14-18Hebdo

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Georges Cuny (1873-1946)

 

Portrait proposé par Marie Favre, sa petite-fille – 20/10/2018

 

Georges Cuny est né à Gérardmer (Vosges) en 1873 et est mort à Cornimont (Vosges) en 1946.

 

 

Dimanche 2 août 1914, c’est le premier jour de la mobilisation. Les hommes partent rejoindre leurs dépôts. Georges Cuny, industriel textile, 40 ans, part pour Besançon en tant que capitaine d’artillerie. Commence alors avec sa femme Mimi une correspondance régulière qui va durer 4 ans.

  

Je n’ai pas connu mon grand-père, mais connait-on vraiment ses grands-parents avec lesquels, par définition, on a deux générations d’écart ? En revanche, grâce à cette correspondance avec sa femme pendant la guerre de 14, j’ai l’impression d’avoir appris à le connaître : ils étaient jeunes, ils avaient l’un et l’autre 40 et 30 ans.

   

On m’avait toujours dit qu’il avait été un excellent fils, un excellent mari, un excellent père.

 

C’est un personnage intéressant et attachant :

 

  • Il se trouve bien partout, ne se plaint jamais ni se fâche – aucune colère en cet homme.
  • Il est exigeant mais extrêmement réglo avec tous, admettant la contradiction tout en n’hésitant pas à défendre son point de vue.
  • Il s’entend avec tout le monde, adorant l’humour de ses petits lieutenants, admiré par ses soldats, estimant sa présence au front comme allant de soi, se distrayant avec des exercices de maths comme tout bon polytechnicien, s’entendant très bien avec son nouveau commandant, qui était géomètre de très haut niveau, et tous deux se posaient des problèmes de géométrie.
  • Il est optimiste et  se montre capable de réagir aux coups du sort. Par exemple en 1918, il est aveugle pendant quelques jours suite à une attaque de gaz et déjà il envisage d’apprendre le braille avant de retrouver la vue au bout de 10 jours. Autre exemple bien après la guerre en 1936, à la grande surprise des industriels textiles vosgiens, il continue à investir massivement dans ses usines après l’arrivée du Front Populaire. Il leur rétorque : « Dans la vie il faut agir comme si tout devait bien se passer. »
  • Il ne montre aucune ambition, sa Mimi par exemple le verrait bien avec un grade de plus : « maintenant on voit des petits capitaines de 25, 28 ans, alors ce n’est plus honorable de l’être à 43 ». Il ne cherche pas non plus à être mis à l’arrière alors qu’il a des propositions pour le faire.
  • C’est un excellent professionnel dans le textile et dans l’artillerie.
  • Il est amateur de musique, attentif à ses enfants : « ne le fais pas trop travailler », amoureux de sa femme et de nulle autre, malheureusement peu porté sur l’élégance au grand dam de sa Mimi.
  • A peine rentré de la guerre et de 4 ans de quasi absence, il part 2 mois plus tard, sans sa femme, aux Etats-Unis pour y faire un voyage d’études de 3 mois pour voir des usines et s’imprégner de la modernité et de l’efficacité de l’industrie américaine. Peut-être avait-il besoin d’un palier de décompression avant de retourner à la vie civile après 4 ans et demi de vie militaire.

 

 

Sommaire

 

Lui au front

 

Il est tout d’abord à son dépôt à Besançon au 5e régiment d’artillerie de campagne, puis il rejoint le front dans l’Aisne, région de Soissons. Il restera au front toute la durée de la guerre. Il raconte sa vie bien sûr mais avec deux bémols, d’une part il y a la censure donc tout ne peut pas être dit et d’autre part il ne veut pas affoler sa femme.

Son parcours pendant la Guerre de 14 

Il apprécie beaucoup ses camarades 

Même s’il n’est pas toujours d’accord avec eux, il excuse ses chefs 

Les conditions de vie au front - Confort minimum, les rats, l’importance des chevaux, ... mais gaieté des camarades 

Les offensives

L’artillerie moins dangereuse que l’infanterie

L’importance des décorations

Sa femme voudrait qu’il passe commandant

Elle voudrait également qu’il quitte le front pour une affectation à l’arrière mais il refuse toutes les propositions

Autres

  

 Sa famille à l’arrière

 

Les femmes se sont regroupées à Docelles, à 15 kms d’Epinal dans les Vosges. La mère, Célina Boucher, 54 ans, veuve, accueille chez elle sa fille, Marie Cuny, dite Mimi, 30 ans, ainsi que sa belle-fille, Thérèse Boucher, 27 ans, et leurs enfants. Ces dames ont l’intention de rester ensemble pour toute la durée de la guerre et ainsi pouvoir se réconforter mutuellement. Et Célina décide de redémarrer la Papeterie... 

Le couple

 

La proximité des 2 époux, ils sont amoureux, ils l’écrivent. Lui a 40 ans, elle en a 30. Ils sont mariés depuis 1906 et ont 3 jeunes enfants... L’attente du courrier, des permissions., ils parlent également des finances du ménage : les placements, les emprunts d’Etat, les bons de la Défense nationale, les emprunts russes, les premières déclarations d’impôt sur le revenu… 

La Moustache 

L’Elégance - Lui ne fait pas assez attention à son apparence extérieure. Il dit souvent : « C’est moralement que j’ai mes élégances » 

Le Courrier 

Les permissions - 3 permissions de 8 jours par an, soit une tous les 4 mois, ce n'est pas beaucoup), la dernière, mais surtout la prochaine, …. 

Les finances du ménage - Les placements, les emprunts russes, l’impôt sur le revenu...  

 

Les 3 enfants

 

Les 3 enfants : André, dit Dédé, Noëlle et Robert, dit Bertus, ont, en août 1914, 7, 5 et 4 ans. Les lettres des parents décrivent la joie que leur procurent leurs enfants, leurs traits de caractère, leurs progrès en classe, leur éducation religieuse, leur goût pour le piano, pour les cartes, la St Nicolas, …, et des questions préoccupantes comme : faut-il les mettre à l’école ou prendre une institutrice ? ou également à propos de l’éducation des filles. 

André 

Noëlle 

Robert 

Leurs progrès en classe 

Leur éducation religieuse 

Leur goût pour le piano 

Leur goût pour les cartes : le Nain Jaune

La Saint-Nicolas 

L'éducation des filles  

 

La Guerre

 

La durée probable de la guerre, ... Les Allemands sont trop forts, ... Nos tristes alliés, ... Les grands chefs : les états-majors, les généraux, les politiques, … L’esprit débilitant de l’arrière 

La durée de la guerre, sujet interminable...  

Les Allemands sont trop forts 

Nos tristes alliés 

La longue litanie des morts : les disparus, les morts, les veuves, les pauvres parents, …  

 

Les affaires de famille dans la tourmente

 

C’est une famille d’industriels, principalement dans le papier et le textile. Leurs usines sont surtout dans les Vosges mais une des affaires est à 150 km de Moscou, …. Les difficultés de l’industrie en temps de guerre : tout ce qu’on fabrique se vend mais on a un mal fou à fabriquer en raison des problèmes d’approvisionnement en matières premières et du manque de main d’œuvre... Il y a des associés, dont une tête de Turc, Pierre Mangin, cogérant de l’affaire textile. Mimi n’aime pas du tout le caractère de cet homme-là, mais alors pas du tout, et elle l’écrit… 

Epilogue

 

Georges Cuny a été démobilisé le 14 janvier 1919. Lui, ses frères et beaux-frères sont tous revenus sains et saufs de ces terribles années de sacrifices, mais probablement marqués à vie, car, comme disent les historiens, les combattants de la Grande Guerre n’ont jamais vraiment été démobilisés dans leurs têtes. 

Quelques photos avant et après la guerre

 

Son enfance

Son mariage avec Marie Boucher (dite Mimi)

Sa famille après la Guerre

 

 

   

 

Les années de guerre à travers la correspondance

 

Lui au front

 

Il est tout d’abord à son dépôt à Besançon au 5e régiment d’artillerie de campagne, puis il rejoint le front dans l’Aisne, région de Soissons. Il restera au front toute la durée de la guerre. Il raconte sa vie bien sûr mais avec deux bémols, d’une part il y a la censure donc tout ne peut pas être dit et d’autre part il ne veut pas affoler sa femme.

 

Son parcours pendant la Guerre de 14

 

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Note le concernant du 25 novembre 1918 (Lt-colonel Coleno, commandant le 260RAC)

« Officier supérieur d’une conscience et d’une valeur morale au-dessus de tout éloge. D’une vigueur physique et d’une résistance à la fatigue tout à fait exceptionnelles ; très instruit de toutes les questions techniques intéressant l’artillerie ; possède un haut ascendant moral sur le personnel sous ses ordres qu’il dirige paternellement... »

 

 

Il apprécie beaucoup ses camarades

  • Les jeunes lieutenants : Bonnier, Morize, Zemb qu’il a proposé pour le grade de lieutenant « car c’est un excellent officier » (21/09/15), « un garçon intelligent, sérieux et pas bluffeur » (12/05/16), Bareille « J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi intelligent » (15/02/18), Ballot qui a passé 10 ans en Chine et qui parle le chinois, Baudère, Cassan « tout à fait remarquable » (26/04/18), ...

 

  • Déon, qui est avec lui depuis 1914 : « Le brave Déon est décoré, j’en suis bien content pour lui car c’est un excellent homme et, à son âge, c’est vraiment méritoire de ne pas chercher une embuscade. T’ai-je dit que dans son usine on faisait mille obus par jour, en voilà un aussi qui aurait pu profiter de cela pour s’esquiver. » (10/11/1915 – Lui)

 

  • Son ancien commandant, Giraud, qui écrit à Mimi Cuny le 26 mai 1915 « Je n’ai fait strictement que mon devoir en allant assister à la cérémonie de remise de décoration de votre mari... J’ai pour votre mari, Madame, une très réelle affection non seulement à cause de ses qualités de cœur et de caractère, mais aussi pour la façon vraiment admirable dont il comprend son devoir. » Giraud qui se félicite d’avoir dirigé une équipe pareille « quand on a eu que des compliments grâce à vous tous mes chers amis » (13/01/17)

  

  • Son nouveau commandant, Bickart :

  • Le nouveau commandant était de la promotion de mes anciens à l’X (1891)... A l’X, il s’appelait Dreyfus mais il a changé de nom et s’appelle maintenant Bickart. C’est donc un juif. On prétend qu’il est très raide mais c’est un garçon intelligent car il a été reçu 4ème à l’X. » (31/08/16)

  • Le nouveau commandant est arrivé hier... J’ai déjà pu voir que c’est un homme très intelligent et un véritable chef. Sans doute nous regrettons notre brave commandant mais, au point de vue intellectuel et militaire, surtout au point de vue tactique, il n’y a aucune comparaison. (04/09/16)

  • Le commandant est un géomètre excessivement calé. Nous nous posons l’un à l’autre des colles et c’est intéressant. (07/11/16)

  • Et Bickart, dans une lettre à Cuny « Je ne retrouverai plus nulle part l’atmosphère d’étroite camaraderie, d’intelligence, et de travail, qui est l’honneur du beau groupe que tu commandes maintenant... J’ai acheté le livre de feu Darboux sur la géométrie analytique et il m’a fait penser à toi tout le long du long chapitre qui traite des polygones de Poncelet. A quand les polygones –que dis-je- les polyèdres de Cuny ? » (20/06/17)

 

  • On vient de me prendre mon orienteur pour commander une batterie dans un autre groupe du Régiment. Décidément mon groupe est une pépinière qui sert au recrutement des autres groupes. Tout en étant très fier, j’en suis un peu ennuyé car voilà déjà trois très bons officiers qu’on me prend. (18/01/1918 - Lui)

  

 

Même s’il n’est pas toujours d’accord avec eux, il excuse ses chefs

 Tu dis dans ta lettre du 6 que je semble être en mal de vous tous. Comment veux-tu qu’il en soit autrement ! Mais tu connais mon courage et tu sais bien que je ne me laisse pas abattre. Seulement on a de temps à autre des mauvais jours et les mauvaises impressions se reflètent toujours dans les lettres qu’on écrit. Lorsqu’on nous a parlé de prendre l’offensive sur tout le front, nous étions tous persuadés qu’on avait des obus et que nous allions marcher. Tu comprends qu’il y a un peu de désillusion à constater qu’en somme cette grande offensive n’a pas donné grand chose. On se disait, si seulement on revoyait sa Mi vers le mois de janvier, puis on s’aperçoit qu’il faudra passer l’hiver ici et attendre le printemps pour avancer. Il est naturel dans ces conditions qu’on trouve le temps un peu long. Mais tout cela est passé. On se fait une raison, on se dit qu’on n’y peut rien et on devient philosophe. Tout a une fin, même la guerre et, pour ne plus recommencer, il vaut mieux encore patienter un peu. (09/10/1915 - Lui)

 

Je résiste quelquefois aux chefs. Que veux-tu, à la guerre, il ne peut y avoir de conciliation. Quand je juge qu’on va me faire faire une boulette, que nous nous exposons inutilement, je fais remarquer que je pourrais tout aussi bien remplir ma mission en opérant de telle ou telle façon. Cette manière de faire ne plaît pas généralement aux chefs. (11/10/1915 - Lui)

 

Ah oui, il y a beaucoup de choses qui ne me plaisent pas mais tu sais, Mimi, il n’y a pas grand chose à dire et, lorsqu’on a fait quelques observations, il n’y a qu’à s’incliner si un ordre qu’on juge mauvais est maintenu. Il y a malheureusement une maladie aiguë qui sévit même sur le front et bien entendu pour les officiers de l’active, c’est l’avancite et cette maladie-là fait beaucoup de mal. (28/11/1915 - Lui)

 

Le service s’est beaucoup compliqué depuis notre départ, nous allons reprendre toutes les gardes d’antan, on y rajoute encore pour nos sous-officiers et les lieutenants un service de tranchée assez pénible. Enfin tout le monde est d’assez méchante humeur parce que surtout nos chefs et leurs adjoints, qui sont bien tranquillement dans leurs bureaux à se chauffer ne nous donnent pas le bon exemple. Autrement l’on se dirait qu’en somme le service n’est pas très dur et que surtout, si nous nous comparons aux fantassins, nous sommes encore bien moins à plaindre. (20/12/1915 - Lui)

 

Le Capitaine avec qui tu as voyagé a en effet mes idées. D’ailleurs nous tous qui avons commandé des batteries, qui avons eu des canons démolis et nous sommes rendu compte de la manière de faire des Allemands, avons beaucoup plus d’expérience là-dessus que tous nos chefs et tous les états-majors, qui restent continuellement dans leurs bureaux et ne savent pas ce qui se passe. Mais vois-tu, ma Mi, il n’y a rien à faire. Quand on a lutté comme je lutte depuis plus d’un an et qu’on recommence toujours à faire les mêmes bêtises, c’est vraiment à désespérer. (01/06/1916 - Lui)

 

Maurice ne se trompe pas quand il dit qu’il y a partout beaucoup de coulage. Mais il a tort d’en faire tomber la responsabilité sur le haut commandement. Les véritables responsables sont d’abord les hommes qui sont peu soigneux et s’en moquent. J’ai dû dans ma batterie les prévenir depuis longtemps que, pour chaque objet perdu, ils auraient de la prison. Bien entendu, la prison en elle-même leur est indifférente, mais ce qui ne leur est pas indifférent c’est qu’ils ne touchent pas leur prêt chaque jour de prison. De cette façon ils remboursent à l’Etat ce qu’ils perdent et tu peux être tranquille ils ne perdent plus rien car ce sont eux qui paient. La faute incombe également aux officiers subalternes, capitaines ou lieutenants, qui s’en fichent absolument d’une façon générale. Ce n’est cependant pas à un général à passer son temps à constater tout ce qui traîne de côté et d’autre. Enfin au fin fond, disons-nous bien que nous tous nous ne faisons pas tout ce qu’il faudrait. Tu pourras demander en riant à Maurice s’il ne se sert jamais de l’auto du Colonel que pour le service. Si par exemple l’auto en question ne le conduit pas à la gare quand il doit partir en permission. Si les dépenses de pétrole pour l’éclairage ne sont pas comptées comme dépenses de l’auto. Je suis sûr que, si je voulais, je trouverais des abus chez Maurice comme ailleurs, comme chez moi. Quant aux officiers de l’active et d’état-major, il en est d’eux comme des autres. Beaucoup sont paresseux et ne songent qu’à leur avancement, mais il y en a tout de même qui travaillent. J’imagine que ceux qui sont à Verdun depuis février ou dans la Somme depuis juillet ont eu beaucoup à faire. (25/11/1916 - Lui)

 

Naturellement il était à prévoir que puisque l’offensive ne donnait pas ce qu’on pouvait espérer, puisqu’on ne réalisait pas la percée tant attendue, les pessimistes incrimineraient les chefs. Je reconnais qu’il y en a quelques-uns qui ne sont pas toujours très consciencieux, mais d’un autre côté, si chaque fois que quelque chose ne réussit pas on limoge les grands chefs, aucun d’entre eux n’osera plus rien. (05/05/17 - Lui)

 

Les grands chefs ne peuvent certainement pas dormir tranquilles. On les dérange à tous moments et puis enfin ils ont des responsabilités énormes. C’est encore un des désavantages de la défensive. Les chefs allemands savent ce qu’ils font. Nos chefs sont obligés de se baser sur ce que font les Allemands et sont toujours obligés de modifier leurs prévisions. (17/06/1918 - Lui)

 

Cécile a parlé de Verdun, de son mari qui a dit que c’était honteux, comme défense de Verdun il n’y avait que des tranchées de 30 cm de haut. (19/06/1916 - Elle)

 

 

Les conditions de vie au front

Confort minimum, les rats, l’importance des chevaux, ... mais gaieté des camarades

Mimi m’a écrit que pour le moment tu es avec tes hommes couchant sur la paille et que tu es de faction toutes les 4 nuits. (11/01/1915 – Clémentine Cuny à Lui)

 

J’ai appris dimanche que Monsieur ne couchait pas dans un lit. J’espère que cela n’est pas vrai, ce ne serait pas la peine de loger des officiers ici en tous temps si les gens de là-bas ne se gênent pas plus pour les hommes. Ils ne seraient vraiment pas charitables. (09/03/1915 – Pauline Ringenbach à Elle)

 

  

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 19/09/1915 – Grande Fête Théâtrale

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Je suis rentré comme je te le disais hier à la ferme mais tout est changé dans notre chambre. Il y a maintenant six lits que les lieutenants ont fait faire avec des planches et des treillages en fil de fer par dessous pour former ressort, de sorte qu’on n’y est pas trop mal. Surtout les souris ne viennent plus se promener sur vous pendant la nuit. Tu me diras que nous avons été bien bons de ne pas faire cela plus tôt, et c’est vrai mais tu sais ce que c’est. La batterie avait pas mal bougé lorsque nous sommes arrivés ici, nous croyions que cela continuerait toujours, tandis qu’il y a aujourd’hui huit mois que nous y sommes. Après la dernière offensive, les lieutenants ont pensé que nous y passerions l’hiver et se sont décidés à nous y installer un peu mieux. Je n’ai cependant pas repris mon service habituel car j’ai passé ma journée à Vauxbuin pour mettre au courant le Commandant et son nombreux personnel. Je dis nombreux personnel, car le travail que je faisais avec un de mes sous-officiers et deux de mes hommes (il est vrai que c’étaient les meilleurs) va être fait maintenant par le nombreux personnel en question. Le Commandant a en effet deux lieutenants adjoints, un maréchal des logis, un brigadier et six hommes. Je me demande ce que ce monde-là va faire toute la journée. Enfin j’ai passé un après-midi dans le bureau du Commandant à recopier des plans que j’avais faits, des notes que j’avais prises et, pendant ce temps-là, mon brave Commandant faisait la sieste sur une chaise longue et ses adjoints se baladaient. Mais le Commandant est si bon, si franc, que tout passe avec lui. Il est toujours aussi galant avec les dames. Je t’ai déjà dit qu’il y avait ici des infirmières qu’on prétend jolies et que le Commandant aimait à voir autrefois. L’une d’elles est venue aujourd’hui chercher un laissez-passer. Le commandant lui a baisé la main très galamment, a parlé de l’inviter prochainement à dîner. Que doivent-elles dire de moi ces braves demoiselles. Je leur ai aussi délivré des laissez-passer mais je ne leur baisais pas la main et songeais encore moins à les inviter à dîner. Je te raconte tout cela parce qu’il est amusant malgré tout de voir un homme de cinquante ans, portant beau il est vrai, tant aimer la société des dames. (17/10/1915 - Lui)

 

La petite fête dont je t’avais parlé a parfaitement réussi. Je t’envoie le programme. J’avais invité le Commandant, mes camarades des autres batteries et aussi les braves dames de la ferme, en les prévenant toutefois que les chansons ne seraient peut-être pas tout ce qu’il y a de plus convenable et en effet tu sais ce que c’est dans une assemblée de soldats. Si on leur chantait le grand air de Sigmund, tous ces braves gens-là n’y comprendraient rien et s’endormiraient. Ils aiment surtout les choses un peu lestes et ils ont été servis à souhait, surtout par le nommé Siméon, qui chante à la Scala à Paris et nous a servi son répertoire le plus salé. Il ne fait pas partie de la batterie mais je crois bien qu’il passe son temps à distraire ses camarades et à chanter dans tous les concerts. Son camarade Géo est un émule de Robert Houdin et est réellement très amusant comme prestidigitateur. Nous avons sablé le champagne après la séance comme si nous étions victorieux, mais enfin on peut se permettre cela un jour d’anniversaire… (23/10/1915 - Lui)

 

 

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Grand concert – 21/10/1915

 

 

En tout cas, nous ne faisons rien actuellement. Voilà quatre semaines que ma batterie n’a pas tiré un coup de canon. On nous fait renforcer nos batteries et faire toutes sortes de travaux de terrassement, je pense pour occuper nos hommes, qui sans cela deviendraient de fameux paresseux. C’est une très bonne chose et c’est essentiel car enfin la plupart de ces braves gens seront obligés de travailler en revenant chez eux et il ne faut pas qu’ils en perdent l’habitude. J’ai fait construire une petite chambre pour en faire le bureau car réellement, dans notre écurie en hiver, il fallait toujours laisser la porte fermée et on ne voyait pas clair. J’ai fait aussi percer les carrières où j’abrite quelques-uns de mes chevaux. Nous avons dû creuser un trou de 12 mètres de profondeur dans du vrai rocher. Il est vrai qu’on nous a donné de la cheddite et cela n’a pas mal marché. Je crois bien que, si nous devions passer un autre hiver, nous construirions pour nous une petite maison. Mais ne pensons pas à cela et espérons bien que nous passerons le prochain hiver ensemble, n’est-ce pas Mie. (31/10/1915 - Lui)

 

Il fait ici un temps épouvantable et mes pauvres chevaux sont trempés et sont enfouis dans une boue très épaisse, qui va sûrement provoquer des crevasses. Heureusement qu’ils étaient en parfait état pour venir ici. Comme nous allons partir d’ici quelques jours j’espère que je n’aurai pas d’ennuis. Mais ce que je ne comprends pas c’est que le service vétérinaire de l’armée ne fasse pas désinfecter toutes les écuries. C’est possible paraît-il et comme d’autres batteries vont prendre notre place, cela vaudrait réellement la peine car, si nous perdons chacun quelques chevaux, cela peut coûter cher à l’Etat. Enfin aujourd’hui on a décommandé la manœuvre et nous n’avons eu que des exercices en chambre. Mais vivement le front. On est cent fois plus tranquille, beaucoup moins fatigué et bien mieux installé. (11/02/1916 - Lui)

 

Mais ce qui m’ennuie c’est de vous savoir infestés de rats et, si vous ne voulez pas les empoisonner par crainte de la mauvaise odeur, je ne connais guère de moyens de vous en débarrasser. J’ai entendu parler du virus Pasteur, il paraît qu’on en a envoyé déjà une quantité énorme sur le front, vous pourriez en demander à l’institut Pasteur. Je ne sais comment cela s’emploie, il paraît que les bêtes attrapent une maladie qu’elles se communiquent et qui les fait fuir avant de mourir, ce qui évite la puanteur. (26/02/1916 - Elle)

 

Le pauvre Déon a bien du mal de dormir avec moi. Il paraît que je ronfle et, comme il a le sommeil très léger, je le réveille. Mais il ne veut pas m’empêcher de dormir et prend la chose en riant. Heureusement que nous sommes tous ensemble. Ici c’est un peu triste mais on rit quand même lorsqu’on est nombreux et puis le phonographe nous distrait énormément. (15/05/1916 - Lui)

 

Nous sommes très bien ici... Le seul ennui est que dans ce secteur on oblige les capitaines à coucher à l’observatoire chaque deux jours et à l’observatoire on n’a qu’un trou infect et très humide où abondent les cafards et les araignées. Mais je vais tâcher d’arranger cela lorsque notre nouvelle position de batterie sera terminée. Enfin estimons-nous bien heureux car à Verdun nous serions encore beaucoup plus mal et moins à l’abri. Le régiment d’infanterie que nous protégeons vient justement de Verdun et a subi de fortes pertes. Les officiers d’infanterie sont très gentils et n’ont pas sur l’artillerie les idées préconçues de beaucoup d’autres. Ils ont vu les artilleurs à l’œuvre à Verdun et les ont admirés. (05/06/1916 - Lui)

 

C’était aujourd’hui la fête de Ste Anne, patronne des Bretons. L’église était comble. L’aumônier a fait d’abord un sermon en breton, il faut croire qu’il y a encore de ces braves gens qui ne savent pas le français, au XX° siècle !!! puis il a parlé en français et a raconté que, le jour de Tahure, le capitaine d’une compagnie, qui était un peu en l’air et qui était violemment bombardée, a invoqué Ste Anne avec tous ses hommes. Instantanément, disait l’aumônier, le tir de l’artillerie allemande s’était allongé. Enfin le régiment porte toujours avec lui une petite statuette de Ste Anne, qui trônait aujourd’hui au milieu de l’église entourée de lauriers et de fleurs. (30/07/1916 - Lui)

 

On fait sur tout le front une propagande active pour l’emprunt. On institue dans chaque batterie une loterie, le prix du billet est de 1frc. Il y aura autant de lots qu’on pourra réunir de sommes équivalentes au prix d’émission. Les officiers sont forcés de donner l’exemple et je vais prendre 100 billets. Naturellement si mon nom sort à la loterie, je ferai tirer au sort entre tous les hommes de ma batterie. (07/10/1916 - Lui)

 

Il a fait en effet très froid ces derniers jours. Heureusement que j’ai mon gilet de laine qui est bien chaud. Mon lit est bien trop large et je suis obligé d’utiliser toutes mes couvertures et mes uniformes pour pouvoir me réchauffer. Si seulement tu étais là tout près de moi, ma douce Mi !!! il ferait beaucoup moins froid. (26/10/1916 - Lui)

 

Nous ne sommes pas encore tout à fait installés, les poêles surtout nous font défaut. Le capitaine Callies est venu me voir hier et voyant que je n’avais rien pour me chauffer m’a fait envoyer un poêle qu’il a déniché je ne sais où. Heureusement qu’il était ici. Je crois que mes hommes auraient été malades puisque nos abris n’étaient pas fermés. La toile huilée ne remplace pas les portes mais ferme cependant suffisamment pour qu’on ne sente pas trop les courants d’air. Mr Callies a été blessé pour la troisième fois à Verdun et a été décoré. C’est vraiment un bien gentil garçon. Tu vas te moquer de moi mais je crois bien que si notre petite Noëlle avait vingt ans je tâcherais de l’avoir pour notre gendre. Il est vrai que tu as toujours dit que tu ne voulais pas envoyer ta fille si loin mais tu vois voilà un cas où il ne faudrait pas hésiter à le faire… La permission avance à grands pas et je n’en suis pas fâché car, depuis que je suis revenu, nous avons eu fort à faire et je serai content d’oublier un peu auprès de vous le front et les chefs. (23/12/1916 - Lui)

 

Je me demande comment tu fais pour te sécher par des temps pareils, tes gros manteaux à pèlerines doivent être transpercés et je voudrais vraiment que tu t’achètes un manteau de caoutchouc, qui te serait bien moins lourd à transporter et à supporter par les temps humides mais doux. Si tu passes à Paris pour revenir, tu feras bien d’y penser. On doit en trouver à la Belle Jardinière. (26/12/1916 - Elle)

 

Aujourd’hui premier janvier nous avons fait un peu fête et avons mangé un excellent poulet rôti, que nos popotiers avaient pu dénicher dans une ferme environnante. Nous avons comme nos hommes bu le champagne fourni par l’Etat et avons pensé chacun de nous à nos chères femmes et à nos enfants. Nous mangeons dans une roulotte de déménagement que nous avons transportée à la position. Cette roulotte était abandonnée depuis le début de la guerre dans un des villages voisins et nous nous y trouvons bien. Nos hommes ont eu aussi leur petit festin puis séance de phonographe. Il faut bien de temps à autre un peu les amuser. Les Boches d’ailleurs doivent également festoyer car aujourd’hui on n’entend pas un coup de canon. (01/01/1917 - Lui)

 

Nous sommes toujours en route et je t’assure que c’est dur par ces temps de froid. Je ne parle pas pour moi car j’ai la chance d’avoir toujours au moins le soir un lit mais nos pauvres chevaux tombent et sont bien fatigués, d’autant qu’on ne nous donne pas de temps à autre un jour de repos. Enfin j’espère que d’ici deux jours nous serons rendus et qu’arrivant sur ce front nous serons mieux installés que dans ces petits villages où il n’y a que de mauvais greniers sans paille pour abriter nos hommes. Ils grognent bien un peu mais comme les vieux grognards de l’Empire ils marchent tout de même. On nous fait faire des détours, je crois pour tromper les Boches... D’ailleurs nous sommes tous très gais. Sais-tu ce que nous avons fait hier soir, nous avons fait des exercices de bouts rimés. Quelques-uns de nos camarades sont très forts là-dessus et ont bâti, sur des rimes qu’on leur donnait, des petites chansons qui n’étaient pas mal du tout. Et l’on riait et l’on oubliait les fatigues et le froid de l’étape du matin et on ne pensait pas du tout à celle du lendemain. (06/01/1917 - Lui)

 

Je t’envoie deux cents francs. C’est peu mais si tu savais comme tout est cher. Nous avons du mal de nous procurer du vin et sommes obligés de le payer 1 f 50 par litre quand nous pouvons en avoir. Nous payons les pommes de terre 38frs. Tu me diras que nous avons peut-être tort de faire des folies pareilles, mais d’un autre côté nous sommes presque tous d’accord pour tâcher de nous mettre le mieux possible tant que nous le pouvons. (01/03/1917 - Lui)

 

Nous pataugeons maintenant dans la boue. Rassure-toi cependant, je suis abrité. Je n’ai pas de lit naturellement mais je dors quand même très bien et en tout cas je me porte tout à fait bien. (02/04/1917 - Lui)

 

Je me plais toujours très bien dans mon nouveau poste. D’abord je suis mieux installé, j’ai une paillasse et j’ai fait mettre des draps de sorte que je peux me déshabiller. Je n’ai pas besoin de te dire que je suis tout à fait à l’abri étant assez loin des batteries. J’ai comme adjoints trois officiers tous intelligents et qui ont fait toutes les offensives, la Champagne, Verdun et la Somme, avec lesquels je m’entends parfaitement. L’un d’entre eux, mon orienteur, est tout à fait intelligent. Il est sorti major de l’Ecole des Arts et Métiers et tu sais que les majors de toutes les écoles sont toujours des gens remarquables. (26/05/1917 - Lui)

 

Nous voici arrivés ici un peu fatigués, mais nous allons joliment nous reposer dans ce petit village à l’ombre de la colline de Sion car je ne pense pas commettre une indiscrétion en te disant que nous sommes à Praye-sous-Vaudémont… Nous sommes très bien ici (personnellement j’ai une très belle chambre) mais les paysans sont tous les mêmes, ils ne veulent pas de chevaux. Avec ce beau temps nos chevaux sont bien mieux en plein air et je ne les ai pas contrariés à ce sujet. Si nous avions une période de pluie, je serais bien obligé de les forcer. Ils comptent d’ailleurs beaucoup sur nous pour les aider dans leurs travaux de culture. Malheureusement nous avons 40% de notre effectif en permission depuis trois jours. Il a bien fallu car la plupart de nos hommes n’ont pas encore eu leur permission de février à juin. Je suis même étonné que les étapes que nous avons faites, les embarquements et débarquements se soient si bien accomplis. (13/06/1917 - Lui)

