François Boucher (1888-1915)
Portrait proposé par Renaud Seynave (son petit-neveu) - 02/12/2014
François Boucher, le plus jeune des quatre fils de Marthe et Henry Boucher a le goût du beau. Il aime aussi l'histoire et l'archéologie. Archiviste paléographe, Diplômé de l'Ecole des Chartes, il travaille à la Bibliothèque Nationale en juillet 1914.
Le 30 juillet, il rejoint la 2ème Cie du 152e RI comme sergent, son frère Paul est lieutenant de réserve dans la 1ère Cie.
Anna Vautrin écrit le 1er janvier 1915 : " François, jouant de l'orgue a appris aux soldats les chants religieux de Noël à Ventron pour les entonner en Alsace ; ils sont maintenant près de Thann". Le lendemain, François reçut une balle en pleine tête. Il tomba sans un cri... Paul qui se trouvait non loin ne put que constater sa mort.
J'aurais aimé connaître mon oncle François reconnu pour son érudition mais aussi pour sa gentillesse. Il nous aurait certainement raconté plein d'histoires merveilleuses...
11 mai 1888 à Gérardmer - 2 janvier 1915 à Steinbach
Portrait de François Boucher par Honoré Umbricht, avec en bas à gauche une dédicace « en souvenir de mon jeune et cher ami F. Boucher » - Le tableau est au musée de Remiremont. (Photo du musée de Remiremont).
Lorsque François Boucher naît, le 11 mai 1888, à Gérardmer (Vosges), Henry Boucher et Marthe née Béguin, ont déjà 3 fils : Jean (1877), André (1881), Paul (1884).
Les quatre frères Boucher : François bébé, Jean 11 ans, Paul 4 ans et André 7 ans en 1888
(collection Renaud Seynave)
Il passe sa jeunesse et fait ses études à Paris où son père exerce successivement les fonctions de député des Vosges de 1889 à 1909, ministre du Commerce et de l’Industrie de 1896 à 1898 et sénateur des Vosges de 1909 à1920, en plus de ses activités de fabricant de papier. La famille revient régulièrement à Gérardmer pendant les vacances, « dans nos montagnes dont la beauté allait bien à sa grande âme éprise du beau ». (Note de l’abbé Gilbert).
Henry et Marthe Boucher avec leurs trois derniers fils, André, Paul et François en 1890 à Gérardmer
(collection Renaud Seynave).
Dès son enfance, François manifeste sa passion pour l’histoire et l’archéologie. A Gérardmer, il a établi un petit musée qu’il est heureux de faire visiter.
Voici ce qu’écrit l’abbé Gilbert, curé de Gérardmer dans « Le livre d’or des enfants de Gérardmer morts pour la France » édité après la guerre.
« On pouvait voir l’intérieur complet d’une cuisine vosgienne, telle qu’elle était dans nos montagnes, il y a 150 ans. Ce goût du beau se manifesta en lui dés l’âge de dix ans. Il devait être la passion de sa trop courte vie. A cette époque déjà, il aimait l’histoire du passé, l’archéologie, surtout celle du Moyen Âge. Ses visites étaient pour les musées et les monuments, ses lectures pour des livres d’histoires et ses petites emplettes pour des antiquités. Il aimait aussi les vieilles statues et je lui avais fait plaisir en lui confiant la statue de Notre-Dame du Calvaire, qui avait été mise à l’écart. Elle tombait en lambeaux. François mit toute son âme d’artiste, tout son cœur, à la réparer. Elle a repris son ancienne place, sur l’autel, à la chapelle du Calvaire. Elle y restera pour rappeler le souvenir de celui qui lui rendit pour ainsi dire « la vie ».
Marthe Boucher et ses quatre fils : André, Paul, François et Jean en 1896
(photo Nadar, collection Renaud Seynave)
Fiançailles de Jean Boucher et Marguerite Perrin en 1900 à Gérardmer.
