14-18Hebdo

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Journal de la Grande Guerre de quelques ancêtres des familles Farret, Cambon et Broquisse - 6 - Janvier 1915

Olivier Farret – 05-12-2016

 

En ce début d’année 1915, sur plus de 700 km, le front est figé de la Mer du Nord à la Suisse. Ce premier hiver est rude ; les combattants se terrent dans les tranchées depuis de longues semaines. Ils n’en sortent que pour de vaines attaques. Et puis, il y a le froid, la boue, l’adversaire invincible des poilus, l’eau stagnante dans les boyaux, les tranchées qui s’écroulent sous la pluie, et l’odeur insoutenable des cadavres qui les entourent.

 

Blaise Cendrars écrira dans le journal de tranchées L’Horizon :

« Ce simple mot, pluie, qui ne signifie rien pour un civil ayant un toit sur la tête, contient à lui seul toute l’horreur pour un soldat sur le champ de bataille. »

 

Les soldats croient toucher le fond de leur misère. Ils sont pourtant loin du compte. « Nous sommes des millions dans cette mélasse et nous ne savons pas quand cette tuerie finira » écrit Louis Chirossel, sapeur au 1er Régiment du génie.

 

Les combats ont lieu sur l’ensemble du front. En Alsace, les Allemands attaquent l’Hartmannswillerkopf ; en Argonne les Garibaldiens du 4e régiment de marche de la Légion résistent à une violente attaque allemande à Bagatelle et perdent dans la journée près de 300 hommes. En Champagne, des positions ennemies sont prises, puis perdues le même jour par les Français. Dans l’Aisne, les Allemands relancent leurs efforts dans les secteurs de Soissons et du Chemin-des-Dames. En Argonne, une violente attaque a lieu dans le bois de la Gruerie, au cours de laquelle se distingue le sous-lieutenant Erwin Rommel. Le journal Le Gaulois titre : « Nous nous replions mais l’élan de l’ennemi est brisé ». Face aux faibles résultats obtenus par les armées françaises, « Les rapports des généraux signalent que nos soldats souffrent beaucoup de la rigueur du temps : pluie, neige et boue ». (Rémi Porte).

 

Le Régiment de Paul Farret, (111e RI) est relevé au Mort-Homme et part en repos le 7 janvier dans le secteur de la Forêt de Hesse à 15 km à l’ouest de Verdun. Le 111e reçoit les renforts nécessaires pour remonter les effectifs amoindris par les violents combats de la fin décembre dans le Bois de Malancourt (perte de plus de 600 hommes). Le 18 janvier, Paul est promu capitaine, il a 31 ans.

 

Ma grand-mère, Yvonne Farret-Cambon attend un heureux évènement pour avril 1915. Elle réside à Montpellier ainsi que sa jeune sœur Fernande Cambon qui est infirmière bénévole à l’Hôpital complémentaire n°44 installé dans les locaux de l’ancien couvent du Sacré-Cœur, devenu une école privée. Structure de 450 lits, il est spécialisé dans l’hospitalisation des soldats venus d’Afrique. Il possède deux annexes, l’asile d’aliénés du Font d’Aurelles, route de Ganges, 160 lits et l’orphelinat du Bon Secours, route de Gravels, 120 lits. De décembre 1914 à février 1919, 5 617 malades et blessés seront hospitalisés à l’Hôpital complémentaire 44. (François Olier)

 

En ce début d’année, son frère le capitaine André Farret commandant une compagnie au 173e RI, est dans le secteur des Eparges en contre bas de la crête occupée par les Allemands depuis septembre 1914. Cette colline abrupte, située au sud-est de Verdun, culmine à 346 mètres offrant un panorama sur toute la plaine de la Woëvre ; l’artillerie allemande installée à son sommet tient sous ses feux tout le réseau routier du secteur. Le GQG français [Grand Quartier Général] envisage une opération de dégagement des côtes de Meuse et la conquête de la crête des Eparges, afin d’obtenir à son tour une vue sur la plaine pour mieux surveiller le ravitaillement allemand en provenance de la place de Metz située à moins de 30 km à l’est. Pour le régiment, ce sera la période d’instruction préparatoire à l’assaut des tranchées ennemies. (François Petreto et Jean-Claude Fieschi)

 

Jean Broquisse, le grand-père de mon épouse, est toujours en instruction au Camp de Souge près de Bordeaux. Ses quatre cousins qui sont au front envoient régulièrement des nouvelles. Henry et Élie « sont toujours solides au poste et confiants dans l’avenir. Pierre vit toujours sous terre et se porte bien. […] Jacques a un grand courage et beaucoup d’énergie et parle avec simplicité de la vie sur le front. […] Henry dit qu’il a mis le plastron métallique et la ceinture, que c’est un peu lourd mais cela peut aller quand même. Il a encore fait venir un protège-front [cervelière] qui s’adapte au képi. »