 

Les Allemands utilisent paraît-il assez souvent dans ce secteur les gaz asphyxiants. Hier encore dans la nuit nous avons eu une alerte. Les cloches ont sonné et un klaxon qui est au poste de police nous a tous réveillés mais sans objet. Enfin on redoute tellement ces fameux gaz que nous sommes tous entrés dans la chambre chlorée ce matin avec nos masques. C’est le meilleur et même le seul moyen de constater que les masques sont bien ajustés et que l’on peut être tranquille. (18/07/1917 - Lui)

 

Avant-hier un ciné de l’armée est venu nous donner une représentation. Malheureusement les programmes ne sont pas toujours bien choisis et au lieu de ne donner que des scènes comiques, on vous représente des drames qui intéressent très peu les poilus. (20/07/1917 - Lui)

 

 

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 Menu 27 Novembre 1917

 

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Menu Noël 1917

 

 

Enfin nous sommes arrivés en secteur (Verdun) et en sommes bienheureux, car réellement nous avons été un peu fatigués par ces rudes étapes sans nous arrêter un seul jour. Malheureusement nous ne sommes pas très bien. Le service d’abord est dur, car le secteur est agité et l’infanterie très nerveuse et, craignant toujours des attaques boches, demande beaucoup de vigilance à ses artilleurs. Mon PC est dans un ancien abri à munitions d’un fort très célèbre. Nous sommes là dedans une vingtaine. On y dort et on y mange, on y fait des paperasses et, comme il y a toujours quelques poilus et même quelques officiers qui ronflent, il faut attendre quelques jours avant d’y être habitué et de pouvoir bien dormir. Nos batteries ne sont pas mieux mais il est vrai qu’on ne reste dans ces positions en général qu’un mois et puis il ne faut pas se plaindre quand on a été au repos dans un bon lit pendant deux mois… Bien entendu le sol est couvert de neige. Tu n’as pas idée de la façon dont le terrain est bouleversé de tous côtés. Lorsque le dégel va venir, je crois qu’on va bien patauger et comme il faut aller de trous d’obus en trous d’obus cela va être fatigant. Nous avons eu de la chance qu’il neige pendant notre relève, car nos chevaux ont quand même eu moins de mal que s’il y avait eu de la boue et puis surtout les Boches ne nous ont pas vus et nous ont laissés tranquilles. (10/01/1918 - Lui)

 

Le terrain est tellement changé depuis 1916. Tous les bois ont disparu, la plupart des chemins aussi ont été remplacés par de simples pistes, qui ne suivent pas toujours l’itinéraire ancien. (11/01/18 – Lui)

 

Si les Boches avaient l’intention d’attaquer, ils l’auraient fait avant. Maintenant il n’est plus temps. Ici c’est complètement bondé de troupes et cela doit être de même partout. Ils ne passeront pas. D’ailleurs quand on voit par ici comme le terrain a été bouleversé, comme tout a été détruit et quand on pense qu’avec tous les moyens qu’ils avaient employés ils n’ont pas pu passer, on est complètement rassuré. J’ai été hier au fort célèbre et ai été très étonné de constater qu’il n’avait pas du tout été démoli et que le béton avait tenu. Tout autour évidemment ce n’est que trous d’obus et des trous qui comptent je t’assure, car les Allemands avaient employé leur 400 pour réduire le fort. Nous sommes à peu près installés et en somme, à condition que les Boches ne nous réveillent pas comme cette nuit, nous finirons par nous y plaire. Cela me fait penser au début de la guerre quand on vivait un peu comme les hommes, nous trouverons d’autant plus de plaisir dans nos cantonnements de repos… Tu serais bien gentille lorsque tu pourras trouver du tabac Maryland de m’en envoyer un peu. A ce point de vue nous avons toujours autant de mal de nous ravitailler. Pour le reste cela va à peu près, bien que nos hommes aient manqué de vin pendant deux jours, ce qui ne les amuse pas tu les connais, d’autant plus qu’ils étaient très fatigués et qu’ils tiennent avant tout à leur pinard. (12/01/1918 - Lui)

 

J’enrage encore aujourd’hui. Nous avons le dégel depuis hier et sommes inondés. Heureusement qu’ici au PC nous avons une pompe mais il faut pomper toute la journée et toute la nuit. C’est l’inconvénient de ces abris souterrains surtout dans ce pays rempli de trous d’obus qui étaient pleins de neige. Cette neige a fondu et a donné lieu à de véritables torrents descendant de trou d’obus en trou d’obus. Les batteries sont également inondées et à l’observatoire il y a 60 cm d’eau. J’ai dû le faire évacuer hier, les couchettes étant sous l’eau et n’ayant pu obtenir une pompe pour l’épuiser. Le guetteur seul y reste, il faut bien mais ce n’est pas drôle. Enfin il ne faut pas encore trop nous plaindre car l’infanterie est encore plus mal. (16/01/1918 - Lui)

 

Tu sais que depuis quelques jours nous sommes aussi favorisés que vous pour le temps. Malheureusement on ne peut guère en profiter. Tout est tellement ravagé ici qu’il n’y a pas de couverts, il faut donc circuler dans les boyaux et encore ce n’est pas toujours possible. Les Boches tirent un peu de tout côté et on risque en mettant le nez dehors de se faire moucher, c’est l’expression. (17/02/1918 - Lui)

 

Je suis sûr que vous devez avoir maintenant le beau temps car depuis quelques jours il fait très bon ici. Malheureusement les Allemands se mettent à bombarder maintenant nos échelons avec de grosses pièces. L’autre jour j’ai eu vingt chevaux tués mais heureusement pas un homme. C’est d’ailleurs un seul gros obus qui a fait tout le mal et comme la pièce qui nous a ennuyés a recommencé le lendemain à peu près dans la même direction, nous nous sommes déplacés et j’espère que rien ne nous arrivera plus. (19/02/1918 - Lui)

 

Les Boches ont été bien assommants hier et cette nuit. Ils ont tiré 600 obus sur mes batteries et je crains que nous ayons bientôt des pertes. Tant qu’on n’est pas forcé de tirer cela va bien, chacun s’abrite dans ses sapes et il n’y a aucun danger. Mais lorsqu’on est forcé de tirer et que les batteries sont bombardées, il suffit de quelques obus bien placés pour vous démolir une batterie. Cette nuit nous avons eu de la chance car nous faisions un barrage au milieu d’un violent bombardement. Heureusement personne n’a été touché. Tu comprends bien que je ne te raconterais pas tout cela, parce que cela ne servirait à rien, si je courais personnellement le moindre danger. Je n’en cours absolument aucun, mon devoir me forçant de rester à mon poste de commandement qui comme je te l’ai dit est à l’abri des plus gros obus, afin d’être en liaison avec mes observateurs, mes guetteurs, l’infanterie et mes chefs. Mais je suis forcément inquiet pour mes camarades d’abord et pour mes hommes ensuite et je serais content qu’on nous relevât, nos hommes sont fatigués. (03/03/1918 - Lui)

 

Nous sommes bombardés un peu tous les jours mais enfin jusqu’ici nous n’avons eu qu’un tué et quelques évacués pour intoxication par le gaz. Hier cela tombait autour du PC. L’antenne de TSF était cassée, il fallait la réparer et le loustic est sorti de la sape en chantant l’air connu : « Il pleut des baisers, l’air est plein de caresses ». C’est un Parisien. Nous n’avons pas pu nous empêcher de rire bien que le pauvre garçon risquait un peu sa vie. Il n’a rien eu d’ailleurs. (09/03/1918 - Lui)

 

Le soir, nouveau bombardement à gaz. Le restant du personnel de la 25e est évacué, ainsi que tout le personnel du PC (Ct Cuny, Lt Morize et tous les téléphonistes). (12/03/1918 - Journal des Marches et Opérations - 260e RAC/2e Groupe)

 

Je suis dans le train de Bordeaux. Nous sommes partis hier vers neuf heures de l’ambulance du front et arriverons demain vers 5 heures à Bordeaux. C’est long mais tu vois que mes yeux vont mieux puisque je peux t’écrire moi-même. (16/03/1918 - Lui)

 

Je suis arrivé ici ce matin à 5 heures après deux jours de grand voyage assez fatigant. Je vais bien et mes yeux se remettent petit à petit. Je suis pour l’instant à l’hôpital St-Nicolas qui est une sorte de prison. J’ai demandé à filer sur Angoulême ou sinon je ne resterai ici que le minimum de temps. Je n’ai malheureusement pu emporter quoi que ce soit, tous mes effets devant être désinfectés. Mais avant de les faire venir il faut que je sache où je resterai. En tout cas ne te dérange pas. (17/03/1918 - Lui)

 

Les yeux de Papa vont mieux aujourd’hui, j’espère qu’il consentira à se laisser soigner jusqu’au bout. Il est toujours impatient, surtout quand il sent ses officiers et hommes encore au feu. Je voudrais bien apprendre qu’on les a relevés et mis au repos, de la sorte Georges consentirait à être calme et ne gémirait pas de son inaction. Ton papa avait déjà envisagé d’apprendre le braille s’il devait rester aveugle. (25/03/1918 - Elle à sa fille)

 

Une centaine de mes chevaux avaient été atteints par les gaz. On a dû les remplacer. Tous les chevaux sont un peu fatigués mais enfin ils peuvent encore tenir. (22/04/18 – Lui)

 

Nous avons fait aujourd’hui une très dure étape, je parle pour nos hommes et nos chevaux, non pas tant à cause du nombre de kilomètres (35) qu’à cause de l’itinéraire qu’on nous force à suivre. Il y a malheureusement dans ce pays-ci des routes gardées, comme on les appelle, que les convois de voitures ne peuvent prendre et qui ne servent qu’aux autos et aux camions. Ce sont toujours les grandes routes nationales ou départementales, c’est-à-dire les meilleures et les plus directes. Nos colonnes sont forcées de prendre des chemins très détournés, en général très mauvais et surtout qui sont de véritables montagnes russes. Comme on nous a enlevé quelques voitures et une assez grande quantité de chevaux et qu’il faut quand bien même transporter toutes nos affaires y compris nos munitions, nos servants sont en majorité obligés de faire à pied toutes les étapes et sont fatigués. Je ne parle pas de nos chevaux, qui ont beaucoup maigri depuis Verdun. Ces derniers jours les étapes avaient été très courtes et j’espérais que cela continuerait. Enfin je suppose qu’on ne va pas nous emmener de cette façon jusqu’en Belgique. Voilà bientôt un mois que notre régiment se promène sur toutes les routes. (24/04/1918 - Lui)

 

Nous avons quitté le petit village où nous étions pour faire quelque quinze kilomètres vers le Nord Ouest, de façon à nous rapprocher du front... La seule chose un peu ennuyeuse, c’est que nous sommes au sommet d’un plateau, qu’il n’y a pas d’eau et que, pour aller boire, nos chevaux sont forcés de faire cinq kilomètres. Au lieu de nous mettre dans la vallée, on y met les fantassins qui ont beaucoup moins besoin d’eau que nous et on nous met sur les hauteurs. Enfin il est probable que l’EM a ses raisons pour opérer ainsi… Enfin à part cette question d’abreuvoir qui a son importance nous nous plaisons bien ici et nos hommes également parce qu’ils ont des greniers confortables, fermés et remplis de paille où l’on doit bien dormir. (28/04/1918 - Lui)

 

Hier nous avons quitté ce petit village pour venir jusqu’ici au Nord et sommes tombés sur un très gros bourg, mais malheureusement occupé par l’état-major d’un corps d’armée anglais. On se plaint quelquefois qu’il y a trop de monde dans nos états-majors, mais je t’assure que chez les Anglais c’est encore pis. On m’assurait qu’il y avait à cet état-major au moins soixante-dix officiers. Tu peux bien penser que dans ces conditions, il n’y a pas beaucoup plus de chambres pour les officiers. Moi seul ai une chambre suffisante chez l’instituteur de l’endroit, qui a dû abandonner tout le logement qu’il possédait à la mairie au général anglais, et n’a plus qu’un petit coin avec une chambre pour sa femme et lui et une chambre pour sa fille, qui heureusement est absente et est élève au lycée de Versailles. Ce sont de très braves gens. Les Anglais lui ont construit une école en planches, où il fait la classe tant bien que mal. Mes camarades dorment à deux dans le même lit ou n’ont que des paillasses. Ces Mrs les Anglais ont tous leurs chevaux abrités. Jusqu’à présent j’ai encore des chevaux à la corde. Les gens du pays ne sont pas raisonnables. Il y a encore quelques granges qu’ils se refusent à ouvrir et on doit passer outre à leurs protestations. Je ne sais pas pour combien de temps nous sommes ici mais j’espère que nous nous en irons bientôt. (06/05/1918 - Lui)

 

 

Les offensives

Il y a un peu de désillusion à constater que cette grande offensive n’a pas donné grand-chose. (09/10/15)

 

Nous avons fait cette nuit encore une petite opération qui a parfaitement réussi. Il s’agissait de faire des prisonniers et nous n’avons eu de notre côté aucune perte. On nous dit que nous allons être un peu plus tranquilles maintenant. D’ailleurs nous n’avons pas à nous plaindre quand nous songeons aux pauvres gens qui sont à Verdun ou dans la Somme. (05/11/1916 - Lui)

 

Tu dois commencer à connaître le cours de l’Aisne depuis plus de deux ans que tu campes sur ses bords. (31/12/16) – Elle)

 

Offensive du Chemin des Dames

On parle beaucoup d’offensive de tous côtés. Il est probable que les Allemands n’ignorent pas les travaux qu’on fait un peu partout sur le front et qu’ils essayeront peut-être de nous devancer. Il faut espérer que nous serons prêts avant eux. (15/03/1917 - Lui)

 

Nous tirons beaucoup tous ces jours-ci et je crois qu’il y aura du nouveau d’ici quelques jours... J’espère que cette affaire ne durera pas trop longtemps. Si nous pouvons percer nous serons certainement relevés, car au bout de quinze jours avec ce tir perpétuel de jour et de nuit nos servants n’en pourront plus. (08/04/1917 - Lui)

 

Tu me dis que mes correspondances t’arrivent en retard. Je crois que c’est un peu fait exprès et que les chefs se rendant compte que les lettres seront peut-être arrêtées pendant une quinzaine ou que nous ne pourrons même pas écrire, préfèrent espacer les correspondances actuelles, de façon que vous n’en soyez pas trop privés et que vous n’ayez aucune inquiétude. Cela tonne fort depuis quelques jours de notre côté et je crois qu’il va se passer quelque chose d’ici peu. Heureusement que nous aurons le beau temps car avec la boue et la pluie cela doit être bien désagréable de se déplacer. J’espère d’ailleurs que d’ici une quinzaine nous irons au repos et que les permissions reprendront avec un pour cent qui me permettra de venir vous voir vers le milieu de Mai. Je m’en réjouis comme tu penses ma Mie. (15/04/1917 - Lui)

 

Un petit mot que je tâche de te faire parvenir par un évacué pour te dire que je vais bien. Bonnes amitiés à tous. Je t’embrasse avec nos enfants chéris. Cap Cuny. (17/04/1917 - Lui)

 

Notre attaque a réussi mais contrairement à ce qu’ils avaient résolu du côté de la Somme, les Boches résistent ici carrément et nous avons certes du mal de les repousser… Depuis le début de l’attaque j’ai tiré avec ma batterie déjà plus de 15 000 obus... Moi je vais très bien et ne me ressens pas trop de toute cette excitation et cet énervement qu’on subit forcément pendant ces jours de bataille, je m’étonne même de si bien supporter la fatigue. Cela prouve ma Mi que je vivrai jusqu’à 90 ans !!! à condition bien entendu que tu en fasses autant, car tu sais sans toi la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Je n’ai pas eu beaucoup de pertes dans ma batterie et j’en suis bien content. Quelques batteries ont été assez éprouvées. Mais en somme l’artillerie n’a pas beaucoup souffert, car l’artillerie boche avait été en partie démolie et les nouvelles batteries qu’ils ont amenées sur le front ne prennent plus guère à partie que l’infanterie et les tranchées que nous avons conquises. (21/04/1917 - Lui)

 

Notre offensive n’a pas répondu à toutes nos espérances ! (25/04/17 – Lui)

 

Si tu as encore l’Echo de Paris du 5 Mai, tu trouveras dans l’article de 1ère page intitulé « A l’assaut du Chemin des Dames » un compte rendu assez fidèle de ce que nous avons fait, car il s’agit dans cet article de notre division. D’ailleurs j’ai gardé le journal et te le montrerai à mon retour. (07/05/1917 - Lui)

 

Nous sommes très bien ici sauf que les Boches nous assomment avec leurs contre-attaques et que nos hommes sont toujours sur le qui-vive. (22/05/17 – Lui)

 

Offensive finale

Les nouvelles de ces jours-ci ne sont pas brillantes mais enfin il ne faut pas encore désespérer. (01/06/1918 - Lui)

 

Il est certain que les Boches nous ont surpris et c’est regrettable. Mais aujourd’hui la situation semble un peu meilleure et je crois que nous autres aurons moins de mal que nos prédécesseurs. (03/06/1918 - Lui)

 

Voilà les Allemands arrêtés et nous sommes toujours en réserve. Nous allons faire des reconnaissances aux environs comme nous l’avions fait du côté d’Amiens, prévoyant le cas où les Boches attaqueraient de nouveau. En somme, tout ceci évidemment n’est pas très bon. Les Boches percent, puis s’arrêtent aussitôt qu’ils rencontrent une résistance sérieuse et vont attaquer ailleurs sans nous prévenir. Il faudrait cependant bien qu’on les empêchât de faire tout ce qu’ils veulent, car à force de gagner ainsi du terrain ils finiront bien par tenir Paris sous leur canon. Malheureusement nous dit-on nous n’avons pas assez de monde et il faut attendre l’arrivée des Américains. … Bon courage quand même ma petite Mie et faisons des vœux pour le succès de la France, ce serait trop dommage qu’elle disparût. (08/06/1918 - Lui)

 

Tu peux être tranquille à mon sujet, je vais très bien, il fait très bon dans cette forêt et, lorsque les marmites arrivent un peu trop près ce qui est rare, nous nous rentrons tous dans la tranchée d’infanterie, qui est suffisamment couverte pour nous protéger. Donc pas de danger. (11/06/1918 - Lui)

 

Oui, la situation actuelle n’est pas brillante et malheureusement les Allemands avancent toujours… Il faudrait pouvoir prendre l’offensive. Le peut-on ? Là est toute la question. Quand le pourra-t-on ? Et pourra-t-on arrêter les Boches suffisamment pour que le moral de nos troupes et de l’arrière se maintienne jusqu’à ce moment-là ? Espérons-le. (15/06/1918 - Lui)

 

Tu as vu dans le Communiqué que nous avions pris 2 kilomètres aux Boches sur 7 kilomètres de largeur. C’est notre division qui a fait cela hier matin. (29/06/1918 - Lui)

 

 

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Menu du 15 novembre 1918 du 260e Régiment d’Artie 3e Groupe

 

 

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14 novembre 1918 - Le général Fayolle décorant le drapeau du 260e de la fourragère. Georges Cuny, commandant de corps, remplaçant le colonel malade, présente le drapeau

 

 

L’artillerie moins dangereuse que l’infanterie

Je suis bien contente que tu sois dans l’artillerie, qui est comme tu le dis la reine des batailles et où vous êtes tout de même moins exposés que l’infanterie, qui a comme vous les obus à recevoir mais en plus toute la série des combats à la baïonnette, les balles, les gaz asphyxiants, enfin toute la liste. (26/06/1915 - Elle)

 

Notre offensive est un peu calmée et cela se comprend. Il faut espérer qu’on va continuer. As-tu vu dans les journaux qu’on attribuait le succès surtout au violent bombardement de l’artillerie. C’est sûr, quand on aura des canons et des munitions en masse, il n’y a pas de tranchées qui tiennent. Les soldats bombardés de cette façon ne se possèdent plus et ceux qui ne sont pas bien se rendent, c’est ce qui explique le grand nombre de prisonniers. Espérons toujours, ma Mi, sans toutefois être trop impatients. (29/09/1915 - Lui)

 

Je vais quitter encore la ferme pendant une dizaine de jours pour aller suivre un cours de tir. Tu trouveras cela bizarre puisque voilà un an que je tire sur les Boches, mais enfin je crois qu’on fait cela pour nous sortir un peu de notre milieu, de notre panorama que nous connaissons maintenant sur le bout du doigt et nous donner peut-être de nouvelles méthodes que l’expérience de la guerre a pu suggérer. Au fond, je suis très content car au moins le soir je serai tranquille et ne serai pas obligé de faire encore partout le tour du cantonnement, car avec nos hommes il faut toujours être sur leur dos pour que rien ne traîne et, si la guerre continue encore une année, on aura bien du mal. (26/11/1915 - Lui)

 

Je me plais très bien ici. D’abord cela me repose un peu de mes perpétuels séjours à l’observatoire ou à la batterie. J’ai un bon lit. Le service n’est pas chargé, le matin conférence ou exercice sur le terrain à huit heures, le soir tir jusque 4 heures. Il est vrai qu’en rentrant il faut mettre en ordre les notes qu’on a prises, mais tu vois que ce n’est pas fatigant. De plus dans la maison où nous faisons notre popote, j’ai trouvé un piano, de sorte qu’après souper nous faisons un peu de musique avec quelques camarades qui aiment beaucoup cela et qui aiment m’entendre jouer car, malgré peu de pratique depuis un an, je m’en tire encore assez bien. Tous ces camarades sont gentils, nous ne sommes d’ailleurs que deux réservistes sur seize, tous les autres sont de l’active et, comme ils appartiennent à d’autres secteurs, on apprend pas mal de choses. Les chefs sont très bienveillants et connaissent parfaitement bien leur affaire. Enfin nous monterons probablement tous dans la saucisse (tu sais ce que c’est qu’une saucisse, ballon captif spécial en forme de saucisse) pour régler un tir, de sorte que mon Dieu cette guerre m’aura procuré le plaisir de monter en avion et en ballon, ce que je n’aurais peut-être jamais fait de ma vie. (30/11/1915 - Lui)

 

Pour la première fois aujourd’hui nous avons eu un temps relativement beau, le vent était cependant assez violent mais ne m’a pas empêché de monter en ballon. J’ai ainsi pu revoir Soissons et les lignes allemandes. Mais la sensation en ballon est beaucoup moins agréable qu’en aéroplane. Je trouve qu’on est beaucoup plus secoué par le vent et cependant je ne suis monté qu’à 800 mètres et ne suis pas resté très longtemps en l’air car il faisait passablement froid. (08/12/1915 - Lui)

 

Il m’est arrivé hier soir une lettre de toi datant encore de ton cours de tir. J’y vois que Messieurs les Officiers n’oublient pas ce qui peut flatter leur palais et que, s’ils ont rompu avec le monde et ses pompes, ils pêchent par gourmandise fort souvent. Quand tu rentreras chez toi, tu vas trouver que mes menus sont bien mesquins et il nous faudra engager un maître-coq pour faire à mon chéri d’excellents mets et entremets qui lui rappelleront sa vie de guerre. Mon Geogi tu vois que je continue à être taquine, mais je t’aime bien tout de même. (15/12/1915 - Elle)

 

Tu sembles content de changer de matériel. Moi, j’en suis moins satisfaite car il me semble que s’il y a une offensive tu seras bien plus en avant avec des 75, et tu sais combien je tiens à mon chéri, je suis fière de son courage, mais je veux te revoir. Et pourtant je ne peux pas te dire comme Pierre Mangin : « Cache-toi derrière tes canons ». A la grâce de Dieu, n’est-ce pas. Qu’Il te protège. (22/01/1916 - Elle)

 

Ne crains rien pour les 75. Je ne pense pas d’abord que nous prenions l’offensive car cela coûte trop cher et je commence à croire qu’on ne viendra à bout des Boches que par leur épuisement. Mais, même si on prend l’offensive et s’il est vrai que les 75 vont en général plus en avant que les 95, ils peuvent aussi mieux se défendre à cause de la rapidité de leur tir et par conséquent ne risquent guère plus. (26/01/1916 - Lui)

 

Inutile de te dire que tout le monde dans la batterie est content de changer nos vieux canons. J’en suis personnellement d’autant plus heureux que j’ai eu hier un accident idiot. Un de mes hommes est tombé d’un caisson et sa tête qui a calé la roue a été très sérieusement endommagée. On croit qu’il y a une fracture du crâne et qu’il n’en reviendra pas. Ce sont des accidents bien malheureux car, si contre les obus on ne peut rien, on se dit toujours qu’on aurait pu éviter un malheur pareil. (05/02/1916 - Lui)

 

J’ai reçu avec joie les photos que tu m’as envoyées. De ton abri démoli, j’en ai conclu en effet qu’il n’était pas « très très solide » comme tu veux bien m’en convaincre ou que l’obus était très fort. Enfin c’est la guerre et, quoique tu ne m’en dises jamais rien, je pense bien que Messieurs les boches vous envoient de temps en temps un peu de ferraille. (25/07/1916 - Elle)

 



L’importance des décorations

Je n’ai pas besoin de te dire mon bonheur quand j’ai appris qu’un beau ruban rouge gagné sur le champ de bataille ornait ta boutonnière : son rouge sera bien plus beau et plus brillant que celui des rubans anticléricaux ou autres de même agence. (29/01/1915 - Maurice Boucher à Lui)

 

Pour bien prouver à tout le monde et à vous-mêmes, si vous en doutez encore, que rien absolument dans la note en question ne vous atteint, choisissez ceux de vos subordonnés qui se sont signalés par quelqu’acte de courage pendant ces malheureuses journées, et demandez pour eux la croix, la médaille ou une citation, selon le cas. J’espère en obtenir assez pour vous rassurer complètement. (08/02/1915 - Commandant Machart à Lui)

 

C’est avec un très grand plaisir que je puis maintenant vous annoncer mon prochain départ des Hôpitaux de Bordeaux, mais ce qui me chagrine par dessus tout c’est de ne pouvoir aller avec vous et tous mes camarades continuer la chasse aux bandits qui ont assailli notre patrie... J’ai eu hier une grande joie, on m’a télégraphié que mon nom avait paru dans les journaux comme décoré de la médaille militaire. Pensez ma joie, mon Capitaine, en apprenant cette nouvelle et toute ma gratitude vous est acquise d’avoir bien voulu me proposer pour cette distinction. (20/02/1915 - Lucien Aligne à Lui)

 

Mais je te fais des discours bien peu palpitants et voilà que je ne t’ai pas dit avec quelle émotion j’ai reçu ta lettre où tu me racontais la remise de ta croix par le Président. Tu devines, mon aimé, quelle douce fierté j’ai éprouvée, quelle joie au cœur j’ai ressentie, et que de larmes j’ai versées en te lisant ; combien j’aurais voulu être avec toi pour jouir de ton triomphe. (05/05/1915 - Elle)

 

 

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 Le Commandant Giraud remet la croix de guerre à Georges Cuny au chemin creux de Vauxbuisson (1915)

 



Sa femme voudrait qu’il passe commandant

Tu sais que je serais très fière quand tu reviendras en permission de me promener au bras d’un beau commandant. Tu vois, j’aime la gloire et le panache. Pour peu que la guerre dure encore un an ou deux, tu nous reviendras colonel, ce sera épatant. Mais au fond, je donnerais beaucoup pour que tout cela finisse et que je puisse serrer dans mes bras le simple capitaine que j’aime. (02/10/1915 - Elle)

 

Maintenant je vais te gronder... Tu n’as, pour refuser la promotion au grade de commandant, que des raisons qui n’en sont pas. Premièrement, ne pas quitter ta batterie. Crois-tu que tes soldats et sous-officiers t’en auront tant de gré et te le revaudront en dévouement ? Cela ne m’étonne pas qu’ils tiennent à toi, car ils retrouveraient difficilement un chic type comme toi qui s’oublie pour penser aux autres. Deuxièmement, un de tes camarades de l’active ne serait pas satisfait que tu sois nommé avant lui. Mais sans doute, mon chéri, tes chefs te jugent supérieur à lui puisqu’ils te désignent, cela prouve tout simplement qu’on juge bien le mérite et tu as montré évidemment plus de justesse, plus d’habileté dans le tir que lui. Si tu en es là, égalité partout, on devrait nommer tout le monde à un âge donné et ne pas s’inquiéter des capacités et de l’intelligence. Cela ne m’étonne plus qu’on te trouve têtu, je ne te connaissais pas ce petit défaut. Mais tu sais, je t’aime quand même de tout mon cœur. Je verrais surtout un avantage si tu étais nommé, c’est que tu serais peut-être moins exposé, c’est à cela que je tiens. (08/10/1915 - Elle)

 

Tu me dis que ton commandant est parti, j’espère qu’on va te donner son poste. Tu vas dire que ta Mie est une petite orgueilleuse et qu’elle est atteinte elle aussi de la maladie de l’avancite. C’est vrai, je trouve que maintenant on voit des petits capitaines de 25, 28 ans, alors ce n’est plus honorable de l’être à 43. Le grade de chef d’escadron te conviendra bien mieux, et j’espère que cette fois si on te le propose tu ne refuseras plus. (01/09/1916 - Elle)

 

Pour te faire plaisir je me suis laissé proposer pour le grade de chef d’escadron, mais tu sais je n’ai aucun espoir que cela réussisse. Tu comprends bien qu’on préfère nommer des capitaines de l’active et il faut reconnaître que ceux qui ont été à Verdun et dans la Somme méritent plus que moi d’être nommés. Enfin nous verrons bien mais je crois que la guerre sera finie avant que je sois promu et je suis sûr que ma petite femme s’en consolera facilement pourvu que je revienne bientôt. (07/03/1917 - Lui)

 

Je t’écris vite un mot pour te dire que je suis nommé commandant. Je m’y attendais bien un peu. Je t’ai dit que le général de la division m’avait dit qu’il me proposait avec les notes les plus élogieuses. Le Ct de l’Artillerie du Corps d’Armée m’avait dit aussi récemment qu’il m’avait proposé le 1er du Corps d’Armée. Enfin tu vois cela n’a pas traîné. Je suis content puisque tu semblais le désirer, mais je serais encore plus content si je pouvais rester avec mes camarades. (10/05/1917 - Lui)

 

Bonne nouvelle, je suis encore muté de nouveau et reviens à mon ancien groupe, où je retrouverai mon ancienne batterie et mes anciens camarades. Le commandant Bickart quitte en effet le groupe et le colonel m’a réclamé. Mais je crois que je serai obligé d’attendre mon remplaçant, qui est d’ailleurs dès maintenant désigné et qui va rejoindre d’ici quelques jours... Je n’ai pas besoin de te dire que je suis enchanté de cette nouvelle solution, qui me permet d’espérer une permission assez prochaine. Songe que le corps auquel j’appartenais était au repos depuis mars dernier et n’avait pris le secteur qu’il y a une huitaine de jours. Comme c’est aussi un secteur d’attaque et qu’il va peut-être y rester deux ou trois mois, j’aurais dû patienter jusque là et c’eût été bien dur de ne pas revoir ma Mie. Toutefois je commençais à me plaire ici. Les officiers, bien qu’en majorité n’ayant pas la valeur intellectuelle de ceux de mon ancien groupe, avaient une bonne volonté évidente, écoutaient avec soin ce que je leur disais et je crois que nous nous serions fort bien entendus. Mais enfin j’aime mieux cette solution... Mon ordonnance aussi va être content de retrouver ses camarades qui étaient de son pays. Il m’avait suivi avec bonne humeur, mais je crois qu’au fond il eût préféré rester à l’ancien groupe. (03/06/1917 - Lui)

 

Me voici arrivé ici et bien content comme tu penses, car d’abord j’ai retrouvé des camarades enchantés et puis il est sûr maintenant que nous allons au repos d’ici une huitaine de sorte que je vois enfin luire le phare qui éclaire ma permission. Ouf, j’avais commencé une phrase bêtement et je la finis par quelque chose d’incompréhensible mais cela ne fait rien, je suis au comble de la joie de retrouver enfin ma petite Mie dont je suis si en mal. Lorsqu’il n’y a plus que quelques semaines à patienter on est beaucoup plus raisonnable. (04/06/1917 - Lui)

 



Elle voudrait également qu’il quitte le front pour une affectation à l’arrière

Lui ne veut pas quitter le front et il refuse toutes les propositions : une poudrerie, un poste dans un état-major américain, ...

