Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch 14-1 –1918 La bataille vue de l’état-major
Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 02/04/2018
"J’ignorais tout de la 164e division, de sa composition, de l’accueil que j’y trouverais. Je n’avais rien demandé pour sortir de la troupe et j’avais bien l’intention de ne rien empêcher à ma destinée à laquelle je croyais avec fatalisme".
Emblème de la 164e division, la division du dragon.
Paul Boucher écrit au sujet de la constitution de la 164e division dans la première partie du chapitre 11.
« Le 12 novembre 1916, le 152e quitte la 66e division pour former une nouvelle division, la 164e laquelle me laisse fort indifférent car je ne supposais guère, moi, officier de troupe dans toute sa splendeur que moins d’une année plus tard, je serais officier d’Etat-major à cette 164e division. »
Extraits tirés du livre de la 164e division.
La division du Dragon (164e)
Novembre 1916-janvier 1919
Ecrit par le général de division Gaucher et le capitaine Laporte avec la préface du général Buat.
Edition Charles-La Vauzelle et Cie, 1924
Livre appartenant à Paul Boucher avec le mot qu’il a écrit.
« J’ai été affecté à l’Etat-major de la 164e division le 25 septembre 1917 jusqu’à sa dissolution en janvier 1919. J’ai dirigé le 1er et 2e bureau et servi d’aide de camp du général. Si le capitaine Laporte ne m’a pas cité, ni nommé, c’est que je n’y ai fait aucun éclat et que Laporte dédaignait les officiers de réserve. Lui-même dirigeait le 3e bureau (opérations) sans avoir fait une minute de « front ! Je n’ai eu qu’à me louer du général Gaucher. »
Le général Gaucher écrit.
« La 164e division n’a fait ni plus ni moins que la plupart des autres divisions : elle a eu comme les autres ses heures de tristesse et ses jours de gloire. Formée en Alsace en 1916, elle a reçu en 1917 la consécration du feu au chemin des Dames, de mai à juillet 1917, conquérant ses premiers lauriers à la prise du plateau de Vauclerc (22 mai 1917) de la grotte du Dragon (25 juin 1917) dont elle a tiré son nom et son emblème, du plateau de Californie (24 juillet 1917). Elle a ensuite occupé successivement le secteur de Reims (août et septembre 1917), celui si agité de Bezonvaux (novembre et décembre 1917) puis celui de Lunéville (janvier à mai 1918). En mai 1918, transportée dans la région d’Abbeville en réserve du groupe d’armées qui faisait tête, dans la région du nord, aux attaques allemandes, elle doit, à peine débarquée, être réembarquée pour venir en hâte dans la région de Neuilly-Saint-Front contribuer à l’arrêt de l’offensive allemande sur le chemin des Dames »…à suivre
Suite des Souvenirs de Paul Boucher…
Le 25 septembre 1917, me voilà parti au siège de l’armée avec mes cantines, mon ordonnance Georgel, dans une belle auto prêtée, tandis que mon cheval que je tenais à emmener à cause de sa docilité faisait route, conduit par mon ordonnance de cheval. Je me présente timidement et on me demande de rejoindre Champigny près de Reims.
J’ignorais tout de la 164e division, de sa composition, de l’accueil que j’y trouverais. Je n’avais rien demandé pour sortir de la troupe et j’avais bien l’intention de ne rien empêcher à ma destinée à laquelle je croyais avec fatalisme.
J’amenais ma vieille canne fétiche ramassée le 28 décembre 1914 à côté du cadavre de Spiess et qui ne m’a jamais quitté depuis.
(Extrait de la troisième partie du chapitre 5 des Souvenirs de guerre de Paul Boucher)
Le corps du capitaine Spiess vient d’être enlevé, ses effets, sa sacoche, tout ça traine à terre. Je fais un inventaire et ramasse sa canne que je conserverai toute la guerre comme une mascotte. Cette canne lui avait été donnée au Spitzenberg par un officier du 51e Territorial venu nous relever, canne qui ne me quitta pas une minute et à laquelle j’attachais une importance réelle « quasi superstitieuse ». Je l’ai ramenée et elle figure comme un trophée à côté de mon sabre réglementaire.
