14-18Hebdo

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Journal de la Grande Guerre de quelques ancêtres des familles Farret, Cambon et Broquisse - 43 - Février 1918

Olivier Farret – 06-10-2018

 

L’État-major allemand prépare activement son offensive de rupture à l’ouest avant l’arrivée des Américains. Ludendorff presse le gouvernement pour accélérer au maximum les négociations de paix avec la Russie. Le Kaiser et la chancellerie partagent cette analyse car les représentants de l’industrie lourde ne cessent de réaffirmer leurs prétentions sur le bassin de Longwy-Briey et sur la Belgique. L’unanimité règne donc outre-Rhin : « Par votre victoire, nous serons en mesure, pour négocier la paix avec les puissances occidentales, de poser les conditions qu’exigent notre sécurité, nos intérêts économiques et notre situation internationale après la guerre ». écrit le chancelier impérial au Maréchal Hindenburg.

 

À Paris, le 5 février, Louis Mourier, médecin et homme politique, remplace Justin Godart comme sous-secrétaire d’État au Service de santé militaire :

 

« Le devoir d’organiser, à côté de l’Armée qui se bat, une véritable armée qui soigne et qui opère, sous la haute autorité du commandant en chef, mais indépendamment de tous les autres services… et la nécessité pour cette armée d’avoir un chef d’état-major sanitaire, conseiller technique du gouvernement, agent de liaison nécessaire entre ce dernier et la zone des armées ».

 

Définie en théorie depuis 1882, l’autorité technique du Service de santé est finalement admise, reconnue et réalisée. L’aide-major général du Service de santé au GQG reçoit délégation de signature du général commandant en chef pour « centraliser tout ce qui concernait la préparation, l'organisation et l'exécution du Service de santé aux armées, tout en conservant les liaisons nécessaires avec les autres services ».

 

Par ailleurs, le Parlement adopte la loi sur les pensions militaires mais vote aussi une taxe de 10% sur un certain nombre de produits de luxe, dont les smokings et les coffres forts….

 

Dans les régions occupées par les Allemands, la pression est de plus en plus grande, notamment à Lille. Un nouveau tribut de 92 millions de francs est exigé. Il est précisé que la ville doit se procurer les fonds « à l’aide des prêts de la Commission américaine de secours, des banques, des caisses d’épargne et des habitants ». La liste des réquisitions ne cesse de s’alourdir, allant jusqu’à comprendre les ustensiles de ménage. Plusieurs monuments sont démontés, notamment la statue de Jeanne d’Arc, pour prendre le chemin de l’Allemagne et y être fondus en tant que « matériaux rares ».

 

En Allemagne, pour lutter contre les grèves qui se multiplient dans les usines de guerre, le gouvernement impose l’état de siège dans le Grand Berlin et les villes d’importance et instaure des cours martiales pour juger les meneurs.

 

 

Sur le front oriental, un traité de paix entre l’Ukraine et les Puissances centrales est signé à Brest-Litovsk, prévoyant la reconnaissance de la République d’Ukraine, en lutte contre les Soviets russes.

 

En Russie, Trotski proclame un cessez-le-feu unilatéral et lance sa célèbre formule : « Ni paix, ni guerre » : si les Soviets refusent de poursuivre la guerre, ils ne veulent pas pour autant conclure une paix scélérate avec les Puissances centrales impérialistes. L’armée russe est officiellement démobilisée. En raison des fortes divergences au sujet des négociations de paix avec l’Allemagne au comité central bolchevique entre les « jusqu’au-boutistes » et Lénine qui affirme : « Si la guerre recommence, notre gouvernement sera renversé et la paix sera plus mauvaise… Les paysans pauvres nous abandonneront si nous continuons la guerre ». (Rémy Porte).

 

 

Les États-majors de l’Entente comprennent que le danger d’une offensive allemande se précise de semaine en semaine. Au sein du Conseil suprême de guerre créé à la fin de 1917 est constitué un Comité exécutif. Lloyd George accepte volontiers de placer le général Foch à sa tête :

 

« Les Anglais n’oublient pas le rôle joué par le général Foch dans les circonstances difficiles traversées par leurs armées dans les Flandres. Pour l’Italie, il a agi de même dès qu’elle a couru un danger. Nous savons que si l’Italie ou les Flandres souffrent, ce sera pour le général Foch comme si la France souffrait ». Lloyd George, Versailles, 1er février 1918.

 

Un dispositif de réserves françaises (six divisions de la IIe armée du général Humbert) est créé pour soutenir les Anglais. Ceux-ci font de même pour renforcer les Français.

