Journal de la Grande Guerre de quelques ancêtres des familles Farret, Cambon et Broquisse - 25 - Août 1916
Olivier Farret – 04-07-2017
Verdun, la Somme, l’Isonzo en Italie, les Balkans, le front de l’Est, le désert du Sinaï, le canal de Suez, l’Afrique orientale… ne sont que des théâtres de guerre.
2 août 1916, pour le deuxième anniversaire de l’entrée en guerre, le président Poincaré adresse aux Poilus une lettre qui a le mérite d’être précise et de rappeler exactement les causes de la guerre. Un emprunt français de 100 millions de dollars est lancé aux États-Unis. En France, les pères de quatre enfants et les soldats ayant trois frères tués à l’ennemi doivent désormais être affectés dans des emplois moins exposés.
Le 10 août, c’est la première diffusion à Londres du film tourné sur les lieux des combats : The Battle of the Somme. Il sera vu par près de 20 millions de spectateurs en six semaines.
Le régiment de Paul Farret, le 161e RI, cantonne toujours au camp de Saffrais où l’instruction est poussée activement ; le régiment se reconstitue avant de repartir au front.
Le 3 août, le 173e RI d’André Farret est transporté en camions automobiles et vient se grouper entre Récicourt et Ville-sur-Cousance, au sud de l’Argonne.
Le 12 août, le régiment remonte en secteur et occupe à nouveau la cote 304. Pendant cette période, la bataille de Verdun a perdu de sa violence. L’effort allemand a été brisé ; le secteur conserve néanmoins une activité importante d’artillerie.
Sur la rive droite, Fleury et Thiaumont ont été repris par les Français. Les attaques de Nivelle sont cependant freinées par la crise des effectifs et le manque cruel de canons. Nivelle et Mangin alertent le général commandant le groupe d’armées du Centre. Les extraits des historiques de quelques régiments témoignent encore de l’âpreté des combats. Dans les journées du 1er et 2 août, le 41e RIC a perdu 20 officiers et 1 196 hommes ; du 1er au 4 août, le 96e RI a perdu 36 officiers et 1 285 hommes. Au 5 août, le 20e RI, en ligne depuis le 22 juillet, a perdu : 7 officiers tués, 17 officiers blessés et 1 100 hommes de troupe, dont 350 tués… (Jean-Pierre Tubergue)
Le 7 août, Jean Broquisse fête l’anniversaire de ses 23 ans au front, égayé par la réception de colis familiaux contenant deux pots de rillettes, un pâté en croute, un massepain aux fruits confits d’une bonne composition. Son régiment étant dissout, il est muté au 319e RI qui a subi de lourdes pertes. Il rejoint le dépôt divisionnaire de Glaignes au nord de Crépy-en-Valois.
Jean Broquisse (à gauche) et ses compagnons d’armes, été 2016
©Coll. Broquisse
En ce mois d’août 1916, il fait horriblement chaud en Gironde où réside la famille de Jean Broquisse. Les Français de l’intérieur sont toujours en vacances. Les lettres, loin du canon, témoignent de cette insouciance durement ressentie par les permissionnaires : « […] Bordeaux est de plus en plus désert ; il y a un monde fou à Arcachon, à Royan et à Vichy où le luxe est scandaleux. On ne se croirait pas en guerre ; il est vrai qu’à Vichy la société est cosmopolite. Les Pyrénées attirent aussi beaucoup de monde. […] » écrit une parente de la mère de Jean Broquisse.
Cet extrait de lettre illustre le fossé qui sépare le monde de l’arrière et les combattants qui sont dans l’enfer du front. Nous pouvons imaginer la grande déception et le dégoût du poilu, heureux d’avoir une permission et qui arrive pour quelques jours dans cette « France de l’intérieur » si loin de la guerre.