De gauche à droite : Marie Grandjean née Perrin avec sa fille Marguerite bébé, Clémentine Cuny, Cécile Perrin, Marthe et François Boucher, Victor Perrin, Marguerite Perrin, Alfred Grandjean, inconnu, Jean et Paul Boucher. (collection Renaud Seynave)
Mariage de Georges Cuny et Marie Boucher le 26 avril 1906 à Docelles
De gauche à droite : Georges Boucher, Georges Cuny, Suzanne Vautrin, Marie Boucher, François Boucher, Germaine Molard, Marguerite et Yvonne Vautrin
Docelles en 1909 - Maguy Boucher, Paul Boucher, Maurice Boucher, François Boucher, au bord de la Vologne
(collection Marie Favre).
L’abbé Gilbert écrit :
« Bachelier ès lettres philosophie, François poursuit ses études, dirigé par des savants éminents pour se préparer au concours d’entrée de L’Ecole des Chartes. Il y rentre en effet en 1908. Il obtient un sursis au service militaire afin de terminer ses difficiles études.
En 1911, il sort brillamment de L’Ecole avec le titre envié d’archiviste paléographe, à la suite d’une thèse qui fut remarquée, sur la cathédrale de Toul, dont il parlait toujours avec amour et pour laquelle il avait un culte profond.
Contrairement à l’habitude, François a écrit deux thèses répertoriées à l’Ecole des Chartes : la première parue en 1912, « Essai archéologique de 500 à 1799 sur la cathédrale de Toul », la seconde en 1913 « Essai sur l'organisation et l'administration des Hôtels du Roi, de la Reine et du Dauphin sous Charles VI (1380-1422) ».
De 1911 à 1913, il fait son service militaire, à la 2e compagnie du 152e et en sort sergent. Rendu à la vie civile, il est aussitôt nommé au poste recherché de bibliothécaire stagiaire, à la Bibliothèque nationale, à Paris. Il est heureux ».
Carte de visite de François Boucher (collection Etienne Hochart)
François a sculpté la partie haute du cadre d’un tableau de Marthe Boucher
(tableau appartenant à Renaud Seynave)
L’abbé Gilbert écrit :
« Mais l’heure de la mobilisation sonna et vint l’arracher le 30 juillet au monde le plus savant, le plus pacifique mais aussi le plus patriote. Il rejoignit sa compagnie, la 2e, en même temps que son frère Paul qui était lieutenant de réserve à la 1ère compagnie du même régiment. Sans doute, François n’avait pas cet emballement militaire que l’on rencontre chez quelques-uns mais c’était un homme de devoir et il aimait la France ».
François Boucher debout au centre du groupe, Sergent dans la 2e Cie du 152e RI, début août 1914 à Xonrupt.
(Photo prise par Anna Vautrin. Collection Renaud Seynave)
Voici ce qu’écrit Anna Vautrin dans son journal en date du 6 août 1914.
« Paul vient d’arriver à pied de la Schlucht. A 2 heures, je pars à pied avec Madame Henry Boucher pour aller voir François à Xonrupt où il cantonne. On nous indique la ferme où il est. L’artillerie est là avec les canons alignés. Nous assistons à la soupe ».
L’abbé Gilbert écrit « François Boucher suit le 152e vaillamment, sur tous les théâtres de luttes et de gloire, notamment au combats de Soultzeren, de Wintzenheim et du Spitzenberg où il est légèrement blessé à l’œil. En décembre 1914, comme nos autres enfants, il avait traversé son pays, pour s’en aller vers Steinbach. »
De gauche à droite : Chauffeur d’Henry Boucher, X, François et Paul Boucher, l’ordonnance de Paul Boucher
(photo prise par Henry Boucher en août 1914 au col du Herrenberg (collection Renaud Seynave)
Le 21 décembre, sa maman écrit dans son journal : « Je puis retourner à Ventron et passe la journée avec mes fils et Marguerite qui est venue depuis Thiéfosse en voiture. Ils sont gais et contents d’être là au repos, loin des obus ; ils espèrent y passer Noël. Le 22, ayant couché à Thiéfosse, je retourne à Ventron et déjeune avec François et ses amis sergents. Je le quitte vers trois heures, ils ont une revue !