 

 

Le 150e RI est toujours dans la forêt de Facq, à l’est de Pont-à-Mousson. Le secteur est calme. Deux déserteurs se présentent, le 10 février, à la tête du Pont-sur-Seille ; ce sont les premiers qui se rendent au régiment. L’ennemi, à plusieurs reprises, tente de prendre un poste d’observation mais il échoue. À partir du 21 février, la répartition des troupes de la Division est remaniée, sans changer de secteur. Du 24 février au 1er mars, les échanges d’artillerie sont plus marqués.

 

Le 173e RI d’André Farret tient un secteur calme au nord du Grand Couronné.

 

À l’est du Chemin des Dames, les Français se heurtent à une forte reconnaissance offensive allemande entre l’Oise et l’Ailette dans le secteur de Coucy. Plus à l’est, le régiment de Jean Broquisse a rejoint les lignes : « Tout va bien, soleil splendide. Secteur ultra-calme. Clemenceau est un as de désembusquer les officiers à la gare du Bourget. Hélas, il y en a combien qui mériteraient pareille sanction ». À propos des Embusqués, ce mot désigne celui qui refuse le devoir des armes en obtenant ou en conservant un poste de tout repos à l’arrière. Clemenceau sera intransigeant contre les embusqués : rondes d’inspection dans les lieux d’« embusquage » (dépôts, administration centrale, usines…) (Jean Yves Le Naour, Dictionnaire de la Grande Guerre, Larousse, 2008, « embusqués »)

 

 

Durant la Grande Guerre, la correspondance joue un rôle essentiel pour soutenir le moral des combattants. Nous l’apprécions au jour le jour avec l’important courrier échangé entre Jean Broquisse et sa famille ; nous en avons aussi le témoignage dans une lettre émouvante d’Alice Roudier, sa grand-mère qui a accompli un long voyage en train entre Castillon la Bataille et Villefranche de Lauraguais, avec un arrêt de « […] cinq heures passés à Montauban qui m’ont paru sans fin… »

 

« J’ai été contente durant mon voyage d’être avec des soldats. Cela m’intéressait beaucoup de les entendre parler. Ils mènent la même vie que Jean. Il y en avait deux en partant de Montauban qui parlaient de leurs femmes, de leurs enfants ; leurs poches étaient bourrées de lettres de ces êtres chers et ils se les lisaient avec une telle joie que cela en était touchant. C’était des gens bien élevés. Ici partout dans les trains beaucoup de monde. Et ce monde est très brave et décidé à passer courageusement cette période de privations ».

 

Les lettres de Jean Broquisse se succèdent alors qu’il est en ligne, mais le secteur est assez calme. Tour à tour, il évoque les abris, les distractions, les Américains… :

 

« La période de ligne que nous avons commencée il y a quatre jours se passe à merveille. Le temps est extraordinairement doux. Les Boches sont d’un voisinage peu bruyant. Etant pour l’instant installé dans un solide abri de soutien et ne faisant de travaux que la nuit, notre existence est très supportable. […] Je lis «La révolte des anges » ! Mes distingués collègues sont assis à la même table que moi, en train de faire une manille en chantant « Tout le long de la Tamise… » Preuve d’un excellent moral, mais grosse difficulté pour moi de réunir les quelques idées éparses dans ma cervelle débile ».

 

La manille est un jeu de cartes, très prisé à cette époque, où le dix appelé manille, est la carte la plus forte. La révolte des anges est un roman d’Anatole France publié en 1914. Des anges se rebellant contre Dieu descendent sur terre, à Paris précisément, pour préparer un coup d’Etat qui rétablira sur le trône du ciel le diable mais qui est l’ange de lumière, symbole de la connaissance libératrice. Les tribulations des anges dans le Paris de la IIIe République sont l’occasion d’une critique sociale féroce. Finalement Lucifer renoncera à détrôner Dieu, car devenant Dieu, il perdrait son influence sur les hommes de pensée.

 

« Entassé au fond d’un abri, tout est calme. Sous le sceau du secret, j’apprends qu’on signale l’arrivée d’un certain nombre d’Américains dans le secteur. Il a dû leur être dur de s’arracher des bras des Bordelaises pour aller se perdre dans un pays comme celui-ci. Oh, vicissitudes de l’existence ! […] Que maman écrive à Paris pour demander de la drogue contre les totos (puces), me la fasse parvenir quand elle l’aura reçue. Ou plutôt que le pharmacien me l’expédie directement… » écrit Jean Broquisse.