 

Leurs familles s’inquiètent pour leur uniforme au pantalon garance si voyant et un képi qui ne les protège absolument pas des projectiles. Aussi fleurit, à l’initiative du colonel Adrian, créateur du casque qui portera son nom, toute une panoplie de protection comme les « épaulières » renforcées de métal et la cuirasse individuelle. Cependant, le journal Le Temps, daté du 26 janvier 1915, écrit à propos des pare-balles : « La commission supérieure des inventions intéressant la défense nationale est frappée des dangers présentés par les cuirasses individuelles mises en vente par certains commerçants. Ces cuirasses sont beaucoup trop faibles pour protéger les combattants d’une manière efficace. Elles n’ont pour effet que de déformer, de dévier les balles et de leur donner un mouvement giratoire. Des blessures qui auraient pu n’être pas dangereuses prennent ainsi un caractère d’extrême gravité. »

 

Si, lors des guerres antérieures à celle de 1914-1918, les balles étaient responsables de 75% des blessures de guerre contre 25% pour les éclats d’obus, la proportion s’inverse très vite pendant le premier conflit mondial. Les blessures par projectiles d’artillerie, très délabrantes, deviennent prédominantes. Un aspect de la guerre des tranchées est le nombre considérable des blessures à la tête. Il est décidé, toujours dans la hâte, d’équiper les combattants d’une cervelière, sorte de calotte métallique à placer directement entre le crâne et le képi. Sa protection est toute relative et son usage en est d’autant limité. (JJ Ferrandis). Le projet de casque est lancé par le ministère de la guerre. De nombreuses entreprises répondent au cahier des charges. Une nouvelle tenue dite bleu horizon, moins voyante que l’uniforme d’août 14 est en cours de fabrication. La coupe de ce nouvel uniforme a été également revue avec l’aide des grands noms de la mode parisienne comme Paul Poiret.

 

A la fin janvier, le cousin de Jean Broquisse, Pierre Devade est évacué sur l’hôpital de Châlons-sur-Marne [en Champagne], à la suite d’une blessure à la jambe par un éclat d’obus.

 

Pierre Farret est en poste à Bizerte, commandant le torpilleur 330. L’Armée navale française se concentre à Bizerte, à Malte et plus-tard à Corfou. Elle dispose ainsi de bases navales sûres d’où il est aisé de bloquer l’Adriatique et d’interdire la mer libre aux escadres autrichiennes. En ce début 1915, l’Allemagne, qui a abandonné l’idée de disputer aux Alliés et surtout aux Britanniques la maîtrise des mers, réagit au blocus de surface en lançant ses sous-marins sur les convois d’approvisionnement et les transports de troupes. Les unités françaises intensifient leurs patrouilles pour protéger les navires marchands contre les U-Boots. En Mer du Nord, la Royal Navy remporte une victoire sur une escadre allemande près du Dogger Bank, à une centaine de kilomètres des côtes du Royaume-Uni

 

À Londres, l’Amirauté retient le principe, proposé par Winston Churchill, d’ouvrir la route de Constantinople grâce au forcement des Détroits par la flotte de guerre. Le gouvernement français donne son accord pour participer à l’opération des Dardanelles avec une escadre navale commandée par l’amiral Guépratte, comprenant le Suffren, le Bouvet, le Gaulois et le Charlemagne. Ces bâtiments issus du programme naval de 1892, sont déjà périmés à l’entrée de la guerre.

 

La France n’a suivi que tardivement (1907) le mouvement de la construction de cuirassés, nouvelle génération, le dreadnought (qui ne redoute rien), tirant son nom du navire de guerre britannique HMS Dreadnought, lancé en 1906. Il présente deux caractéristiques principales : son artillerie principale n’est que d’un seul calibre (10 canons de 305 mm) et sa propulsion est assurée par des turbines à vapeur. Aussi les navires français qui vont être engagés dans les opérations des Dardanelles, sont plus réputés pour leurs défauts (artillerie déclassée et manque de stabilité) que pour leurs qualités. Ils en subiront les conséquences dans les combats à venir. (Paul Chack et Jean-Jacques Antier)

 

 

Sources

  • ·       François Petreto, Jean-Claude Fieschi, Le Mémorial des Poilus Corses, Albiana, 2013
  • ·       François Olier et Jean-Luc Quénec’Hdu, Hôpitaux militaires dans la guerre 1914-1918, Tome 3, France sud-ouest, Ysec, 2011.
  • ·       Alain Larcan, Jean-Jacques Ferrandis, Le Service de Santé aux Armées pendant la Première Guerre mondiale, Éditions LBM, 2008.
  • ·       Paul Chack, Jean-Jacques Antier, Histoire maritime de la Première Guerre mondiale, France-Empire, 1992.


09/12/2016
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