Puis-je prévoir que j’embrasse mon François pour la dernière fois ? Quel déchirement si je l’avais supposé ! Mais non, je les quitte gaiement pensant revenir et passer Noël avec eux. Hélas ! Le 23 décembre, j’apprends que le régiment part en Alsace, je cours à Ventron avec des provisions et j’arrive vers 13h. Ils sont partis à 11h ».
Page du journal de Marthe Boucher pour la période du 20 au 22 décembre 1914
(collection Renaud Seynave)
Paul Boucher dans ses souvenirs de guerre écrit « Maman, Marguerite et Jean viennent nous voir le 22 décembre. Toute la famille sauf Papa parti à Paris se réunit là, on dirait un pressentiment. C’est la dernière fois que François les vit. Maman qui avait couché à Thiéfosse passe tout le temps qu’elle peut et déjeune à sa popote chez un menuisier, à la montée vers le col de Ventron. On se donne rendez-vous le lendemain, mercredi 23 décembre, mais nous levons le camp et tout le régiment réuni sur la route gravit la côte d’Oderen. Le lendemain, 24 décembre au repos. Je voisine avec François qui va dans l’après midi jouer de l’orgue à l’église en vue de la messe de minuit. La messe de minuit est décommandée, le curé dit-on craint pour ses ouailles. Le réveillon commence mais on appelle le Commandant. Notre réunion manque d’entrain et nous envoyons aux nouvelles un camarade qui nous dit : « Allons vivement nous reposer, le régiment part à 3 heures du matin, direction Uffholtz, la nuit de Noël ! (…).
Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, je me trouve avec ma section dans un petit élément de tranchée face à la côte 425… le ravitaillement m’apporte une bonne bouteille de Bordeaux, envoi gracieux de M. Scheurer. Je réussis à faire venir François et nous vidons avec Séjournant, mon ordonnance, la fameuse bouteille qui nous relève singulièrement le moral. Je crois que je suis paf, encore une qu’ils n’auront pas ! » me dit François. »
L’abbé Gilbert écrit :
« Le jour de Noël, il est lancé, avec la 1ère et la 2e compagnie, dans cette terrible bataille qui, au témoignage des survivants, fut l’une des plus dures de la Grande Guerre, à cause de la neige, de la boue, du froid.
La veille même de sa mort, à quelques mètres des Boches, il rappelait toutes les discussions archéologiques qui s’étaient élevées au sujet d’Erwin de Steinbach, architecte de la cathédrale de Strasbourg. De quel Steinbach s’agissait-il ? Les Allemands prétendaient que le Steinbach qui eut la gloire de donner le jour à l’architecte de génie, était en Bade (…) tandis que les Français lui donnaient pour origine le Steinbach des environs de Thann, le Steinbach qui était là, tout près, d’où sortait maintenant la mort mais qui éveillait des souvenirs archéologiques dans cette âme de savant et d’artiste. »[…]
« Le 2 janvier 1915, il était avec sa section dans une petite tranchée pleine d’eau, tout près des maisons de Steinbach, encore occupées par les Allemands. Ceux-ci observaient, munis de leurs fameuses carabines à lunette. En se déplaçant, François devait franchir un boyau éboulé. C’était se découvrir. Il n’hésite pas et passe. Mais le tireur boche était à l’affût et, dans le court moment où la cible se présentait, il eut le temps de tirer. François reçut une balle en pleine tête. Il tomba sans un cri, sans une parole ».
Son frère Paul, qui se trouvait non loin, fut très rapidement informé du drame et ne put que constater la mort. La nuit venue, des brancardiers dévoués transportèrent son corps un peu en arrière.
