encore temps de remédier en disant pour Germaine ou Thérèse. Mais non, « pour Thérèse Lanique » d’un ton qui semblait dire, quelle question ! Je n’en ai pas d’autre. La pauvre Marie avait les larmes aux yeux : « Elle en a de la chance Thérèse Lanique qu’on songe déjà à la marier, elle n’a que seize ans ». « Tu vois, il pense à marier Thérèse, il ignore complètement Germaine ». J’ai tort de te raconter tout cela mon chéri, tu es si loin de tous ces petits tracas que je devrais bien t’y laisser étranger.

 

Je me suis commandée chez Noury une jolie broche barrette en brillants. Tu verras cela quand tu reviendras. J’ai reçu le mandat.

 

6 juillet - LUI.- Mais dis donc ma petite Mie, il me semble que tu oublies ton Geogi, comment pas de lettre hier ni aujourd’hui. Mais non tu ne m’oublies pas du tout, seulement tu ne mets pas tes lettres à la poste à la même heure. J’en ai reçu deux avant-hier et il est probable que je vais en recevoir deux demain. L’essentiel en tout cas c’est que tu ailles bien et que tu ne sois pas trop fatiguée. Tu m’avais dit devoir quitter Paris samedi prochain, mais comme je pense que tu resteras encore probablement le dimanche je t’envoie cette lettre encore à Paris et enverrai la prochaine à Docelles, où tu vas être sans doute bien contente de retrouver les chéris. Enfin ce petit séjour à Paris n’aura pas été désagréable. Tu as vu un peu de monde, tu as pu te faire belle et acheter de jolies choses pour faire plaisir à ton Geogi et enfin tu n’as certainement pas oublié de te faire photographier chez un bon artiste.

 

Ne t’emballe pas sur Lily Nicolas et puis j’espère que notre petite Noëlle n’aura pas la même liberté d’ailleurs. Ah ma Mi, je préfère de beaucoup les jeunes filles comme tu l’étais et la jeune fille elle-même n’est-elle pas plus heureuse que ce soit son mari qui tout doucement la mette au courant des plaisirs de l’amour. Pour le mari c’est si bon de sentir une petite femme un peu émue (te rappelles-tu le soir de notre mariage), mais qui se donne tout entière à son mari et qui se donne toute neuve aussi bien d’esprit que de corps.

 

Donne-moi des nouvelles de Maurice. J’espère qu’il va bien et fais-lui mes bonnes amitiés ainsi qu’aux Molard et aux Paul. Je t’embrasse mon petit amour de tout mon cœur. Ton Geogi.

 

7 juillet - ELLE (Paris).- Nous sommes allés hier soir voir jouer Loutte par Cassive. En te donnant ce nom d’actrice, c’est te dire le genre un peu gaulois qu’a la pièce. Il y avait des passages assez amusants mais vraiment je préfère des comédies de meilleur ton. Cassive crie trop et les autres acteurs jouent à la manière pitre, ils ont des crises de nerfs et font vraiment trop de grimaces.

 

J’ai essayé mon manteau d’astrakan rectifié, il est épatant. Je suis une femme très chic quand je suis dedans, tu sais Geogi, et je ne regrette presque plus les 7 à 800 francs qu’il va te coûter. Tu vois mes bonnes idées d’économie s’envolent à tire d’aile, voilà ce que c’est que d’encourager sa petite Mie à faire de l’élégance. C’est une voie très agréable et facile à descendre, espérons que je n’y courrai pas trop vite.

 

Nous partons demain à midi pour Nancy, je descends chez les Garnier, où je m’attends à être reçue aimablement et pour cause, mais je serai obligée à une grande prudence en paroles. Je penserai à mon Geogi qui est un vrai sage et pèse ses conseils et avis et tâcherai de l’imiter.

 

Je t’embrasse mon chéri, cent et cent fois et t’aime de tout mon cœur. Ta Mi.

 

8 juillet - ELLE (entre Château-Thierry et Epernay).- Je ne suis pas bien loin de toi ici et c’est dommage de s’éloigner sans avoir pu embrasser son chéri et sans avoir reçu un chaud baiser de sa jolie petite bouche. Je quitte Paris avec plaisir pour retrouver mes chéris enfants. Marie et Germaine sont avec moi, nous venons de déjeuner au wagon-restaurant et, pendant qu’elles lisent les journaux, je t’écris. J’avais acheté « La Vie Parisienne », cela amuse beaucoup Marie. En femme sérieuse, elle n’avait pris que deux quotidiens et moi, je lui prête des choses folâtres, heureusement que je vais retrouver la vie pastorale, cela me remettra de la gaieté de Paris et je n’aurai plus l’occasion d’acheter et lire des choses drolatiques.