Tu remercieras Paul Laroche-Joubert de son offre que je ne puis accepter, car je ne connais absolument rien à la fabrication des poudres et ne rendrais aucun service, je ne serais qu’un simple embusqué. Je suis sûr d’ailleurs que tu es de mon avis, vois-tu ma Mi il faut faire les choses loyalement et faire son devoir. (14/11/1915 - Lui)

 

Si seulement, tu m’avais écoutée et avais accepté d’aller dans une poudrerie, je ne serais pas toujours dans l’angoisse et la crainte à ton sujet. As-tu au moins des abris un peu solides et capables de résister à un bombardement. Si les Allemands lâchent Verdun, ils vont essayer de taper ailleurs et ce sera peut-être sur vous. (03/03/1916 - Elle)

 

Paul Laroche-Joubert est bien gentil de penser à moi mais j’estime que je ne peux pas encore lâcher le front. Je ne dis pas que, si la guerre doit s’éterniser, je ne tâcherai pas moi aussi (chacun son tour) d’aller passer quelques mois à l’arrière. Mais ce sera en tout cas provisoire et pour cette année et l’année prochaine il n’y faut pas songer. J’espère toujours d’ailleurs que tout sera fini pour l’hiver prochain, mais il faut que chacun se donne du mal et peut-être encore plus à l’arrière que sur le front. (19/11/1916 - Lui)

 

Je te renvoie la lettre de Camille Biesse. Je ne savais pas qu’il eût été de nouveau décoré de la croix de guerre. Tu es la toute bonne de lui avoir demandé de penser à moi s’il entendait parler d’une place dans un état-major pour un commandant d’artillerie, car tu voudrais bien ne plus me sentir si souvent au danger. Mais je lis sa réponse et je ne voudrais pas aller dans une division américaine ou dans un état-major américain. D’ailleurs je ne le pourrais pas, ne parlant pas suffisamment bien l’anglais. (24/05/1918 - Lui)

 

Ne crois pas que cela soit si facile que cela pour un chef d’escadron d’entrer dans un état-major. Je ne crois pas qu’il y ait dans les états-majors des chefs d’escadron de la réserve parce que le chef d’escadron est déjà un chef de bureau. Il faut qu’il soit au courant du service d’état-major. Nous n’avons pas le droit de demander une mutation sauf en cas de maladie. C’est ce qu’ont fait le Ct Bickart et Bareille, mais il faut passer devant une commission de médecins et décemment moi qui vais très bien je ne peux cependant pas dire que je suis malade. Et puis tu te doutes bien que le chef d’escadron est toujours moins fatigué que les autres officiers. Nous avons fait dernièrement de rudes étapes mais au moins en arrivant à l’étape je trouvais une bonne chambre, toujours la meilleure, et je n’avais rien à faire. Les autres officiers sont logés plus ou mois bien et ont à faire dans l’après-midi dans les batteries. Enfin je voudrais que tu te rendes compte qu’au point de vue danger je ne suis guère exposé, n’étant jamais aux batteries. Evidemment il y a le coup de hasard, mais jusqu’à présent le hasard m’a toujours favorisé. (05/06/1918 - Lui)

 

 

Autres

L’arbre de Cuny

J’ai fait installer presque au sommet d’un arbre sur la crête un petit banc d’où je puis apercevoir de temps à autre des fumées de canon allemand. J’y passe une ou deux heures tous les jours en lisant mon journal ou une revue. J’y monte facilement car j’ai fait planter des crampons chaque cinquante centimètres... Ce qu’il y a d’amusant, c’est que, lorsque je quitte le bureau et que j’oublie de dire où je vais, le téléphoniste me dit souvent : « Mon Capitaine, vous allez sur votre arbre ». Je crains bien que l’arbre en question ne devienne légendaire. (13/10/1915 - Lui)

 

Tu te rappelles que, lorsque nous étions aux environs de Soissons l’an dernier, j’avais fait construire un observatoire dans un arbre très élevé. Figure-toi qu’on l’appelle l’arbre de Cuny. Tu vois comme l’origine des lieux-dits est quelquefois bizarre. Voilà peut-être mon nom qui va passer à la postérité. (07/11/1916 - Lui)

 

Ses passages à Paris

Je t’ai dit que j’avais passé la soirée de dimanche à l’Opéra Comique. Je n’ai rencontré personne que quatre de mes camarades du cours de tir, qui avaient eu la même idée que moi. Inutile de te dire que cette soirée m’a fait grand plaisir. On jouait Manon et tous les artistes étaient excellents. Je n’ai regretté qu’une chose c’est que tu ne sois pas avec moi surtout lorsque je me suis retrouvé dans mon dodo de l’hôtel de l’Opéra. (14/12/1915 - Lui)

 

 

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 Georges Cuny Janvier 1916

 

 

Je suis retourné à Paris passer l’après-midi. J’avais vu sur les journaux du matin qu’on jouait Louise en matinée. Tu peux penser que je n’avais garde de manquer pareille aubaine. Je suis donc allé entendre Louise. Je n’ai pas besoin de te dire combien j’ai été enthousiasmé, moi qui n’avais pas entendu de bon orchestre depuis quatre ans j’ai été ravi. Tous les chanteurs et chanteuses étaient d’ailleurs parfaits, de sorte que c’était délicieux. (20/04/1918 - Lui)

 

 

Sa famille à l’arrière

Les femmes se sont regroupées à Docelles, à 15 kms d’Epinal dans les Vosges. La mère, Célina Boucher, 54 ans, veuve, accueille chez elle sa fille, Marie Cuny, dite Mimi, 30 ans, ainsi que sa belle-fille, Thérèse Boucher, 27 ans, et leurs enfants. Ces dames ont l’intention de rester ensemble pour toute la durée de la guerre et ainsi pouvoir se réconforter mutuellement. Et Célina décide de redémarrer la Papeterie...

L’action se passe à Docelles dans les Vosges la plupart du temps, un long séjour à Arcachon, plusieurs escapades à Paris, des déplacements en automobile (dont la Zèbre), des contrôles de police, des demandes de sauf-conduit et de laissez-passer, des permis de circuler, des voyages en train interminables, parfois des questions liées aux événements comme « Faut-il se sauver ? », et puis, les réquisitions, le rationnement, les préoccupations de santé et les maladies enfantines, les cartes et la cagnotte de bridge, la météo, les cultures, les pratiques religieuses et continuellement… l’attente du retour de l’absent.

 

Les domestiques sont là également. Les bonnes : Pauline, Sébastienne, dite Tété, Marie Ehling, Elise, Catherine, certaines sont alsaciennes et c’est un peu difficile à vivre en temps de guerre franco-allemande. Mais aussi le jardinier Isidore, dit Sidore, ou Désiré, le chauffeur de Paul…

 

Les Vosges et la Lorraine dans la bataille : Docelles, Cornimont, Nancy…, les bombardements, …

 

Et il y a la Papeterie... et Célina Boucher :

 

    • Elle est la maîtresse de maison, une maison pleine avec sa fille et sa belle-fille et leurs jeunes enfants, et elle leur assure un quotidien confortable et apaisé. Elle est la mère éplorée d’un fils considéré comme disparu puis prisonnier en Allemagne qu’elle essaie vers la fin de la guerre de faire interner en Suisse. Elle mène des travaux de culture et encourage ses ouvriers à en faire autant. Elle loge des officiers chez elle et elle héberge des troupes dans son usine.

 

    • Elle est surtout, pendant cette période de la Grande Guerre, chef d’entreprise. A 54 ans, elle devient industrielle. C’est elle qui redémarre la papeterie pour apporter du travail aux Docellois et Docelloises restés sur place et c’est elle qui la portera à bout de bras pendant 4 ans. Elle se démène pour décrocher des marchés ; elle se démène pour trouver des matières premières (charbon et pâte à papier) dans la France entière, du Havre à Bordeaux, et même en Suisse, malgré les difficultés de transport en ces temps de guerre ; elle se démène auprès des autorités militaires pour demander des sursis pour ses employés et récupérer du personnel indispensable au bon fonctionnement de l’usine. Et pourtant… son nom n’est pas évoqué dans la liste des dirigeants de cette papeterie, pour cette période de 1914-1918, il n’y a que le nom de son fils pourtant prisonnier en Allemagne pendant ces mêmes 4 ans… 

 

 

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Robert, Noëlle et André Cuny (Docelles 1915)

 

 

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Mimi Cuny tenant Louis Boucher dans ses bras, Noëlle, Robert et André (Docelles 1915)

 

 

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1915 - 1ère permission de Georges Cuny à Docelles - André, Georges, Noëlle, Mimi et Robert

 

 

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Docelles 1917 – Une permission de Maurice Boucher - Robert Cuny, Thérèse Boucher, Maurice Boucher, Françoise Boucher, Louis Boucher, Célina Boucher, Mimi Cuny, André Cuny et Noëlle Cuny

 

 

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La maison à Docelles côté rue

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La maison à Docelles côté jardin

 

 

Le couple

La proximité des 2 époux, ils sont amoureux, ils l’écrivent. Lui a 40 ans, elle en a 30. Ils sont mariés depuis 1906 et ont 3 jeunes enfants... L’attente du courrier, des permissions, ils parlent également des finances du ménage : les placements, les emprunts d’Etat, les bons de la Défense nationale, les emprunts russes, les premières déclarations d’impôt sur le revenu… 

Je suis en mal de toi, de tes baisers mon Geogi aimé et je voudrais que ce Guillaume soit exterminé pour que vous puissiez tous rentrer bien vite. (16/10/1914 - Elle)

 

Dans tes petites photos, j’ai été bien contente de te voir quoique d’un peu loin. Tu as décidément un peu maigri, mais la silhouette y gagne et j’ai admiré mon Geogi chéri. (24/05/1915 - Elle)

 

Moi qui peux être si fière de mon chéri qui me témoigne tant d’amour, je devrais remercier le ciel de me l’avoir conservé jusqu’alors et, au lieu de me déclarer satisfaite, je veux toujours mieux et demande qu’il me soit rendu bien vite, bien vite pour pouvoir de nouveau mettre ma tête sur son épaule et me serrer fort contre lui. Tu vois, Geogi, c’est de t’écrire de mon lit qui me donne ces idées, nous serions si bien ainsi l’un près de l’autre et je voudrais tant embrasser le petit coin que j’aime. J’y pense souvent, tu sais, je ne devrais pas te le dire, ce n’est pas raisonnable, j’aurais dû te laisser croire que j’étais devenue une femme très sérieuse, non plus une petite follette si amoureuse de son mari - après 9 ans de mariage !! nous pouvons dire 8 seulement car voilà bientôt une année d’absence qui ne compte donc pas. (05/06/1915 - Elle)

 

En tout cas, ma Mi, ne parle pas de longues années et ne dis pas que cela va encore durer trois ans. Sois tranquille, tu n’auras pas de cheveux blancs quand je reviendrai. Mais aurais-tu blanchi et les rides auraient-elles apparu sur ton joli front que je t’aimerai toujours, tu le sais bien et que tu seras toujours ma Mimi. (27/09/1915 - Lui)

 

Tu me dis avoir eu froid dans ton lit. Que n’as-tu avec toi ta pauvre petite femme seule aussi de son côté, il ferait si bon ensemble. A défaut de ta femme pour te réchauffer, prends au moins tes deux bonnes couvertures pour les mettre sur toi. (08/10/1915 - Elle)

 

Je ne veux donc pas que tes jolis yeux adorés pleurent des larmes inutiles. Je veux les voir avec leur gaîté, avec leur douceur et l’expression de joie que tu sais leur donner lorsque je te dis que je t’aime et lorsque nous nous serrons l’un contre l’autre en nous disant de douces paroles d’amour. Je t’aime ma Mi à la folie tu le sais bien. (21/10/1915 - Lui)

 

Je suis content d’apprendre que tu fais toujours beaucoup d’auto. J’aurais voulu être à la place du fonctionnaire en question qui t’a admirée faisant tes virages superbes dans les allées d’Epinal. Mais j’aimerais encore mieux être à la place du bon rayon de soleil dont tu parles, qui pénétrait par la fenêtre ouverte et qui allait jusqu’à toi. Un rayon de soleil, cela pénètre partout. Je voudrais être le rayon de soleil. Tu vois que ton Geogi est toujours aussi fou, aussi fou de toi s’entend. (27/10/1915 - Lui)

 

Monsieur Geogi chéri, vous n’avez pas du tout à envier le rayon de soleil qui vient me rendre visite. D’abord il est très discret en cette saison, de plus, quand j’ai la fenêtre ouverte, je m’affuble d’un chandail blanc très épais qui ne laisse passer aucun souffle ou coup d’œil étranger, enfin il n’est pas bon puisque nous sommes si loin l’un de l’autre que nous pensions aux tendresses que nous pourrions nous dire, ni aux caresses que je pourrais te donner. Sur ce, je t’embrasse en petite femme bien sage qui aurait pourtant grande envie de ne pas l’être tant. Je te donne mon cœur. Ta Mi. (31/10/1915 - Elle)

 

Malgré tout ce que tu dis, j’envie le rayon de soleil et je te serre de toutes mes forces comme je t’aime. (06/11/1915 - Lui)

 

Plus que huit jours et tu arriveras. Enfin je pourrai t’embrasser autrement que sur le papier ou à travers 400 kilomètres. Les baisers ne valent rien du tout après avoir fait tant de chemin. Qu’en dis-tu, mon chéri ? Tu vois que ta femme continue à être follette. Quoique le poids des ans commence à se faire sentir, elle veut redevenir jeune et belle pour plaire à son Geogi aimé… Tu vois que nous sommes aussi fous l’un que l’autre. J’ai déjà choisi une chambre où nous aurons un fourneau sous notre direction pour donner la température que nous voulons, sans attendre que tu me donnes cette bonne idée. (27/12/1915 - Elle)

 

En relisant ta lettre, je vois les lignes relatives à mon peintre comme tu l’appelles, serais-tu jaloux par hasard ? Tu sais bien pourtant que tu n’as aucune raison de l’être, que tu es le mari adoré de ta femme et que jamais personne pourrait prendre la moindre place dans mon cœur qui t’appartient tout entier. (03/02/1916 - Elle)

 

Te doutes-tu que ta femme va avoir 32 ans dans trois jours. Je m’imagine avoir encore 22 comme au moment de notre mariage. Ces dix ans passés, tu me les as faits si heureux que je n’aurais pas dû vieillir. Baucis nous a donné l’exemple qu’il ne faut pas chercher à se rajeunir, donc gardons l’amour de notre mari cher en attendant les cheveux blancs. Nous n’en avons encore ni l’un ni l’autre, seul j’ai découvert chez toi un petit poil de moustache qui faisait mine de pâlir, retrousse-le en pensant à moi pour lui garder un air conquérant. (16/02/1916 - Elle)

 

Il est deux heures 1/2 Monsieur Dédé est en train de pleurer, de grogner parce que je veux qu’il apprenne un chapitre de catéchisme pour bien le savoir jeudi. Naturellement, il trouve cela insupportable, assommant, etc. Il y a neuf ans, te rappelles-tu, chéri, il criait aussi, mais pour une toute autre cause. Il souffrait d’être arraché du sein de sa pauvre mère, le premier contact de l’air, son premier bain lui coûtaient des pleurs. Hier soir et cette nuit, ma pensée s’est reportée plusieurs fois vers ce mois de juin 1907 et cette nuit où mon pauvre Gi me lisait des comédies pour que je ne sente pas tant les douleurs et tu souffrais autant que moi, moralement, ne pouvant m’aider physiquement. (12/06/1916 - Elle)

 

Mais dis donc, ma petite Mie, il y a pas mal de gens qui t’admirent depuis le début de la guerre... Mais, en même temps, s’ils ont un peu de cœur, ils doivent bien me plaindre d’être séparé de toi et de ne pouvoir embrasser et caresser follement tout ton petit corps chéri que j’aime tant. Tu sais combien j’adore te sentir tout près de moi et combien j’aime à m’égarer dans tous ces petits endroits si chers où tu laisses si gentiment, Mi, mon amour s’apaiser et s’assouvir mes plus chers désirs. Ah ma petite maîtresse adorable, prépare-toi pour une prochaine arrivée, trop lointaine hélas ! que nous ne perdions pas une minute, ferme bien les portes et qu’aussitôt......., tu sais ce que cela veut dire puisque toi-même traduis ainsi ces moments délicieux où, quant à moi, je crois être au paradis. Je t’adore, ma petite mie. (13/06/1916 - Lui)

 

Il eût fait si bon rentrer le soir dans notre petite chambrette. Il eût fait si bon la prendre sur mes genoux, ma petite mie, la dépouiller de tous les voiles qui cachent les chers petits trésors que j’aime tant, puis dans notre lit ma Mi tu m’aurais donné tout toi, et ton Geogi eût été au comble du bonheur. Que veux-tu, il faut y renoncer et prendre courage, mais une aussi longue attente est bien dure. (30/06/1916 - Lui)

 

Ah oui ma petite mie j’aime cent fois mieux dégrafer ton corsage que de l’agrafer, mais ce n’est pas précisément parce que cela va plus vite, c’est qu’après l’avoir dégrafé on voit de bien jolies choses. Si je ne craignais que ma lettre ne fût ouverte, je te dirais que je crois en ce moment t’avoir sur mes genoux, que je dégrafe ton corsage et que j’embrasse les petits boutons de rose qui s’épanouissent gracieusement au sommet de tes seins chéris. Je te dirais qu’après avoir dégrafé le corsage, je dégrafe tout le reste et que, mais encore une fois on ouvrira peut-être ma lettre. (02/07/1916 - Lui)

 

Ah ma Mi, je préfère de beaucoup les jeunes filles comme tu l’étais et la jeune fille elle-même n’est-elle pas plus heureuse que ce soit son mari qui tout doucement la mette au courant des plaisirs de l’amour. Pour le mari c’est si bon de sentir une petite femme un peu émue (te rappelles-tu le soir de notre mariage), mais qui se donne tout entière à son mari et qui se donne toute neuve aussi bien d’esprit que de corps. (06/07/1916 - Lui)

 

T’imagines-tu que nous sommes des vieux mariés de dix ans. Dans d’autres ménages on commence à faire chambre à part, nous ne paraissons pas prêts à le faire. Il est vrai que la guerre nous y oblige puisqu’on ne nous donne que 18 jours et 18 nuits à passer ensemble par an, c’est vraiment peu large. On voit que nos généraux ont tous soixante ans passés et que l’amour n’a plus pour eux tant de charmes, sans cela ils auraient été moins raides. Enfin, tu peux t’imaginer que tu es chartreux et comme tel au contraire remercier Dieu de te faire vivre loin de cet être de perdition qu’est la femme. Mon pauvre Gi, pardonne-moi, j’aime dire des bêtises par moments, cela me rajeunit et je crois t’entendre me dire « quelle enfant ». (15/07/1916 - Elle)

 

Je n’ai pas besoin de lui dire à ma petite mie qu’au lieu de regarder à la lorgnette les Boches, d’ailleurs très rares, qui sont dans nos environs, j’aimerais mille fois mieux contempler ma petite femme même sur sa chaise longue (j’aimerais surtout la contempler et l’admirer autrement, ma petite mie devine bien comment). Enfin je ne suis pas prêt du tout à faire chambre à part, je ne suis pas un vieux marié et j’aime aussi follement et peut-être encore plus qu’en 1906 tous les chers trésors de son petit corps, dont la seule pensée trouble mon cœur et me rappelle de si doux souvenirs. (18/07/1916 - Lui)

 

Quand tu reparles du jour de notre mariage et de ta naïve petite femme, mon Geogi, c’est vrai que j’étais bien loin d’être aussi savante que toutes les jeunes filles de maintenant, toutes nos cousines élevées à l’américaine. Mais je trouve que cette ancienne méthode avait du bon et je tâcherai de la suivre pour notre fille, si Dieu me prête vie, car il me semble qu’un mari doit être, comme tu le dis, bien plus heureux de trouver dans sa femme une petite âme toute neuve, qui ne sait rien des réalités de la vie et du mariage. Ils ont eu assez dans leur vie de jeune homme des femmes qui pouvaient se faire leurs éducatrices sans encore en retrouver une dans leur vraie femme. Je crois que tous les hommes un peu sérieux sont de notre avis. Mais j’ai entendu des mères de famille soutenir que c’est un danger de ne rien apprendre à ses filles. Evidemment si on tombe sur un rustre ou un anormal cela doit être fâcheux, mais il faut toujours espérer avoir un bon mari… Mon chéri, quand redeviendras-tu mon vrai mari et non pas seulement un d’occasion quelques jours par an. (09/08/1916 - Elle)

 

Je serai ravi naturellement que tu viennes me chercher en auto à la gare d’Epinal. Je suis si impatient de te revoir qu’une heure gagnée n’est pas à dédaigner. Seulement je me demande si c’est bien prudent. Moi je n’ai pas du tout l’envie d’être correct. Je ne prends pour venir aucune résolution de sagesse ni de correction au contraire et, comme au fond tu m’as l’air d’avoir heureusement les mêmes idées, je redoute un accident comme celui dont nous avons failli être victimes à Grosse-Pierre autrefois. Mais non ma Mie, viens me chercher en auto, nous serons incorrects et prudents à la fois. (02/09/1916 - Lui)

 

J’ai toujours c’est vrai mes petites idées follettes, mais que veux-tu Mimi c’est que je t’aime bien et que tu es, tu le sais bien, la seule femme qui me les donne. (04/09/1916 - Lui)

 

Mais ma petite Mie, tu dis : « M’oublies-tu ». Tu sais bien que non et c’est dans un petit moment de découragement que tu dis cela, puisque tu sais bien que je ne vis que pour toi. Ne sais-tu pas bien que je t’aime à la folie et que je soupire après tout toi dont je raffole. Mais si, Mimi, tu le sais bien et tu te doutes de la peine que j’éprouve à être privé de tes yeux, de ta bouche, de tout ton corps chéri. Tu sais bien que je maudis la guerre autant que toi et que je prie Dieu chaque jour qu’elle se termine bien vite. (03/11/1916 - Lui)

 

Merci pour tes bons souhaits à l’occasion de mes quarante-trois ans. Je suis certainement de l’autre côté de la route, mais enfin j’ai une excellente santé et je pense bien vivre avec toi ma Mi jusqu’à quatre-vingts ans. (27/11/1916 - Lui)

 

Tu ne peux t’imaginer comme les jours me semblent longs et vides depuis ton dernier départ. J’ai été à nouveau si heureuse pendant tes sept jours de présence, en entendant ta chère voix, en voyant tes yeux si aimants se poser sur moi, en me sentant protégée par ton amour si tendre, et maintenant il me semble que tout me manque. Tu vois, c’est mauvais d’être gâtée comme je le suis par toi, on s’habitue au bonheur, à la joie de vivre et lorsqu’on se retrouve seule, on est toute désorientée, on n’a plus son mari si brave et courageux pour vous suggestionner et vous prêcher la patience. (07/02/1917 - Elle)

 

Je reçois ta bonne lettre si tendre du 25. Oui ce jour-là je me suis rappelé le jour béni de notre mariage. Tu te rappelles que le soir j’étais bien ému aussi. Quand je vais revenir en permission, je me réjouis de revoir toutes les beautés dont tu parles et dont je suis si en mal. (29/04/1917 - Lui)

 

 

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A Cheniménil - Juin 1917 La famille Cuny pendant une permission de Georges Cuny

André, Georges, Mimi, Robert, Noëlle et Célina B.

 

 

La Moustache

Tu ne sais pas ce que j’ai trouvé ces soirs-ci en regardant ta photographie avant de m’endormir. Ce qui te donne l’air triste sur les photos depuis que tu es parti, c’est la forme de ta moustache qui est changée, elle fait comme ceci ^, cache ta jolie bouche que j’aime tant et te donne l’air désabusé et triste. Quand on veut avoir l’air gai, il faut avoir les coins de la bouche relevés. Regarde-toi dans une glace (j’espère que tu en trouveras une à la ferme) et tu verras que j’ai raison. Aussi je voudrais, la prochaine fois que tu te feras raser, que tu donnes l’ordre de couper la moustache de chaque côté de la bouche, qu’elle ne descende plus et reste seulement au-dessus de la lèvre supérieure. Mon pauvre chéri, je t’ennuie n’est-ce pas avec tous mes conseils. Tu sais, ne les suis pas si cela t’agace, d’ailleurs de loin, je puis me tromper. (15/05/1915 - Elle)

 

Au fait et la moustache ? Penses-tu à moi en la retroussant d’un petit air vainqueur ? (17/01/1916 - Elle)

 

Mon chéri, je voudrais bien encore être avec toi, jouer à la gamine en te frisant ta moustache. Prend-elle un bon pli maintenant, n’aurai-je plus besoin de la remonter quand tu reviendras ? En attendant je l’embrasse bien fort et la jolie bouche qu’elle cache et tout mon Geogi que j’aime tant. (06/02/1916 - Elle)

 

Au fait, et notre moustache, comment va-t-elle, tourne-t-elle à mon gré ? De penser à ta moustache et surtout à la gentille petite bouche qu’elle ombrage me donne bien envie de t’embrasser mon chéri et de recevoir de toi les délicieux baisers que j’aime tant. Mari chéri, quand nous retrouverons-nous pour nous aimer comme par le passé ? (27/02/1916 - Elle)

 

 

L’Elégance

Lui ne fait pas assez attention à son apparence extérieure. Il dit souvent : « C’est moralement que j’ai mes élégances ».

J’ai été ravie de recevoir les deux photos ce matin, tu m’as semblé en parfait état de santé et j’ai cru constater que mon mari cher a gardé en guerre ses mauvaises habitudes du temps de paix : de ne pas mettre de manchettes. Son sous-lieutenant est bien plus fringant avec des manchettes et des gants. (06/09/1914 - Elle)

 

Je viens de recevoir ta photographie. Je voudrais bien, si tu vas parfois à Villers-Cotterêts, que tu te rachètes des molletières un peu mieux que celles que tu as qui sont trop courtes et déjà bien vieilles. Et tu pourrais aussi faire rétrécir les jambes de ton pantalon qui ont l’air bien trop larges. Tu vas te dire, ma petite femme ne semble pas se douter que nous sommes en guerre et que l’heure de l’élégance n’est pas sonnée. Mais je sais aussi que mon mari chéri s’occupe aussi peu que possible de sa toilette et qu’en ce moment où il n’a personne pour le lui dire, il doit forcément se laisser aller à son péché mignon qu’est le je m’en fichisme pour la tenue. (13/05/1915 - Elle)

 

Heureusement que nous savons, puisqu’il nous l’a si souvent répété, que c’est moralement qu’il a ses élégances. (22/09/1915 - Elle)

 

Quand tes bottes ou plutôt tes molletières seront usées, il ne faudra plus en racheter de cette forme qui n’est pas élégante, mais prendre des leggins, c’est bien mieux. (03/04/1916 - Elle)

 

Mon petit Geogi, si je n’avais pas peur que tu ne m’envoies plus de photos, je te gronderais de ta tenue. Tu vois, ton camarade Déon le dit aussi, on te reconnaît rien qu’à ton ceinturon qui pend. On n’a pas idée aussi, une ceinture pour une femme comme pour un homme doit tenir à la taille. Tu peux bien percer d’autres trous et le serrer pour que ton revolver ou ta jumelle ne le fasse pas pendre lamentablement. Je te renvoie ta photo pour que tu en juges. Je t’en prie mon chéri, fais cela pour moi, deviens un peu plus coquet. C’est bien une femme de l’arrière qui parle, n’est-ce pas. Au front on ne pense guère à cela. Mais tout de même Geogi, je ne veux pas que tous tes camarades disent de toi que tu as l’air d’un mendiant, que tu n’as pas de soin. Allons, un bon mouvement, fais ajuster tes bretelles en cuir et ton ceinturon bien exactement et tu auras déjà meilleure mine. (19/06/1916 - Elle)

 

 

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Avril 1916 – Dans la tranchée je règle un tir – 1) moi il paraît qu’on me reconnait – Photo de Déon

 

 

J’ai reçu ta photo devant la porte de ton gourbi et en suis ravie car je t’y retrouve si bien dans une de tes poses les plus familières : prêt à allumer ta cigarette. C’est bien mon Gi chéri que j’aime. Les poches de sa veste sont bien un peu gonflées, la veste pas très tirée en arrière, mais c’est bien mon Geogi que je me réjouis tant de revoir et d’embrasser de toutes mes forces. (08/08/1916 - Elle)

 

 

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Georges Cuny Juillet 1916

 

 

Pendant que vous n’êtes pas encore engagés, tu devrais bien en profiter pour faire rétrécir par le cordonnier de ton groupe tes houseaux qui sont bien trop larges. Cela te rend vraiment pas élégant ces espèces de tuyaux de fourneau que tu as aux jambes. Tu as maigri et ils ne vont plus, il faut refaire une couture plus large par derrière et enlever un centimètre au moins de chaque côté. (27/04/1918 - Elle)

 

 

Le Courrier

L’importance du courrier tant au front qu’à l’arrière, l’envoi de colis aux combattants…  

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La première lettre : 4 août 1914

 

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La dernière lettre : 29 juin 1918

 

 

 

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Une carte de correspondance militaire (31/08/1914)

 

 

La poste semble accélérer ses distributions, puisque je reçois aujourd’hui ta lettre du 18 en réponse à une du 15 mai : 6 jours, ce n’est plus rien à côté du laps de temps énorme que mettait notre correspondance lorsque tu étais à Besançon. (21/05/1915 - Elle)

 

J’ai reçu par le même courrier deux lettres de toi qui ont été naturellement les très bienvenues. Quoique les communiqués soient muets en ce qui vous concerne, dès qu’on n’a plus de nouvelles on se demande ce qui s’est passé. (04/06/1915 - Elle)

 

Je t’envoie aujourd’hui un colis postal composé de linge. J’y joins quelques citrons pour te faire de la citronnade si la chaleur revient, il me semble que tu aimais bien. (01/07/1915 - Elle)

 

Les correspondances fermées subissaient un tel retard cette semaine que j’ai préféré t’envoyer des cartes pour que tu ne sois pas privé de nouvelles, mais comme le service semble se réorganiser d’une façon plus rapide puisque j’ai eu hier ta lettre du 27, je t’écris aujourd’hui un peu plus longuement. (02/10/1915 - Elle)

 

Je reçois tes deux bonnes lettres du 23 et du 24 et je constate avec plaisir que ma Mi m’écrit presque tous les jours. Seulement je reçois toujours deux lettres à la fois. J’aimerais mieux que la poste fût plus régulière. (28/01/1916 - Lui)

 

J’attends impatiemment de tes nouvelles, hier le courrier ne m’a rien apporté et je suis si habituée chaque deux jours à recevoir un mot tendre de mon mari adoré que cela me manque beaucoup. (22/04/1916 - Elle)

 

Je suis très étonnée que tu passes deux jours sans recevoir de lettres de moi, car je t’écris très régulièrement chaque jour, il y aura eu sans doute une lettre égarée. Comme je n’ai jamais rien d’important à te dire, il n’y a pas grand dommage, mais néanmoins cela t’a causé une petite déception à l’heure du courrier. (20/06/1916 - Elle)

 

Aujourd’hui je n’ai rien reçu. Dis donc ma petite mie, est-ce que tu prendrais la détestable habitude de ne plus m’écrire un petit mot tous les jours. Tu vas trouver ton Geogi bien tyrannique pour une fois. Mais que veux-tu, une lettre de ta main, ne fût-elle que d’une page, lui fait tant de plaisir qu’il est tout étonné lorsqu’il n’a pas sa lettre habituelle. (03/08/1916 - Lui)

 

J’ai reçu tes deux bonnes lettres du 3 et du 4. Je vois que j’ai eu tort et que tu n’as pas perdu ta bonne habitude de m’écrire tous les jours. La prochaine fois, je m’en prendrai à la poste dont le service est parfois irrégulier. (07/08/1916 - Lui)

