14-18Hebdo

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Daniel BROTTIER, aumônier militaire

Patrick Germain – 26/05/2017

 

Un homme d'Église, exemple éternel de bravoure, de dévouement et d'abnégation.

 

 

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Le Père Daniel BROTTIER au Front

(Archives Diocésaines de Blois)

 

« Servir, c’est n’être plus soi. C’est n’être plus à soi. C’est n’avoir presque pas de droits, c’est ne point connaître son intérêt propre. C’est en tout cas le sacrifier toujours à l’intérêt général. C’est penser, vouloir, agir en fonction des autres ».

 

Avant-propos

Il y a tout juste trente ans, venant des Vosges pour m’établir avec ma famille à Blois, je pris la direction d’une clinique de la ville. Comme c’était le cas de la plupart de ces établissements de santé privés en France provinciale, une chapelle donnait à cet espace de soins la dimension sacrée chère à la population locale qui le fréquentait. Lorsque je m’y rendis pour la première fois, je remarquai qu’y était exposé en bonne place un cadre représentant un religieux dont la poitrine était bardée de décorations. C’est ainsi que je fis la connaissance du Père Daniel BROTTIER, à qui d’ailleurs était consacrée cette chapelle. Si en Sologne et en Loir-et-Cher, ce personnage religieux est très connu, il l’est tout autant en France, car après avoir été successivement missionnaire à Dakar, aumônier pendant la Grande Guerre, il entreprit de fonder l’œuvre des Orphelins Apprentis d’Auteuil, Fondation qui s’est imposée comme un acteur majeur de l’action sociale de notre pays. Le pape Jean-Paul II, au nom de toute la communauté des catholiques, reconnut le dévouement inlassable du Père BROTTIER pour toutes ces causes en le béatifiant en 1984.

 

C’est à sa tranche de vie d’aumônier militaire que nous nous intéresserons ici, et ceci grâce en partie aux travaux de la Société des Sciences et des Lettres du Loir-et-Cher, et plus particulièrement à Bernard CHASSINE, auteur du chapitre consacré à Daniel BROTTIER dans l’ouvrage « La Guerre et La Foi »,qui rassemble les faits et les témoignages ayant jalonné le parcours de guerre de ce personnage, auxquels je donne ici une présentation différente et personnelle.

 

 

« Je te promets de te protéger toujours et même de te sauver » ; telle est la révélation prophétique que Daniel BROTTIER dit avoir entendu de la Vierge Marie le 11 Février 1887, le jour de sa première communion. En effet, en plus de quatre ans au front, et constamment en première ligne, il sortit totalement indemne de ce carnage !

 

IL ETAIT L’HOMME DE TOUS

Dégagé déjà depuis plusieurs années de ses obligations militaires, Daniel BROTTIER, bien que d’une santé précaire car souffrant de terribles maux de tête récurrents, rejoint le corps des aumôniers militaires dès les premiers jours de la guerre. Affecté tour à tour au 105e R.I ou au 121e R.I (26e division), c’est le 30 août qu’il connait son baptême du feu à Rambervillers. « Avec sa croix d’aumônier sur la soutane, son casque militaire, sa longue barbe poivre et sel, ses yeux vibrants de détermination ou de douceur, il est bientôt populaire à la Division », disent les soldats ; « il est notre étendard vivant, au feu de la bataille : en première ligne, il secourt les blessés, les porte sur son dos d’athlète ou les traîne aux postes de secours ». « Il n’était pas de ceux qui restaient à l’arrière. Il était constamment avec nous, aimé de tous, vénéré de tous. Un des traits dominants de sa personnalité était un admirable équilibre, une parfaite maîtrise de soi, une adaptation à toutes les situations. Chez lui, tout était humain, il était l’homme de tous ».

 

« Cet homme appartient à tous et partout où la mort nous frôlait, il était là. Ceux qui ne croyaient pas étaient tout près de croire ».

 

« Il mangeait avec nous à la popote, mais presque jamais il n’était à l’heure. Il se contentait de ce qui restait. Rapidement, il retournait près des soldats dans les compagnies.