Après avoir perdu son fils Pierre (cousin de Jean Broquisse), Jeanne Devade doit s’armer d’un grand courage car Jacques, son deuxième fils est en convalescence à Limoges. Bien qu’inapte temporaire, il se porte volontaire pour repartir incessamment au front :
« Je vous assure, ma chère Adèle (mère de Jean Broquisse), que c’est avec une bien douloureuse émotion que j’ai appris la nouvelle et que je vais repartir : Le régiment a été complètement anéanti ; il ne reste pour ainsi dire plus d’officiers ; c’est pourquoi, ayant fait appel à toutes les bonne volontés, Jacques n’a pas cru devoir faire valoir la cause de son inaptitude.
Encore des jours, des semaines, des mois d’angoisse car il part pour la Somme et les officiers d’infanterie sont bien exposés ; je ne vous cache pas que j’ai peur, très grande peur, et que je vois l’avenir bien sombre ! Je ne fais part de mes appréhensions à mon entourage, mais j’ai le cœur serré ; j’ai l’impression qu’il ne reviendra pas ! Jacques est allé dimanche dernier embrasser ses chers petits. Marcelle est revenue avec lui, et elle est à Limoges jusqu’à son départ. […] (27 août 1916)
Cette lettre poignante mêlée d’angoisse et d’un sombre pressentiment est un vibrant témoignage pour toutes ces mères et ces épouses qui vivent dans l’inquiétude quotidienne de la mauvaise nouvelle.
Face à l’agressivité du roi Constantin et aux mouvements révolutionnaires en Grèce, l’amiral Dartige sur la Provence, prend le commandement de l’escadre alliée qui compte alors huit cuirassés et six croiseurs. À Salonique, Venizélos constitue un gouvernement provisoire.
En Méditerranée occidentale, l’U-35 de Von Arnauld de la Perière, déjà évoqué, prend le relais et en deux semaines coule 50 navires (81 000 tonnes) entre les Baléares, les îles d’Hyères et la Corse. Le 25 août, le cargo charbonnier Soccoa allant de Cardiff à Bizerte, est torpillé et coulé par le U-34 au large du cap Carbon, en Algérie, près de la frontière tunisienne. Le navire était armé. Le 27 août, le Sidi-Brahim riposte à l’attaque du sous-marin allemand U-38. En 22 minutes de combat, 20 coups sont tirés par le sous-marin, 14 par le paquebot. L’U-boot abandonne le combat. Citations et primes récompenseront le commandant et son équipage. Le même jour, le cargo Louis Fraissinet échappe à l’U-39 grâce à l’arrivée de deux chalutiers armés. (Marc Saibène).
La stratégie anti-sous-marine des marines alliées se caractérise par la dispersion des efforts. Le système des routes patrouillées dissémine les forces défensives sur des milliers de milles, ce qui rend la protection illusoire. Le nombre des navires, en particulier des patrouilleurs se montre toujours insuffisant pour parer à la brusquerie des attaques d’un ennemi invisible et fugitif. Le commandant en chef ne paraît pas convaincu de la possibilité de liaisons efficaces entre alliés :
« Si loyal que soit de part et d’autre le concours que nous nous prêtons, l’amiral de Robeck et moi, il y a des différences trop profondes entre les caractères des officiers et des équipages des deux nations, pour qu’une œuvre soit poursuivie parallèlement dans une même région avec fruit » Amiral Dartige du Fournet.
La notation du lieutenant de vaisseau Pierre Farret par le capitaine de vaisseau, commandant La Provence, est élogieuse :
« […] Dirige son service avec zèle, activité, et avec une grande compétence. Bon officier de quart à la mer, a du coup d’œil et du sang froid. Excellent officier à bien des points de vue, s’occupe beaucoup de son service qui marche très bien. Officier intelligent et énergique. » À bord de La Provence, le 1er août 1916, le Capitaine de vaisseau, Commandant.