 

Je ne m’étonne plus que plusieurs de tes lettres ne m’arrivent pas. Tu verras que tu te trompes parfois de secteur et que les lettres mettent alors plus longtemps à venir. (27/08/1916 - Lui)

 

La poste est de nouveau en retard et ne m’apporte rien depuis deux jours, et demain j’aurai deux ou trois lettres. On devrait être assez raisonnable pour n’en lire qu’une à la fois et ne lire les autres que les jours où la poste vous fait faux bond. Mais moi je veux avoir tout le plaisir d’un seul coup et je les lis toutes à la fois. (29/08/1916 - Lui)

 

Je t’ai envoyé 4 petits St Nicolas qui te donneront une petite idée et te feront vivre un instant la fête familiale à laquelle tu vas manquer. J’aurais voulu t’en envoyer un beau grand que tu puisses mettre à la table de tes officiers, mais la poste me l’a refusé comme trop encombrant, et en postal il aurait risqué de t’arriver pour Noël. (06/12/1916 - Elle)

 

On va avoir à écrire les lettres de Nouvel An. Je t’enverrai cet après-midi une dizaine de cartes de correspondance pour que tu puisses envoyer tes vœux aux oncles et tantes sans avoir à en écrire long. (23/12/1916 - Elle)

 

En même temps que ton autre lettre, j’ai reçu un petit paquet beaucoup moins intéressant. Ce sont tes cartes de correspondance. Tu comprends que cela ne m’amuse pas du tout d’écrire à tous les oncles et tantes. D’abord je ne l’ai jamais fait depuis que je suis mobilisé. Je suppose que toi tu leur écris. Ne trouves-tu pas que par ce temps de guerre c’est largement suffisant et je voudrais bien que tu me dispensas d’une correspondance aussi peu intéressante. Donc jusqu’à nouvel ordre, je remise les cartes en question dans ma cantine. (28/12/1916 - Lui)

 

Je crois que tu ferais bien d’envoyer une petite carte aux oncles, cela ne te demandera pas beaucoup de temps et fait plaisir. (29/12/1916 - Elle)

 

Le moment où l’on reçoit les lettres est le meilleur moment de la journée et on est fort désillusionné lorsqu’on n’a aucune nouvelle. (01/01/1917 - Lui)

 

J’ai reçu ta lettre du 28 décembre mon Geogi et je reconnais mon petit mari et son amour de la correspondance, du moment que sa femme fait des politesses cela suffit et le mari peut être un petit ourson, la moyenne est établie. (02/01/1917 - Elle)

 

Voici le courrier encore suspendu et je n’ai pas de nouvelles de toi depuis trois jours. Mes hommes eux n’ont rien reçu depuis huit jours. Je ne vois pas pourquoi on supprime ainsi les correspondances qui viennent de l’intérieur. Qu’on arrête les nôtres, à la rigueur je comprends cela mais ce que les hommes aiment le mieux c’est de recevoir des nouvelles des leurs et on devrait leur donner satisfaction. (06/02/1917 - Lui)

 

Vous savez que vos lettres se font rares et, avec cette diable de censure qui arrête la correspondance, on est privé de nouvelles qui sont pourtant attendues avec tant d’impatience. C’est le seul intérêt de la vie, l’heure du courrier, la seule chose qui vous relie à l’absent et c’est triste quand cette seule consolation vous est refusée. (15/02/1917 - Elle)

 

Je suis heureux que tu reçoives à la fin toutes mes lettres. J’ai tant de plaisir à recevoir les tiennes que je comprends ton désappointement lorsque le courrier arrive les mains vides. (01/03/1917 - Lui)

 

Je n’ai rien reçu hier ni aujourd’hui de Docelles. Je compte demain sur deux lettres de ma chérie. Tu ne saurais croire avec quelle impatience on attend le courrier, c’est le meilleur moment de la journée. (19/03/1917 - Lui)

 

 

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Carte du 17 avril 1917

 

 

Notre correspondance tous ces jours-ci est fort irrégulière. J’ai reçu aujourd’hui quatre lettres à la fois. Je suppose que nos lettres aussi subissent quelque retard et c’est pourquoi tu ne les reçois pas régulièrement. Et puis dans mes précédentes, sans commettre toutefois d’indiscrétions, je te disais d’ailleurs très vaguement ce que nous faisions. Peut-être la censure si difficile a-t-elle trouvé que j’en disais trop et a-t-elle mis mes lettres au panier. Je me contenterai donc de te dire aujourd’hui que je vais toujours très bien et te recommande surtout de ne pas t’inquiéter. (27/04/1917 - Lui)

 

Je suis content que tu commences à ton tour à recevoir mon courrier. J’ai reçu avant-hier cinq lettres à la fois, ce qui tu comprends bien m’a fait grand plaisir. Mais comme je le dis souvent j’aimerais mieux n’en pas recevoir tant et en recevoir plus régulièrement. (18/01/1918 - Lui)

 

 

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La censure (une lettre d’Yvonne Vautrin, une cousine, du 8 février 1918)

 

 

Mon ordonnance voudrait bien que tu m’envoies quelques paires de chaussettes légères et quelques serviettes de toilette. Par ces temps chauds et par ces rudes étapes on n’a qu’un plaisir c’est de se laver complètement lorsqu’on arrive à l’étape. Cela repose énormément. Malheureusement on n’a guère le temps de laver le linge et surtout de le laisser sécher. (03/06/1918 - Lui)

 

Merci du chocolat que tu m’envoies mais je crois que nous pourrons en avoir bientôt. On en a promis à mon officier d’approvisionnement. (15/06/1918 - Lui)

 



Les permissions

Les permissions (3 permissions de 8 jours par an, soit une tous les 4 mois, ce n'est pas beaucoup), la dernière, mais surtout la prochaine, … 

Je t’embrasse, mon chéri Geogi, mais je trouve comme toi que ces baisers sur du papier n’ont rien de bien doux et qu’il serait temps que nous puissions nous les donner vraiment. J’ai vu l’autre jour dans le journal qu’un député demandait un congé pour les troupes à donner par roulement. Si seulement cela se faisait, ce serait si bon de se revoir. Ta Mi. (05/07/1915 - Elle)

 

Mon Geogi, comme ces 4 jours vont passer vite, c’est vraiment trop peu. On est bien chiche à votre égard. (13/07/1915 - Elle)

 

 

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 1ère Permission de Georges Cuny en juillet 1915

 

 

Au sujet des permissions, on a décidé, comme je m’y attendais, que les officiers ne retourneront pas en permission avant que tous les hommes y aient été et puissent y retourner également. Ceci va nous reporter à la fin de décembre ou au début de janvier. Tant pis, mais j’espérais revenir plus tôt. Enfin ne nous plaignons pas, puisque dans un mois bientôt j’aurai la chance de revoir mes chéris et surtout toi ma Mi dont tu supposes bien que je suis fort en mal. Réjouissons-nous à l’avance ma Mi car il fera si bon et je t’apporterai une belle provision de caresses. (11/11/1915 - Lui)

 

Comme je te l’ai dit, je ne reviendrai pas avant janvier, car beaucoup d’hommes de ma batterie ne sont pas encore partis, les permissions ont été complètement supprimées pendant l’affaire de Champagne et le pour cent a toujours été relativement faible. On l’augmente un peu en ce moment mais, de notre côté tout au moins, il ne faut pas songer revenir tous les quatre mois. Ne nous plaignons pas trop, c’est déjà quelque chose de pouvoir revenir tous les cinq mois. Bonnier est revenu ce soir, enchanté naturellement non de revenir mais d’avoir été en permission. Il comptait déjà ce soir à peu près quand il pourrait repartir. Ah ces jeunes gens !! (16/11/1915 - Lui)

 

Tu vas dire que je rabâche, il ne me manque que mes chéris et surtout ma Mi, mais par exemple cela me manque beaucoup et je voudrais bien que les permissions ne tardassent pas trop. (06/12/1915 - Lui)

 

 

1915 71e semaine Image1 Les permissions du front.jpg
Dans lettre d’Elle (08/12/1915)

 

 

As-tu vu dans le Temps du 23, le ministre de la Guerre à propos des permissions a encore dit en toutes lettres qu’elles étaient de 6 jours, plus deux jours pour les Croix de guerre. Tu peux montrer cet article à tes chefs. (25/12/1915 - Elle)

 

Tu dis que ma dernière lettre te montrait un peu d’ennui et d’agacement. Que veux-tu ma Mi, on n’est pas toujours de bonne humeur et, le jour où le Commandant m’a dit qu’il était dans l’obligation de me faire attendre pour ma permission, j’étais très franchement ennuyé. Mais tout cela est passé maintenant et je suis au contraire d’excellente humeur à la pensée que dans huit jours à cette heure-ci je serai avec toi au fumoir probablement et te dirai toutes sortes de tendresses et de paroles d’amour. (27/12/1915 - Lui)

 

Je n’ai pas besoin de te dire, ma Mi chérie, combien cette permission, beaucoup trop courte à mon gré, m’a fait du bien et quels charmants souvenirs j’en rapporte. Ils vont me permettre de terminer l’hiver sans trop de mélancolie et dans l’espoir d’obtenir une troisième permission le plus tôt possible. (14/01/1916 - Lui)

 

Lorsque je vais revenir en permission dans quelques quatre ou cinq mois, je vais retrouver ma petite femme tout à fait grassouillette. Tu vois comme nous sommes enfants, on revient de permission et ici on ne parle que de cela. (18/01/1916 - Lui)

 

Tu sais que dans ce secteur la croix de guerre donne deux jours de plus à chaque permission, non pas seulement à la première comme tu l’as dit. Donc pour ta prochaine, renseigne-toi. Paul Boucher a eu 10 jours. Le capitaine qui est chez nous en ce moment, qui vient du côté d’Altkirch, me disait que cela lui faisait toujours 10 jours aussi. C’est malheureux qu’il n’y ait que toi qui t’en tiennes à tes sept pauvres petites journées… Tu sais qu’on a aussi des permissions supplémentaires dites du berceau pour les naissances d’enfants. Quel dommage que je ne sois pas assez forte, on aurait peut-être encore eu le temps d’avoir une permission de berceau avant la fin de la guerre, mon pauvre Geogi. (11/06/1916 - Elle)

 

A propos de permissions, elles sont supprimées depuis hier. Lorsque nous l’avons appris, nous étions un peu inquiets, car nous savions à ce moment que les Allemands venaient de s’emparer des ouvrages de Thiaumont au nord de Verdun et nous craignions qu’ils n’eussent fait encore des progrès. Mais d’après ce qu’on dit aujourd’hui, nous avons pas mal repris à Verdun et il est probable que nous allons attaquer de notre côté dans le Nord. On croit utile de supprimer les permissions sur tout le front. Nous faisons bien volontiers ce sacrifice si cela doit terminer plus vite la guerre, mais ce retard m’ennuie quand même car cela retardera d’autant le moment tant souhaité où je pourrai te revoir. Tu devines bien comme je suis en mal de toi, mon petit, et comme je suis privé des trésors charmants dont je raffole. Enfin ! espérons que cette attaque va promptement réussir ou qu’alors on rétablisse bien vite les permissions. (25/06/1916 - Lui)

 

Mais dis donc ma petite mie, le temps file rapidement et, dans bientôt cinq semaines, je serai à Docelles. Pense quel bonheur ! Je serai près de toi, nous nous serrerons l’un contre l’autre, tu laisseras, n’est-ce pas ma chérie, ton Geogi faire toutes sortes de folies, et ton Geogi sera alors le plus heureux homme du monde !! (07/08/1916 - Lui)

 

Je voudrais que les jours passent plus vite maintenant et que ce mois d’août s’enfuie à tire d’aile pour te revoir plus tôt, recevoir tes caresses et refaire une provision d’amour, qui nous donne la patience d’attendre à nouveau quelques mois. (22/08/1916 - Elle)

 

Seulement que veux-tu, quels que soient les avantages de notre situation comparée à celle de nos camarades, il y a quelque chose qui me manque, et qui me manque de plus en plus au fur et à mesure que la campagne s’éternise, c’est d’abord mes chéris, mais surtout toi ma Mie que j’adore tant et que je n’ai pas vue depuis bientôt quatre mois. Je ne sais pourquoi ces quinze jours qui me séparent de la permission tant attendue me paraissent un siècle et puis, tu vois comme je ne suis pas raisonnable, je ne serai tranquille que lorsque je serai dans le train de Paris, craignant toujours une suppression de permissions… Ne nous plaignons donc pas de notre sort et puis, encore une fois, dans quinze jours je reverrai ma Mie, elle sera la toute bonne j’en suis sûr et me donnera dès mon arrivée tous les trésors chéris de son petit corps, que je me réjouis tant de sentir tout près de moi. (25/08/1916 - Lui)

 

Tu sais que j’espère avoir huit jours pour la croix de guerre. Il n’y a jamais de règle uniforme, tantôt on donne huit, tantôt six jours. (04/09/1916 - Lui)

 

Nos hommes sont tout à fait heureux de la décision du général Joffre relative aux permissions. Je disais bien aussi qu’il fallait, si l’on devait passer l’hiver, augmenter le nombre des permissions. C’est le meilleur et l’unique moyen de soutenir le moral des hommes. (01/10/1916 - Lui)

 

Nous sommes aujourd’hui le 23 Novembre. Il y a donc deux mois que je te quittais pour revenir ici. Ce qui me fait plaisir dans tout cela c’est que je n’ai plus que deux mois à attendre avant de te revoir. Si la guerre doit durer encore l’an prochain, j’espère bien qu’on augmentera encore les permissions car cela nous semble à tous un peu long et, si nous allions plus souvent chez nous, nous serions certainement plus patients. (23/11/1916 - Lui)

 

Voici déjà le 1er Décembre et dans un mois je serai bien prêt de partir de nouveau en permission. Tu vois que le temps passe en somme relativement vite. N’oublie pas de bien chauffer notre chambre, afin que nous puissions défaire ma cantine en arrivant sans être trop gelés. (01/12/1916 - Lui)

 

Tu comprends bien que maintenant je ne songe plus qu’à ma permission. Je crois bien que dans quatre semaines je serai avec vous. Quelles bonnes journées nous allons passer, n’est-ce pas ma Mie et comme nous allons bien nous aimer pendant ce temps. (09/12/1916 - Lui)

 

Ma Mie je me rappelle les bonnes journées que nous avons passées ensemble. Quel dommage que ce temps-là file si rapidement, c’est navrant. Enfin je vais commencer à compter les jours pour la nouvelle permission. (19/01/1917 - Lui)

 

Voici la fin de février. Il y aura déjà bientôt deux mois que je suis revenu en permission. Dans deux nouveaux mois, je reviendrai de nouveau et je t’assure que je m’en réjouis déjà, car je suis fort en mal de vous tous et de toi ma chérie et je suis impatient de revoir ma toute jolie Mimi, son petit corps adoré et de lui dire toutes sortes de tendresses. (27/02/1917 - Lui)

 

Je comptais bien partir en permission le 9 mai prochain, c’est-à-dire presque dans un mois, mais les permissions ont été réduites chez nous à 5% puis ces derniers temps à 3%. (02/04/1917 - Lui)

 

Mais je suis bien content quand même, car on vient de rétablir les permissions pour les officiers et un de nos camarades est parti ce matin. S’il ne survient rien d’imprévu je partirais donc moi-même dans 29 jours et je m’en réjouis. Songe qu’il y a quatre mois aujourd’hui que je partais et j’aurai en somme un retard d’un mois, ce qui est bien désagréable. (09/05/1917 - Lui)

 

Toujours rien de nouveau ici. On ne parle pas de relève. Ma petite Mie, comme c’est ennuyeux de ne pas te revoir et comme je suis en mal de tout ton petit corps chéri, que j’adore et que je voudrais tant serrer contre moi. C’est très joli d’être chef d’escadron mais si c’est pour avoir moins de permissions que les autres je demande qu’on me remette de suite capitaine. (24/05/1917 - Lui)

 

Dans deux mois je serai en permission. (13/02/1918 - Lui)

 

Dans un mois nous serons bien près de nous revoir, quel bonheur ma chérie. (03/03/1918 - Lui)

 

Les permissions sont bien rétablies comme tu le dis à 8% et j’espère que mon tour reviendra bientôt. Mais nous avons admis que nos camarades qui n’ont pas été en permission depuis six mois partiraient avant nous. D’ailleurs ceci ne me gêne pas du tout, car sous prétexte que nous sommes en réserve d’armée les chefs d’escadron ne peuvent pas s’absenter. On nous dit d’attendre jusqu’à ce que nous soyons au repos. (22/05/1918 - Lui)

 

Quand pourrai-je vous revoir tous. Je voudrais bien que ce fût bientôt. J’espère toujours qu’entre deux prises de secteur on nous donnera un petit repos d’une quinzaine qui me permettra d’aller vous rejoindre. Enfin je ne peux pas me plaindre, heureusement que je suis revenu en Avril. (21/06/1918 - Lui)

 

 

Les finances du ménage

 Les placements, les emprunts russes, l’impôt sur le revenu...

Au fait, je ne t’ai jamais demandé s’il fallait faire une déclaration pour l’impôt sur le revenu. Je crois que je n’ai pas à la faire puisque tu es mobilisé. (04/03/1916 - Elle)

 

As-tu vu comme les Gafsa montent ? Les voilà aujourd’hui à 765 fr. Paul Laroche-Joubert me disait que son beau-frère Roques l’engageait beaucoup à acheter des « Nickel », qui sont aussi une très bonne valeur, mais nous n’avons plus d’argent liquide à transformer. (31/03/1916 - Elle)

 

Je veux acheter des roubles puisque cela va être si bon. Je t’ai dit n’est-ce pas qu’à la Banque de France on nous l’avait déjà dit, à la Banque de Mulhouse le directeur l’a redit à Paul Laroche-Joubert Il y a encore 20 000fr. à gagner en un an sur 100 000. Tu avoueras que cela vaut la peine d’essayer. Ce n’est peut-être pas très patriotique de transformer ainsi ses fonds au lieu de prendre des obligations de la Défense Nationale, mais nous en avons déjà pour une belle somme, qu’en dis-tu ? (02/07/1916 - Elle)

 

Je sais bien que tu aimes de jouer et te passe ta petite fantaisie sur les roubles. (04/07/1916 - Lui)

 

Je suis allée à la Banque de Mulhouse et, puisque tu m’as permis d’acheter des roubles, en te moquant de moi un peu Monsieur mon mari c’est très vilain, j’en ai parlé au directeur. Il m’a conseillé d’acheter plutôt de l’emprunt russe, car de cette façon je bénéficie du change et en même temps d’un plus fort intérêt que celui qu’il m’aurait donné comme dépôt de roubles en banque. (12/07/1916 - Elle)

 

As-tu au moins l’idée de suivre dans le Temps la marche ascendante de notre Gafsa ? Et as-tu vu que si nous les revendions nous gagnerions 200 francs. Notre rouble ne progresse pas aussi vite, je le regrette, car j’aurais vivement désiré des félicitations sur cette opération, dont tu semblais te moquer un peu quand je t’en ai entretenu. Enfin tout en ne montrant pas une belle confiance, tu m’as laissé la latitude de la faire, c’est déjà un honneur, alors maintenant il me faut la gloire d’avoir réussi. (26/09/1916 - Elle)

 

Tu as vu qu’on a beaucoup augmenté le taux de l’impôt sur le revenu. Cette année nous avons payé 160 francs mais l’an prochain ce sera 10 fois plus. Tu avais été bon prophète, tu me l’avais annoncé il y a déjà longtemps. (05/01/1917 - Elle)

 

Nos Gafsa sont vendues, les 20 premières à 850, les 5 dernières à 855, cela nous fait 4 000 francs de gain. Tu vois, Monsieur mon mari, toi qui te moquais de ta petite femme et de sa gestion. Il est vrai que mes roubles sont rudement en déficit en ce moment. Je ne les ai encore jamais vus si bas, je ne puis donc me vanter de mon opération. (26/01/1917 - Elle)

 

J’ai reçu également la feuille de déclaration. Je crois que tu as un peu tiré sur la corde ma Mie. Enfin je vais voir cela. (31/03/1917 - Lui)

 

Quant à l’emprunt russe, je crois qu’il ne faut rien craindre. Les Russes, quel que soit leur gouvernement, auront besoin d’argent, or ils seront bien obligés d’en emprunter ailleurs que chez eux. Qui leur en prêtera si l’on sait d’avance qu’ils ne le rembourseront jamais. D’ailleurs il est impossible qu’un gouvernement d’anarchie comme le gouvernement actuel subsiste longtemps. Le désordre va sûrement engendrer la famine et lorsque le peuple n’aura plus rien à manger sans doute il y aura beaucoup de tueries et de massacres mais ce sera le commencement de la fin. (24/01/1918 - Lui)

 

 

Les 3 enfants

Les 3 enfants : André, dit Dédé, Noëlle et Robert, dit Bertus, ont, en août 1914, 7, 5 et 4 ans. Les lettres des parents décrivent la joie que leur procurent leurs enfants, leurs traits de caractère, leurs progrès en classe, leur éducation religieuse, leur goût pour le piano, pour les cartes, la St Nicolas, …, et des questions préoccupantes comme : faut-il les mettre à l’école ou prendre une institutrice ? ou également à propos de l’éducation des filles. 

Tu ne les reconnaîtras pas tes enfants quand tu reviendras. Tu les as quittés bébés, et ils deviennent grands garçons et fillette, ils ont leurs petits défauts naturellement mais en parents hiboux nous pouvons bien admettre qu’ils ont aussi leur bonne moyenne de qualités. André manque de débrouille et d’audace, il a plutôt une mentalité de fille. C’est dommage que ce soit un garçon, il aurait fait une fille si tendre et bonne et Noëlle eût été bien mieux douée pour la conquête du monde. Enfin, nous verrons ce que l’avenir nous réserve. (23/06/1915 - Elle)

 

Grand’mère a fait installer une balançoire et trapèze. André peut monter seul sur le trapèze, je lui ai montré à descendre en faisant ce qu’on appelle je crois un rétablissement, moi je nomme cela pirouette. Mais je ne suis pas un bien bon professeur de gymnastique et nos enfants ne sont pas très braves, ils ont toujours peur de tomber. (20/09/1915 - Elle)

 

 

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André, Robert et Noëlle Cuny (Docelles 1915)

 

 

Avec ces diables on n’est jamais tranquilles, je me demande comment font ceux qui en ont 12. (16/12/1915 - Elle)

 

Maman leur a rapporté de Paris des petits calepins avec un élastique et un crayon dont ils sont enchantés, Robert surtout. C’est étonnant comme de petites choses comme celles-là leur plaisent souvent mieux que de vrais jouets. Hier Robert n’a fait qu’inscrire des chiffres, faire de petits dessins, toute l’après-midi dessus. (20/01/1916 - Elle)

 

Les ambitions de nos fils ne sont pas bien hautes, l’un veut être cultivateur, c’est André, l’autre veut être sacristain pour sonner les cloches. En ce moment c’est sa passion. Tous les jours à midi, il file du côté de l’église et se met en faction pour voir arriver Monsieur Bailly et sonner avec lui, et il est très fier de pouvoir mettre en marche la petite cloche et la moyenne. Il paraît qu’il se cramponne à la corde et monte ainsi jusqu’au plafond. Noëlle elle-même est prise par la contagion et j’ai bien de la peine à la persuader que ce n’est pas un jeu de petite fille. Quand elle peut se sauver sans que je la voie, elle s’empresse. Ils sont un peu comme des chevaux échappés nos enfants, mais je me rappelle notre enfance où on nous laissait aussi pas mal de liberté et cela ne nous a pas empêchés de prendre place ultérieurement dans la bonne société. On s’assagit en vieillissant et quand on est petit on aime tant la liberté. (11/08/1916 - Elle)

 

 

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Arcachon 1916 - Les enfants sur la plage

 

 

Ils sont si bons tous les trois ainsi, chacun avec son caractère différent. André très tendre, sensible, très humble, admirant les autres, ayant peur de se mettre en avant, un peu paresseux. Noëlle plus personnelle, voulant dominer et ne sentant pas le même besoin de protection, mais fine, intelligente, pas assez franche malheureusement, trop débrouillarde. Robert bien plus homme du monde que son frère, poli, sachant prendre les gens par une petite amabilité, sera beau parleur, très tendre. Si Dieu lui prête vie, ce sera un jeune berger très entreprenant aimant les bergères légères. Il aime beaucoup le piano pour le moment, à l’encontre de tous les enfants qui redoutent l’heure de la leçon, c’est lui qui la rappelle à Mlle. (30/01/1917 - Elle)

 

Les enfants sont très occupés de Guynemer qui a abattu plusieurs avions. Hier en jouant aux soldats, j’ai entendu qu’ils se décoraient mutuellement et ils parlaient de palmes d’argent, d’avion boche abattu, etc. Ils trouvent que Mme Guynemer doit être bien fière de son mari. Moi j’aime mieux mon Geogi si bon, si tendre, dont je suis bien en mal et dont je regrette tant l’absence. (02/02/1917 - Elle)

 

J’ai écrit hier une lettre à notre petit Dédé dont la lettre m’a fort ému. Quel brave petit cœur. S’il travaillait toujours bien, il serait parfait ce petit homme mais il a un fonds excellent et j’espère bien qu’il nous donnera toujours satisfaction. J’avais déjà remarqué que Robert allait très en mesure en faisant son tambour, tu te rappelles quand il accompagnait la Marseillaise que je jouais au piano. Il est certain qu’il est tout à fait musicien. Enfin de toutes façons nous n’avons qu’à remercier le bon Dieu de nous avoir donné des enfants pareils. (18/01/1918 - Lui)

 

J’ai reçu les cahiers des enfants, ils ne sont pas mal. Je leur ai écrit un mot hier à chacun. Je félicite Dédé et lui dis que je suis heureux qu’il fasse ainsi plaisir à son papa. Je gronde un peu Noëlle pour ses notes de sagesse, mais surtout je parais surpris des pensums nombreux qui figurent dans le cahier de Robert. Pauvre Bertus. Tu me dis cependant dans tes dernières lettres qu’il fait des progrès, c’est peut-être l’approche de la 1ère Communion qui est cause. (11/02/1918 - Lui)

 

Je suis content que nos chéris aillent bien et qu’ils travaillent. Je comprends que ce n’est pas toujours amusant, il faudrait de temps en temps leur donner une après-midi de congé, surtout quand ils ont bien travaillé. Cela leur ferait beaucoup de bien et les encouragerait à se donner du mal les autres jours. (01/03/1918 - Lui)

 

 

André

Les institutrices l’aiment beaucoup, notre Dédé, elles lui trouvent un très bon fond, beaucoup de cœur pour elles, pour ses petits camarades. (23/06/1915 - Elle)

 

André travaille pas mal, mais il est surtout amusant par sa façon d’observer les poses, manières, façons de s’exprimer, de se tenir, de s’habiller de tous les gens qu’il voit et il imite très bien. Ce soir, Tété nous a amené son beau-fils qui était en permission. Pendant le dîner, Dédé s’est mis à donner à ses lèvres une forme bizarre que ce jeune homme a en effet en parlant, mais tu sais c’était frappant. Les deux petits se sont esclaffés et je n’ai eu qu’une peur, c’est qu’ils le répètent une fois, car Noëlle surtout fait parfois l’enfant terrible. (01/12/1915 - Elle)

 

André est enragé en ce moment, il court après tous les soldats qui logent à l’usine, monte sur les chevaux. Hier à 7 heures 1/5 du soir, il n’était pas encore rentré. J’ai envoyé Elise le chercher. Il m’a fait répondre qu’il avait mangé la soupe avec les soldats et qu’il n’avait plus faim. Elise retourne lui dire qu’il faut revenir, même réponse. Noëlle y va à son tour, elle revient en disant : « Il a mangé des pommes de terre, de la soupe et a bu un grand verre de vin », et toujours pas de Dédé. Enfin Maman est allée à sa recherche et quand il est arrivé, je l’ai envoyé se coucher de suite pour sa punition. Il avait mangé, donc n’avait plus besoin de rien. (16/06/1916 - Elle)

 

Moi je suis beaucoup moins dans la jubilation car j’ai un Dédé qui devient de plus en plus flemmard. Il est dans un mauvais moment comme caractère et comme ardeur, il grogne sur tout, devient garnement et traîne sur ses devoirs. C’est le mauvais âge qui commence, j’espère que cela ne durera pas et qu’on lui retrouvera ses qualités d’ici peu. Robert a fait des progrès en lecture, il saura juste lire pour ses 6 ans le 27 juillet. (14/07/1916 - Elle)

 

Dédé m’a accompagnée et pour revenir s’est mis à côté de moi et a tenu le volant. Il prend déjà très bien ses tournants et aime ce sport. (05/08/1916 - Elle)

 

Dédé veut être cultivateur. Oh mon Dieu c’est aussi intéressant que d’être industriel et cultiver de grandes propriétés comme il y en a dans le Soissonnais ne doit pas être ennuyeux. Mais notre Dédé n’aimera peut-être pas beaucoup plus tard habiter loin des villes et les goûts campagnards qu’il accuse, me dis-tu, changeront peut-être plus que nous ne voudrons lorsqu’il aura vingt ans. (15/08/1916 - Lui)

 

André bouillait d’impatience car Maman a acheté deux bœufs pour ses charrois de houille et c’était André qui s’était trouvé là au moment où le fermier les amenait. Le charretier engagé n’est pas arrivé à temps et c’est à André qu’on a expliqué toutes les habitudes de ces Messieurs. « C’est Pommé qu’on doit toujours sortir le premier de l’écurie, c’est Jansé auquel on attache le joug » etc. André commence comme tu vois son métier d’agriculteur. Tout l’après-midi il n’a pas quitté le charretier, il a fait les voyages de la gare avec lui et nous est revenu pour goûter avec des mains noires de houille et un fond de culotte ad hoc. (23/08/1916 - Elle)

  

Tant mieux que notre Dédé ait des idées simples. Il sera plus heureux plus tard mais cependant il te paraissait autrefois plutôt avoir des tendances aristocratiques. Tu vois que les enfants changent vite à son âge. Tant mieux aussi qu’il aille bien. Ne le fais pas trop travailler. Qu’il prenne une bonne provision de santé avant d’aller au collège pour que, lorsqu’il aura vingt ans, il puisse alors travailler hardiment. (06/09/1916 - Lui)

    

André est le chéri de Maman, tu me taquinais souvent en me disant que c’était « mon Dédé » mais c’est encore bien plus celui de Maman, elle a pour lui une tendresse toute spéciale. Hier soir elle avait les larmes aux yeux en m’en parlant, « qu’il est gentil cet enfant ». (13/11/1916 - Elle)

 

Si comme tu le dis notre petit Dédé peut suivre la septième, il n’aura donc aucun retard au contraire. Mais il ne faut pas s’attendre, surtout au début, à ce qu’il ait de bonnes places dans ses compositions. Les élèves qui concourent avec lui ont l’habitude du maître, savent comment il aime qu’on réponde aux questions qu’il pose et puis, dans l’enseignement oral, il peut leur expliquer bien des choses qui ne sont pas dans les livres. En tout cas, puisque notre petit Dédé doute toujours de lui, il vaut mieux, s’il est dans les derniers, ne pas trop lui dire et au contraire l’encourager en lui disant que ce n’était pas trop mal et qu’il fera certainement des progrès. (17/11/1916 - Lui)

 

Le brave Dédé n’est pas très coquet, me dis-tu. Sois tranquille, l’âge des cravates claires et des vestons élégants viendra assez vite. Je serai d’ailleurs très heureux s’il veut s’occuper plus tard de culture, à condition bien entendu que ce ne soit pas à Sfax n’est-ce pas Mie, mais dans ce pays-ci par exemple cela doit être très intéressant et fort agréable. C’est un pays où les machines agricoles peuvent être facilement utilisées. Il faut donc relativement peu d’ouvriers et je crois que, lorsque ce sont des gens sérieux qui s’en occupent, la culture doit donner un bon rendement. (21/11/1916 - Lui)

 