L’auto s’arrête devant une belle propriété, mi-château, mi-villa appartenant à des patriciens de Reims. Des gendarmes casqués sont de planton. Je demande le chef d’état-major qui est précisément dans le couloir. « Ah, c’est vous, bien… savez-vous jouer au bridge ? » Ma réponse négative fit mauvais effet certainement, mais j’étais résolu à conserver le plus d’indépendance possible.
Il était l’heure de déjeuner et on me place à droite du commandant de division par intérim car le général Gaucher était en permission. J’ai eu la surprise de trouver le colonel de Combarieu, commandant de l’infanterie de la division qui avait été mon chef en 1916 à Cléry notamment. J’appris avec plaisir que les régiments de division étaient le 152e, 334e et le 41e chasseur.
La division avait été formée en 1916 avec des éléments de la 66e division. Je me trouvais en pays de connaissance. A l’état-major, il y avait le capitaine de Pouydraguin et Vielcastel, vieilles connaissances, à l’escadron Hussenot, le lieutenant du 11e chasseur du 4 août 1914 et mon prédécesseur le capitaine d’artillerie Bellanger, puis le génie, l’intendance et le service des postes. Je découvre l’organisation d’une division.
Les troupes occupent le secteur devant Reims appelé La Neuvillette. Le chef d’état-major s’appelle Meilhan, intelligent mais plutôt dédaigneux.
Je suis quelqu’un qui n’a aucune prétention, je demande à être tranquille tout en aimant me rendre utile.
Je m’occupais du 2e bureau : renseignement sur l’ennemi, relations policières et je servais d’officier accompagnant le général en auto. Cela me va tout à fait. J’ai sous mes ordres l’interprète Hartmann, le lieutenant topographe Lepercq, le caporal gendarme Taillefer, mes camarades Lasserre du 1er bureau. Ils ont peu fait la guerre et j’ai sur eux un prestige certain.
Je fais quelques sorties, une au 152e avec des conversations entre troupes amies. Cela me rappelle le Breithal. J’y vais avec un officier du C.A. Je suis devenu une personne importante devant laquelle les chefs de corps s’inclinent, quant à la racaille des commandants de Cie, elle n’y prête garde.
Le général Gaucher rentre de permission, 1,88m, très pinson, aimant rire à table, ne s’occupant pas du travail de ses officiers, c’est l’affaire du chef d’état-major, chef de corps.
Les bureaux sont très paperassiers, le lieutenant qui s’occupe des opérations exagère la discrétion et c’est par mon ordonnance que j’apprends les coups de main en perspective.
Suivant une tradition, on invite au Q.G le cardinal Luçon, grand tralala. On va le chercher en auto, le cuisinier a fait un hors-d’œuvre à ses armes. On a préparé un fauteuil sur l’indication du vicaire-général, pour qu’après le repas, il puisse faire sa sieste habituelle. Le service topo prend une photo. Le cardinal est à droite du général et je suis à sa droite. Je lui sers son verre et coupe son fromage. Suivant le rite, je me coiffe de son chapeau !
Mgr le Cardinal Luçon, Archevêque de Reims, accompagné de Mgr Neveux après la visite d'un hôpital en mars 1918.
Note de Renaud Seynave : Ci-joint la gazette relatant les événements du 152e RI en septembre 1917
Editée en septembre 2017 par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la Direction des Ressources Humaines de l’Armée de Terre
Septembre 2017
SEPTEMBRE 1917, REIMS AU CALME ET AU REPOS !
Début septembre, le 15-2 monte toujours la garde, à cheval sur le canal de l’Aisne à la Marne, devant l'illustre cité de Reims que des bombardements quotidiens achèvent de défigurer. Sensible à cet honneur, il déploie dans le secteur une activité inlassable en remuant la terre avec un extraordinaire acharnement, multipliant les tranchées, les boyaux, les abris, les défenses de toutes sortes. Derrière eux, ils peuvent voir dans le lointain la triste silhouette de la cathédrale de Reims qui dresse vers le ciel son squelette déchiré. Mais comme le souligne le docteur Chagnaud, médecin-chef du 15-2, comment reprocher à l’ennemi ses tirs de harcèlement et de destruction alors que Reims se trouve à la distance normale pour des emplacements de batteries ou des emplacements de réserve et que lui-même observe et découvre dans la ville, camouflés, dans les débris de ce qui fut la bibliothèque, des canons qui ont pris position sur la large pelouse.