Paul Boucher écrit « Depuis le chemin creux, une tranchée est creusée, peu profonde dans la vigne face au village de Steinbach qui est entièrement occupé. La tranchée est gardée partiellement par la demi-section de François….un vague boyau relie notre chemin creux à la tranchée. Ce boyau est à peine ébauché, les hommes qui ont à circuler passent rapidement. Leur passage est sans doute repéré car juste au-dessus de nos têtes des balles sifflent et un homme de la 2e Cie est blessé au mollet. Nous recommandons d’arrêter les allées et venues. Le 2 janvier, Cade notre sergent major vient me dire qu’un homme de la 2e Cie est étendu dans le boyau. Je lui réponds de prévenir le lieutenant Bauer de la 2e Cie. Il le sait déjà mais il m’a dit de vous informer car on craint que ce soit le sergent Boucher. Je veux me rendre sur place, on m’en empêche car un tireur boche est certainement à l’affût. Toutefois, notre caporal infirmier s’y rend à quatre pattes et revient en me disant que c’est bien François et qu’il n’y a rien à faire car une balle l’a atteint à la tête. Le choc que je reçus fut terrible et la pensée alla de suite vers les miens et la manière dont je pourrais les prévenir, puis la réaction venant, je fondis en larme ».
Dans le Journal de Marche de la 1ère compagnie, Paul Boucher écrit le soir de ce 2 janvier 1915 : « Un groupe de maisons est pris, l’ennemi tire de tous les côtés et rend toute circulation impossible. Sergent Boucher tué par balle à la tête – mon frère ».
François Boucher tombe un jour considéré comme calme puisque le 152e RI ne déplorera que 2 tués et 2 blessés.
Anna Vautrin écrit dans ses carnets « Suzanne reçoit un télégramme lui annonçant la mort de son beau-frère François Boucher tué à Steinbach, village alsacien près de Thann. Il se trouvait dans une tranchée à 40 mètres de son frère Paul, quand voulant prendre une autre position, il s’est retourné et sa tête a dépassé, aussitôt un soldat allemand qui était de l’autre côté l’a tué d’une balle au front. Il a eu l’artère carotide tranchée net et n’a pas souffert… Monsieur Henry Boucher est arrivé avec son auto, venant voir ses fils et ne sachant pas que François avait été tué. On lui a annoncé… Il a pu revoir une dernière fois son fils qui n’était pas du tout défiguré puis il a mis le cercueil de son fils sur son auto pour le ramener à Gérardmer. Quel triste retour !... ».
L’abbé Gilbert écrit « Et maintenant, il repose dans notre cimetière. Sa mère, ses parents, et nous tous, ses compatriotes, qui ressentons vivement sa perte, nous avons du moins la consolation de pouvoir déposer sur sa tombe nos regrets avec nos souvenirs et nos prières (…) C’est ainsi qu’au Spitzenberg, alors qu’autour de lui l’artillerie allemande crachait la mort, son âme d’artiste était profondément attristée de l’incendie de la cathédrale de Reims et il ne cessait de redire toute sa douleur (….). Mais, plus haut encore que ses talents, nous admirions en lui une foi profonde et sincère, une âme ouverte aux grands et nobles sentiments, un caractère toujours maître de lui-même. Son patriotisme ardent, sans affectation, s’appuyant sur cette foi, l’aida à supporter les rudes épreuves de la vie de combats pour laquelle il n’était pas fait. (…) Je conserve moi-même, dans mon âme reconnaissante, un mot de connaisseur qu’il me disait un jour dans notre église restaurée. Ce mot est ma meilleure récompense : « Non, il n’était pas possible de tirer un meilleur parti de l’église de Gérardmer, vous en avez fait une belle église… dans une unité parfaite. Je le répète, cette approbation de François Boucher est pour moi une récompense».