 

Il s’intéressait à chacun, parlait avec tous. Avant les attaques, il fallait se confesser. Nous ne savions pas comment il s’y prenait, mais il nous retournait tous comme un gant ».

 

« Il était l’homme de tous, celui qui se trouvait à sa place au jour de l’attaque comme au repos, avec les officiers comme avec les plus humbles poilus… Il n’aimait pas beaucoup raconter ses prouesses. »

 

« NOTRE VIE EST ENTRE LES MAINS DE DIEU »

« Le contact avec les officiers, de quelque grade qu’ils soient et à quelque arme qu’ils appartiennent, est des plus agréables. Le gros de nos paroissiens (12 000 fantassins, et 3 000 cavaliers et artilleurs) est facile à atteindre. Les blessés, les mourants, s’en vont réconciliés avec le Bon Dieu, et nous les embarquons pour l’autre monde dans les meilleures conditions ».

 

« Nous avons achevé quatre mois et demi de rudes combats sur la Somme, aux abords de Chaulnes. J’ai été préservé plusieurs fois miraculeusement… Notre vie est entre les mains de Dieu ».

 

Ne reculant devant rien et avec un aplomb naturel, le Père BROTTIER, la veille de Pâques 1915 au 105e R.I, prêche : « Les enfants, n’oubliez pas que c’est demain la grande fête de Pâques et qu’il faut que vous donniez l’exemple en vous approchant tous de la Sainte Table. J’y tiens beaucoup. Dans une heure, je vous confesserai tous, en commençant par le commandant et les capitaines. C’est bien entendu ? Et maintenant, allez vous préparer et faire votre examen de conscience. Tous les officiers du 2e bataillon donnèrent l’exemple en se confessant et le lendemain en communiant. »

 

« Quand j’ai une décision à prendre, je prie. Je suis persuadé que Dieu m’assiste et quand je parle, je parle réellement en sa présence ».

 

Le Père BROTTIER vouait un grand culte à Thérèse de Lisieux ; il a d’ailleurs fait édifier à Paris la 1re chapelle qui lui fut dédiée. « La protection de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus nous interdit de douter de l’avenir ».

 

Après la guerre, en confiant sa croix d’aumônier à son frère et à sa belle-sœur, le Père BROTTIER dira : « Gardez-la précieusement, car elle a été mon témoin muet pendant toute la guerre. Sur cette croix, combien de lèvres de mourants se sont collées ! Elle a reçu le dernier soupir de tant de petits soldats ! Elle a maintes fois touché leurs pauvres poitrines trouées, labourées, déchiquetées, et je puis dire que si le cordon de cette croix pouvait exprimer tout le sang dont il a été imbibé, l’eau dans laquelle on le tremperait en deviendrait rouge ».

 

Le Père BROTTIER avait évidemment la tâche ingrate d’écrire aux familles éprouvées : « Madame, votre cœur de mère vient d’être atteint d’une façon horriblement cruelle par la perte si douloureuse de votre cher petit. La Foi religieuse, seule, peut adoucir de telles blessures… L’on m’a raconté qu’au moment de prendre position à l’endroit où il a été frappé, il a eu le pressentiment très net du danger et de la mort qui l’attendait. A un camarade qui lui conseillait d’attendre une accalmie, il répondit : « Non, il faut que je m’y rende. C’est le devoir. Je sens d’ailleurs très bien que je n’en reviendrai pas ». En effet, dix minutes après, la nouvelle arrivait que ce cher petit venait de mourir de la mort des braves… Soyez fière cependant, parce que votre enfant est mort en Français… »

 

Ou encore : « … Vous devez, Madame, à la mémoire de votre bien-aimé, de comprendre sans le moindre effort son silence. Mais l’homme de devoir qu’il était s’est sacrifié jusqu’au bout. Ayez, je vous en prie, la force d’unir votre sacrifice, quelque douloureux qu’il vous paraisse, au sien, accompli avec tant de générosité… »

 