André m’a dit dimanche soir : « Papa savait joliment bien son latin quand il était petit, pour qu’il s’en rappelle encore à quarante ans ». Tu vois que ton idée était juste et que c’est bien bon quand les enfants peuvent admirer leur père, en tout, et être fiers de lui, comme nous le sommes de toi, mon chéri. (27/11/1917 - Elle)

 

Notre pauvre petit Dédé est en effet paresseux. Mais je ne sais pas s’il ne faudrait pas lui donner un peu plus de récréation et surtout des récréations plus longues. Je voudrais qu’il eût dans tous les cas son dimanche complètement à lui à part peut-être le catéchisme et son après-midi du jeudi également. Or le jeudi et le dimanche, il a toujours à faire des devoirs. Je crois que si tu fixais un programme bien défini, en supprimant au besoin non pas les cours mais les devoirs de Melle Marchal de temps à autre, pour lui permettre de faire ses devoirs de latin et d’allemand non pas à la va-vite comme il les fait d’habitude mais avec réflexion et de façon qu’on puisse exiger quelque chose de bien fait, cela vaudrait mieux. (04/05/1918 - Lui)

 

 

Noëlle

Noëlle est près de moi, je l’ai punie car elle a fait très mal ses devoirs cet après-midi, elle est condamnée à tricoter jusqu’à sa leçon de piano. (07/05/1915 - Elle)

 

Il fait si bon, les enfants sont toujours au soleil et sont déjà tout brunis. Noëlle a l’air d’une petite moricaude. En ce moment, elle prend sa leçon de tricot près de moi et ce n’est toujours pas plus charmant. Elle pousse des soupirs énormes et trouve que c’est bien plus facile de faire faire les bas par une tricoteuse que par elle. (22/05/1915 - Elle)

 

Notre dame Puce fait l’admiration de toutes les personnes qui s’occupent d’elle, par sa compréhension vive des choses. Elle saisit de suite ce qu’on veut dire et même quelquefois ce qu’on ne voudrait pas qu’elle sache. (23/06/1915 - Elle)

 

Tu diras à ma petite Noëlle que je suis touché de sa persévérance. Elle lit encore le Bonheur de Françoise, la pauvre chérie. Elle me rappelle le mois de juillet 1914 quand je leur en lisais un chapitre tous les soirs, elle le savait déjà presque par cœur. (23/10/1915 - Lui)

 

Quant à Noëlle, elle est plongée dans « Les Petites filles modèles », que Maurice avait apportées en gare de Toul pour elle, croyant que nous passions par là et Thérèse les lui a données de sa part. Elle a déjà presque fini le livre et elle en est enchantée, c’est à peine si elle lève les yeux. C’est bien commode lorsque les enfants aiment la lecture, car ils ne bougent pas et pendant ce temps les mamans sont tranquilles. (01/03/1916 - Elle)

 

Je ne t’ai pas raconté une bonne réflexion que Noëlle nous a faite l’autre jour. Maurice avait apporté à la gare de Toul en allant y voir sa femme tout un paquet de livres et bonbons de la part du colonel. On a donc décidé que Noëlle écrirait une lettre de remerciements et que tous les autres signeraient. Quand il s’est agi de terminer la lettre, Noëlle demande ce qu’il faut mettre, Thérèse lui dicte « au revoir, cher Monsieur, je vous embrasse ». Voilà Noëlle qui se met à pleurer, mais non, je ne veux pas l’embrasser, je ne le connais pas ce colonel, quand Maman écrit à des messieurs qu’elle ne connaît pas, elle ne les embrasse pas, elle met toujours ses sincères salutations, je vais les mettre aussi. On avait beau lui dire que ce n’était pas la même chose, elle ne sortait pas de son idée. A la fin, tout de même, elle s’est rendue, mais elle disait encore d’un petit air dégoûté : « Heureusement que c’est sur le papier, parce que je n’aime pas embrasser un colonel ». Tu vois que ta fille a des idées de morale bien arrêtées. (22/03/1916 - Elle)

 

Noëlle va tout à fait bien. Elle reprendra ses petits devoirs lundi. Mais cette petite personne a un caractère très peu malléable et aurait une grande envie d’être déjà la maîtresse ici. Malheureusement sa maman et sa grand-mère n’ont pas du tout les mêmes idées et la pauvre enfant est forcée d’obéir, elle le fait en fronçant le sourcil et en levant les épaules, quand elle ne prend pas des airs de victime, mais rien de tout cela ne prévaut. (03/06/1916 - Elle)

 

Les enfants ont fait une narration hier et celle de Noëlle est gentiment écrite, je lui ai dit qu’on te l’enverrait. Cette Noëlle lit beaucoup et elle a tellement de mémoire qu’elle retient des phrases entières par cœur et elle les replace à propos. Tu verras celle du début. En la lisant, je me suis dit que je l’avais déjà vue quelque part et en effet c’est dans un livre de Hansi sur l’Alsace « Mon village ». « Le village que je vous décris n’est pas de mon invention, il existe réellement, c’est, etc. ». Elle a trouvé bon de plaquer cette petite phrase qui fait très bien comme entrée en matières... Vraiment c’est un plaisir d’avoir une enfant aussi intelligente. (25/11/1916 - Elle)

 

Tu vois d’après la lettre de ta fille qu’elle est retombée dans son péché, plus grave que jamais, puisque cette fois elle a osé pénétrer chez Mademoiselle, ouvrir un tiroir de commode et y prendre trois grosses tablettes de chocolat. Elle a nié plusieurs fois et ce n’est que le lendemain qu’elle a avoué son méfait, aussi je l’ai condamnée à te l’écrire et elle est privée de dessert pour quinze jours. Je ne sais comment la corriger de ce vilain défaut, qui devient exagéré. Tant qu’elle ne prenait que dans les assiettes à dessert, ou dans mes affaires, c’était encore acceptable, à la rigueur, mais si elle pousse l’indélicatesse jusqu’à aller dans les chambres des autres personnes et fourrager dans leurs armoires et tiroirs, cela devient du vrai vol. Tu feras bien de lui répondre combien tu es peiné, que tu pensais qu’elle avait meilleur cœur et qu’elle ne voudrait pas faire de peine à son papa qui est au front, que tu détestes mensonges et vols, enfin une petite semonce bien sentie qui l’impressionnera. (21/01/1917 - Elle)

 

Tu trouveras ci-joint la petite lettre que je destine à Noëlle. C’est la gourmandise qui la pousse et non pas le vol, donc rien à craindre mais comme tu le dis il faut tâcher de guérir cette manie. (28/01/1917 - Lui)

 

Mr l’Abbé est en admiration devant Noëlle, son intelligence, sa vivacité d’esprit. Hier, paraît-il, il lui demandait si elle avait été se confesser souvent et comment elle fait son examen de conscience. « C’est bien facile, répond-elle, je dis mes commandements de Dieu, et je fais des péchés dans presque tous, il n’y a guère que l’œuvre de chair en mariage seulement, puisque c’est du mariage, c’est pour les Messieurs et les Dames ». L’Abbé trouvait la réponse très amusante. (18/07/1917 - Elle)

 

J’ai condamné Noëlle à rester au lit toute la journée d’aujourd’hui, on la lèvera juste pour midi, elle fera une promenade d’une heure à deux et on la recouchera... Je n’ai trouvé que ce moyen, la condamner au lit sans rien faire, sans ses chers livres de la bibliothèque Rose. (28/11/1917 - Elle)

 

 

Robert

Robert était devant la maison tout à l’heure quand le général est passé, il a enlevé son chapeau et fait le salut militaire en rougissant comme un coquelicot. J’aurais voulu que tu le voies. Il ne parle que de faisceaux, de sacs, de chasseurs, hussards, blessés, etc. et ne perd pas un mot de tout ce qu’il entend. (07/08/1914 - Elle)

 

Maître Robert est devenu depuis sa complète guérison, un méchant petit polisson, il passe sa vie à faire des tours et à en être puni. Quand il va chez la fermière il est le seul à revenir mouillé, il fait exprès de mettre ses pieds dans les raies de pré. Hier il a trouvé bon de mettre le marteau dans le fer à repasser qu’une bonne avait mis chauffer à la buanderie. Ce matin il s’est avisé de faire sa petite commission dessus. Avec cela, malin comme un diable, faisant des réflexions très judicieuses et demandant des pourquoi à tout ce qu’il ne saisit pas bien. Je crois que ce sera un monsieur qui fera son chemin si Dieu lui prête vie. (22/08/1914 - Elle)

 

Robert parle à tout le monde au village, il connaîtra bientôt les gens mieux que moi et il enregistre avec soin ce qu’on lui dit bien mieux que ce qu’on veut lui apprendre. Tu vois Geogi comment se fait l’éducation de ton fils. (15/12/1914 - Elle)

 

Quant à Robert, on l’avait mis au lit à 1 heure 1/2 pour le lever vers 3 heures et partir faire une bonne promenade en âne. Mais je ne sais ce qui a pris à ce petit Monsieur, quand on est arrivé dans sa chambre elle était parfumée. Il était allé dans mon cabinet de toilette, avait vidé un flacon d’odeur, renversé une petite boîte de poudre de riz, cassé des cachets pharmaceutiques, vidé, pour les prendre dans ses poches, deux petites bouteilles contenant un ingrédient pour le soin des ongles, enfin une vraie révolution. Au lieu de dormir, il avait fait de la chimie très peu à mon goût. Aussi pour l’en guérir et l’en punir, il a reçu une magistrale fessée et a été condamné à rester assis sur un fauteuil près de moi à la véranda sans bouger jusque 6 heures. Je ne sais si les autres enfants sont aussi diables que les nôtres mais les deux petits ne me font que des miracles à rebours, renverser des encriers, casser les pots de lait, enfin des polissons. (10/06/1915 - Elle)

 

Tu me demandes des photos des enfants. Je ne puis en prendre maintenant, car Robert est trop affreux avec son front couturé. Quand la croûte sera tombée, je ferai une pose. Il travaille très bien, Bertus, ces jours-ci. Mademoiselle est contente de lui, je pense qu’il saura lire, peut-être pas encore couramment mais presque, pour ses cinq ans, il a fait beaucoup de progrès en quinze jours. Il n’oublie rien, ce petit, il se rappelle si bien tout ce qu’on a dit ou fait, c’est étonnant. (23/06/1915 - Elle)

 

Je n’ai pas encore pu photographier les enfants car Robert était à peine débarrassé de sa vilaine croûte sur le front venant de sa chute de voiture, qu’il est retombé en courant et a de nouveau le front endommagé. Je crois qu’il me faudra le prendre de profil si je veux l’avoir un peu convenable. (01/07/1915 - Elle)

 

Robert est adoré des bonnes, il peut faire les pire sottises, il est toujours excusé « c’est un enfant !! » répètent-elles, il n’a pas son pareil. Dimanche Elise a écrit à Pauline en lui vantant encore tous ses mérites, il est si intelligent, il est allé à la messe et a su me répéter tout le sermon, c’est un si bon petit, etc., etc. Tu vois que tu peux être fier de ton fils. (03/02/1916 - Elle)

 

Maître Robert traîne pour sa lecture, il faudrait pourtant qu’il sache lire pour ses six ans. (19/05/1916 - Elle)

 

Depuis six jours, depuis sa grosse rage suivie de sa bouderie au jardin seul le soir au moment où il craignait d’y passer la nuit, Robert a été bien plus sage. Il n’a plus fait de colère. Cela m’amuse de l’entendre faire ses opérations, il déroule ses additions avec une vitesse, je crois qu’il sera doué pour le calcul ainsi que Noëlle. C’est dommage que nous n’ayons pu continuer à avoir des enfants, à cause de ma petite santé. Peut-être qu’au 7ème, tout comme chez Napoléon, nous aurions eu un génie. (30/08/1916 - Elle)

 

André a appris à Robert à aller en bicyclette, il sait presque bien, cela s’apprend plus vite que la lecture. (03/09/1916 - Elle)

 

Maurice et Thérèse dînaient chez nous avec André Bertin, nos petits étaient contents de l’entendre. Robert avait arboré ses manchettes naturellement. En rentrant d’auto, je l’ai trouvé en train de se laver les mains, de se donner un coup de brosse et il avait été chercher dans son armoire col amidonné, cravate et manchettes pour se faire beau, pour que je lui mette son col et qu’il soit tout prêt pour le dîner. Ils ont offert cigares et cigarettes et je leur ai permis de fumer une cigarette avec les messieurs, cela a été un délire de joie et j’aurais voulu que tu les voies tous les deux avec leur cigarette aux lèvres. Robert est monté se coucher quand elle était à peine commencée et, entre chaque objet qu’il enlevait, il allait la rallumer un peu au fourneau et en retirait une bouffée, paraît-il. A la fin, Noëlle lui a fait remarquer qu’il enfumait nos chambres et il a cessé. (22/11/1916 - Elle)

 

Tu me dis que notre petit Robert n’est pas très sage. Pour les cigarettes, cela ne m’étonne pas du tout. Tu m’as raconté qu’il en avait fumé quelques bouffées et il y a certainement pris goût. Il faut veiller à cela car il est réellement trop jeune et je n’aime guère des galopins même de douze ans la cigarette à la bouche. (16/12/1916 - Lui)

 

Depuis 3 jours on n’a pas eu à gronder Robert : miracle. Il n’a plus caché aucun livre, car c’était sa marotte, il cachait non seulement les siens mais ceux d’André, de Mademoiselle, les cahiers, et il mentait comme un saltimbanque, on n’arrivait pas à lui faire avouer. Quelques maîtresses corrections ont eu raison de cette vilaine façon, il faut l’espérer. C’est mercredi dernier qu’il a fait sa dernière cachette, mais ensuite il a trouvé bon de barbouiller d’encre les radiateurs et de vider l’encrier dans le trou du plancher dans lequel passent les tuyaux du chauffage. Enfin je ne peux te mentionner toutes ses idées saugrenues. Ce matin, il m’a dit : « J’apprends une valse pour Papa quand il viendra, mais il ne faut pas le lui dire ». Note bien qu’il ne joue encore que cinq notes, il n’a pas encore appris à passer le pouce. Tu imagines ce que peut être la valse, il en est très fier tout de même. Noëlle fait des progrès en piano, elle joue déjà très gentiment. Ils aiment tous les trois et se mettent souvent d’eux-mêmes au piano. (19/12/1916 - Elle)

 

Robert est près de moi en train de faire des opérations, je voudrais que tu entendes avec quelle vitesse il déroule. (16/11/1917 - Elle)

 

Robert est privé de bicyclette pour huit jours et ne doit pas sortir du jardin pendant ce même laps de temps, et n’aller au village qu’accompagné par une bonne ou moi. Il jette des cailloux, tire les cheveux aux petites filles, arrache les nœuds des autres, enfin on reçoit des plaintes et il faut sévir. Quel diable de gosse ! malin comme un singe, mais aussi insupportable qu’on peut l’être. (27/04/1918 - Elle)

 

L’après-midi, j’ai assisté aux leçons des enfants, latin et allemand, puis reconduit Marie Mathieu à pied avec Robert. Ce mauvais diable avait été sage deux jours et ce soir il s’est encore évadé à six heures en rentrant, pendant que je changeais de chaussures, et il n’est rentré qu’à 7 heures 1/2. Pas de leçon de piano prise et au moment d’aller au lit Monsieur prétend qu’il a quelque chose d’important à faire au cabinet, mais comme il y passe plus de temps que de coutume je vais attendre sa sortie et constate qu’il s’y était enfermé pour fumer. Il a encore fallu gronder. Quel enfant insupportable, il n’a pas encore huit ans, nous aurons certainement beaucoup de mal avec lui plus tard. Il ne craint personne ici que Grand’Mère et encore !! Les coups, les privations, il pleure sur le moment, puis tout glisse. On se demande que faire pour le mater, c’est assommant. Il faut que je me mette dans l’esprit qu’il ne faut pas le perdre de vue une minute, et quand je ne puis m’en occuper ou sa Grand’Mère, il faut l’enfermer dans sa chambre. André est un peu fainéant, mais il est bien moins difficile à gouverner et plus soumis et respectueux. (04/05/1918 - Elle)

 



Leurs progrès en classe

Les enfants t’ont écrit tout seuls ce matin, cela se voit. (27/08/1914 - Elle)

 

Noëlle fait des multiplications, elle sait à peu près son livret maintenant. Elle a une mémoire surprenante cette petite, quand on lui donne une fable à apprendre, elle la sait en deux minutes, c’est dommage que ce ne soit pas un garçon car elle a beaucoup de facilités. Quant à Robert inutile d’en parler, c’est la paresse incarnée… Robert est privé de dessert parce qu’il a été impoli, cela lui arrive encore souvent. (04/11/1914 - Elle)

 

Tu vois d’après la lettre de tes enfants qu’ils sont très entrain, mais que les fautes d’orthographe continuent à abonder dans leurs compositions. (17/05/1915 - Elle)

 

Voici l’école qui va recommencer. Je suppose, puisque notre Dédé va très bien en ce moment, que tu vas l’y renvoyer. Et notre petite Noëlle, qu’en fais-tu ? Elle serait peut-être contente elle aussi d’aller de temps à autre à l’école pour s’amuser avec les gamines. (29/09/1915 - Lui)

 

S’il y avait moyen, j’aimerais bien que tu cherches une station où il y eut une école ou un collège, pour que notre petit Dédé poursuive ses études avec des camarades, car tu sais l’éducation à la maison ne vaut rien pour des garçons. Mais, naturellement, la santé avant tout et, s’il n’y a pas moyen de faire autrement, j’ai toute confiance en toi. (24/11/1915 - Lui)

 

Noëlle et André ont une leçon d’histoire à apprendre, mais comme tu le sais, les leçons apprises dans les bois vont la moitié moins vite que dans la chambre. Ils ont le règne de Louis XIV à repasser et ils s’embrouillent dans tous les traités et leurs dates, Westphalie, Pyrénées, Aix-la-Chapelle, Nimègue, Utrecht, etc., cela me les remet en mémoire. (13/03/1916 - Elle)

 

Dédé est ravi de l’école de Mr Defer. Je viens de voir son cahier, il a juste écrit une page pour toute sa journée : un devoir de grammaire et des opérations, hier une dictée et des opérations, pas de leçons à apprendre, pas de problèmes, etc. Chez Mlle il remplissait quatre à cinq pages de devoirs, plus ce qu’il faisait à la maison. Il paraît qu’on leur lit le journal, les communiqués, les articles sur les batailles, etc., c’est évidemment très patriotique mais ce n’est pas assez. Je ne dis rien et vais voir cette semaine mais nous serons obligés de chercher une autre solution si Mr Defer ne change pas de méthode. Je t’en reparlerai. (18/07/1916 - Elle)

 

Ne te fais pas de souci pour Dédé. Je t’ai dit je crois qu’un de nos camarades ne savait pas lire à 12 ans. Un autre, un jeune Centrale de 21 ans, n’est allé au collège qu’à onze ans et demi et est resté à l’école primaire jusque là. Il est entré à Centrale à 19 ans dans les premiers. Il faut simplement lutter contre la paresse mais, lorsque les devoirs de l’école primaire sont trop difficiles (notamment les problèmes), il faut aider les enfants, autrement on les rebute. Mais à l’âge de Dédé je préfère l’effort physique à l’effort intellectuel et, à ce point de vue, il faut être sévère. D’ailleurs tu verras tout ira bien. J’écrirai demain à mon petit Robert pour ses six ans. Tu me dis qu’il saura lire, c’est parfait. Pour lui non plus ne demandons pas qu’il soit un prodige et qu’il sache tout faire à dix ans. (18/07/1916 - Lui)

 

Je fais reposer Noëlle ces jours-ci car elle se donnait vraiment trop de peine pour ses devoirs et elle était pâlotte. Cela ne fait pas l’affaire de Dédé, qui trouve qu’on la gâte, qu’il a aussi besoin de repos, qu’on ne le soigne pas, qu’il va faire grève, etc. Ce flot de paroles ne m’effraie pas. André est bien français, il cause et grogne beaucoup, mais il est néanmoins exact à l’heure des leçons après avoir annoncé à grands fracas qu’il ne veut plus rentrer, plus travailler. (06/07/1917 - Elle)

 

L’institutrice

 

Je recule toujours devant cette solution d’avoir une institutrice, car j’ai tellement détesté celles que nous avons eues étant petits que j’avais espéré pouvoir en préserver mes enfants. (18/12/1915 - Elle)

 

Je préfère quand même le contact avec les petits camarades. Un de nos camarades ici ne savait pas lire à douze ans. Cela ne l’a pas empêché de sortir huitième de Centrale. Je sais qu’il ne faut pas généraliser mais ne bourrons pas trop la tête de nos enfants. Cela ne sert à rien, il faut simplement qu’ils ne soient pas paresseux. (05/06/1916 - Lui)

 

Je ne suis pas de ton avis pour Dédé. D’ailleurs puisque voici les vacances nous en reparlerons à ma prochaine permission. Mais tu comprends bien ma petite mie qu’avec une institutrice il n’y a aucun effort personnel. On compte toujours sur elle. Elle est constamment là pour surveiller les devoirs et, involontairement et pour montrer qu’elle enseigne bien, elle aide beaucoup trop ses élèves. Tu peux être tranquille, avec une institutrice, tu auras de beaux cahiers, des devoirs très bien faits, des problèmes difficiles très bien résolus, mais ce ne sera pas Dédé qui aura fait tous ces devoirs et résolu tous ces problèmes, ce sera l’institutrice. A mon avis, l’école primaire avant tout, même si on n’y fait pas grand chose. Lutte simplement contre la paresse et à cet âge-là la paresse intellectuelle est tout à fait commune. Il ne faut jamais s’en inquiéter. Mais ce que j’appellerai la paresse physique, il faut énergiquement la combattre parce que forcer les enfants à travailler physiquement ne leur fait aucun tort au contraire, lorsqu’on n’abuse pas de leurs forces. (30/07/1916 - Lui)

 

Tu ne crois pas qu’il serait bon que notre petit Robert aille un peu lui aussi à l’école. Il est bien jeune pour être continuellement sous la coupe d’une institutrice. Tu sais les enfants n’aiment pas beaucoup cela. Ils sont trop tenus et puis surtout ils n’ont pas leurs petits camarades, et l’étude, dans ces conditions, n’a absolument rien d’agréable. Tu feras bien attention aussi que l’institutrice ne les garde pas plus d’une demi-heure à trois quarts d’heure. Lorsqu’ils sont seuls avec une institutrice, leur attention est forcément très soutenue. En classe, on écoute réciter les camarades, le maître explique pour tout le monde, on peut se payer un peu d’inattention et ce n’est pas fatigant. Donc avec leur institutrice, il faut des repos très fréquents ou sans cela on abrutit les enfants. Enfin, l’institutrice est certainement ce qu’il y a de plus mauvais mais, quand il faut s’y résigner, tant pis, et en effet Dédé est trop jeune pour être interne. (07/08/1916 - Lui)

 

Au sujet de l’institutrice, réfléchis bien à tout ce que tu veux lui demander et pose bien tes conditions avant de l’engager. Je pense bien que nos chéris ne seront sous sa coupe que pendant le moment des classes et qu’elle ne les suivra pas partout où ils iront. Ils pourront se promener seuls, avoir des petits camarades, que Robert puisse continuer à aller avec Mr Bailly sonner les cloches, enfin qu’en dehors des heures de classe et de travail ils auront la plus grande liberté. Dis bien aussi que nous voulons avant tout que nos enfants fassent dans les études un effort personnel. Il ne faut pas leur apprendre des choses trop compliquées. Enfin méfie-toi des jeunesses qui n’auraient jamais enseigné. Les meilleures institutrices sont celles qui ont enseigné dans les écoles et qui savent comment il faut prendre les enfants. Je sais bien ma pauvre mie que, là comme partout ailleurs, tu ne trouveras pas la perfection et que, si tu voulais la chercher, tu serais forcée de te passer d’institutrice, mais n’hésite pas surtout à payer très cher pour avoir quelqu’un de bien. (17/08/1916 - Lui)

 

Nous avons reçu les livres de classe commandés à Paris et André est ravi d’être si riche, pour le moment on est plein de bonnes résolutions et on est tout prêt à bien travailler. Mais vendredi en voyant la photo de Mlle sur son laissez-passer, André ne l’a pas trouvée de son goût et disait qu’il n’obéirait jamais à une personne aussi laide, il a fallu que je le gronde et lui fasse comprendre sa bêtise. (08/10/1916 - Elle)

 

 

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07/15 La cigale et la fourmi

 

L’Allemagne ayant armé tout l’été

Se trouva fort bien pourvue

Quand la guerre fut venue

Et pour accroître la chance

D’écraser la belle France

Elle alla fourbe et câline

Chez l’Autriche sa voisine

La priant de lui prêter des armes

Pour résister aux Russes alliés fidèles

Je vous paierai lui dit-elle

Si je mets la France à mal

Un intérêt colossal

Le Teuton d’abord gagna

Pas longtemps puis recula

Et pour mieux montrer sa rage

Organisa le pillage

Il brisa, vola, bombarda

Puis incendia

Chez le peuple pacifique

De France et de Belgique

Les alliés viennent à bout du Kaiser

Et passent un règlement

De compte avec l’Allemand

Que faisiez-vous bon larron

Dit l’Angleterre au Teuton

Jour et nuit en vrai brigand

Je pillais, ne vous déplaise

Vous pilliez, j’en suis fort aise

Eh bien payez maintenant

 

 

J’ai retrouvé mes chéris avec grande joie, on m’a sauté au cou dès mon arrivée hier soir. Mademoiselle a dit qu’elle était contente d’eux. André se donne de la peine, c’est le calcul, les problèmes qui seraient le plus en retard. Noëlle apprend très bien mais elle est impatiente. Quant à Robert voilà sa première parole : « Mademoiselle m’a dit que j’étais un grand calculateur ». Ton âme de mathématicien va tressaillir d’allégresse, Geogi chéri, en songeant que tu auras un fils et élève digne de toi. (06/11/1916 - Elle)

 

Les enfants obéissent assez bien à Mademoiselle qui use des retenues d’ailleurs pour les faire joindre... Noëlle n’a pas eu encore de retenues, Mlle dit qu’elle n’est pas meilleure que les garçons, mais qu’elle est plus maligne. Comme Mlle fait toujours une menace avant de sévir, Noëlle s’arrête à temps, tandis que les garçons, une fois lancés, ne s’arrêtent que lorsque la punition est donnée. Quel dommage que Noëlle ne soit pas un garçon à la place d’André, elle apprend si vite. Ils ont commencé l’allemand ensemble, elle sait déjà le double de mots que lui. (08/11/1916 - Elle)

 

J’ai reçu avec intérêt le programme de travail et les sujets de compositions donnés à notre Dédé. Mais tu vois j’étais bien sûr que, si tu ne prenais pas tes précautions, Mademoiselle l’aiderait pour ses compositions. Je voudrais bien que le mois prochain il fît ses compositions sans les avoir étudiées à l’avance et sans être aucunement aidé. Il est possible qu’il soit le dernier, puisque comme le dit Mademoiselle on aide tous les enfants, mais tu verras au moins ce qu’il peut faire seul. Il n’y a pas à dire, lorsqu’on est au collège on est bien obligé de travailler seul, c’est d’ailleurs pourquoi le collège est toujours ce qu’il y a de mieux. Mais enfin là n’est pas la question, puisque notre Dédé est encore trop petit. Naturellement, il y a des sujets de composition comme des conjugaisons de verbes qui doivent être choisis parmi les verbes étudiés pendant le mois écoulé. Mais, pour les problèmes par exemple, il est essentiel que les chiffres ne soient pas les mêmes et aussi que pendant le mois précédent on n’appuie pas plus sur ceux qui ressemblent aux problèmes des compositions. (01/12/1916 - Lui)

 

André commence à aimer lire, je ne parle pas de Noëlle pour qui c’est une passion. Si on la laissait, elle lirait tout le temps, pendant ses récréations, et je l’ai déjà surprise en train de lire au lieu d’apprendre une leçon ou faire un devoir au nez de Mademoiselle, qui est très myope et s’entête à ne pas mettre de lorgnon. (17/12/1916 - Elle)

  

Si tu veux réussir, fais comme Melle Marchal, répète souvent les mêmes choses et fais souvent des récapitulations. Pour les mots allemands, ce doit être encore plus nécessaire que pour les problèmes et, pour les enfants comme pour les grandes personnes, il faut répéter souvent les mêmes choses pour bien les savoir. (15/03/1917 – Lui)

   

Tant mieux que ta nouvelle organisation te plaise mais je t’engage beaucoup, si Melle Marchal ne veut pas continuer à donner des leçons à Dédé, à t’en occuper dès maintenant. Tu sais que l’an dernier tu es arrivée trop tard. Sans doute la guerre sera peut-être finie pour la rentrée, mais je crois bien que je ne pourrai pas me résoudre à me séparer de Dédé pour la première année et que je serai bien content qu’il reste avec nous. (17/03/1917 - Lui)

 

 

Leur éducation religieuse

On dit tous les soirs depuis le début de la guerre le chapelet à l’église à six heures du soir et on donne la bénédiction pour implorer la Providence en faveur de nos armées. C’est une grande récompense pour les enfants quand je les y emmène... Après la grand-messe du dimanche on chante le libera pour les soldats défunts, et cela intrigue beaucoup les enfants de penser qu’il y a un catafalque et que le « mort » n’est pas dessous. Ils se demandent pourquoi Mr le Curé l’encense et le bénit. Enfin on fait toujours beaucoup de pourquoi et je serai bien contente quand tu seras là pour leur répondre, tu sauras mieux leur expliquer que moi toutes choses. (29/09/1914 - Elle)

 

Nous allons partir au chemin de la Croix qui se fait à 3 heures à l’église. A ce sujet, Dédé nous a fait une bonne réflexion hier soir. Comme j’annonçais qu’on irait au chemin de Croix et que j’expliquais pourquoi on le faisait : pour rappeler la montée du Calvaire et la refaire avec et comme Jésus, etc., voilà André qui dit : « Alors nous tomberons trois fois aussi ? Cela va être amusant de voir Mr le Curé et toutes les dames culbuter ». Voilà Mr Dédé qui avait juste retenu cela de ses leçons d’histoire sainte et le servait avec des fous rires à la clé. Tu penses si les autres étaient heureux de rire en pensant à toutes les culbutes. On se fait quand on est enfant de la joie avec peu de chose. Ils sont gais et heureux de vivre. (24/03/1916 - Elle)

 

Noëlle est allée se confesser. Monsieur le Curé appelait tous les enfants du petit catéchisme et hier Noëlle inscrivait ses péchés et elle n’en trouvait presque pas. Il a fallu que je l’aide - « Mais, Noëlle, et les désobéissances, et ceci, et cela » - « Mais Maman, je l’ai déjà dit à Monsieur le Curé du Moulleau ». Elle n’arrivait pas à comprendre la brave Noëlle qu’il fallait recommencer à s’accuser puisqu’on était retombé dans les mêmes erreurs. (23/06/1916 - Elle)

 

Ce matin, nous sommes tous partis à 7 heures pour communier. Mais Monsieur Dédé avait bien du mal d’être recueilli, il faut vraiment que Dieu ait des trésors d’indulgence. Néanmoins André a auprès de ses frère et sœur l’allure d’un héros, ils le regardent attentivement et l’ont embrassé très tendrement au retour de l’église. (30/07/1916 - Elle)

 

J’écris aujourd’hui à notre petit Dédé. Notre première Communion nous a certainement fait plus d’effet qu’à lui. Mais cela tient à deux choses. D’abord nous étions plus âgés et puis surtout c’était une véritable fête et une cérémonie un peu extraordinaire. Nous étions tout en noir, cravate blanche, véritable pantalon. Toute la famille nous accompagnait. Bref nous croyions plus facilement que c’était un des actes importants de notre vie. Notre petit Dédé lui est allé recevoir le bon Dieu tout seul, à une petite messe sans grand apparat, avec ses vêtements habituels et il est tout naturel qu’il en conservera peu ou point de souvenir. (13/08/1916 - Lui)

 

Nos garçons commencent à très bien servir la messe, ils y mettent plus de lenteur et d’attention que les gamins du village, on le leur a tant répété qu’ils ont fini par le faire. Le curé de Docelles est en permission depuis huit jours, André a servi la messe tous les jours de la semaine, mais Robert n’y est allé que le dimanche et quand il y avait des services mortuaires vers 9 heures, car je ne voulais pas le fatiguer en le faisant lever si tôt. Il n’est pas assez fort pour se lever tous les jours à 6 heures 1/2 et sortir par la brume. (19/11/1917 - Elle)