Dans une lettre datée du 4 janvier, une cousine de François écrit à son mari : « Tante Marthe est effondrée mais bien courageuse. Tu sais toute la place que son François tenait dans sa vie ». Cette même cousine écrira, le 20 mai 1918 : « Tante Marthe nous a montré sa chambre, dont elle a fait un vrai petit oratoire avec les souvenirs de François, statues qu’il avait sculptées, meubles qu’il aimait, des photographies ; on voit qu’elle en a toujours le cœur plein… »
Lettre de Marguerite Boucher à son cousin germain Georges Cuny. Elle écrit « Ma peine est vive. François était un petit frère très aimé et mon compagnon de vacances ! J’avais été le voir le 22 décembre à Ventron (…..). Ma belle-mère est admirable de résignation (…) tu sais toute la place que François tenait dans sa vie ! »
(Collection Marie Favre).
Notes de Marthe Boucher dans son journal.
Samedi 2 janvier 1915 : « Triste date entre toutes ! Mon François bien-aimé est tué d’une balle à la tête dans la tranchée devant Steinbach vers 10h du matin. C’est l’après-midi vers 3h qu’un officier vient m’annoncer cette affreuse nouvelle me disant seulement qu’il est gravement blessé. Le soir, Lucette qui est ici avec ses enfants depuis le 26 octobre m’apprend la vérité. Mon mari, parti la veille à Thann pour voir ses fils, rentre vers 2 heures du matin ramenant sur l’auto le cercueil de mon pauvre enfant. C’est donc ainsi qu’il rentre dans la maison où il est né et qu’il a quittée le 2 août à jamais !! »
Jeudi 7 janvier 1915 « Par un temps affreux, nous conduisons au cimetière notre cher François et je ne peux le croire. Il repose dans le caveau Durand-Leroy jusqu’au moment où nous aurons pu faire le nôtre. Lucie Boucher, Marie Geny née Boucher et Marie Cuny sont les seules de notre famille. Nos trois belles-filles sont avec nous. Marguerite est venue aussitôt de Thiéfosse, reste avec nous et restera longtemps, j’espère. Monsieur Vautrin a pu amener Suzanne en auto. Mr et Mme Velin ne peuvent arriver qu’à 2h ».
Pour qui sera maintenant ce cahier destiné à François, le bibliothécaire et l’amateur de souvenirs ? Je ne sais pas si je continuerai ! À quoi bon à présent. Ce que je redoutais le plus est arrivé ! Dieu l’a voulu. J’accepte ma croix espérant que mon enfant chéri est heureux et délivré des souffrances en ce monde et dans l’autre. Que nos autres fils soient épargnés et notre part faite !
11 avril 1915 « L’an dernier à pareille date, nous arrivions à Florence en Italie. Que ces souvenirs me sont à la fois doux et cruels ! Jamais je n’ai autant senti le vide affreux qui est fait dans ma vie et combien François y tenait de place. Sans lui, tout m’est à charge. Je revis et vais revivre heure par heure ce voyage fait avec lui, guide si érudit et si agréable. Je nous vois arrivant à Assise en voiture et lorsqu’il me dit tout à coup « regarde, voilà le grand couvent d’Assise ». Et dans le train qui nous emportait à Rome le lendemain, me prenant par le bras, il m’a fait passer de l’autre côté du wagon pour me dire « on va bientôt apercevoir le dôme de St Pierre, regarde bien ».Oh, mon enfant chéri, comment vivre sans lui ! Et quoi faire plus tard de tous ces objets, ces meubles qu’il soignait et aimait tant. Précieuses reliques, à qui vous confierais-je après moi ? »
11 mai 1915 : « François aurait aujourd’hui 27 ans ! Le lendemain de sa naissance, ma tante est venue me voir et m’a dit. « Je crois que cet enfant sera ta consolation ». Oui, pendant 26 ans, il a fait ma joie et m’a donné bien peu de soucis sauf une grave maladie qui a failli l’enlever en 1896. Il était si gentil, toujours avec moi, toujours occupé à la maison. Et maintenant j’étais fière de son savoir, de son adresse en tout. J’apprenais bien des choses avec lui. Et le voilà parti en pleine force, en pleine jeunesse. Ses beaux yeux bordés de longs cils ne me regarderont plus. Je ne l’entendrai plus jamais m’appeler. Mon cœur se fend à cette pensée. Comment supporter cette épreuve ? J’espère qu’il me voit de là-haut et qu’il sait combien je pense à lui tout le temps. Qu’il protège ses frères et obtienne que nous nous retrouvions tous au ciel. Ma vie ne sera plus longue et je le retrouverai bientôt ».
