14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch 8-3 - Le charme du 21 et 22 décembre 1915

 

Chapitre 8 – Le charme du 21 et 22 décembre 1915 – 3e et dernière partie

 

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 11/07/2016

 

  

 

Paul Boucher 8-2 Image2 Paul et Sejournant.jpg

Paul Boucher (3e en partant de droite) et son fidèle Séjournant (1er en partant de la droite).

  

    

En souvenir de Séjournant, son fidèle ordonnance mort lors des terribles combats de l’Hartmannswillerkopf.

 

Entre-temps, les boches ont continué à monter et se sont emparés de quelques sections de 226e RI et ils parviennent à la ligne de départ, peu nombreux mais très excités et mordants. Le Colonel a reflué vers l’abri du commandant de brigade où les officiers Porthalon et de la Burthe ont leur révolver à la main. Le Colonel a recouvert un peu de sang froid et alerte ses téléphonistes conduits par Mercadier et des chasseurs du 68 e conduit par le capitaine Sicurani. Ces deux officiers, braves mais désireux de crâner devant le Colonel s’exposent témérairement et tombent tous les deux tués.

 

Pendant ce temps, les Cies du 23e RI enfin alertées mais sans guide montent serrées comme des harengs pour contre-attaquer. Les boyaux sont bombardés. Ces Cies ahuries par le boucan ont de lourdes pertes sans savoir quoi que ce soit. Il est trop tard déjà, les derniers tronçons du 152e sont déjà assemblés et désarmés.

 

Nous ne pouvions le supposer. Je rends compte au Colonel de ma liaison avec la roche Sermet.

« Enfin, vous voilà, où étiez vous donc ? ».

Il avait totalement oublié ma mission dont il m’avait chargé et grâce à quoi toute cette partie nord de l’Hartmann a été alertée. A mon retour, j’ai guidé une Cie du 23e RI totalement égarée. On mange copieusement, le brave Valentin, cuisinier du Colonel, nous apporte des rognons sautés, excellents d’ailleurs ainsi qu’une bouteille de Saumur de ma réserve car nos cuistots étaient tous au camp Duverney.

 

Autour du Colonel, il y avait un commandant du Bourg, parent du général de Castelnau, calme, aimable et souriant qui arrondit souvent les angles ainsi que le capitaine Martin de la Cie de mitrailleuse affectée au 2e bataillon, camarade dont j’ai souvent parlé. Le rôle de commandant de Cie de mitrailleuses est compliqué, toutefois il est certain que les mitrailleuses n’ont rien fait en première ligne et que notamment aucune pièce n’était avec la 8e Cie et aucune en position de repli. Martin servit d’adjoint au Colonel, le capitaine Jenoudet aussi mitrailleur du 8e RI qui put s’échapper aussi et dont le retour donna quelques espérances sur la situation du 1er bataillon, espérances vite déçues. Le Colonel voulait réorganiser la garnison et, en vitesse, il parcourt avec nous la première ligne souvent éboulée et occupée par des cadavres. Tard dans la nuit, le Colonel nous pria de disposer. Il pouvait être 11h du soir, seul, exténué, je descendis par une belle lune jusqu’au Duverney où je pénétrais dans le gourbi de Bertin où quelques grognements m’accueillirent, j’allais plus loin dans un autre gourbi où se trouvaient quelques chasseurs alpins et sans rien dire, sans même ôter mon casque, je m’étendis et songeant à tout ce qui venait de se passer, songeant à Séjournant, songeant à ma famille, je remerciais Dieu et m’endormis profondément.

 

Le 23 au matin, je gagnais les cuisines où je fus accueilli avec joie par mes cuisiniers, par le sergent-major qui m’avait déjà porté disparu. Je retrouvais Thiollet et Boissoneau et quelques échappés parmi lesquels des braves et les autres moins. Ce sont aux cuisines que se trouvent toujours les isolés et qu’on se compte. Parmi eux, je vois l’ordonnance du pauvre Dunskeeld, ancien de la Chapelle et de Georgel, et je le pris comme ordonnance à la place de Séjournant. Je retrouvais des chaussures et faisais un brin de toilette puis à la salle des officiers, je me présente aux officiers du 23e RI.