Dispositif du 15-2 le 1er septembre 1917.
Le 1er septembre, le 2e bataillon monte en première ligne relever le 1er qui descend rejoindre le 3e bataillon en réserve de sous-secteur. Même si le secteur de Reims est assez calme, chaque relève est préparée et effectuée avec les plus grandes précautions. Les deux dangers principaux sont en effet les obus à gaz et les coups de main de l’ennemi pour faire des prisonniers. Ses activités comme les nôtres sont sensiblement les mêmes et dans l’ensemble chacun se rend coup pour coup.
Le général Granger, commandant la division, souligne que comme aucune offensive n’est prévue, les coups de main font l’objet « d’autant et plus de projets et de correspondance que pour une offensive de grand style. » Ainsi, le 5 septembre à 21h30, un coup de main est réalisé dans le secteur du saillant de Neufchâtel. Précédés par des tirs d’artillerie pour détruire les obstacles ennemis puis accompagnés par des tirs d’encagement autour de l’objectif, les groupes francs du 15-2, du 43e BCP et de l’escadron divisionnaire progressent vers les tranchées ennemies. Mais rapidement, ils sont arrêtés par des obstacles situés à contre-pente qui n’ont pas été détruits par l’artillerie.
Simultanément, ils sont pris sous un feu nourri provenant des tranchées adverses. L’affaire est mal engagée ! Les groupes francs du 15-2 et du 43e BCP rebroussent chemin. Seul, celui de l’escadron divisionnaire a pu passer et pénétrer dans les tranchées ennemies. Il ne trouve rien, même pas une patte d’épaule remarque amusé le médecin-chef Chagnaud. Pris sous le feu de l’artillerie, le groupe doit attendre la nuit tombée pour rejoindre nos lignes. Au bilan, cette action nous aura coûté 8 blessés dont 2 graves et une grosse consommation de munitions.
Dans la nuit du 9 au 10 septembre, le 3e bataillon est relevé par le 5e bataillon du 213e RI et monte en première ligne dans le sous-secteur voisin à Bétheny. Le lendemain soir, c’est au tour du 2e d’être relevé par le 6e du 213e RI et d’aller cantonner à Tinqueux. Puis enfin, le 12 septembre, le 1er bataillon est aussi relevé pour cantonner à Saint-Brice avec l’état-major puisque le lieutenant-colonel Barrard vient de donner le commandement du sous-secteur au lieutenant-colonel Laucagne, commandant le 213e RI. A cet instant, même si les 1er et 2e bataillons sont placés en réserve de corps d’armée, les Diables Rouges se considèrent comme au repos.
Dispositif du 15-2 le 12 septembre 1917.
Le 16 septembre, après une prise d’armes à Tinqueux au cours de laquelle le lieutenant-colonel Barrard remet quelques croix suivant un cérémonial maintenant bien connu de tous, le cardinal Luçon, archevêque de Reims, vient rendre visite au régiment. Il se fait présenter les officiers, puis dans la petite église du lieu prévue pour 200 personnes, c’est plus de 500 fidèles et curieux qui s’entassent pour écouter la bonne parole du vénérable vieillard de soixante-quatorze ans. A l’issue, il dîne avec les officiers dans une véritable atmosphère de chaleur sympathique. Au moment du dessert, le chef de corps fait servir le champagne, accroche une fourragère à l’épaule du noble prélat et le nomme aumônier honoraire du 15-2.
Lors de ces périodes de repos, les Diables Rouges ont l’occasion de se promener en ville à pied ou à vélo et d’y faire des achats qui demeurent encore possibles : gâteaux, bonbons, vins fins. Le médecin-chef Chagnaud remarque qu’il a croisé aussi quelques jeunes filles pas très farouches, ce qui lui laisse soupçonner qu’on ne doit pas tous les jours s’ennuyer dans certaines caves ou secrètes arrière-boutiques !