 

Tu as bien fait de retarder la 1ère communion de Noëlle et de Robert. D’ailleurs si j’en juge par tes lettres, Noëlle a besoin de corriger sa gourmandise et notre petit Robert a bien mauvais caractère. Ce n’est d’ailleurs qu’un moment comme cela, il faut l’espérer mais il ne sera jamais aussi souple que notre Dédé et plus tard nous aurons plus d’influence sur Dédé que sur lui. D’un autre côté il se laissera aussi moins entraîner par d’autres et sera plus indépendant, ce qui est une bonne chose. (09/03/1918 - Lui)

 

 

Leur goût pour le piano

André et Noëlle jouent un beau morceau de piano intitulé le Rocher de St Malo, c’est plaqué, c’est magnifique. Il y a en accompagnement un bel accord : do mi sol et do fa sol qui fait beaucoup d’effet. Ils marchent assez bien en piano. (30/05/1915 - Elle)

 

Noëlle aime de plus en plus le piano. Elle joue seule à chaque instant, le matin avant 9 heures, après sa leçon entre onze heures et midi quand elle ne sort pas. Je crois qu’elle aura vraiment beaucoup de goût. André y met moins d’ardeur, il prend juste sa demi-heure et s’en contente. (20/01/1916 - Elle)

 

Je suis allée chercher André et Noëlle à leur leçon de piano. Leur maîtresse est contente d’eux et d’André surtout qui est plus attentif que sa sœur. Tu penses s’il était fier d’entendre cette parole. (21/03/1916 - Elle)

 

Noëlle s’est bien fortifiée à tous points de vue. Son professeur de piano la trouve extrêmement douée et regrette de ne pouvoir la suivre de près. Cette dame les fait très bien travailler. Tu serais étonné de les entendre réciter leur solfège et parler des mesures composées, des intervalles, des demi-tons diatoniques et chromatiques, des secondes, tierces, sixtes majeurs ou mineures. Elle leur fait faire des dictées musicales, c.à.d. qu’elle joue des notes au piano qu’ils doivent transcrire sur leur cahier de musique, comme son et comme valeur, et il paraît que Noëlle se trompe rarement. André a moins d’oreille, mais il se donne quand même de la peine. (01/04/1916 - Elle)

 

André a trouvé que nous étions bien riches en instruments de musique, piano à queue, piano de Mère, harmonium, violon, cornet à piston de ton père, de quoi faire de vrais concerts. (08/08/1916 – Elle)

 

Notre Bertus ne tousse plus, Mlle est dans l’admiration à son sujet car il joue un morceau à quatre mains dans tous les tons. Il joue les deux mains pareilles naturellement, il ne fait pas l’accompagnement, mais c’est vraiment étonnant pour un enfant de cet âge. Il tient de son papa. (07/02/1917 - Elle)

 



Leur goût pour les cartes : le Nain Jaune

Ce soir les enfants vont veiller et tu peux te représenter leur joie, les yeux de Noëlle en brillent à l’avance. Samedi soir on a joué et en changeant Robert de lit le soir (car il s’endort dans mon lit pour ne pas être avec Noëlle et ne pas bavarder et je le transporte quand je vais au lit), il disait encore en rêvant « sans huit ». Les deux petits adorent les cartes. André n’y tient guère jusqu’alors, mais l’appât du gain finira par les lui faire apprécier. (31/01/1917 - Elle)

 

Pendant ce temps, je faisais le bonheur de Noëlle en jouant à l’écarté avec elle pendant une demi-heure. La petite personne tient de sa Maman une passion pour les cartes, j’aime mieux que ce soit elle qui l’ait en partage qu’un des garçons, c’est plus dangereux pour un homme. (02/02/1917 - Elle)

 

Hier soir mercredi, c’était jour de veillée et de nain jaune. André sait jouer, mais n’y met toujours pas plus d’ardeur, tandis que les deux petits adorent. Leurs yeux brillent, Noëlle s’énerve quand elle perd, elle cherche fiévreusement un sou pour payer ses dettes, Robert calcule les points qu’il gagne ou perd avec beaucoup de vivacité et annonce ses richesses d’un air conquérant. Cela fait plaisir de les voir et de les entendre. L’heure du coucher arrive toujours trop tôt. (08/02/1917 - Elle)

 

 

La St Nicolas

Les enfants ne parlent que de St Nicolas qu’ils attendent avec impatience, on s’en réjouit, on fait des calculs, on cherche à deviner ce qu’on trouvera demain dans la cheminée. (04/12/1915 - Elle)

 

J’aurais voulu que tu sois là ce matin pour jouir de la joie de tes enfants. Hier soir, une fois qu’ils ont été endormis, j’ai préparé sur ma cheminée des St Nicolas en pain d’épices, des petits St Nicolas en chocolat sur des assiettes avec de belles étiquettes pour chacun et un livre pour André et Noëlle, pour Robert une auto en bois contenant quelques soldats, quelques petits jouets aussi pour Françoise et Lili, enfin un étalage parfait et vers 7 heures 1/2 j’ai appelé le trio. Tout a été acclamé. Nous avions d’abord pensé ne rien donner aux enfants d’ouvriers, mais nous avons réfléchi que cela leur ferait plaisir et Maman a couru au village chercher des petits objets et la pauvre Maman, qui a pourtant tant de choses à faire, a pris encore le temps de se déguiser et de faire St Nicolas pour toute cette smala ce soir à 4 heures. Nos enfants n’ont pas eu peur et même j’ai cru qu’André, qui est si observateur, avait reconnu sa Grand’mère, car après la cérémonie il m’a dit : « Vous ne trouvez pas que St Nicolas a la voix de Grand’mère ». Mais d’autre part il est si naïf et confiant que je n’ai eu qu’à lui dire non pour qu’il n’insiste pas. (05/12/1915 - Elle)

 

J’ai été réveillée en fanfare ce matin par les enfants, qui avaient mis leurs pantoufles dans la cheminée du fumoir pour recevoir leurs jouets de St Nicolas et qui couraient en chemise à la découverte. Noëlle avait mis un bouquet pour St Nicolas et Robert une botte de foin pour la bourrique. J’avais remonté tout cela dans ma chambre pour jouir de leur bonheur sans me lever, et j’entendais la cavalcade de chambre en chambre. Enfin ils sont arrivés chez moi et il n’y a eu que des cris de joie. Nous ne leur avons rien acheté Maman et moi que des St Nicolas en pain d’épices et ils ont trouvé la belle poupée et le chemin de fer offerts par Marie Paul. Je leur avais suggéré de le demander dans leur lettre à St Nicolas, de sorte que c’était justement « ce que j’avais demandé ». Il a fallu s’arracher à la contemplation pour partir au catéchisme et en classe, mais on se réjouit de l’après-midi. André avait des doutes, il m’avait déjà dit plusieurs fois qu’il avait reconnu grand-mère l’an dernier en St Nicolas. Aussi je le lui ai dit. Il m’a aidée hier dans mes préparatifs et semble encore bien plus content d’être dans la confidence, mais il joue très bien son rôle près des petits. Je lui ai bien recommandé le secret et je crois qu’il le tiendra, on peut lui confier bien des choses, ce n’est pas comme Noëlle. Il me disait hier soir : « Il ne faut surtout pas que Robert sache qu’il n’y a pas de St Nicolas ni de Père Fouettard, car c’est bien commode de l’en menacer quand il ne veut pas obéir ». (07/12/1916 - Elle)

 



L’éducation des filles

Quant à notre petite Noëlle, bien entendu nous ne demandons qu’une chose c’est qu’elle ait une bonne santé. Par conséquent ne la pousse pas trop. (16/05/1917 - Lui)

 

André a toujours son même défaut, le manque de confiance en lui, je lutte autant que je peux contre cette façon de faire qui est une faiblesse en ce monde. Pour réussir il ne faut pas douter de soi et encore moins que les autres doutent de votre valeur. Je n’ai pas cette peine avec Noëlle qui est orgueilleuse jusqu’au bout des ongles, il est vrai qu’elle a tellement de facilité pour tout. Mademoiselle me le disait encore tout à l’heure, elle n’a jamais eu une enfant pareille parmi ses élèves et elle en a eu pourtant de fort intelligents. C’est un plaisir de l’enseigner. Mais comme caractère, il y a à faire. Il faut l’adoucir et la polir, car je veux une fille soumise, non pas comme les jeunes personnes modernes… Il faut de l’initiative aux garçons, mais je déteste l’indépendance chez les jeunes filles et, avec l’intelligence de Noëlle, ce serait désastreux. Tu es de mon avis, n’est-ce pas. D’ailleurs la pauvre Noëlle n’a pas de chance, on ne lui fait que bien rarement des compliments trouvant qu’elle s’en fait suffisamment elle-même. (12/11/1916 - Elle)

 

Voyez-vous notre Mimi et quelle ambition elle a pour sa fille. Tu veux en faire une bachelière, ma pauvre Mi, je suis sûr que tu plaisantes. Ah non, que notre petite Noëlle ait une bonne santé. Elle est bien assez intelligente pour qu’on ne soit pas forcé de lui faire faire tant d’études. Elle se promènera beaucoup et, si tu veux m’en croire, elle ne passera aucun examen. Cela ne sert à rien pour les jeunes filles. (14/07/1917 - Lui)

 

 



La Guerre

 

La durée probable de la guerre, ... Les Allemands sont trop forts, ... nos tristes alliés, ... les grands chefs : les états-majors, les généraux, les politiques, … L’esprit débilitant de l’arrière.

 

La durée de la guerre

Sujet interminable...

Les journaux m’agacent avec leur confiance et leur optimisme de commande : depuis des mois les Allemands meurent de faim, manquent de munitions, ce sont des barbares. Przemysl est repris, qu’est cela, on avance en Galicie, en Courlande, ce n’est d’aucune importance. Qu’on tâche seulement de les imiter, qu’on les refoule hors de chez nous et alors on pourra se réjouir. En attendant, je ne lis plus les nouvelles qui m’exaspèrent en me montrant toujours aussi éloigné le moment de ton retour. (17/06/1915 - Elle)

 

Tu as vu comme moi dans les journaux que la retraite des Russes de Lemberg est magnifique, qu’ils agissent comme Joffre sur la Marne, ne laissant à l’ennemi que des terrains habilement évacués et chaque verste coûtant aux Allemands de nombreux morts ou blessés. Il est probable que si nous reculions jusqu’à Bordeaux, ce serait encore admirable. Au fond j’admire les journalistes et les généraux ou colonels en retraite qui signent des articles pareils. Nous avançons de 500 mètres, c’est un succès. Les Allemands marchent à pas de géants, 20 ou 25 kms par jour, qu’est-ce que cela ? Aucun de leurs plans ne réussit. Tu me prêches la patience, je t’obéis mais en rageant… Cette guerre a l’air de s’éterniser, cela est bien effrayant, et vraiment on a besoin de beaucoup de courage pour supporter cette idée de longueur de temps. (27/06/1915 - Elle)

 

Faisons des vœux ma Mimi pour que notre offensive réussisse et que la durée de la guerre soit abrégée. Il ferait si bon se retrouver et je suis bien en mal de vous tous. (01/10/1915 - Lui)

 

Pas de lettre de toi aujourd’hui, encore des retards de la poste. Dis donc Mi, tu ne trouves pas que cela traîne la guerre. Il faut réellement avoir de la patience. Espérons bien toutefois que c’est le dernier hiver car c’est réellement dur d’être ainsi séparé de sa Mi et de ses chéris. (07/10/1915 - Lui)

 

Je comprends que ton frère Georges soit un peu pessimiste. C’est tout naturel mais ne crois pas ma Mi que la guerre veuille encore durer deux ans. C’est impossible. Où trouverait-on l’argent ? Si cela dure, on prendra des mesures plus énergiques pour le blocus. On prétend que les Anglais commencent déjà. En tout cas je ne crois même pas possible que nous recommencions dans les mêmes conditions un autre hiver. Tout le monde en sera las et en particulier ton Geogi qui voudrait retrouver sa Mimi et ses chéris. (26/01/1916 - Lui)

 

Je regrette bien aussi que tu ne puisses venir faire une petite visite à mon gourbi. Je t’assure que la présence de nos femmes l’embellirait de suite et que nous nous y plairions tout à fait. Si la guerre dure encore dix ans, peut-être autorisera-t-on les hommes à recevoir leur femme de temps à autre et la guerre prendra un caractère tout à fait nouveau. Mais j’espère bien que nous n’en sommes pas encore là et que, s’il est encore peut-être nécessaire de passer un troisième hiver, ce sera bien le dernier. (28/05/1916 - Lui)

 

Nos offensives à nous, comme d’ailleurs celles des Russes, semblent s’arrêter pour le moment. Ma pauvre Mie, il ne faut plus compter que la guerre sera finie cette année. Pourvu qu’on augmente un peu le nombre des permissions car, malgré tout le courage qu’on peut avoir, on est un peu las de cette vie monotone qui vous sépare de ceux qu’on aime. Heureusement que dans quatre semaines je serai avec toi. (19/08/1916 - Lui)

 

Dans quinze jours tu seras arrivé et je serai bien heureuse de t’avoir, de t’aimer et de me faire gâter par mon aimé mari. Si seulement notre estimable Joffre avait la bonne idée d’allonger les permissions et de nous donner quelques jours de rabiot. Il pourrait bien nous donner cette joie en l’honneur de la Roumanie... C’est dommage que ces Roumains s’y soient pris si tard, ils ne nous éviteront pas une campagne d’hiver. (29/08/1916 - Elle)

 

Que dis-tu de la reprise de Douaumont et surtout de celle du fort de Vaux ? Tout de même cela doit un peu désillusionner les Boches. Après avoir subi tant de pertes pour s’emparer de tous ces points qu’ils déclaraient importants pour eux, les voilà obligés de les abandonner presque sans combats. Je sais bien que ce n’est pas encore la fin et je t’assure que je le regrette bien. Mais j’espère bien maintenant que l’hiver prochain nous le passerons ensemble. L’offensive des Allemands en Roumanie et Dobroudja m’avait bien un peu inquiété. Mais tu vois, les prétendues victoires allemandes n’amènent jamais rien de décisif et nous tenons quand même le bon bout. (05/11/1916 - Lui)

 

Ma petite Mie, tâche encore de patienter et ne te lasse pas de la guerre. Réfléchis bien et dis-toi que nous avons encore de la chance quand on voit tous les pauvres malheureux qui souffrent tant de la guerre. Je suis absolument convaincu que je reviendrai. C’est tout ce que nous demandons, n’est-ce pas. Quant aux intérêts d’argent nous nous en moquons pas mal, n’est-ce pas Mie. La guerre sera finie sûrement cette année. Nous avons par conséquent encore une quarantaine d’années à nous aimer. Faisons ce sacrifice de la séparation, le bon Dieu nous en tiendra compte. (17/02/1917 - Lui)

 

Mais la fameuse GOP (Grande Offensive de Printemps) n’a pas l’air de se déclencher très vite et il faut bien espérer que les Boches ne prendront pas les devants en nous forçant à modifier tous nos plans. Quoi qu’il en soit, on sent quand même que la guerre ne pourra plus durer très longtemps. Pour ma part je suis convaincu que l’an prochain je serai rentré, bienheureux, comme tu penses ma Mie, d’être avec toi et avec nos chéris. (21/02/1917 - Lui)

 

Je suis bien persuadé que la guerre sera finie cette année. Il est impossible qu’un pareil état de choses puisse encore continuer. Tu verras après la guerre comme nous serons heureux ma Mie et que le bon Dieu nous compensera cette longue séparation. (17/03/1917 - Lui)

 

Le ministère est tombé en effet et comme tu dis nous sommes un peu dans le gâchis. Toutefois je crois que Clemenceau est un homme énergique et en tout cas il nous donne à tous plus confiance que Caillaux et sa clique. En Italie cela ne va pas trop mal en somme pour le moment. Je craignais que les Boches n’arrivassent aux Alpes. Ils semblent être arrêtés sans que d’ailleurs les armées anglaises et françaises qui sont là-bas soient déjà intervenues. (19/11/1917 - Lui)

 

Je crois que la guerre va encore se prolonger féroce pendant tout l’été. L’état-major boche vient d’exiger et d’obtenir l’envoi sur notre front d’une armée d’Autrichiens et de Hongrois, qui encadrée par des Allemands permettra à ceux-ci de tenter un nouveau et violent coup de bélier. C’est peut-être un demi-million de réserves, de très médiocres réserves, qui font tout de même du nombre, qu’on va lancer de nouveau à l’abattoir dans le courant de l’été. Après quoi ce sera fini, Ludendorff donnera sa démission, et son successeur proposera un armistice. J’espère la fin du drame pour le courant de l’automne 1918... Nos pauvres soldats n’ont pas fini de souffrir. (06/05/1918 - Abbé Hamant à Elle)

 

 

Les Allemands sont trop forts

Les Allemands, ils sont trop forts et nous trop bêtes avec nos soi-disant alliés qui n’en font qu’à leur tête et nous coûtent cher,… Si nous avions seulement la dixième partie de leur puissance d’organisation !

Quand verra-t-on la fin de tout cela ? Mais d’après les communiqués, ce sont encore toujours les Allemands qui attaquent et ils ne se laissent pas repousser facilement, ce qui prouve qu’ils ne manquent ni de munitions ni d’armement. (13/06/1915 - Elle)

 

Il semble qu’on ait bien du mal à Verdun de les empêcher de passer, combien toutes ces attaques et contre-attaques vont-elles nous coûter d’hommes ? Ces diables de gens ne se lasseront donc jamais. Quand se décideront-ils à rentrer chez eux et à nous faire le plaisir de nous réunir… Quand sera-ce ce bienheureux retour ? (05/03/1916 - Elle)

 

Ma pauvre Mie, avant de parler de projets d’avenir, attendons que la guerre soit finie. Ces satanés Allemands ont trouvé encore le moyen d’envahir la Roumanie. Le petit coup que nous avons tenté à Verdun compense un peu tout cela, mais c’est bien ennuyeux car on ne voit pas la fin de cette terrible guerre. (26/10/1916 - Lui)

 

Voilà les Allemands près de Bucarest. Quand serons-nous donc prêts et faut-il encore attendre des années avant la fin de cette guerre maudite ! (29/11/1916 - Lui)

 

Vraiment c’est à dégoûter d’être Français quand on voit comme tout marche sans ordre et sans soins. Je commence à me dire que si nous devenons Allemands, ce sera bien fait, nous serons au moins bien gouvernés. C’est malheureux de voir ce qui se passe tant au point de vue militaire que civil et il faut que les braves gens se fassent tuer pour tant de racailles et de lâches… Si seulement les propositions de paix des Allemands étaient acceptables, s’ils se contentaient de rentrer dans leurs frontières avec quelques colonies, je leur offrirais bien le Dahomey et quelques terres désertiques et tropicales avec quelques milliards pour qu’ils me rendent mon chéri Geogi et que nous reprenions notre vie paisible et heureuse. (14/12/1916 - Elle)

 

Evidemment on ne peut pas admettre les propositions de l’Allemagne, qui en ce moment est victorieuse. Ses offres de paix ne sont qu’un énorme bluff, qui lui permettra de soutenir qu’elle n’est pas responsable de la continuation de la guerre. Ma petite Mie, tu me permettras de te gronder un peu. Non ce ne sera pas bien fait si nous devenons Allemands. Il y a quand même des honnêtes gens parmi les Français. Mais je dois dire que les plus honnêtes sont encore ceux du peuple. Quand je vois mes hommes supporter aussi courageusement et sans mot dire des fatigues qu’en somme on aurait pu leur éviter, je me dis qu’il y a encore des ressources en France et que notre pays ne peut pas mourir. En tout cas ce n’est pas à nous ma pauvre Mie, malgré notre séparation qui dure évidemment trop longtemps, à nous plaindre. Songeons aux pauvres gens qui sont morts, à ceux qui actuellement sont obligés de se restreindre pour pouvoir vivre et nous nous estimerons encore très heureux. Et puis tu vas très bien, nos chéris aussi, ton Geogi n’est pas exposé, tu vas le revoir dans une quinzaine. Ne songeons qu’à cela et aux bons moments que nous allons passer ensemble. (21/12/1916 - Lui)

 

J’ai reçu ta bonne lettre du 1er avril, lettre un peu découragée ma Mie. Je t’en supplie, ne te laisse pas envahir par ce sentiment. Reconnais toi-même qu’il y en a de plus malheureux que nous. Dis-toi également que la guerre malgré tout touche à sa fin. Voilà les Etats-Unis qui interviennent. Bientôt l’Allemagne va avoir le monde entier sur les bras. Quelle que soit sa puissance, sois bien persuadée qu’elle ne pourra pas tenir longtemps. (07/04/1917 - Lui)

 

Tout en ne me faisant pas d’illusions, je dois reconnaître que je suis plus optimiste ces jours-ci. Les Italiens réellement ont tenu, il est vrai qu’ils n’avaient à faire qu’à des Autrichiens qui ne valent pas à beaucoup près les Allemands. Mais du moins nous serons quittes d’envoyer d’autres troupes là-bas et cela gênera peut-être un peu les Boches dans leurs projets. (25/06/1918 - Lui)

 



Nos alliés

Tu sais je ne « rage » plus en pensant aux Russes, je m’attends à tout de leur part. Nous avons de tristes alliés : les Anglais qui sont 700 000 pour garder même pas 100 kilomètres, la Russie qui recule... Et les Américains qui tardent à entrer dans la bataille.

Dis donc, chéri, je crois que nos amis les Russes sont en train de se faire donner la vaste pile, pour parler comme les collégiens, Paul avait bien prévu qu’ils ne sortiraient pas de chez eux. Cela va sans doute encore retarder les beaux projets de l’Italie, et pourtant je voudrais tant qu’elle se dépêche. Son entrée en lice avancerait peut-être ton retour de quelques jours. Tu as beau me dire que tu reviendras en août, je n’y compte pas et ne t’attends pas avant novembre. (06/05/1915 - Elle)

 

Nous attendons comme toi que l’Italie marche avec nous. On nous annonce l’alliance, mais toujours pas la déclaration de guerre. Patience, patience ! (23/05/1915 - Elle)

 

L’Italie marche enfin, pourvu que cela avance la victoire prochaine... L’entrée en lice de l’Italie, même si elle n’est pas forte au point de vue militaire, prendra à l’Allemagne une bonne partie de ses hommes et de ses bouches à feu, ce qui sera très bon pour vous. (25/05/1915 - Elle)

 

Tu sais je ne « rage » plus en pensant aux Russes, je m’attends à tout de leur part. Après Lemberg, ils abandonneront Varsovie, puis Riga. Nous avons de tristes alliés - les Anglais qui sont 700 000 pour garder même pas 100 kilomètres, la Russie qui recule, heureusement que la France a mon Geogi. Sur cette petite méchanceté, je vous embrasse mon chéri adoré. (08/07/1915 - Elle)

 

Et les Balkans ? Qu’en dis-tu ? Cela a l’air de mal marcher pour nous. Si les Bulgares allaient donner un coup de couteau dans le dos des Serbes, ce serait bien mauvais ! Avec ces espèces de Russes qui fuient à grande vitesse, ah mon pauvre chéri, quels pauvres alliés ! Leur folle course à rebours recule ton retour de plus en plus. Quand se reverra-t-on ? Je commence à croire que les Anglais n’avaient pas tort, en arrivant l’an dernier, de faire des baux de trois ans à Berck et autres lieux du littoral, mais pendant ce temps on vieillit et j’aurai des cheveux blancs quand tu reviendras. (23/09/1915 - Elle)

 

As-tu vu dans les journaux d’hier soir la magistrale frottée que se sont fait donner les Anglais dans la Mer du Nord. Quels tristes alliés ! Grand Dieu. Dans le communiqué britannique, après avoir mentionné seize bateaux coulés, ils inscrivent une phrase exquise : « Les pertes de l’ennemi sont importantes, elles sont au moins d’un croiseur de bataille détruit et d’un autre gravement avarié ». Cela fait sauter de voir des choses semblables. Tout de même on aimerait enregistrer une fois une petite victoire et on n’a jamais que des reculs, malgré tout le courage et la vaillance de nos soldats. (04/06/1916 - Elle)

 

Les Russes paraissent reprendre le dessus. Si seulement ils pouvaient continuer et dégager les Italiens et nous-mêmes à Verdun. (09/06/1916 - Lui)

 

Un vent d’optimisme souffle dans nos pays. Tout semble tourner très favorablement pour les alliés. Les Autrichiens paraissent recevoir une volée formidable et c’est vraiment un effort des Russes splendide (eux qui étaient si mal préparés à soutenir une guerre moderne). Tout le monde est d’avis que la guerre sera finie pour l’hiver, puisse cette promesse se réaliser, cela serait si bon de se retrouver. (21/06/1916 - Elle)

 

Les journaux nous apprennent qu’il y a une violente lutte d’artillerie dans le Nord, peut-être est-ce le début de l’offensive anglaise. Il est temps je crois pour Verdun qu’elle se produise. On nous donne aussi de bonnes nouvelles des Russes et même des Italiens qui auraient repoussé les Autrichiens et repris pas mal des positions qu’ils avaient dû abandonner il y a un mois. Enfin nous sommes un peu dans la fièvre de l’attente et nous voudrions bien que tout cela se déclenche une bonne fois afin de nous permettre de revoir nos épouses si chères. (26/06/1916 - Lui)

 

Rien de nouveau de notre côté. Les Anglais nous dit-on vont attaquer sérieusement. Pourvu qu’ils réussissent. (28/06/1916 - Lui)

 

J’attends le fameux 10 août avec impatience puisque c’est le jour où la Roumanie doit se mettre en marche. (06/08/1916 - Elle)

 

Voilà les Italiens qui viennent de prendre Gorizia. Tu as beau dire, ma petite Mie, il y a quand même quelque chose de changé et je suis tous les jours étonné d’apprendre que les Allemands laissent faire et ne réagissent pas. Je persiste à croire que l’an dernier ils n’auraient pas agi de même et j’en conclus qu’ils n’ont plus la même assurance. Oh sans doute, ils ne sont pas encore battus et je crains bien qu’il faille attendre l’an prochain pour voir la fin de cette horrible guerre. Mais enfin je crois que nous tenons maintenant le bon bout et, s’ils ne ripostent pas d’une manière efficace avant l’hiver, je crois que nous finirons bien par les avoir. (11/08/1916 - Lui)

 

Les journaux nous annoncent, en même temps que la prise de Monastir, l’envahissement prochain de la Roumanie. Et voilà encore un peuple qui aurait aussi bien fait de rester neutre, puisque ce sera encore un gage de plus entre les mains des Allemands et un grenier où puiser. Enfin ne parlons pas des bêtises faites, car il y en aurait des volumes. (21/11/1916 - Elle)

 

Voilà l’Amérique qui vient de déclarer la guerre. Tant mieux. L’Allemagne finira bien par être vaincue malgré tous ses sous-marins et ses canons. Comme je serais heureux si d’ici à quatre ou cinq mois nous étions ensemble. (05/04/1917 - Lui)

 

Quelle misère mon Dieu. Après avoir attendu les Anglais deux ans, voilà qu’il faut attendre les Américains. Enfin ne parlons plus de cela et soumettons-nous à l’inévitable, rien ne sert de se rebeller. (29/04/1917 - Elle)

 

Que dis-tu du message du président Wilson ? Je trouve qu’il exagère un peu. Enfin il nous promet l’Alsace Lorraine, c’est déjà quelque chose. (14/01/1918 - Lui)

 

Je comprends que vous ayez été un peu retournés en voyant tout ce qui se passe en Russie. Evidemment il ne faut pas se faire d’illusion, tout cela est bien ennuyeux pour nous et cela va prolonger la guerre. Mais malgré tout je crois que nous ne calerons pas. Nous aurions d’ailleurs tort de le faire car notre pays serait fini. Je ne crois pas cependant que les Allemands réussiront leur attaque sur notre front. Ils n’entreront pas facilement. Toutes nos défenses ont été fortement renforcées depuis quelques mois et d’ailleurs je doute qu’ils essaient tout au moins pour le moment. Il me semble qu’à leur place j’essaierais d’abord de me débarrasser de l’armée d’Orient. Je crois que cela leur serait plus facile et au point de vue moral ce serait avantageux pour eux et fort ennuyeux pour nous, tandis qu’ils risquent gros en s’attaquant au front d’Occident. (27/02/1918 - Lui)

 

Je crois que les Américains ont beaucoup d’enthousiasme. Ils sont comme nous en 1914 et n’ont pas fait la guerre depuis quatre ans. Tant mieux d’ailleurs car le moral de la troupe est ce qu’il y a de plus important. (19/06/1918 - Lui)

 



La longue litanie des morts

Les disparus, les morts, les veuves, les pauvres parents, …

Je n’ai toujours pas de nouvelles de Maman et de Georges et en suis bien ennuyée. Nous voilà au 4 et depuis le 8 où il a été blessé, c’est surprenant qu’il n’ait pas trouvé le moyen de nous écrire ou nous faire écrire. Ce service de santé est vraiment bien mal fait. Il y a tant de militaires qui ne font rien dans les bureaux, on pourrait bien en employer à relever les noms des blessés et à les envoyer à leurs familles… Voyant que Georges ne nous fait rien dire, je crains qu’il ne soit mort en route, puisque au commencement on disait qu’il ne lui fallait aucun mouvement dans son lit. J’ai peur qu’on l’ait évacué trop vite et qu’il en ait souffert. (04/11/1914 - Elle)

   

Monsieur Knipiler consent maintenant à se remettre au travail. Il a retrouvé son courage en apprenant que son fils était vivant, prisonnier à Ingolstadt. Ils ont été si malheureux durant 2 mois croyant leur fils mort. Madame a fait le tour des champs de bataille, regardant toutes les tombes et essayant de chercher les inscriptions pensant y trouver le nom de son malheureux fils et, au début de novembre, le pauvre garçon a enfin pu donner signe de vie. (26/11/1914 - Elle)

 

Georges Boucher est vivant ! Il est retrouvé et il est vivant ! Nous l’avons enfin reçue cette lettre tant espérée. Maman se sent toute délivrée de son cruel souci. Quelles inquiétudes il nous a données. Il a dû souffrir bien durement alors que tout seul il a reçu les derniers sacrements et s’est vu condamné, ce sont des heures qui doivent compter dans une vie plus que toutes les minutes heureuses. Il nous parle des bons soins qu’on lui prodigue dans son hôpital de Schwerin dans le Mecklembourg, Maman en viendrait presque à remercier les Allemands de prendre ainsi soin de lui. Nous espérons apprendre bientôt sa complète guérison. Avec son habileté ordinaire à s’arranger de tout et à se faire bien voir partout où il passe, il ne se plaint de rien et semble passer le temps aussi philosophiquement que possible dans son hôpital à apprendre l’allemand aux officiers d’infanterie français et anglais avec lesquels il vit. Le voilà maintenant en sûreté et certain de nous revenir. Camille a dit à Cécile que Georges avait été cité 2 fois à l’ordre du jour du Corps d’Armée et de l’Armée et qu’il était proposé pour la Médaille Militaire, proposition appuyée par son général. (26/11/1914 - Elle)

 

Oncle Vautrin nous écrit la mort de sa pauvre Mère. C’est terrible de penser à ce qu’elle a subi pour terminer sa vie. (28/11/1914 - Elle)

 

D’après Pauline, il y aurait de 40 à 50 morts pour Cornimont, et autant pour La Bresse. Comme elle dit, si c’est partout comme cela, il y en a déjà un nombre pour la France. (30/12/1914 - Elle)

 

Oncle Henry nous a appris la mort de François, tombé au champ d’honneur à Steinbach devant Thann le 2 janvier. Il était dans une tranchée ; après la victoire, malheureusement, il a relevé la tête et le buste pour changer de place. C’est à ce moment qu’une balle l’a tué raide à la base postérieure du crâne. Son père l’a vu avant qu’on clouât sa bière. Tante Marthe est effondrée mais bien courageuse, tu sais toute la place que son François tenait dans sa vie. (04/01/1915 - Elle)