 

J’ai fait savoir à Martin où je me trouvais et je reçois bientôt l’ordre :

De rassembler tout ce que je trouvais du 152e

De faire l’état des valides capables de contre-attaquer

D’envoyer des corvées pour récupérer les sacs laissés dans les lignes de départ.

 

Tout cela ne fut pas facile n’ayant pas de gradés et ayant affaire à des hommes de douze Cies parmi lesquelles quelques fuyards certainement. Pendant ce temps là, le ravitaillement continuait à arriver en renfort. Le vin et le schnaps montaient aussi et les ivrognes étaient nombreux. On apprend un peu ce qui s’est passé. L’ennemi ayant percé en flanc et au dessus de notre maigre ligne d’occupation l’a enlevé aussi vite, fraction par fraction.

 

La veille, de nombreuses torpilles sont tombées sur le 1er bataillon donc mon ancienne Cie. Le sergent-major, le fourrier Calvet ont été tué près du Colonel. Le vieux tambour-major Mignault a été décapité par une torpille, le sous-lieutenant pionnier Bernard a été décapité et sa tête a été contusionnée. Le commandant Brun reste près du Colonel.

 

Au même matin, ce même Brun voulant rejoindre son bataillon tombe par une balle perdue. Il est ramassé par les boches. Au 1er bataillon, le commandant Guey entouré de toutes parts s’est fait plutôt tué que de se rendre. Il m’avait souvent dit qu’il ne comprenait pas pourquoi on pouvait être prisonnier. Il a tenu parole et a eu comme récompense une tombe au cimetière de Cernay. Desportes, capitaine de la 1re a été tué à l’attaque de Bressin aussi.

 

A mon bataillon, ce fut terrible, Morand a été tué d’un coup de révolver et c’est là que la brèche s’est faite. Ducros, le gestionnaire que nous blaguions pour sa première attaque, fut blessé, transporté au poste de secours encombré et tué à la porte de ce poste par un obus ainsi que maints d’autres blessés. Quant aux disparus, ils sont innombrables !

 

J’arrive enfin à trouver des cuisiniers, 12 caporaux d’ordinaire et 90 hommes clairons. Pendant ce temps, la bataille fait rage sur les sommets et j’ai bien du mal à recruter une corvée pour aller chercher les sacs, idée ridicule mais il fallait ramener quelque chose.

 

Je montais l’après-midi revoir le Colonel et assistais à une entrevue avec le général Serret et le Colonel pour avoir quelques éclaircissements. Le Général voulait des gens volontaires et nous interrogea. « Pouvez-vous contre-attaquer ? Enfin, je vais monter cela, nous ne pouvons pas demeurer sur ce coup ».

 

A son départ, le Colonel dit « on peut me limoger, j’ai fait mon devoir ».

 

L’incendie continua les jours suivant, les chasseurs du 47 et 27 furent délogés, Bertin fut blessé et Serret tué quelques jours plus tard puis le calme revint mais n’anticipons pas. Toute la journée du 24, je demeurais à Duverney et les hommes s’y tenaient sans ordre, buvant plus que jamais. Une corvée de sacs envoyée en haut eut deux tués ainsi je suis soumis à les faire revenir… et écrivis à Martin en signalant la nécessité d’aller se regrouper à l’abri des coups et je reçus enfin l’ordre le 24 au soir pour descendre à St Amarin le 25 jour de Noël.

 

Le 24 décembre, le général Serret a dit au commandant Dupont du 68e chasseur qui me l’a répété : « Le 152e RI m’a bien demandé du secours mais je n’ai pu croire à sa demande tant était grande ma confiance ».