 

J’ai été hier faire mes adieux à Maurice, qui est en bonne voie, puis à Marie Paul que je n’ai pas trouvée, chez les Mangin où nous avons pris le thé. Alice et ses filles devaient partir à Schingnach, mais comme Pierre espère avoir bientôt son sursis et rentrer à Cornimont ce serait trop triste pour lui de rentrer dans une maison inhabitée depuis 2 ans et ils rentreront tous ensemble. Ce cher Pierre a dit l’autre jour à Adrien qu’il n’aurait pas demandé de sursis s’il avait pensé rester toujours à Paris, mais il est mal noté par ses chefs et craint qu’on ne l’envoie dans un petit trou en disgrâce, ce qui serait, tu le devines, bien désagréable. Notre Sieur aime tant Paris, tandis qu’avec son sursis il ira à Cornimont pendant les mois d’été et reviendra à Paris pour l’hiver et tout sera dit.

 

De là, je suis allée chez le docteur qui m’a trouvée en bien bonne voie et semble satisfait du résultat de son traitement. Je me fatigue pourtant encore vite, mais il m’assure que les forces reviendront peu à peu.

 

Le train prend une telle allure que je n’arrive plus à former mes lettres. On voit quelques villages détruits et beaucoup de troupes sur tout le parcours.

 

Thérèse est arrivée me surprendre hier soir, elle va rester près de Maurice, elle n’a pas très bonne mine et elle est comme moi, elle se fatigue vite maintenant, où trouve-t-on des femmes vraiment fortes ? Elle m’a donné de bonnes nouvelles des enfants. Robert seul s’est râpé les genoux et on lui met des bandes, il était venu jeudi en voiture à âne à Cheniménil voir les petits.

 

Quel été, grands Dieux ! Cela doit être désastreux pour les récoltes et ce n’est pas heureux pour la fameuse offensive engagée dans le Nord qui avait l’air de bien marcher.

8 juillet - LUI.- Je me plaignais l’autre jour de n’avoir pas mes lettres habituelles mais j’en ai reçu hier trois à la fois, celles des 4, 5 et 6 juillet. Je t’écris celle-ci chez les Garnier mais ne sais si elle te parviendra. Je te renvoie la lettre du petit Robert, qui est bien amusante et qu’il faudrait conserver pour lui montrer plus tard.

 

Tu as bien fait de choisir chez Noury quelque chose de beau. Je me réjouis déjà de te voir parée comme tu dois l’être et, si quelquefois en effet je te dis quelques petites tendresses qui ne doivent pas parvenir aux oreilles étrangères, c’est que je t’adore mon petit et que je suis impatient de te le prouver.

 

Tu as bien raison d’être très philosophe au sujet des sentiments des Paul à notre égard, sentiments que d’ailleurs je crois encore très cordiaux. Mais même si je me trompe, nous n’y pourrions rien, nous sommes bien assez riches n’est-ce pas ma petite mie et puis, comme tu le dis, nous sommes heureux entre nous avec nos bons chéris et n’avons besoin de personne. Quant à des questions de gérance, je ne suis pas assez sot pour y songer maintenant pour mes enfants et en tout cas, si je peux le faire, j’aime mieux qu’ils aient chacun une petite affaire à eux s’ils veulent être industriels que de les mettre avec d’autres. Enfin nous avons bien le temps d’y penser.

 

Avez-vous comme nous toujours du mauvais temps. Quel été, grands Dieux ! Cela doit être désastreux pour les récoltes et ce n’est pas heureux pour la fameuse offensive engagée dans le Nord qui avait l’air de bien marcher.

 

Quand rentres-tu à Docelles ?

 

9 juillet - ELLE (Nancy).- Nous sommes arrivées ici hier soir sans encombre, avec seulement une heure ½ de retard. L’oncle Jules et Georges m’attendaient à la gare. J’avais très faim et ai fait honneur au repas tout en les écoutant causer. Georges ne m’a pas encore fait part de ses projets mais il m’a raconté les confidences faites par Emile Lemaire sur Pierre Mangin. Il le déteste de tout son cœur. Et il a même montré à Georges des lettres qu’il écrivait à P.M. tellement impolies que Georges le suppliait de ne pas les envoyer. Il dit que P.M. ne se rend pas compte des difficultés que l’on a. De loin il fait écrire, il faut que cela se fasse sans se demander si cela n’est pas impossible. Toi pendant ce temps, tu es monté au pinacle. Lemaire ne sait quels éloges faire de toi. Paul Cuny me disait la même chose. Pierrat a dit à son frère d’Epinal que, si tu ne devais pas revenir, il ne resterait pas à Cornimont car il ne s’entend pas avec Pierre. Il n’a décidément pas la cote.