 

 

 

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Le Rudlin – 12 août 1914 – Maison forestière - Lieutenant Paul Boucher – Sergent François Boucher

 

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Marthe Boucher en tenue de deuil après la mort de son fils François

 

 

La seule satisfaction qui nous reste est celle de savoir que sa mort est glorieuse, qu’il l’a donnée pour la France. Après la guerre nous serions heureux de pouvoir ramener ce cher enfant dans notre cimetière communal. (27/01/1915 - Guillermain Lacarelle à Lui)

 

Nous sommes plongés dans la plus affreuse douleur. Notre fils bien aimé a été tué le 20 février aux Eparges en Woëvre. Tout le bonheur qu’un fils peut donner à des parents, il nous l’avait donné et il avait créé lui-même un jeune foyer où toutes les joies paraissaient promises. C’est un effondrement pour sa jeune femme, ses deux enfants et pour nous. Nous sommes horriblement malheureux ! (17/03/1915 - M. Parmentier à Lui)

 

Nous sommes heureux de voir que vous êtes avec nous pour partager les regrets de nos chers enfants sur la perte cruelle que nous venons d’éprouver envers eux. Camille est tombé au champ d’honneur frappé d’une balle à la tête en entraînant ses hommes à une charge à la baïonnette sur le 3e rég. de la garde prussienne à la côte 196 Mesnil les Hurlu dit le Bois Brûlé. Son capitaine nous a fait ses condoléances nous disant qu’il vient de perdre le meilleur de ses sous-officiers, que ses hommes le regretteront car il n’a cessé de leur donner l’exemple du calme et du courage. Aujourd’hui nous avons reçu son mortuaire. Quant à Abel, nous n’avons plus aucun espoir. Léon Lemaire a écrit à ses parents qu’il nous prévienne de sa mort, qu’il avait remis son porte-monnaie au Sergent Fourrier et qu’il tenait sa montre à notre disposition : frappé par un obus il est mort avec cinq de ses camarades à Hartmannswillerkopf. Ce qui nous console c’est qu’on sait qu’ils sont morts en braves et on a l’espoir d’aller les retrouver un jour où l’on ne se quittera plus. (22/04/1915 - Jean-Baptiste Joly à Elle)

 

 

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Faire-part de la mort des deux frères Camille et Abel Joly - Mai 1915

 

 

La bonne de Thérèse est rentrée de Cornimont ce matin. On en est au 63ème soldat recommandé à l’église, sans compter les disparus dont on n’a pas reçu l’avis mortuaire. Si toutes les communes de France ont cette proportion, quelle hécatombe. Mais je crois que tous nos départements de l’Est sont particulièrement éprouvés, car ce sont les régiments qui ont donné le plus. (17/05/1915 - Elle)

 

Les Kiener sont bien éprouvés : Edouard de l’âge de Maurice est mort cet hiver, Roger, celui de Remiremont a été tué près d’Arras aux dernières attaques et le jeune Gérard qui a été très gravement blessé à l’épaule en septembre n’est pas encore remis. Quand on fait ainsi des comparaisons, on doit s’estimer bien heureux de son sort. (05/06/1915 - Elle)

 

Je suis horriblement triste aujourd’hui depuis que nous avons reçu l’affreuse nouvelle de la mort d’Edouard Michaut. Hier je ne sais pourquoi nous nous en étions inquiétées en lisant les comptes rendus des journaux sur toutes ces batailles acharnées et avions envoyé un télégramme aux Vautrin pour avoir des nouvelles. Hélas ! Ce matin nous recevions une dépêche qui a dû être envoyée avant de recevoir la nôtre, ou alors de suite après, disant « Edouard blessé Douaumont décédé à Bar-le-Duc. » Que c’est affreux de penser qu’un gentil petit ménage comme celui-là est maintenant séparé à jamais. Et combien y en a-t-il hélas de semblables ? (01/03/1916 - Elle)

 

 

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23 Janvier 1916 –Edouard et Madeleine Michaut à Saulxures-sur-Moselotte

 

 

Le pauvre Déon est bien triste. Deux de ses neveux ont été tués dernièrement à Verdun à quelques jours d’intervalle et leur mère, sœur de Mme Déon, qui n’avait que ces deux enfants-là, n’a pu supporter ce malheur et vient de mourir. Quand on pense à la façon dont certaines familles sont éprouvées, on peut s’estimer heureux d’être comme nous sommes et ne pas trop se plaindre, n’est-ce pas ma mie. (09/06/1916 - Lui)

 

Evidemment, tous ces deuils sont terribles mais le moyen de les éviter, à moins de faire de suite une paix qui serait à l’heure actuelle désastreuse pour la France, puisque jusqu’à présent nous ne sommes pas les vainqueurs. (25/11/1916 - Lui)

 

La pauvre Marie Michel, qui a déjà perdu un fils cet été à Cléry, avait son second à bord du Suffren qu’on annonce perdu corps et biens, de sorte que la voilà plongée dans la tristesse. C’est vraiment affreux pour de pauvres vieux parents comme eux d’avoir bien élevé deux grands fils jusque 20 ans passés et de rester seuls maintenant pour leurs vieux jours. Tu feras bien de lui envoyer une lettre de condoléances, Madame Jules Valentin, rue du Vinot à Gérardmer. (11/12/1916 - Elle)

 

Comme je vois vous avez déjà appris le nouveau malheur qui vient de nous frapper. C’est affreux pour nous d’enterrer nos enfants les uns après les autres. Mais nous avons toujours la prière, la meilleure des consolations. Notre pauvre Eugène, lui, il ne souffre plus, il est allé rejoindre ses frères, il est quitte de bien des peines. Mais pour nous, ce vide est affreux et notre peine est aussi grande et même plus que de Camille et Abel car Eugène laisse une jeune femme dont la vie est brisée et une petite fille de 4 ans. (15/12/1916 - Jean-Baptiste Joly à Elle)

 

Nous sommes bien accablés, bien tristes, bien seuls, n’ayant plus qu’une pensée, retrouver nos chers enfants au plus tôt Là Haut où il n’y aura plus de cruelles séparations... Mes pauvres petits si regrettés disparus tous deux, l’un à 20 ans, l’autre à 22, et nous pauvres parents désolés, seuls maintenant avec notre grand chagrin. (15/12/1916 - Marie Valentin à Elle)

 

Nous sommes bien touchés de votre affectueuse sympathie et venons vous remercier de la part que vous prenez à notre nouveau deuil : ce pauvre Maurice qui venait pour tâcher de nous consoler, et voilà qu’il nous est arraché brutalement au moment où nous allions le revoir pour quelques jours. Nous sommes bien tristes et bien abandonnés mais que la volonté du Bon Dieu soit faite et non la nôtre, qu’Il nous donne la force qui nous est nécessaire en attendant d’aller rejoindre nos chers petits. (16/01/1917 - Marie Valentin à Lui)

 

 

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Lettre de Marie Valentin à Georges Cuny après la mort de ses deux fils (16/01/1917)

 

 

 

Les affaires de famille dans la tourmente

C’est une famille d’industriels, principalement dans le papier et le textile. Leurs usines sont surtout dans les Vosges mais une des affaires est à 150 km de Moscou, … Les difficultés de l’industrie en temps de guerre : tout ce qu’on fabrique se vend mais on a un mal fou à fabriquer en raison des problèmes d’approvisionnement en matières premières et du manque de main d’œuvre... Il y a des associés, dont une tête de Turc, Pierre Mangin, cogérant de l’affaire textile. Mimi n’aime pas du tout le caractère de cet homme-là, mais alors pas du tout, et elle l’écrit… 

A en juger sur la filature de Maurice, je me demande dans quel état doivent être Laveline et Schlestadt. On dit ici que les Allemands saccagent tout en Alsace, que sera-ce s’ils savent que l’usine est française. (10/08/1914 - Elle)

  

Nous remettons en marche lundi. On a déjà remis en train hier coupeuses et calandres qui marchent avec la turbine pour faire le papier resté inachevé à la mobilisation. Tout le monde semble content de reprendre l’ancienne vie. Nous avons demandé l’autorisation pour que 9 ouvriers qui travaillent encore aux forts soient libérés dimanche. Mr Manuel, grand manitou, a promis d’appuyer notre demande. On a un mal fou de se procurer de la houille. Pendant ce temps Mr Lederlin fait réquisitionner 9 bateaux arrivés au port d’Epinal pour sa seule usine de Thaon, c’est criant d’injustice. Enfin passons ! (28/10/1914 - Elle)

   

Je communique à peu près bien avec tout le monde maintenant même pour affaires. Nous livrons des filés pour la Vologne, en Russie nous marchons en double équipe avec 47 000 broches et 840 métiers. Nous faisons des tissus pour l’armée mais le coton est rare et très cher (le coton d’Amérique ne peut venir que par Vladivostok et encore), à S. (Schlestadt-Séléstat) nous marchons aussi un peu. (23/11/1914 - Paul Cuny à Lui)

 

Bien que mobilisé à Epinal (pas encore réintégré dans mon grade, mais ayant obtenu du ministre la promesse de recevoir satisfaction bientôt), je continue à m’occuper des usines de Cornimont 2 fois par semaine, les employés font le service et viennent me faire signer le courrier. On mobilise et on prend tout le monde, même les infirmes, borgnes, boiteux, etc., etc., de sorte que je ne sais pas si je pourrai marcher encore bien longtemps ! Il ne me restera que les directeurs, qui eux sont trop âgés pour partir, et encore si la guerre dure longtemps comme cela semble probable, on fera peut-être appel aux hommes jusqu’à 60 ans ! Enfin je travaillerai le plus que je pourrai. Charmes travaille à ½ et nous expédie des filés avec lesquels nous faisons du tissu à Cornimont. Je pense pouvoir recevoir 500 balles de coton du Havre, avec ce coton je ferai travailler Cornimont si toutefois je puis arriver à recevoir ledit coton. Notre portefeuille reste en souffrance et je ne puis pas arriver à me faire payer, c’est cela le plus ennuyeux. Je crains que de ce côté nous ne subissions de graves pertes car après la guerre il va y avoir des faillites en quantité ! (30/11/1914 - Pierre Mangin à Lui)

 

Thérèse est repartie chez elle car on a réquisitionné samedi la filature pour y installer des ateliers de réparation de camions et autos, aussi elle veut être là pour organiser tout et faire fermer certaines portes. Les soldats vont rendre libre tout l’encaissage. On transportera les caisses vides dans un hangar, les pleines dans les allées des salles, le coton ailleurs, enfin cela donne bien du mal à Thérèse. Elle a 3 officiers à loger chez elle et 200 hommes dans l’usine. Ce qui est ennuyeux c’est qu’ils veulent prendre la houille que Maman espérait amener ici, car celle qu’on reçoit est affreuse et Maman aurait voulu mélanger avec de la bonne. Thérèse dira aux officiers qu’ils ont bien facile d’en réquisitionner à Epinal tandis que nous avons mille maux. (14/12/1914 - Elle)

 

Tu apprendras par cette lettre que je suis à Epinal, mis en sursis d’appel de soixante jours jusqu’au 9 février prochain. Toutes nos usines sont rouvertes : Roville, Laveline, Thaon. Mais que de difficultés de toutes sortes, je te raconterai cela plus tard. Le coton a encore baissé. Bonnes nouvelles de nos usines à l’étranger. Il nous reste peu d’employés. Nous avons malheureusement beaucoup de clients dans les départements envahis (y compris celui où tu te trouves) et nous sommes sans nouvelles de mes filés et surtout sans règlement. (24/12/1914 - Paul Cuny à Lui)

 

Sois tranquille je ne me livrerai pas aux manœuvres que tu réprouves pour faire revenir des ouvriers. J’ai remis en marche nos usines tant bien que mal mais avec du personnel sur place et personne n’a été démobilisé à cause de nous. Tu avoueras que mon cas personnel n’est pas le même : d’abord je suis de la classe 1890 ; ensuite j’ai été mobilisé au début uniquement parce que j’étais artilleur et les Parisiens fantassins de ma classe sont mobilisés seulement depuis fort peu de temps ; enfin nous ne sommes pas considérés comme combattants et je rends certes plus de service à mon pays en restant à la tête de mes usines donnant du pain à des milliers de femmes et d’enfants de mobilisés qu’en flânant à Versailles. Qu’en penses-tu ? Et tous les jeunes embusqués de 20 à 35 ans, voilà ceux qu’on devrait faire marcher ! (26/12/1914 - Paul Cuny à Lui)

 

A Cornimont, nous marchons très peu car on nous prend tous nos réformés et nos auxiliaires. Je serai peut-être obligé d’arrêter le Faing. Le Saulcy restera seul pour marcher. Les tissages marchent tous presque en plein ! J’ai passé des marchés avec 11f de façon pour le 20/20 mais je suis obligé de reprendre Pierrat à Charmes n’ayant plus personne à Cornimont pour tenir la comptabilité et faire les expéditions. Je vais tâcher de prendre des commandes d’obus et de faire démobiliser un peu de notre personnel, mais cela n’ira pas tout seul. Enfin on est bien embêté et tout cela va se terminer pour nous par une perte d’argent formidable ! (27/12/1914 - Pierre Mangin à Lui)

 

 

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De g. à d. : Filature du Faing, Filature et Tissage du Daval, Tissage du Sage, Tissage des Barranges, Tissage de Rochesson, Filature et Tissage du Bas, Filature de Charmes (en-tête de lettre 02/02/1915)

 

 

Si je suis maintenu en sursis d’appel (je ne tarderai pas à être fixé) je suis à la disposition entière des Boucher : jusqu’alors j’ai été débordé moi-même surtout parce que nos usines sont séparées et que je tenais à les faire remarcher également toutes. Mais dans un mois cela ira mieux j’espère à tous les points de vue. Pour Cheniménil c’est beaucoup plus grave puisque l’usine est occupée en partie du moins militairement, mais ici aussi cette occupation peut cesser d’un jour à l’autre. Ta femme me disait que Maurice viendrait peut-être bientôt en congé à Cheniménil, si oui je le verrai et nous pourrons aviser car j’ai le droit de circulation en auto et je puis me déplacer très facilement. (08/01/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Tu sais sans doute par Paul que nous faisons la réunion de la Vologne le 23 ct à Nancy. Je lui ai demandé de faire en même temps celle du Tissage où je proposerai un dividende de 5% seulement, en raison des événements, à distribuer plus tard, afin d’être à l’aise dans notre trésorerie. Nous payons les coupons d’obligations échus. J’ai pu réussir à faire marcher tous les métiers du Tissage mais s’il survient quelques malades parmi les ouvriers, je n’aurai pas le personnel nécessaire pour les remplacer. (09/01/1915 - Adrien Molard à Lui)

 

Que Cornimont est triste par ce temps de guerre mon pauvre Georges. Quand nous retrouverons-nous ensemble tranquilles dans notre bureau. Hélas comme c’est long !! Je fais travailler mais je vais être obligé d’arrêter, je manque de coton et ne puis pas en recevoir. (11/01/1915 - Pierre Mangin à Lui)

 

Je suis délégué pour représenter l’Intendance à une affaire de réquisition qui se passe ce soir à la Justice de Paix de Bayon : je vais donc aller jusque là en auto et aurai grand plaisir à jeter un coup d’œil sur les usines. Que ne pourrai-je y rester ! (12/01/1915 - Adrien Molard à Lui)

 

Maurice reverra la filature avec joie et aura bien des choses à vérifier par suite de l’ennuyeuse installation de parc automobile de Cheniménil. Si Paul Cuny obtient une prolongation de sursis, il veut bien faire travailler une partie de la filature, nous en serions bien contents à beaucoup de points de vue. (15/01/1915 – Thérèse Boucher à Lui)

 

J’ai suivi à la lettre tes conseils et je n’ai sous aucun prétexte demandé la démobilisation de personne : il me reste juste Knipiler et trois employés secondaires (Pierrat est aussi mobilisé) pour les quatre usines car je m’occupe aussi du Tissage de Roville (où nous faisons de fortes affaires). En général la situation est très difficile, seuls les articles retors et bonneterie pour l’armée marchent. Puis la plupart de nos clients habitent les départements envahis. Enfin les communications sont très difficiles aussi et je suis en mal du téléphone !! Tu vas rire de moi mais tu en as au moins un toi pour ton service d’observation. Je ne sais encore si je resterai ici, sinon c’est le 9 février que je rentrerais à Versailles. Notre assemblée de la Vologne s’est très bien passée, tout le monde a été particulièrement content de la remise en marche des usines. (27/01/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Paul m’écrit qu’il est très occupé mais que toutes les usines marchent, ils ont déjà près de 900 ouvriers rentrés, mais ils ont beaucoup de mal pour les transports de houille, coton, etc., et il a une peine inouïe de se procurer du bois pour le fourneau de son bureau. (28/01/1915 – Clémentine Cuny à Lui)

 

La filature est réquisitionnée. La pauvre usine, que de choses à faire pour les remettre en route. Tu sais que Schwam et l’employé de réception ont été tués à Steinbach. Si tu connaissais un bon conducteur, dis-le moi, je le retiendrais dès maintenant pour… après la guerre. Les augures disent que ce sera à la fin de Juillet 1915. Dieu les entende et fasse passer rapidement ces derniers mois. (29/01/1915 - Maurice Boucher à Lui)

 

Tu sais que j’étais en sursis d’appel jusqu’au 9 février, on m’a mis ensuite en sursis jusqu’à nouvel ordre, mobilisé dans mon emploi civil, pour rouvrir et continuer à faire marcher nos filatures. Nous travaillons à force pour fabriquer 1) du retors pour toiles de tente 2) du peigné pour toiles de pneumatiques 3) des gros Ns pour des cretonnes et des zéphirs… Or, parti pour Paris dans le but de prendre de très gros ordres en filés (j’ai fait plus d’un millier de kg), un de nos bons clients Mr Boussac m’a ramené en auto de Paris à Epinal. Il mène très et trop vite et, près de Gondrecourt, à la suite de deux embardées terribles, j’ai été précipité sur la route, j’aurais dû être tué dix fois mais la Providence veillait. Résultat : plaies sans importance et déjà à peu près guéries, mais ce qui m’ennuie plus, une fracture du pied droit et une de l’épaule gauche. J’ai de bons docteurs qui me guériront vite je pense. Ma chambre à coucher est transformée en bureau, j’y traite mes dépêches, mon courrier, etc. (15/02/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Depuis le commencement de la guerre, nous avons constamment travaillé ou à peu près, à part une douzaine de jours d’arrêt en deux reprises. Nous avons essayé de marcher avec les deux salles mais il n’a pas été possible de continuer même partiellement. Alors nous avons fait marcher par moitié c.à.d. les 3 premiers jours de la semaine en A et les 3 derniers jours en B, les hommes restants faisant la navette et travaillant les semaines pleines. Le disponible en hommes était occupé à faire différents travaux d’entretien. Chaque ouvrier travaille sur sa machine. Mais que de difficultés. Nous avons 10 renvideurs sur 14 pour marcher et pour les conduire, plus un seul fileur (tous mobilisés) et peu ou pas de rattacheurs, il ne nous reste que des grands bobineurs. Aux continus les ouvrières sont toutes présentes ou à peu près, mais il n’y a plus ni contremaîtres, ni surveillants, tous sont mobilisés. Heureusement que nous étions bien garnis en approvisionnements de toutes sortes, cela nous a permis de marcher. Nous avions un stock de 13 000 kg de filés au 31 juillet qui a été porté à 400 000 au 1er janvier. Aujourd’hui les tissages sont heureux de s’approvisionner ici et notre stock baisse très vite. Nous avons beaucoup de difficultés à nous réapprovisionner en cotons et en charbon. Le personnel de l’usine n’a pas trop souffert jusqu’à présent : locations gratuites, indemnités, 1/2 gain, et un peu plus d’économie. Nous avons à Charmes beaucoup de deuils mais nos ouvriers ont encore été protégés car nous ne connaissons qu’un fileur tué : Petitgenêt (métier 11-12) à Rozelieures, de l’autre côté de la forêt de Charmes. (20/02/1915 - Emile Lemaire à Lui)

 

A Cornimont tout continue à aller normalement. Nous marchons à environ 30% de la production normale en temps ordinaire, et je pense que je pourrai maintenir ce chiffre de fabrication. Je viens de donner à Alfred Stouvenot et Paul Pierrat, que j’ai fait venir à Cornimont, une procuration collective pour la durée de la guerre, de manière que, si je suis appelé au loin, ce qui pourrait bien avoir lieu, l’affaire continue à marcher comme par le passé ce qui est très essentiel. Je pense que vous approuverez cette mesure que j’ai dû prendre sans vous consulter étant donné l’urgence et votre éloignement. Le tissu vaut actuellement 33 1/2 à 34 1/2, le coton 70 f et le fil se vend à 1 f 05 d’écart sur effectif. Nous avons fait de grosses ventes et de gros achats sur ces bases, mais les frais généraux sont tellement élevés, la houille tellement chère, 60 à 70 f la tonne rendue, que malgré leur élévation apparente, ces prix ne laissent aucun bénéfice, au contraire ce sera de la perte ! (27/02/1915 - Pierre Mangin à Lui)

 

J’éprouve de nouveaux ennuis dans nos usines et ce matin on me mobilise le restant de mes contremaîtres à Laveline : je ne sais plus comment je vais faire. Nous sommes cependant très pressés surtout pour l’armée. En Russie aussi la mobilisation commence à nous toucher surtout pour le tissage (contremaîtres et surveillants). Mais patience, voici le printemps, espérons qu’on va en finir. (01/03/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Le Tissage de Roville marche en effet très bien. Mais n’oublie pas le revers de la médaille, le tissage n’a pas marché du tout pendant quatre mois 1/2 puis nous avions du coton acheté avant la guerre aux anciens prix. Nous n’avons presque plus personne comme employés ou contremaîtres ! (12/03/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Nous marchons en plein, c.-à-d. 10 heures par jour au Daval, depuis un mois en mettant des femmes dans les Northrops, mais le personnel fait beaucoup défaut, surtout les contremaîtres. Heureusement que j’ai depuis une quinzaine de jours Prosper Voirin qui me seconde beaucoup pour la préparation et le vieux tissage. (14/03/1915 - A. Curien à Lui)

 

Le coton continue à monter (28/30 à 82 et 83 francs, la chaîne 28 vaut 2,70 le calicot 34 centimes). J’ai dû arrêter beaucoup de self-actings à la suite de la nouvelle mobilisation des réformés et auxiliaires. (06/04/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Je fais déjà de beaux projets : bureau à Mulhouse pour toutes nos affaires (tu sais que l’Alsace consomme beaucoup de Jumel) et nous aurons l’avantage de faire toute la gamme des 260s Amérique, Jumel, retors, etc. Depuis décembre dernier, j’ai vendu pour la Vologne douze millions de kg filés. Mais nous rencontrons nombre de difficultés pour assurer la marche des usines. (13/04/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Je viens d’être nommé à Chambéry comme attaché à l’intendance, situation que j’occupais déjà à Epinal. De récentes circulaires ministérielles prescrivaient qu’il était nécessaire de ne pas laisser les fonctionnaires du cadre auxiliaire de l’Intendance dans les régions où ils avaient des intérêts. Je vous avouerai que je n’ai pas été fâché de ce beau zèle du ministre pour m’éloigner du front et quoique le poste que j’occupe et où je combats avec un porte-plume et en rond-de-cuir ne m’expose pas davantage qu’il soit plus ou moins rapproché de la ligne de feu, le séjour dans une place forte comme Epinal, tel que je l’ai pratiqué pendant 7 mois, n’a rien du tout de réjouissant. Je suis ici en vie de garnison avec femme et enfants et bien heureux d’avoir retrouvé les miens. Pour combien de temps y suis-je ? Partirais-je avec le corps expéditionnaire que l’on paraît former, mystère ? Je me suis arrangé pour continuer tant que je le pourrai à m’occuper des affaires de Cornimont. Notre stock d’Algérie se liquide et Remy nous envoie régulièrement de bonnes nouvelles, de ce côté-là nous aurons je crois une agréable surprise. On fait beaucoup d’affaires à de bons prix, celui de 35 pour le calicot ne se discute plus, 2 f 75 le fil est aussi un prix rasibus. (22/05/1915 - Pierre Mangin à Lui)

 

La réunion de Dedovo s’est très bien passée, nous en recommencerons j’espère bientôt. (26/05/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Ici cela va assez bien, nous travaillons 11 heures par jour, soit 33 heures par semaine dans chaque salle. Les hommes et jeunes gens font 60 heures, ils font la navette dans les 2 salles et sont occupés à divers travaux. On tient à les occuper pour les garder et les empêcher d’aller à la brasserie ou ailleurs. (09/06/1915 - Emile Lemaire à Lui)

 

Notre pauvre Maman aussi voudrait que tout se termine par impatience de vous revoir et aussi par lassitude de son usine. Quand nous l’avons remise en marche en novembre, nous ne nous doutions pas que ce serait pour aussi longtemps, ni que les difficultés au lieu de s’amoindrir ne feraient qu’augmenter. D’autre part, ce n’est pas possible d’arrêter. On a des commandes en masse, les greniers pleins de matières premières, en quinze jours il est arrivé 3 rames de houille payées depuis le mois de mars et qui devaient s’échelonner. Tu vois le mal de faire décharger tout cela à la gare, tous les fermiers sont à leur foin, le camionneur qui est vieux, qui n’a avec lui qu’un gamin de 15 ans ; un cheval et un bœuf suffisent pour les transports ordinaires : papier, pâtes ou houille quand elle arrive par fraction, mais un arrivage pareil. Il a fallu avoir affaire aux soldats qui gémissent que c’est salissant, que c’est fatiguant. Leurs officiers les soutiennent, les relèvent chaque trois jours, quand ils commencent seulement à se réhabituer au travail, il faut les nourrir avec mille maux car nous n’avons plus de boucher ici, et ces messieurs veulent de la viande à chaque repas. On nous donne en plus des 6 hommes un brigadier qui ne fait rien, cela fait 5 chevaux et, maintenant que l’avoine vaut 36 francs, je t’assure que cette organisation est coûteuse et donne bien du mal à Maman, mais il fallait bien en passer par là. Aussitôt les wagons déchargés, nous serons enchantés de nous débarrasser de cette bande de traînards. D’ailleurs, tu sais mieux que moi ce qu’est le travail du soldat. Pauvre France, ce n’est pas la peine de chercher à aplatir l’Allemagne. Dans 10 ans elle sera de nouveau bien au-dessus, car là au moins on est travailleur et on n’est pas gâté comme ici. (14/06/1915 - Elle)

 

Nous sommes en plein dans nos inventaires, inventaires de guerre aux exercices incomplets de six à huit mois. Tissage Roville terminé : pour huit mois f 120.000, dont f. 38.000 amortissements. Année en cours s’annonce encore meilleure, en outre sera complète. (10/07/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Pour le Tissage on n’imprime pas de bilan, mais après l’assemblée je t’en ferai adresser un avec la répartition. Le Tissage va très bien à tous les points de vue. Je voudrais faire remarcher Cheniménil. Mais le pourrai-je ? Ce sera long en tous cas et avant tout il faut le départ du parc automobile puis trouver un Directeur ! (12/08/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

Paul ton frère s’occupe de remettre en route la Filature, mais comme l’évacuation des locaux, actuellement occupés par les bandits que tu sais, dépend du général commandant l’armée, je n’ai presque plus d’espoir, car ces gens-là tiennent trop à leur aise et à leur confortable pour quitter un endroit où ils sont si bien, où ils reçoivent leurs femmes et leurs enfants, où ils ont maîtresses et folles amantes à profusion. J’en prends mon parti, petit à petit, mais c’est bien dur tout de même. Ma femme est très courageuse et se débat le mieux qu’elle peut au milieu de toute cette racaille. (03/09/1915 - Maurice Boucher à Lui)

 

Nous avons réunion du Conseil de Dedovo samedi et Assemblée générale fin octobre. La question ouvrière devient très épineuse à Dedovo avec les mobilisations successives en Russie ! (09/09/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

 

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Je continue à m’occuper de la reprise du travail à Cheniménil. Hier j’avais rendez-vous avec les officiers responsables et j’envisage même la possibilité de travailler en coexistence avec le parc. Evidemment ce ne sera ni pratique ni commode. Mais il y a surtout une question primordiale à résoudre : les assurances. En cas d’incendie, serions-nous payés pour une usine occupée partiellement par des troupes ? Si je n’en ai pas l’assurance formelle par un avenant écrit je ne marche pas car tu comprends les risques bien plus forts que des pertes suite d’arrêts. J’en profiterai pour faire soigner mon pied. En effet je ne suis plus qu’un vieil éclopé : écoute la série : 1 fracture à l’épaule gauche, 3 fractures au pied droit, 1 petit doigt cassé, 1 forte luxation du pouce droit. N’en jetez plus ! (18/09/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

A Cheniménil je t’avais dit que les soldats emportaient des masses de caisses de filés vides pour y mettre toutes leurs affaires. Thérèse avait bien vite écrit au capitaine de faire arrêter, mais le capitaine a répondu qu’ils en avaient besoin, que là-bas les locaux étaient vides et que cela leur servirait d’armoire, de casiers, qu’il les réquisitionnait et qu’il en prendrait 400 environ. On peut dire que voilà des types qui auront agi avec bien du sans-gêne. Je voudrais qu’on aille faire dans son usine ce qu’il fait ici, mais à Bordeaux il ne craint rien. (27/11/1915 - Elle)

 

Nous avons eu Paul à déjeuner. Il a passé la matinée à Cheniménil. Il est arrivé avec une nouvelle auto Chenard et Walcker qu’il a achetée pour la Vologne parce que Knipiler se trouvait trop fatigué dans celle des Molard trop secouante, disait-il. Il a d’ailleurs racheté aux M. leur vieille limousine et Adrien a eu l’audace (ceci entre nous est de la juiverie) de la faire payer 10 000 fr., un vieux clou pareil duquel il n’aurait pas tiré trois mille francs. De sorte que la Vologne est à la tête de deux voitures. La Chenard toute neuve, quatre places, est de 8 800. Elle a bonne mine et ne dépense pas beaucoup, paraît-il. Après la guerre, au lieu d’acheter une auto si chère, il vaudra mieux nous donner une petite voiture comme celle-là… Le brave Paul dit des choses qu’il ferait mieux de ne pas dire. Ainsi il m’a froissée en disant que si les Vosges étaient annexées qu’il marcherait aussi bien avec les Allemands et gagnerait encore plus d’argent qu’avec les Français. S’il ne le dit qu’ici, cela va bien, mais dans d’autres milieux, cela peut être bien mal pris et vu. Enfin on ne le changera pas, surtout n’en dis rien, de loin il pourrait s’en vexer et en somme, malgré ses imprudences de langage, il est quand même gentil. (05/12/1915 - Elle)

 

Je compte faire remarcher Cheniménil. Voici quelques renseignements sur cette affaire :

 

  1. Le parc est parti et on fait la barbe de toutes les machines.
  2. Le directeur que j’ai engagé pour moi de manière à laisser à Maurice toute liberté est déjà en place.
  3. On vide tous les paliers pour y mettre de l’huile fraîche.
  4. La machine à vapeur sera remise en route par un monteur dressé par Knipiler et qui s’occupe de tous nos moteurs.
  5. Pour simplifier nous ne ferons que Ch. 28 et trames 37 Continu et Self-acting.
  6. J’ai vendu déjà beaucoup de filés à écart depuis f. 1,60 jusque f. 1,80 base Ch. 28.
  7. Je fais une première facture demain de filés retrouvés pour Kahn Lang base tr. 37 à f.4.
  8. Toute la partie commerciale et comptabilité se fera à Epinal.