 

Ma cohorte avait l’effectif d’une forte Cie, comprenant au moins vingt brancardiers, beaucoup n’avait ni casque, ni fusil et je les prévins que je ferais une halte à Thanonplatz où il y avait des ambulances et que chacun devait trouver un fusil pour faire une entrée convenable dans la vallée, ce qui fut fait. A belle allure, nous traversâmes Willer, Moosch pour cantonner à la salle du Breuil entre Willer et Moosch. Je croisais le commandant Poulet de l’administration de la Table, il me serre la main et me dit : « Enfin, je vois que c’est faux les bruits sinistres qui circulent sur notre Cie ». « Non, lui dis je tout bas, c’est tout le régiment ». Il sauta à mon cou et fit prévenir M Scheurer qui avisa lui-même mes parents de mon existence.

 

Suivant les ordres reçus, tous les rescapés arrivent dans un même local où tous furent consignés. Bref, il fallait des sanctions.

 

Le lendemain 26, on avait descendu quelques cadavres : Mignault, Potié, Ducros, Bernard que nous inhumâmes.

 

L’après-midi, Mercadier, le Colonel, les bribes de musique, toute la population de Ranspach suivait. Chez moi, j’étais catastrophé tant j’étais affecté de la disparition du régiment. Je pris le dessus et nous nous occupâmes de faire nettoyer les hommes.

 

Le Colonel passa le 27 au matin la revue des rescapés, tenta d’en interroger quelques uns mais cessa rapidement et eut raison. A midi, le colonel Lacapelle, chef d’état-major de l’armée vint déjeuner à l’unique table du régiment pour nous questionner. Le Colonel faisait les gros yeux, nous devions nous mettre un pavé sur la langue mais je mis les pieds dans le plat, cela me coûta ma décoration mais j’aurais encore fait davantage puis ce furent les rapports, les lettres aux parents des tués, les propositions de récompense et le 29 nous sommes embarqués en camion-auto pour aller nous reconstituer à Saulxures sur Moselotte.

 

Une voiture de tourisme montée par Henri Bretagne, ami de Nancy, me fait passer par Gérardmer où j’embrasse mes parents et je les informe de ma destination à Saulxures où chez Madame Hubert Velin j’allais recevoir ma femme venant de Nancy.

 

Mais le 152e vosgien était tout entier sous terre ou en Allemagne. Le 152 allait survivre jusqu’au bout par tradition, c’était un bon régiment mais pour moi il était mort dans cette tragique journée du 22 décembre. Elle resta pour moi la plus dure de la guerre et la plus pénible de mon existence.

 

L’Hartmann sera le but de mes promenades ainsi que ses cimetières. J’y allais avec les anciens du 152e aux monuments aux morts mais c’est toujours avec un profond sentiment d’amertume que je songeais à ces actions si légèrement conçues et lancées qui coûtèrent la vie à tant de jeunes hommes, mes camarades et compagnons, et aussi à l’inventeur de l’Hartmann qui y succomba héroïquement, le général Serret.

  

Il y eut au sein du 152e RI  des pertes terribles.

Officiers : 11 tués, 14 blessés et 23 disparus

Troupe : 70 tués, 527 blessés et 1353 disparus

 

Paul Boucher 8-3 Image2 JMO Hartmann.jpgJournal de marche du 152e RI

 

Paul Boucher eut droit à une citation à l’ordre de la division

Ordre N° 339 de la 66e division   19 février 1916

« Le 22 décembre 1915, à l’Hartmann au cours d’une contre-attaque exécutée par l’ennemi, s’est trouvé avec quelques hommes isolé de sa compagnie. A réussi à regagner nos lignes et sous un feu très violent d’artillerie s’est activement employé à réorganiser notre ligne de défense et à rétablir la liaison avec le corps voisin ».