 

Marie Molard m’a raconté hier dans le train, mais je me garderai d’en dire un mot ici, que P.M. veut faire de la politique. Il se propose de se présenter contre Flayelle, groupe radical démocratique, « Et vous savez, Marie, je ne dépenserai pas comme Paul, avec 40 ou 50 000fr, je serai élu et je leur dirai leurs vérités aux députés. Je n’y serai peut-être pas longtemps, une session seulement, mais j’aurai eu le plaisir de leur dire ce que je pensais ». Qu’en dis-tu, je ne le vois pas serrant la main des paysans, allant boire la bière pendant la période électorale, il dira bien vite qu’il « est bien fatigué » et moi je ne crois pas qu’il sera élu si facilement qu’il le croit.

 

A Charmes, Georges loge dans le logement de Pierrat et il prend ses repas chez une cuisinière qui s’est retirée et demeure à Charmes où il est très bien soigné. Nous avons eu une nuit très calme sans taube, ni bombes, et malgré les trains j’ai même mieux dormi qu’à Paris. Les Vautrin sont partis à Luchon et tante Alice part aujourd’hui pour Berck, je n’aurai donc pas de visites de famille à faire. Je vais me lever, aller à la messe et rejoindre ta sœur chez notre pauvre Mère. Ce sera triste de rentrer dans cet appartement sans elle, on y était toujours si chaudement accueilli.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 09/07/1916 (N° 1333)

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A Strasbourg - Des prisonniers français font le salut militaire à une jeune Alsacienne

Les Allemands, fidèles à leur grossier manque de tact, se complaisent à faire traverser les rues de Strasbourg par des groupes de prisonniers français. A travers la capitale alsacienne dont l’âme est demeurée si profondément française, ils s’amusent à les promener. Mais il advient parfois que ce procédé absurde tourne à leur confusion. Une Alsacienne, qui parvint au début de la guerre à se sauver et à renter en France, racontait que les premiers prisonniers français amenés à Strasbourg, en août 1914, avaient traversé la ville, ligotés comme des criminels. Les Allemands espéraient ainsi exciter la haine de la population et déterminer des manifestations qui leur eussent permis de sévir contre le peuple strasbourgeois. Mais, au contraire, les Alsaciens, pris de pitié devant ces malheureux humiliés, les regardaient passer les larmes aux yeux. L’effet ayant été contraire à celui que les Allemands désiraient, les convois de prisonniers furent ensuite amenés la nuit et dans le plus grand secret.

 

Cependant, ces temps derniers, les boches ont recommencé à exhiber leurs prisonniers, mais les mains libres cette fois, et à les promener à travers la ville. Et c’est ainsi qu’a pu se produire le touchant incident qui fait le sujet de notre gravure. Ce jour-là, une centaine de prisonniers défilaient sous la garde de soldats allemands et passaient devant la place Kléber, quand sur le trottoir passa une jolie Alsacienne en costume, la tête couverte du symbolique bonnet aux ailes frémissantes. Spontanément et sans s’être donné le mot, tous les soldats français, d’un mouvement unanime, firent le salut militaire à l’Alsacienne. Et tandis que les soldats boches roulaient des yeux furibonds, la jeune fille reçut en rougissant l’hommage des frères de France qui combattent pour rendre la liberté à son pays.

 

 

 

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Le camp retranché de Salonique

Depuis plus de six mois, depuis la retraite serbe, Salonique est, peut-on dire, terre de France. Ce n’est pas la première fois. Sait-on qu’après la prise de Constantinople par les Croisés en 1204, toutes les régions de Morée et de Macédoine devinrent fiefs de seigneurs francs ? Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, fut élu empereur de Constantinople, et Boniface de Montferrat fut créé roi de Macédoine ou de Thessalonique. Salonique fut sa capitale. Salonique est une ville ancienne et illustre dans l’histoire. Sur l’origine de son nom primitif, Thessalonique, il y a deux versions : la première prétend que Philippe II (300 ans avant J.-C.), fils d’Amyntas, emprunta ce nom à la bataille qu’il remporta sur les Thessaliens ; la seconde version dit que Cassandre, qui prit le titre de roi de la Macédoine de 311 à 299 avant Jésus-Christ, a appelé la capitale Thessalonis, du nom de sa femme, sœur d’Alexandre le Grand. C’est à Salonique que saint Paul prêcha l’Evangile. D’Athènes, il adressa deux longues épîtres aux Thessaloniciens. Certains auteurs prétendent qu’il loua la vertu et la charité de ses habitants. Pourtant la légende raconte que, lorsque saint Paul quitta Salonique, il secoua la poussière de ses sandales et de ses vêtements, ne voulant rien emporter de cette cité.