 

Le 15 février 1918, il écrit à sa mère :

  

« Hier soir, grand chahut dans notre coin. Un Américain nous étant arrivés vers 2 heures de la nuit, mon lieutenant, pour l’éblouir, a fait fonctionner presque en même temps tous les engins dont nous disposons. Il en était littéralement baba. « What a nice light » disait-il quand on envoyait des fusées éclairantes ! », « That’s dreadfall the V.B. (Viven Bessières), « Of all the guns, the F.M. is the best » (fusil mitrailleur). Enfin, on lui en a mis plein la vue ».

 

La grenade VB (Viven Bessières) mise en service en 1916, est la plus célèbre des grenades à fusil françaises pendant la guerre. Elle est tirée d’un tromblon fixé sur le fusil Lebel. Chaque compagnie dispose de 16 tireurs VB.

 

Le 20 février, Jean Broquisse part au repos :

  

« Nous voici donc au repos pour une huitaine, à moins d’imprévu. On dort, on se nettoie, on se délasse un peu. On fait au mess de succulents repas. Il nous fallait ça après les journées de ligne. Elles sont courtes ces heures de tranquillité. […] Hélas, un de mes caporaux vient d’être tué. C’était un garçon absolument charmant, sérieux et courageux dont la perte me fait beaucoup de peine. Comme ce pauvre Henri [son cousin], la mort l’a frappé dans un abri individuel alors qu’il se reposait. Les photos prises la veille du jour où il a été tué seront un souvenir pour sa famille… »

 

Par ses nombreuses lettres écrites à sa fille, Alice Roudier, sa grand-mère, nous laisse entrevoir les temps forts et douloureux du déroulement de la guerre ; dans une lettre datée du 21 février, elle évoque les soldats condamnés à mort pour abandon de poste :

 

« Quelle doit être la vie de ce malheureux B…, vivant avec l’appréhension d’une fusillade prochaine ; il expire cruellement ses folies. Je suppose que son pourvoi sera rejeté ; on est bien monté sur la conduite de ces misérables qui doivent trembler de crainte d’être ainsi mis à mort […]. Et cette Russie tombe de plus en plus bas. Quand sortirons nous de tout ce bouleversement et quand nos soldats seront-ils à l’abri ou au repos ?... »

 

De 1914 à 1918, plus de 2 300 soldats français ont été condamnés à la peine de mort parmi lesquels 600, environ, ont été exécutés. Mises à part les exécutions sommaires sans jugement (400 hommes) essentiellement en 1914 et 1915, les cas de fusillés étaient liés au refus d’obéissance, d’abandon de poste, de mutilations volontaires… Un certain nombre de ces soldats ont été réhabilités après la guerre. (Jean Yves Le Naour et François Cochet)

 

Jean Broquisse évoque son retour sur le front dans une lettre à sa mère du 28 février :

  

« Nous voici à nouveau installés en ligne. Notre cagna est sur le flanc d’un immense coteau dominant Br…..e [Braye-en-Laonnois]. L’abri est immense. Toute la compagnie (presque 200 H.) loge ensemble. Tu vois d’ici, ma chère mère, la maison souterraine. On n’y craint pas les gothas. Pour une huitaine, nous sommes en réserve et notre travail consiste à fournir chaque soir des corvées pour les avant-postes. Le ravitaillement se fait normalement. Tout ira bien ».

 

Ces abris sont de vastes carrières souterraines pouvant accueillir un bataillon (1000 hommes)

 

« J’avais parlé à grand’mère d’un gentil garçon que je lui proposais comme filleul. Il est un brave petit poilu de ma section et m’a l’air très intéressant. Il est de la classe 1915. Orphelin de père et de mère, les parents qui s’occupaient de lui sont pour la plupart en pays envahis. Avant la guerre, il habitait un petit village près de Raon l’étape [Vosges]. On m’a dit qu’il ne recevait que très rarement des lettres. Si grand’mère veut l’adopter, voici son adresse… »

 

L’institution des marraines de guerre est créée en janvier 1915 pour venir en aide aux soldats des régions occupées qui ne peuvent correspondre avec leurs familles. Les « marrainages » vont connaître un vif succès, avec au moins 70 000 « filleuls », déclinant un peu par la suite. Par les pratiques d’échanges de correspondance, de photographies, d’envoi de colis, voire d’éventuelles rencontres, ce phénomène social des marraines de guerre peut déboucher sur des moments de mixité sociale. On cite le cas d’une « grande dame » de Versailles qui a 273 « filleuls ». (François Cochet, Rémy Porte)