Le repos est de courte durée car dès le 20 septembre, les 1er et 2e bataillons montent en ligne relever le 213e RI, et le 21septembre le lieutenant-colonel Barrard reprend le commandement du sous-secteur nord de la division.
Le 213e RI est dissout le 24 septembre et remplacé à la 164e division par le 133e RI. C’est un régiment expérimenté qui a déjà vaillamment combattu dans les Vosges et dans la Somme et que le général de Maud’huy avait surnommé "les lions de Bugey". Il avait la réputation de ne jamais se décourager et de revenir sur l’objectif jusqu’à ce qu'il soit conquis.
Le 24 septembre, l’ennemi tente un coup de main sur la 3ème compagnie qui se transforme en un violent corps-à- corps qui nous coûte 4 blessés. Ce même jour, c’est au tour du 3ème bataillon d’être relevé et de descendre à Tinqueux en réserve de corps d’armée pour prendre un peu de repos. Le 25 septembre au soir, les Allemands exécutent un tir très rapide à obus toxiques dans le sous-secteur nord, sur des travailleurs du 43ème BCP qui posent des réseaux en première ligne. 35 chasseurs sont intoxiqués dont un gravement qui meurt quelques jours plus tard.
Dispositif du 15-2 le 24 septembre 1917.
Depuis le début de la guerre, jamais les Diables Rouges n’ont été dans un secteur aussi calme. Le médecin-chef Chagnaud note dans ses mémoires à la date du 18 septembre: « […] il est certain que nous ne resterons pas éternellement ici. Des coins pareils ne sont pas pour nous. »
LE CARDINAL LUÇON, SYMBOLE DU MARTYRE DE REIMS
Louis Henri Joseph Luçon, archevêque de Reims, est une figure emblématique de la ville pendant la première guerre mondiale. Né à Maulévrier (Maine-et-Loire) le 28 octobre 1842, il est nommé archevêque de Reims en 1906. Un an plus tard, il est élevé au rang de cardinal par le pape Pie X.
Mgr le Cardinal Luçon, Archevêque de Reims, accompagné de Mgr Neveux après la visite d'un hôpital en mars 1918
Absent de Reims en raison du conclave le 19 septembre 1914, jour de l’incendie de sa cathédrale, il revient dans sa ville le 22 septembre pour ne plus la quitter jusqu’au 25 mars 1918, date à laquelle les autorités militaires lui imposent l’évacuation. Pendant toute cette période, il partage la vie des Rémois sous les bombes, réconfortant les sinistrés, visitant les soldats blessés dans les hôpitaux et ceux qui combattent dans les tranchées. Chaque vendredi, il accomplit dans sa cathédrale dévastée un chemin de croix par lequel il prend en charge symboliquement le martyre de Reims.
« Votre paroisse aujourd'hui, explique-t-il aux ecclésiastiques de Reims, c'est le régiment, c'est la tranchée, c'est l'ambulance. Vous y resterez peut-être. Et nos soldats n'y restent-ils pas ? Ne convient-il pas que la phalange sacerdotale elle aussi donne son sang pour la Patrie ? ». Pendant et après la guerre, le cardinal Luçon devient, au même titre que sa cathédrale, un de ces symboles de la France blessée que l’on présente aux personnalités étrangères.
En 1920, Louis-Joseph Luçon dirige l'association créée en 1919 par monseigneur Tissier, évêque de Chalons, et madame de la Rochefoucauld qui est destinée à construire le monument national de Dormans, l'un des quatre monuments nationaux français de la Grande Guerre avec le Hartmannswillerkopf, Douaumont et Notre-Dame-de-Lorette.
Il meurt le 28 mai 1930, en plein exercice de son sacerdoce, après avoir assisté à la dévastation puis à la reconstitution de son diocèse. Il est très aimé de la population rémoise et demeure dans leur cœur comme celui qui les a accompagnés pendant le martyre de leur ville durant la Première Guerre mondiale. Ses obsèques grandioses rassemblent une foule très nombreuse. Y assistent en particulier le maréchal Pétain et André Maginot, ministre de la Guerre. Il repose dans le caveau des archevêques sous le maître-autel de la cathédrale de Reims.
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