 

Salonique appartenait à l’empire grec de Constantinople quand les seigneurs croisés s’en emparèrent. Boniface de Montferrat qui s’en proclama roi, comme nous le rappelons plus haut, avait fait élever sur le sommet le plus haut de la ville un magnifique palais royal, qui était en même temps un château-fort inexpugnable. Les Turcs, qui n’ont pas le culte de l’antique ont transformé les restes du château-fort en prison centrale. Le sultan Mourad II mit plusieurs fois le siège devant Salonique. A chaque fois, il fut repoussé avec des pertes sérieuses. Finalement, en 1421, usant des ruses, qui étaient souvent les meilleures armes, Mourad II se rendit maître de la ville. Depuis lors, Thessalonique, qui est devenue Salonique, était restée sous la domination ottomane.

 

Elle fut attribuée à la Grèce après la campagne des Balkans de 1912. Choisie par les Alliés comme base de leurs opérations en Serbie et en Macédoine, Salonique et la région qu’elle commande ont été, dès la fin de 1915, mises en état de défense par le général Sarrail, commandant en chef des forces franco-anglaises opérant dans les Balkans. On se rappelle que le général de Castelnau, après avoir inspecté ces défenses, déclara : « Notre situation à Salonique est inexpugnable. » « On peut dire, déclarait alors le correspondant de l’’Illustration’ à Salonique, que « tous les derniers perfectionnements modernes » ont été apportés aux travaux qui ont été effectués. C’est à tête reposée, avec le temps devant soi, en dehors de toute pression de l’adversaire, que les positions les plus importantes et les plus avantageuses ont été soigneusement reconnues et occupées. C’est au cordeau et au compas que les lignes de tranchées ont été établies, orientées et creusées à la profondeur voulue. C’est avec un soin méticuleux qu’ont été tracées les premières lignes de défense, puis les secondes, puis les troisièmes. C’est judicieusement qu’ont été choisis les emplacements des mitrailleuses, des pièces à tir rapide et de l’artillerie lourde, admirablement dissimulées. C’est avec méthode et solidité qu’ont été accumulées les défenses accessoires, telles que fils de fer barbelés et autres obstacles… » Et notre confrère ajoutait : « Il m’a été permis d’accompagner, dans une de ses fréquentes inspections des travaux, le général Sarrail, qui n’avait guère que des éloges à distribuer à tous. Et je résumerai la situation en citant simplement le mot d’un poilu qui, fumant paisiblement sa pipe dans une tranchée impeccable, nous disait avec un large sourire de satisfaction et de confiance : « Les boches peuvent maintenant s’amener… Ils seront bien reçus ! »

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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La halte au bord d'un canal

Dans la Meuse - Un pont de fortune

Le vaguemestre fait sa tournée

Transport d'un canon de 155 long à bord d'un tracteur

Biplan Rempler-Taube, abattu par le sergent B.

Automobile blindée allemande armée d'un canon

Sur la route de Verdun

Lancement de la saucisse

Tranchée profonde sur laquelle s'ouvrent les abris des hommes

Bataillon de chasseurs à pied se rendant aux tranchées

Le 380 long de Krupp

Poste d'observation installé dans les arbres

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Autriche - L'archiduc François-Ferdinand remplacé par le général von Linsingen
  • Suisse - La sommation allemande à la Suisse
  • Mexique - Tout danger de guerre est écarté entre Etats-Unis et Mexique
  • Bombardements - Des avions allemands jettent des bombes sur Lure, ville ouverte
  • Blessés - L'ambulance de l'hôtel Meurice
  • Verdun - Les Allemands pour la 4ème fois reprennent l'ouvrage de Thiaumont
  • Théâtre - Loutte par Cassive
  • Bijouterie Noury
  • Prisonnier - Les Allemands envoient des prisonniers français en Russie
  • Politique - Groupe radical démocratique
  • Alsace - A Strasbourg, des prisonniers français font le salut militaire à une jeune Alsacienne (LPJ Sup)
  • Angleterre - Le tunnel sous la Manche (LPJ Sup)
  • Grèce - Le camp retranché de Salonique (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Flayelle - Maurice Flayelle : député des Vosges


01/07/2016
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