Marthe Boucher en 1915 à St Amé avec son petit fils Jean Boucher peu après la mort de François
Charles Mathiot, avocat à la cour écrit dans son livre « Pour le livre d’or des Vosges » édité en 1916 : « En réponse à une lettre de condoléance, Henry Boucher répond : « Hélas oui, mon cher ami, mon fils François, notre dernier né, est mort en avant de Steinbach en vrai Français, en artiste et en soldat. (…) François a été frappé par une balle qui a traversé la base du crâne, sans le faire souffrir, sans altérer son noble front (…) Paul, lieutenant au 152e, n’était pas loin de son frère et il ne put que constater sa mort. »
Le 12 janvier, dans une lettre adressée à Henry Boucher, Charles de la Roncière, directeur de l’un des départements de la Bibliothèque Nationale, évoque la figure douce et gave de François. « Je déplore vivement la disparition du collègue instruit et discipliné, que j’avais eu tant de plaisir à recevoir parmi nous. Le court laps de temps qu’il a passé à la Bibliothèque m’avait permis d’apprécier les solides qualités de Monsieur votre fils. (…) Il était de ces savants dont la modestie cache la science… ».
Le 16 janvier, « L’Echo de Paris » publie un article de l’académicien et homme politique Maurice Barrès, intitulé « Le soldat sur les tombes ». Le très long post-scriptum de cet article est consacré à François Boucher. « …Il est tombé le fusil en main, sur une position reconquise en avant de Steinbach, presque en face de ce chef-d’œuvre qu’est l’église de Thann, dont il avait reproduit en ivoire l’un des bas-reliefs, et pour lequel, m’écrit-on, il redoutait plus que pour lui-même la brutalité des obus. (…) François Boucher avait chargé son père de m’offrir, en échange des dons que j’avais portés aux soldats, un bel obus de 155 tombé dans ses tranchées du Spitzenberg : « Dis à M. Barrès qu’il est bien à moi, cet obus, car les Allemands l’ont jeté presque dans mes bras. Il lui plaira par ses formes japonaises et ses cannelures de cuivre. Qu’il y mette des branches mortes de hêtres et de noisetiers… »
Archiviste paléographe diplômé, lauréat du prix « Marquise Arconati-Visconti » qui récompense la meilleure thèse de L’Ecole des Chartes, auteur de plusieurs travaux archéologiques, très lettré, naturellement artiste, François Boucher avait déjà produit diverses œuvres de peinture et de sculpture ornementales dont les dernières étaient inspirées par sa passion pour les maîtres primitifs du Moyen Âge et de l’époque romane. Il se proposait de poursuivre des études désintéressées sur l’art roman et byzantin, sur l’histoire nationale en Lorraine. Il avait été chargé d’une mission artistique et historique pour compléter l’inventaire des chefs-d’œuvre des siècles passés dans la région de l’Est. Il avait su conquérir à la Bibliothèque Nationale où il avait été nommé stagiaire, l’estime des historiens et des savants qui furent ses maîtres».