Signé : Nollet

 

 

Extrait du livre :Le Quinze-Deux - De la 152e demi-brigade de bataille au régiment des « Diables Rouges » (Berger-Levrault, Nancy, 1931)

Chapitre : L’Hartmannswillerkopf

 

… Aussitôt l’attaque reprend. Nos soldats, exaspérés par les pertes, grisés par le succès, n’ont fait que passer en courant sur le sommet reconquis et s’élancent le long des pentes en talonnant devant eux l’ennemi en déroute. Le ravin, les deux cuisses, tout le champ de bataille du 25 avril est repris d’un seul élan. Nous dépassons même nos anciennes tranchées et portons notre ligne bien au-delà des pentes ravagées par les derniers bombardements.

 

Le soir du 21 décembre est un soir de victoire comme le 15-2 n’en avait jamais connu. A lui seul, en quelques heures, il s’est emparé de tout le massif de l’Hartmannswillerkopf qui avait résisté jusque là à toutes les attaques. Sa garnison jonche de ses cadavres le champ de bataille et plus de 800 prisonniers feldgrau vont traverser, la tête basse, les villages alsaciens et annoncer à tous ces braves gens de la vallée le nouvel exploit de leur cher 15-2. Les 22 officiers et les 400 hommes que le régiment a perdus sont tombés en plein triomphe. Plus d’un de leurs camarades devait le lendemain envier leur trépas.

 

Le cœur se serre au souvenir de cette fatale journée du 22 décembre, où le sort injuste anéantit l’œuvre de tant de sacrifices et d’héroïsme. Pourquoi faut-il qu’une journée de victoire ait eu un pareil lendemain ? Toute la nuit, autour de l’Hartmannswillerkopf, où nos soldats fatigués reposent dans la gloire, l’Allemand travaille fiévreusement, concentre une formidable artillerie, masse tout près de nos tranchées improvisées tous les bataillons d’élite qu’il tenait prêt pour ce dernier effort.

 

Au matin du 22, la contre-attaque se déchaine. Le 15-2 déployé en une longue ligne mince que l’ennemi déborde et perce à droite et à gauche, accroché sur ces pentes abruptes où le bombardement le foudroie sans que notre artillerie puisse le soutenir, lutte désespérément toute la matinée et oppose ses seules forces, décimées et épuisées par les combats de la veille, à la ruée des troupes fraîches que l’ennemi jette sans répit, par bataillons entiers.

 

Bientôt, le régiment est débordé, isolé à droite et à gauche, et l’étreinte se resserre autour de ses trois bataillons, dont l’effort surhumain prolonge encore la lutte. Les renforts appelés en hâte sont trop loin. Maintenant le 15-2 a perdu même l’espoir de se dégager. Mais le vieil honneur du régiment réclame le sacrifice suprême. Sans cartouches, assaillie à coups de grenades et de mitrailleuses, cette poignée de héros se bat toujours avec ses baïonnettes, avec ses pioches. Le commandant Guey voyant à ses pieds les débris de son bataillon submergés par l’ennemi, rallie autour de lui quelques hommes, leur fait mettre la baïonnette au canon et la canne à la main, se jette à leur tête sur les Allemands en criant « Vengeons le 15-2 ! » Il tombe foudroyé d’une balle au cœur. Enfin au bout de huit heures de corps à corps, cernés au fond du ravin de l’Hartmannswillerkopf ou traqués à travers les rochers, les derniers Français succombent sous le nombre comme leurs ancêtres dans le vallon de Roncevaux. Pour la seconde fois, l’Allemand prend pied sur ce sommet sacré de l’Hartmannswillerkopf, pour la seconde fois sur cette terre fatale, le 15-2 tombe, anéanti dans sa victoire… C’est la tête haute que les derniers survivants descendent à travers les vallées alsaciennes en deuil.

 

48 officiers, 1950 hommes manquaient à l’appel après les deux journées du 21 et du 22 décembre…

Fin du 8e chapitre



15/07/2016
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