En cette fin du mois d’août, les troupes alliées marquent le pas sur la Somme. Entre Arras et Bapaume, les Britanniques utilisent 1 000 cylindres de gaz toxique, mélange de chlore et de phosgène, contre les lignes allemandes : « La végétation fut brûlée sur une profondeur de 8 km. ».
À Verdun, les Allemands, conscients de leur échec, préparent cependant une nouvelle offensive. Convoqué par Guillaume II, Hindenburg est nommé chef d’état-major des armées allemandes en remplacement de Falkenhayn. Dès sa prise de commandement, Hindenburg émet une directive qui fixe les règles de la mobilisation totale et demande au gouvernement allemand que toutes les forces disponibles (mutilés, prisonniers, jeunes, femmes) soient mises au service de l’industrie pour doubler voire tripler la production de guerre.
À Paris, en présence du Président de la République, une réunion d’état-major dirigée par Joffre, a lieu pour débattre des programmes d’équipements lourds, de l’appel de la classe 18 (jeunes âgés de 18 ans) et de la réorganisation des divisions de quatre à trois régiments, « au fur et à mesure que les ressources d’infanterie diminueront ». (Rémy Porte)
L’Italie déclare la guerre à l’Allemagne.
Au cours de l’été 1916, le Musée du Service de santé des armées est créé au Val-de-Grâce.
« Depuis le départ des hostilités, le corps médical tout entier a mis au service de la Patrie son intelligence, son activité et son dévouement. Il importe qu’il reste une trace matérielle de ses efforts et il importe au plus haut degré que l’expérience acquise au point de vue scientifique et médical, constitue pour les études futures un élément d’instruction et de progrès. […] ». Justin Godart
En plein conflit, alors que l’hôpital militaire du Val-de-Grâce accueille un grand nombre de blessés en provenance de Verdun, Justin Godart, sous-secrétaire d’État au Service de santé décide d’y installer un conservatoire national de l’action du Service de santé. Le 5 mai 1916, l’établissement « Documents, Objets et Archives de guerre » est créé. Le musée du Val-de-Grâce, avec les collections d’objets historiques et les pièces anatomiques de l’École d’application, va devenir à partir de 1916 le musée illustrant l’ensemble du Service de santé. Justin Godart attribue des moyens importants, réunissant des médecins spécialistes, des conservateurs, et des bibliothécaires. Des artistes reçoivent pour mission de réaliser des œuvres (dessins, peintures, sculptures, maquettes, photographies…) ayant pour thème unique le secours aux blessés.
Inauguré le 2 juillet 1916, le musée conserve près de dix mille objets et cent mille dossiers d’archives, avec l’appellation « Musée du Service de santé ». Il est composé de cinq sections. La section des archives présente le fond historique et regroupe les documents sur l’organisation du Service de santé durant la guerre. La section anatomo-clinique rassemble plus de 6 000 pièces, illustrant les lésions produites par les engins vulnérants ou les gaz de combat. La chirurgie de guerre est représentée par des moulages, des dessins, des aquarelles… L’exceptionnelle collection des moulages des « Gueules Cassées » montre l’essor pris par la chirurgie maxillo-faciale pendant le conflit. La section des matériels sanitaires couvre tout le XIXe siècle, enrichie par les objets de la Grande Guerre. La section historique conserve les souvenirs de l’action de cette « Armée qui soigne » avec les secours aux blessés depuis le champ de bataille jusqu’à l’hôpital, la vie au front sous le feu de l’ennemi et les soldats atteints de psychonévrose de guerre.
Moulages en cire avant et après chirurgie réparatrice du visage.
©Musée du Service de Santé des Armées
Justin Godart (1871-1956), docteur en droit et homme politique français, député du Rhône (1906-1926). Sous-secrétaire d’État au Service de santé militaire (1915-1918), Ministre du Travail et de l’Hygiène (1924-1925), Ministre de la Santé (1932-1933), Fondateur de la ligue contre le cancer.
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