L'École Nationale des Chartes : portraits de combattants
François Boucher (11 mai 1888-2 janvier 1915)
Devant Steinbach et quelques jours à peine après Baudry, est tombé François Boucher, l'un des fils du sénateur des Vosges, originaire de Gérardmer. Antérieurement blessé au front, mais assez légèrement, devant le Spitzenberg, il avait refusé de quitter son poste, avec la ferme volonté de rendre aux Allemands coup sur coup et d'aider à la réalisation de son idéal. Une balle lui a traversé le crâne ; il a rendu le dernier soupir sur une position à peine reconquise, presque en face de cette charmante église de Thann dont il avait reproduit sur ivoire l'un des bas-reliefs et pour laquelle il redoutait plus peut-être que pour lui-même la brutalité des obus. Avant d'être sergent au 152e régiment de ligne, François Boucher appartenait aux cadres de la Bibliothèque nationale ; il avait conquis son diplôme d'archiviste paléographe avec un bon essai archéologique sur la cathédrale de Toul, dont il détailla l'histoire complète depuis les origines jusqu'au bombardement que fit subir à ce monument la canonnade allemande en 1870, et, grâce à ses goûts raffinés d'artiste, il avait traité ce sujet avec une compétence encore accentuée par une exquise et sensible nature. © Ecole Nationale des Chartes
François Boucher reçut la médaille militaire et la croix de guerre avec étoile de bronze, à titre posthume, avec la citation suivante : « Sous-officier donnant à ses hommes le plus bel exemple en toutes circonstances. Tombé glorieusement pour la France, le 2 janvier 1915, à Steinbach. Tué à l’ennemi. »
Paul Boucher fit ériger une croix à l’endroit où son frère était tombé. « J'ai fait une croix à l'endroit où il est tombé, croix refaite en 1918 par mes anciens mitrailleurs du 68. Avec le propriétaire du terrain Michel Müller, restaurateur au lieu dit "Herdé", j'obtiens le 29 février 1920 l'autorisation écrite de faire un petit monument en pierre en cet endroit. Je n'ai pas encore pu le réaliser à l'heure où j'écris le 23 novembre 1920 ».
Cette stèle, qui se dresse dans un verger non loin de l’église, rappelle le souvenir du sergent François Boucher et le sacrifice des braves soldats tombés à Steinbach en décembre 1914 et janvier 1915.
François Boucher est inhumé dans le caveau familial de Gérardmer. Son nom est inscrit sur le marbre de l’Ecole des Chartes, de la Bibliothèque Nationale, du monument aux morts de Gérardmer ainsi qu’à l’église Saint-Germain-des-Prés qui était sa paroisse à Paris.
Stèle en mémoire de François Boucher érigée à l’endroit où il est tombé à Steinbach
(Photo prise par Renaud Seynave en août 2014)
Inscription sur la stèle : D’un côté : Ici le 2 janvier 1915 est tombé François Boucher, sergent au 152e RI,
De l’autre côté : En souvenir des braves soldats tombés à Steinbach décembre 1914-janvier 1915.
Je remercie particulièrement La Commission Patrimoine de Steinbach, pilotée par Christine Agnel, qui fait un travail de mémoire remarquable sur les soldats tombés à Steinbach et qui va faire poser un panneau sur François Boucher près de la stèle érigée à sa mémoire, dans le village de Steinbach, Haut-Rhin.
Sources bibliographiques :
Marthe Boucher « Carnet personnel intitulé Cahier de Famille » (Collection Renaud Seynave)
Anna Vautrin « Carnets de guerre » (Collection Renaud Seynave)
Paul Boucher « Souvenirs de guerre » (Collection Renaud Seynave)
Lettre de Marguerite Boucher à Georges Cuny (Collection Marie Favre)
L’abbé Gilbert « Le Livre d’or des enfants de Gérardmer morts pour la France » (Imprimerie de Balan-Sedan Ardennes) (Collection
Renaud Seynave)
Charles Mathiot « Pour le livre d’or des Vosges » (Imprimerie Lafolye Frères Vannes, 1916) (Collection Renaud Seynave)
Biographie de François Boucher par Renaud Seynave Bordeaux 2 décembre 2014
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