J’ai déjeuné dimanche 5 à Docelles. (10/12/1915 - Paul Cuny à Lui)

 

La filature reprend peu à peu son aspect d’usine. Mais c’est compliqué pour Paul car, pour chaque ouvrier spécialiste, comme ouvrier pour revoir l’électricité complètement détraquée, comme monteur pour la machine à vapeur, il faut demander des permis à l’Armée car nous sommes dans la zone Z. On lui enlève à nouveau beaucoup de monde. Au Tissage de Roville, il n’y a plus ni directeur ni contremaître et on lui annonce que l’encolleur est mobilisable. Il veut bien lutter mais il y a une limite, il croit à des arrêts d’usine plus tard. (16/12/1915 - Elle)

 

D’un commun accord avec Mr Curien nous arrivons à tenir en marche la presque totalité des métiers du Daval, malgré la rareté du personnel. (01/01/1916 - Prosper Voirin à Lui)

  

Je continue nos petits calculs de prix de revient, mais je trouve ton conseil, pour trouver notre poids juste de pâte dans les hottes, bien compliqué, et je préfère faire peser un ou plusieurs jours les ballots de pâte sèche qu’on met dans les meules et compter ensuite le nombre de hottes remplies de pâte humide, cela nous demandera pour le moment moins de travail que ce que tu m’expliques et que d’ailleurs je n’ai pas très bien compris, il faudra que je relise plusieurs fois tes explications. (19/01/1916 - Elle)

   

La filature remarche aussi depuis deux jours. Finalement c’est un monteur qui est venu des environs de Paris. Il a d’abord travaillé deux jours pour refaire l’indispensable, et maintenant les ouvriers travaillent le jour et lui fait sa réparation la nuit. Auptel n’est pas encore revenu, on l’a gardé en observation à Epinal, c’est bien ennuyeux. Son beau-père le remplace en attendant. (22/01/1916 - Elle)

 

J’ai reçu une lettre des Héritiers, qui convoquent les associés pour une autre réunion le 3 mars à Paris. Il paraît qu’il faudra la présence d’un notaire pour faire quelques modifications aux statuts. Je pense qu’il s’agit des nouvelles lois votées dernièrement mais évidemment on ne peut pas parler de cela par écrit. J’ai chargé Paul de m’y représenter. (26/01/1916 - Lui)

 

Tu sais que la femme d’Adolphe, qui d’ailleurs est une excellente ouvrière, réclame fréquemment et qu’elle est très vive. Les tarifs n’ont pas été changés j’en suis sûr. Si les ouvriers gagnent moins c’est qu’ils produisent moins qu’autrefois. Je m’en suis d’ailleurs rendu compte quand j’ai été à Cornimont. S’ils produisent moins c’est, je crois sans me vanter, que tout est moins bien soigné soit à la filature soit à la préparation du tissage. Les filés sont plus mauvais, les chaînes aussi. Que veux-tu, il n’y a pas à dire, un directeur ne vaut pas le patron. Mais tu comprends bien que d’ici je ne peux pas m’en mêler et d’ailleurs ce n’est pas Alfred qui est responsable mais plutôt les directeurs, qui devraient s’arranger de façon que les ouvriers puissent produire autant qu’autrefois. Je n’ai jamais été partisan du travail d’11 heures. Je l’ai dit à Pierre Mangin mais tu le connais, il ne veut rien entendre. D’ailleurs on m’écrit hier de Cornimont que les ouvriers de Rochesson ont carrément refusé de travailler plus de 10 heures. Il paraît qu’ils ont arrêté leurs métiers à six heures et qu’on a eu de la chance de ne pas avoir d’accidents de machines. (09/02/1916 - Lui)

   

Maman a dû quitter Nancy ce matin à 7 heures et continuer vers Dijon, Pontarlier et la Suisse où elle veut visiter ses fournisseurs de pâtes à Neuchâtel et Soleure qui ont été très aimables pour nous depuis le début de la guerre, moins chers que les Suédois et fournissant bien mieux, mais pas en assez grande quantité, et Maman voudrait obtenir d’eux un plus fort tonnage, car elle fait avec leurs pâtes un papier qui prend très bien, qu’elle peut faire pas trop cher et qui nous rapporte plus que les machines à écrire. (10/02/1916 - Elle)

           

Je regrette un peu de ne pas pouvoir assister à la réunion de la branche Perrin. Comme gérant, c’est un peu ennuyeux de ne pas intervenir du tout dans la discussion, mais qu’y peut-on ! Je suppose bien qu’on ne va pas changer grand chose dans les statuts. (13/02/1916 - Lui)

 

Tout nous parvient si difficilement que je passe mon temps à me disputer avec mes fournisseurs. On manque de tout. J’ai du coton payé depuis deux mois non encore parti du Havre. Pour la houille c’est pire. On nous annule les marchés sous prétexte qu’on ne trouve pas de wagons. Enfin à Cheniménil qui emploie des caisses lourdes on manque absolument de caisses ou on a réquisitionné le plus grand nombre ! Que faire ? Arrêter ? Non je réserve les quelques restantes pour la trame, puis j’ai fait faire dans le mélange trois grands casiers, et on y jette toute la chaîne. La voilà en silos comme du blé tout simplement. Cheniménil marche tant bien que mal sans directeur (Auptel est rappelé au régiment après avoir été réformé) et sans contremaître de préparation digne de ce nom. Nous avons en mauvaise marche 38 000 broches. Actuellement tout le trafic est suspendu et nous manquerons de tout, ce qui peut-être va arrêter nos affaires sous peu de jours. (23/03/1916 - Paul Cuny à Lui)

 

Ce que tu me dis de Pierre Mangin ne m’étonne pas. Il est certain que, s’il quitte les Héritiers, il ne voudra pas conserver sa part car il n’a confiance qu’en lui. Mais après tout, comme tu le dis, il n’a pas fait tant de merveilles à Demangevelle ! On lui laissera vendre sa part, voilà tout. La seule chose qui m’ennuie c’est qu’en effet il y a des procédés qui me répugnent et, comme ledit sieur n’hésitera pas à nous prendre tous nos ouvriers, il y aura certainement un moment dur à passer. Il est vrai qu’après la guerre, ces petits moments durs ne seront rien à côté de ce que nous aurons vu. On sera devenu plus courageux, plus philosophe et à ce point de vue-là aussi, la guerre n’aura pas été inutile. (20/05/1916 - Lui)

    

Maman est allée à Nancy voir le consul d’Italie au sujet d’Ongagna qui craint d’être appelé. Elle revient avec la marche à suivre en les 2 points qui l’intéressent : faire venir 9 ouvriers italiens et faire exempter Ongagna. (21/05/1916 - Elle)

           

Nous avons le temps de penser à ce que nous ferons en 1918 pour Cornimont et tu as bien fait de dire à Paul qu’il ne répète pas vos conversations à ce sujet. Sans doute si je reste à Cornimont, je ne demanderai certes pas mieux que d’augmenter ma part mais cependant pas dans une forte proportion, je ne veux pas faire comme Paul et m’endetter pour avoir des actions et des parts un peu partout. Il faut songer à l’avenir, à l’établissement de nos chéris et il vaut mieux toujours garder une somme assez rondelette d’argent liquide pour parer à l’imprévu. Quant à habiter Epinal, nous avons aussi le temps d’y réfléchir mais a priori cela ne me semble pas bien indiqué. En tout cas immédiatement après la guerre il faudra habiter Cornimont car le patron aura beaucoup à faire et, comme on sera certainement obligé de transformer le Faing et le vieux Daval, il faudra qu’on soit là. Après nous verrons. (22/05/1916 - Lui)

 

Paul Cuny a vu Thérèse vendredi et est très satisfait de Cheniménil qui marche bien maintenant. A Laveline, l’inventaire a donné le double de ce que tu comptes comme amortissement et intérêts chez les H.G.P. (26/06/1916 - Elle)

 

Tous les inventaires connus sont très beaux mais on ne parle pas de celui de Demangevelle, je me demande ce que va en dire Paul vendredi, tu sais qu’il ne porte pas le gérant dans son cœur. Et Cornimont et les belles petites balances que tu faisais autrefois, personne n’en fait plus maintenant. Je me demande quand ils auront fini leur inventaire. (26/07/1916 - Elle)

 

La réunion des Héritiers est reportée au 23, c’est ennuyeux, tu n’y seras pas. Il faudra que tu dises bien exactement à Paul ce que tu voudras qu’il répète de ta part. Il paraît que les affaires ne sont plus aussi bonnes que pendant ce premier semestre, la vente devient plus difficile quoique le coton monte encore, le fil commence à baisser. Que sera-ce quand nous aurons tous les Alsaciens avec nous. Enfin, nous ne serons toujours pas parmi les plus malheureux, n’est-ce pas chéri ? (06/09/1916 - Elle)

    

Maman s’est arrêtée à Chaumont pour voir le Général qui s’occupe des sursis, n’ayant reçu ni ma lettre ni les deux télégrammes que je lui avais envoyés pour la prévenir que Boullery nous était accordé à nouveau pour deux mois. (27/09/1916 - Elle)

   

Je ne peux évidemment pas refuser ce qu’on m’offre de cette façon et, d’autre part, je ne voudrais pas avoir l’air de blâmer les autres que je n’ai d’ailleurs jamais blâmés. Seulement, si j’avais su que cela se terminât ainsi, je n’aurais rien dit du tout car évidemment la situation est plutôt bizarre. Je vais écrire un mot à l’oncle Paul, qui m’avait déjà dit à la gare de Nancy qu’il voulait qu’on me donnât quelque chose et je le chargerai de remercier en mon nom tous les autres, mais je ne dirai pas, ma petite Mimi, que je suis confus, tu sais que cela ne prendrait plus, bien que ce soit la vérité. (01/10/1916 - Lui)

 

Je suis contente de voir que tu acceptes la somme qu’on t’alloue. Nous voilà riches et je pourrai prendre de l’emprunt. (02/10/1916 - Elle)

 

Ne crois pas ma pauvre Mie que les employés soient d’une autre nature que les patrons. Ils vont au plus offrant. Sans doute de temps à autre ils disent bien qu’ils ne voudraient pas rester avec qui tu sais, mais cela n’empêche pas que, le cas échéant, ils iraient parfaitement avec lui s’il les payait plus cher, tu peux en être convaincue. Quelques billets de mille francs de plus font passer sur bien des choses. D’ailleurs nous n’en sommes pas encore là mais enfin il ne faut pas toujours et de parti pris critiquer les gens car à la fin tout craque, et le sujet dont il s’agit n’est pas commode et a montré quand il voulait qu’il savait emb... ceux qui lui déplaisaient. (11/10/1916 - Lui)

 

Je suis absolument de ton avis, on aura bien du mal d’échapper à la dissolution et je ne tiens pas du tout à rester dans cette pétaudière. C’est pourquoi je t’ai conseillé de garder maintenant notre argent. Nous pouvons en avoir besoin. (24/10/1916 - Lui)

 

Cela m’amuse de voir dans tes lettres la différence de caractère qui existe entre toi et tes frère et sœur. Tu as le respect des idées d’autrui, tu admets un droit à discuter, tu ne trouves pas qu’un gérant doive s’offenser de la moindre question qu’on lui pose. Tandis qu’eux estiment qu’un associé ne doit rien dire et faire que des félicitations, qu’un gérant a tous les droits et surtout ceux d’envoyer promener les pauvres humains qui ne sont pas de son avis. Paul estime que les H.G.P. ne sont pas aimables pour leurs gérants. Paul dit qu’il n’y serait pas resté une heure et insiste pour que tu en sortes en 1918 à moins que les statuts ne soient changés. (25/10/1916 - Elle)

  

Le résultat dont tu me parles est très beau en effet. Je ne sais pas comment fait Paul dans ses affaires pour toujours réussir ainsi. (30/10/1916 - Lui)

 

Paul me convoque à la réunion de Dedovo pour la fin de ce mois. Si le chiffre que tu m’as indiqué est exact, je suppose qu’on donnera un dividende. Mets-le plutôt chez les Héritiers, il faut tâcher de nous garder un peu d’argent liquide, que nous ne soyons pas pris au dépourvu après la guerre. (17/11/1916 - Lui)

 

Nous avons eu hier matin la visite de Paul Cuny à dix heures. Il nous a annoncé une très grande nouvelle qui nous a bien étonnées Maman et moi. Il nous a recommandé de ne le dire à personne, mais toi c’est moi, donc je ne divulgue pas son secret. Figure-toi qu’il a vendu son usine et sa maison de Thaon à Boussac, qui en prendra livraison le 1er avril... Boussac va devenir un grand industriel vosgien. Il a déjà Nomexy, Golbey, le voilà à Thaon. Je me demande où il trouve l’argent. Qu’aurait dit Mr Giron, lui qui trouvait que Paul ramassait l’argent à la pelle, de voir ce jeune homme qui n’avait rien il y a deux ans et qui a des millions maintenant. Il faut croire que la confection des masques contre les gaz et autres fournitures à l’Etat sont bien payés. (16/12/1916 - Elle)

 

Tu me dis que l’affaire de Thaon est vendue. C’est un coup de tête de Paul et je crois qu’il le regrettera plus tard car il y a tant travaillé, j’entends il y a 16 ou 17 ans quand il ne maniait pas encore les broches à la pelle. Il y a tout fait et il me semble qu’à sa place je ne me séparerais pas sans regret d’une pareille affaire. Je suppose bien d’ailleurs qu’il n’a fait la chose qu’avec le consentement de tous les associés. Je me défie du fameux Boussac et son arrivée dans les Vosges ne m’inspire aucune confiance. Il ne connaît rien aux usines ni aux ouvriers, va les gâter et c’est bien dommage. (19/12/1916 - Lui)

   

Maman va probablement partir à Rouen la semaine prochaine, pour y voir ses pâtes arrivées sur les derniers vapeurs et qui traînent à quai et s’y abîment. Elle veut trouver un entrepositaire qui les mette à l’abri en attendant qu’on ait des wagons pour le transport. Ce seront des frais en plus évidemment mais on y regagnera si la marchandise n’est pas salie et détériorée comme elle l’est maintenant. Maman continue à se faire un souci énorme pour toutes ces marchandises qui lui arrivent en mauvais état et avec lesquelles elle ne peut faire que du papier ordinaire. (23/12/1916 - Elle)

  

Il circule des bruits assez fâcheux sur le fameux Boussac, acheteur d’usines. On le dit chevalier d’industrie, j’ai bien peur que Paul n’ait à regretter d’avoir fait affaire avec lui, mais comme Paul est intelligent il a pris ses précautions et aura des recours, je pense. (01/01/1917 - Elle)

 

J’ai répondu à Pierre Mangin que j’étais d’accord pour la construction de la cité. Il est certain qu’il a beaucoup de mal pour approvisionner les usines et cela ne doit pas être bien gai de s’occuper d’industrie actuellement. D’ailleurs la pauvre Maman qui se donne tant de mal s’en rend bien compte. Je suis content qu’on lui envoie un peu de houille. Tant qu’on pourra le faire, il est certain qu’il vaut bien mieux travailler, car les ouvriers prendraient réellement de trop mauvaises habitudes et ne feraient plus rien après la guerre. (23/03/1917 - Lui)

 

Je n’ai aucune confiance dans le sieur Boussac. J’espère que Paul aura pris toutes ses précautions avec un pareil homme d’affaires, qui m’a l’air d’entreprendre beaucoup de choses à la fois. (27/03/1917 - Lui)

 

Dis à Maman qu’elle ne se fasse aucun souci pour les ouvriers. Il est évident qu’il faudra encore les augmenter, mais il faudra bien à la longue que les prix de vente s’en ressentent. Tu peux être tranquille, personne ne fera de l’industrie pour se ruiner et je crois que les affaires industrielles rapporteront tout autant malgré l’élévation des salaires. (23/04/1917 - Lui)

 

Paul m’a écrit en effet pour me féliciter de ma promotion et me parle en même temps de Dedovo qui lui cause beaucoup de soucis. Il m’avait envoyé, comme aux autres membres du conseil, un rapport stipulant que, devant les exigences renouvelées des ouvriers, il serait probablement amené à fermer l’usine. Mais je ne crois pas que ce soit chose encore faite. L’essentiel est que l’usine soit respectée. (24/05/1917 - Lui)

 

Quelles nouvelles sais-tu ? Cela a l’air bien mauvais en Russie, pourvu qu’ils ne traitent pas, ils rendraient des masses de prisonniers aux Allemands qui nous les relanceraient. Paul n’a plus de nouvelles de son usine depuis dix jours. L’ambassade à Paris n’avait elle-même aucune communication. Par tous les moyens, Paul essaie de se tenir au courant de ce qui se passe là bas. Samedi 17 il assistait encore à une grande réunion des grands industriels français en Russie, pour chercher à sauvegarder les intérêts de notre pays engagés là bas. Mais dans la tempête qui souffle, une action quelconque est presqu’impossible. (29/11/1917 - Elle)

 

Tu as vu la belle lettre de Paul, qui distribue une somme superbe pour qu’on prenne de l’emprunt, voilà au moins du patriotisme, c’est chic. Les actionnaires rempliront-ils le devoir que leur prescrit ce beau geste ? En tout cas, il n’a jamais tant distribué, le brave Paul. (01/12/1917 - Elle)

 

J’ai reçu une lettre de Dedovo, me donnant quelques renseignements sur la séance du conseil d’administration. D’après les derniers renseignements reçus, l’usine marcherait mais on aurait été obligé d’augmenter encore les ouvriers. Je crois d’ailleurs que ce n’est pas fini mais enfin l’essentiel c’est qu’ils n’y mettent pas le feu. (16/01/1918 - Lui)

 

Ici tout continue encore à marcher mais pour combien de temps ? Tout manque, tout fait défaut, même et surtout la surveillance dans les usines, à Charmes où j’étais le 26 c’est pire encore. Plus de charbon ! Plus de coton ! Enfin on tâchera de tenir mais ce n’est pas facile. Nous commençons à chauffer en partie au bois les chaudières. Je n’arrêterai que quand je ne pourrai plus faire autrement. Je suis bien las et bien fatigué et tout le personnel aussi mais on vit un peu d’espoir, et nous sommes tous très soutenus par cette idée que c’est la dernière année de guerre. (01/02/1918 - Pierre Mangin à Lui)

 

Maman a fort bien fait de se décider à électrifier l’usine du Gd Meix. D’ailleurs si la Cie Lorraine a admis une traite d’un an, il n’y avait pas à hésiter. J’engage beaucoup Maman à ne pas faire cette transformation sans l’aide de Mr Rolland, quelles que soient les conditions. Il m’a semblé être un homme compétent et sérieux et je serais bien étonné qu’il posât des conditions draconiennes car il paraît très honnête. D’ailleurs il faudrait quand même que Maman eût quelqu’un. (09/02/1918 - Lui)

 

Je me figure qu’à Cornimont ce ne sera pas drôle après la guerre. P. Mangin prétend qu’il n’y a plus grande discipline dans les usines et tu sais ce que c’est lorsqu’il faut remonter un courant pareil. D’autre part, Pierre Mangin est seul depuis longtemps. Il admettra difficilement je crois la discussion et nous aurons bien du mal à nous entendre… Toute cette affaire de Russie a mal tourné pour nous, mais que veux-tu ma Mie personnellement nous n’y pouvons rien. Advienne que pourra, il faut être philosophe. (23/02/1918 - Lui)

 

J’ai en effet reçu le compte rendu de l’assemblée de Dedovo... Je crois malheureusement qu’il ne faut pas se faire d’illusion sur cette affaire-là, même si les Boches arrivent à Moscou et Petrograd, car ils s’empresseront de prendre toutes les marchandises et mettront la main sur l’usine. Pourra-t-on la leur reprendre ? D’ailleurs je crois que les Boches n’iront pas si loin. Ce qui les intéresse surtout c’est le sud de la Russie et une fois qu’ils auront leur sûreté de ce côté ils s’arrêteront. (05/03/1918 - Lui)

 

Paul m’a envoyé la copie d’une dépêche qu’il a reçue de Moscou. L’usine marche toujours : 55 000 broches et 650 métiers sont en activité. Il y a deux points noirs, c’est que la marchandise ne s’écoule pas et qu’on accumule les stocks et puis le coton paraît-il n’arrive plus à cause de la désorganisation qui s’est produite dans les transports depuis l’avènement du régime bolcheviste et on sera bien forcé d’arrêter lorsqu’on n’en aura plus. La houille continue-t-elle à manquer dans les Vosges ? Et y-a-t-il beaucoup de filatures arrêtées ? (24/05/1918 - Lui)

 

Tu me dis que vous avez eu quelques ennuis à la remise en marche de l’usine. C’est toujours comme cela lorsqu’une usine a été arrêtée un certain temps. (27/06/1918 - Lui)

  

   

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Docelles (Vosges) - Usine et Cité du Grand Meix

 

 

 

Epilogue

Georges Cuny a été démobilisé le 14 janvier 1919... Lui, ses frères et beaux-frères sont tous revenus sains et saufs de ces terribles années de sacrifices, mais probablement marqués à vie, car, comme disent les historiens, les combattants de la Grande Guerre n’ont jamais vraiment été démobilisés dans leurs têtes.

Le 2 mars 1919, Georges Cuny est sur le Transatlantique « La Lorraine » qui est parti du Havre en direction des Etats-Unis. Il va y faire un voyage d’études de 3 mois pour voir des usines et s’imprégner de la modernité et de l’efficacité de l’industrie américaine. Peut-être aussi avait-il besoin d’un palier de décompression avant de retourner à la vie civile après 4 ans et demi de vie militaire.

  

 

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Le Transatlantique « La Lorraine »

 

 

Il est accueilli aux Etats-Unis, entre autres, dans les sites industriels textiles suivants :

 

 

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 The Lancaster Mills from Burdette Hill à Clinton, Mass.

 

 

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Public Cotton Warehouse (owned by State) à La Nouvelle-Orléans

 

  

 

La famille Boucher est réunie à Docelles en septembre 1919

(A l’occasion du mariage de Georges Boucher et Germaine Molard à Bayon)

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De gauche à droite : Paul Laroche-Joubert, Maguy Laroche-Joubert, Louis Boucher, Jean Laroche-Joubert, Noëlle Cuny, Mimi Cuny, Célina Boucher, Antoinette Laroche-Joubert (dans la charrette), Maurice Boucher, Robert Cuny, Georges Boucher (junior), Thérèse Boucher, Françoise Boucher et André Cuny

 

 

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De gauche à droite : Louis Boucher, Françoise boucher, Robert Cuny, Georges Boucher, Antoinette Laroche-Joubert, André Cuny, Noëlle Cuny, Jean Laroche-Joubert (au fond à droite Célina Boucher)

 

 

     

 

Quelques photos avant et après la guerre

 



Son enfance

Ses parents

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Sa mère : Clémentine Cuny, née Perrin, vers 1911

 

 

Clémentine Cuny est née Perrin le 13 mai 1850 à La Bresse dans les Vosges ; elle est l’aînée des enfants de Constant-Romaric-Perrin (1819-1877) et de Marie-Virginie Aubert (1827-1899) et donc une des héritières de Georges Perrin (1811-1873), fondateur des HGP à Cornimont.

 

Clémentine épouse le 5 septembre 1871 à Gérardmer Henri Cuny, né le 15 avril 1845 à Gérardmer.

  

 

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1871 - Mariage d’Henri Cuny et Clémentine Perrin à Gérardmer (Coll. Odile Dehollain)

 

 

La maison Cuny était une concurrente des Garnier-Thiébaut pour le tissage du lin dans les fermes et la vente de la toile.

 

Le ménage habite à Gérardmer la grande maison rectangulaire entourée d’un jardin, avec massif de fleurs, jet d’eau, au coin de la rue de la Gare et de la rue Reiterhart.

 

 

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Gérardmer - Maison natale des enfants d’Henri et Clémentine Cuny

 

 

Henri Cuny prit froid en montant le col de Grosse Pierre, marchant à côté de son cheval, en revenant de l’enterrement de la femme de Georges-Gérard Perrin à Cornimont en 1878. Le 19 mars, Il en mourut. Il allait avoir 34 ans. Ses enfants étaient tout jeunes, l’aîné avait 5 ans ½ et le plus jeune n’était pas encore né (il naîtra 2 mois plus tard).

 

 

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 Son père : Henri Cuny mort en 1878

 

 

Clémentine alla habiter Nancy, dans un appartement au 1 boulevard Charles V. Elle passait l’été à Gérardmer, elle y avait gardé une ferme : la « Chanonyère ». Puis la ferme a été démolie en 1906 pour y reconstruire en 1907 une jolie maison, style Deauville, parce que Marie Molard aimait bien.

 

 

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La Chanonyère avant 1906 (Coll. Odile Dehollain)

 

 

Ses frères et sœur 

Clémentine et Henri Cuny ont eu 4 enfants :

 

  • Paul Cuny, né le 19 novembre 1872 à Gérardmer, industriel textile et député des Vosges, qui épouse en juin 1902 à Nancy Marie Giron, née le 21 mai 1880 à Nancy.

  • Georges Cuny, né le 23 novembre 1873 à Gérardmer, industriel textile à Cornimont, qui épouse le 26 avril 1906 à Docelles Marie-Valérie (dite Mimi) Boucher, née le 19 février 1884 à Docelles.

  • Marie Cuny, née le 16 octobre 1875 à Gérardmer, qui épouse le 25 novembre 1895 à Nancy Adrien Molard, né le 18 mars 1871 à Epinal, inspecteur adjoint des Eaux et Forêts puis industriel textile à Epinal.

  • Henri Cuny, né le 27 mai 1878 (après la mort de son père) à Gérardmer, colon à Sfax en Tunisie, qui épouse en 1916 à Marseille Marie-Thérèse Moner, née le 12 novembre 1884 à Malaga.

 

Clémentine Cuny est morte le 26 avril 1915 à Lausanne, où elle s’était réfugiée avec Marie Molard pour éviter les Allemands qui menaçaient Nancy.

 

 

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Vers 1876 - Paul et Georges Cuny (Coll. Renaud Seynave)

 

 

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1876 - Famille Henri Cuny – Paul, Clémentine, Marie, Henri et Georges (Coll. Odile Dehollain)

 

 

 

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Clémentine Cuny et ses 3 aînés : Marie, Paul et Georges - 1882

(Coll. Renaud Seynave)

 

 

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Clémentine Cuny et ses enfants : Georges, Paul, Henri et Marie (Barco, Nancy) – Vers 1884

 

 

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 1884 Georges Cuny - Image Communion  (Archives Odile Dehollain) Verso (V0032).jpg

Image de communion de Georges Cuny en 1884 (Archives Odile Dehollain)

 

 

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Les 3 fils Cuny : Paul, Henri et Georges à une visite familiale des actionnaires HGP au Ménil Thillot en 1891

 

 

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Georges Cuny Promotion X 1892 ©Collections Ecole polytechnique (Palaiseau, Essonne)

 

 

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1893 – Georges Cuny à un cours d’artillerie à l’X (assis, en haut à gauche)

 

 

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1894 – Paul et Georges Cuny et des amis - Adrien Molard, Paul Cuny (avec le canotier), Georges Cuny (assis au milieu), et Camille Herrgott et Beaujean

 

 

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Georges Cuny et sa mère Clémentine Cuny chez Henri Cuny à Sfax – 1905

 

 

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1911 - Clémentine Cuny avec ses petits-enfants : Noëlle, Robert et André Cuny

   

 

La famille Perrin (famille de sa mère)  

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 1860 Perrin Gérard-Georges debout Vers 1860 Recadre.jpg

Son grand-oncle Gérard-Georges Perrin, fondateur de l’industrie cotonnière à Cornimont (Vers 1860)

   

   

   

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1891-1892 - La maison de Cornimont au temps de Camille Humbert (Coll. Renaud Seynave)

Avec les cousins Perrin : Cuny, Alphonse Perrin, Garnier, Boucher et Vautrin.

Les 2 bébés assis au 1er plan : Maguy Boucher (Laroche-Joubert) et Suzanne Vautrin (Boucher)

Debout : Georges Garnier, Maurice Boucher, Marie Cuny (Molard), Georges Cuny, Georges Boucher, Louise Garnier (Reure), Henri Cuny, Paul Cuny, Marie Perrin (Grandjean), Victor Perrin, Marguerite Perrin (Jean Boucher), Mimi Boucher (Cuny), Cécile Perrin (Biesse)

 

 

 

Son mariage avec Marie Boucher (dite Mimi)

En 1900, après quelques années dans l’armée, Georges Cuny quitte la vie militaire pour l’industrie cotonnière. Il effectue un stage à l’usine de Thaon où il travaille 10h/jour pendant un an avant d’aller à Cornimont pour codiriger une affaire de famille, les Héritiers de Georges Perrin.

   

 

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Mimi Cuny (E. Bordes/1906 - Coll. Chantal Favre-Bismuth)

 

 

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Les mariés, Georges et Mimi Cuny (Coll. Renaud Seynave)

Derrière : Georges Boucher, Suzanne Vautrin, François Boucher, Germaine Molard, Marguerite Vautrin et Yvonne Vautrin

 

 

Ses enfants

André (1907-1965), 7 ans en 1914

Noëlle (1909-1989), 5 ans en 1914

Robert (1910-1994), 4 ans en 1914

Et longtemps après…, après la guerre : Geneviève dite Vivette (1921-1982)

 

 

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1907 - Mimi Cuny et son aîné, André

 

 

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1908 - Georges et Mimi Cuny et André

 

 

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 1909 - Mimi Cuny, Noëlle (dans ses bras) et André

 

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1910 - André, Noëlle, Mimi et Robert Cuny

 

 

 

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Famille Boucher à Docelles (Vosges) en 1912

Les adultes de gauche à droite : Georges Boucher, Georges Cuny, Louis Boucher, Paul Laroche-Joubert, Maguy Laroche-Joubert, Célina Boucher, Marie Cuny, Thérèse Boucher et Maurice Boucher.

Les enfants de gauche à droite : André Cuny, Noëlle Cuny et Robert Cuny

 

 

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 Royan 1913 - Célina Boucher, Robert Cuny, Noëlle Cuny, Marie Cuny, André Cuny, une bonne, Maguy Laroche-Joubert, Jean Laroche-Joubert (dans le landau), une bonne

 

 

Sa famille après la Guerre

 

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Geneviève Cuny à 4 ans - 1925

 

 

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1919 - Robert, Noëlle et André Cuny

 

 

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1923 – Noëlle et Robert Cuny

 

 

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 1923 Georges Cuny au mariage d’Yvonne Vautrin

   

   

1925 A1-26-1 Georges et Mimi Cuny dvant la maiosn Cornimont 1925-DSC04813 ROGNE.jpg

Mimi et Georges Cuny devant la maison de Cornimont - 1925

 

  

1933 Marie et Georges Cuny au mariage Dugravot (V0382).jpg

Marie et Georges Cuny au mariage Dugravot – 1933 

  

  

 

 

1931-12 Georges et Grand-père (A2-17-01).jpg

Décembre 1931 – Georges Cuny avec l’aîné de ses petits-enfants, Georges Favre

 

 

1937-05 Georges Cuny et son petit-fils Georges-Paul (A4-14-07).jpg

Mai 1937 – Georges Cuny avec l’aîné des petits-enfants Cuny, Georges-Paul Cuny

 

 

    

1938-03-19 Georges Cuny et Mme Ponsar au mariage de Criquette de Gérauvilliers (V0434).jpg
Georges Cuny et Mme Ponsar au mariage de Criquette de Gérauvilliers – 19-03-1938

 

 

1939 Nénée Favre Georges et Mimi Cuny à Menthon sur la galerie – Août 1939-DSC04843 RECADRE.jpg
Août 1939 - Yvonne Favre, Georges et Mimi Cuny sur la galerie de la VCDA à Menthon

 

 

1941-11-12 Mariage Vivette et Andre DSC04896.JPG
4 générations de femmes en présence :

Célina Boucher, Mimi Cuny, Noëlle Favre-Vivette Cuny et Chantal Favre

Novembre 1941, à l’occasion du mariage de Vivette Cuny et d’André Monsaingeon

Georges Cuny, Célina Boucher, François-Régis Favre, Michel Favre dans les bras de Mimi Cuny, Pierre Favre, Noëlle Favre, Georges Favre, Gérard Favre, André Monsaingeon, Vivette Cuny et Chantal Favre

 

 

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Georges Cuny assis devant la maison de Cornimont - 1942

 

 

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Eté 1946 Georges Cuny bien malade

    

   

Voir aussi dans la rubrique « Portraits de famille »

 

Clémentine Cuny, sa mère

 

Paul Cuny (1872-1925), son frère

 

Marie (Mimi) Cuny (1884-1960), sa femme

 

Célina Boucher (1860-1951), sa belle-mère

 

André Cuny (1907-1965), son fils

 

Noëlle Cuny-Favre (1909-1989), sa fille

 



09/11/2018
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