 

 

En février, la situation des forces navales sur le théâtre méditerranéen va être bouleversée en raison de l’effondrement de la Russie, mettant à disposition des empires centraux sa flotte de la mer Noire, en complément des unités navales turco-allemandes. Si le péril est grave, il n’est pas immédiat en raison des délais de réparation du Goeben et du réarmement des navires russes. Pour parer à cette situation, l’amiral Gaucher prépare un plan d’opérations en mer Égée. Il dispose de deux escadrilles de torpilleurs dont le Janissaire commandé par Pierre Farret. Il détache trois cuirassés type Justice et deux croiseurs et concentre les sous-marins disponibles en mer Égée. L’Amiral Gaucher demande le matériel nécessaire pour renforcer les champs de mine barrant la sortie des détroits.

 

Tant sur l’Atlantique qu’en Méditerranée, le tonnage des navires détruits par les U-boote décline notablement. Le 18 février, le cargo Basque, des Messageries maritimes, en route de Salonique vers Marseille, est torpillé par l’UB 59 au large de Malte. Malgré un incendie, le navire restant à flot est remorqué jusqu’à Malte. Les pertes sont de 10 victimes et trois blessés graves. Le 25, le cargo Draa de la Cie de navigation Paquet engage un violent échange contre le sous-marin de croisière U6152 qui, au bout de 45 minutes, abandonnera le combat. Le capitaine au long cours Antomarchi sera cité à l’ordre pour sa défense héroïque.

 

Avant de quitter le commandement de l’U-35, Von Arnauld de la Périère qui a sévi en Méditerranée depuis le début des hostilités, engage ses dernières attaques contre des cargos ou des goélettes. Avant de couler les navires, il fait évacuer les hommes d’équipage. Noble attitude bien différente des années précédentes. Lothar sera promu en mai 1918 avant de rejoindre un des fleurons de la flotte sous-marine et de prendre le commandement de l’U-139, un croiseur sous-marin lancé en décembre 1917.

 

 

Sur le front de Macédoine, le général Guillaumat fait le point des défaillances de son armée. La plus grande d’entre elles est celle du Service de santé. Celui-ci est surtout concentré à Salonique, la ville la plus insalubre de Macédoine, où les blessés du front ont toutes les chances de contracter le paludisme lors de l’été. Peu de formations sanitaires sont installées dans les montagnes. Dans la plaine du Vardar, 23 hôpitaux temporaires et trois hôpitaux d’évacuation sont installés, recevant les blessés de six ambulances d’armée.

 

Ces moyens seront nettement insuffisants en cas d’offensive. Les personnels sanitaires sont en nombre insuffisants ; il serait urgent de recevoir 150 médecins et 2 000 infirmiers et brancardiers.

 

Le ravitaillement souffre d’une mauvaise organisation des services, avec un réseau de transports très déficient. Les 1 200 km de routes rendues praticables pour les camions ne correspondent pas aux besoins d’un front de 400 km d’étendue. En outre les camions Berliet, Ford ou Fiat s’usent très rapidement. Ainsi, le transport des vivres se fait aussi par caravanes, mais plus de 12 000 animaux de bât font défaut. Afin d’améliorer l’alimentation désastreuse des hommes et des animaux, Guillaumat réclame des troupes malgaches et indochinoises pour travailler la terre et accroitre les surfaces cultivables (légumes, fruits et plantes fourragères).

 

Mais Paris fait la sourde oreille aux « jardiniers de Salonique ». (Pierre Miquel). Réformant à la fois le commandement opérationnel et les services de l’arrière, le général Guillaumat crée à Salonique le Service industriel des armées alliées d’Orient, chargé de « produire, pour diminuer les apports de l’arrière et les demandes à la métropole ».

 

 

À Brest-Litovsk, les Allemands constatent qu’en refusant de signer le traité de paix, les bolcheviks ont virtuellement dénoncé l’armistice et reprennent les opérations (offensive Faustchlag).

 

Profitant de la rupture des négociations germano-russes, la France propose l’aide des Occidentaux à Trotski. Celui-ci fait adopter par le comité central des soviets une motion qui stipule : « Nous prenons toutes mesures pour équiper notre armée révolutionnaire et la doter de moyens dont elle a besoin en les prenant là où l’on peut les trouver, c’est-à-dire chez les gouvernements impérialistes ». Lénine, mis en minorité, voulant imposer la paix immédiate à n’importe quel prix, intervient : « Le moujik ne fera pas la guerre et il renversera n’importe qui lui dira de la faire ».



12/10/2018
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