IMMERGÉ AU CŒUR DE LA MISERE PHYSIQUE ET MORALE

« A qui vit l’existence d’un fantassin en première ligne, il faut vraiment une abnégation surhumaine… rester des nuits et des jours dans un trou d’obus sous un bombardement terrible, sourire et plaisanter quand on se sent abruti de froid, d’épuisement et de peur ; c’est oui, vraiment, quelque chose d’insensé. »

 

« Les premières semaines en Lorraine ont été très dures… ainsi que le séjour à Ypres : température glaciale, canonnade, défilé des blessés, malades, morts. Emotions diverses au milieu des ruines que nous voyons s’accumuler autour de nous. Tout cela vous éreinte un homme, même bien portant. Nos troupes n’en peuvent plus… »

 

« Je visitais hier une ambulance chirurgicale où l’on m’expliquait le dénuement des blessés lorsqu’ils quittent l’ambulance. Ils n’ont à peu près plus de sous-vêtements (chemises et caleçons). A l’arrivée en effet, tout cela est en loques. On coupe, on taille dans les vêtements pour mettre plus rapidement et plus facilement la plaie à nu. Au départ, si le pauvre diable s’en tire, il n’a plus qu’une loque à se mettre sur le dos, l’ambulance n’étant pas organisée pour renouveler la provision de linge des sortants ».

 

VOLONTAIREMENT SUREXPOSÉ AU DANGER DANS LES MISSIONS DE SECOURS LES PLUS PÉRILLEUSES…

Extrait du discours du chanoine QUENET (« La voix du combattant » 1938 ; site « au fil des mots et de l’Histoire ») :

 

« Tout de suite, il avait décidé où était sa place. Au moment de l’attaque française : avec la première vague ; entre les attaques faites par nous ou par les Allemands : dans les tranchées bombardées ; la nuit : dans les lignes ou entre les lignes, pour y ramasser les blessés ; quand une partie des troupes va au repos : immuable sur les positions, au service de ceux qui les occupent.

 

Voici maintenant l’exécution du programme. Les soldats montent, la nuit, pour l’attaque qui doit se faire au point du jour. Pas de cigarettes allumées, pas de conversations. Une seule question que les hommes posent de l’un à l’autre : l’aumônier est-il là ? S’il passe, on lui demande : « Monsieur l’aumônier, avec qui allez-vous aujourd’hui ? ». On ne lui demande pas « s’il y va », mais « avec qui il va ? ».

 

Il n’a pas l’habitude, dit un fantassin du 121e, en parlant du Père BROTTIER, de nous laisser partir et de venir après. Et si le prêtre répond : « Avec vous », »Oh ! Tant mieux », réplique le chœur des soldats, « quand vous êtes là, on est plus sûr ».

 

Et la bonne nouvelle passe de bouche en bouche : « L’aumônier vient avec nous ».Il n’est pas étonnant que le Père BROTTIER ait quelquefois sauté parmi les premiers dans les tranchées ennemies et qu’il ait laissé dans leurs fils de fer les lambeaux de deux soutanes.

 

A-t-on réussi, le premier soin est de retourner en hâte les lignes allemandes. Si on est en terrain non organisé, il faut creuser des lignes fraîches, sous l’inévitable bombardement. Si on a dû revenir aux tranchées de départ, obus, mines et torpilles pilonnent des vaincus démoralisés.

 

Il me fallait rester, dit le Père BROTTIER, à panser des blessés et surtout à sourire et à plaisanter, lorsque je me sentais « abruti par la fatigue, par le froid, par le sommeil, par la peur ».

 

La nuit est venue. Avant qu’elle ne soit tombée, l’aumônier, quand le terrain gagné est à découvert, l’a soigneusement examiné pour voir où sont les hommes qu’il va falloir ramasser.

 

Quand le régiment a été ramené en arrière, la tâche est terrible, puisque les blessés sont entre les Français et les Allemands, quelquefois dans les fils de fer, près des parapets de l’ennemi. L’aumônier relève sa soutane ou, mieux, l’accroche dans la tranchée et la remplace par une capote. Il saute le parapet et s’enfonce dans les ténèbres. En rampant, il passe d’un corps replié à un autre corps étendu. Ici un mort, là un agonisant à qui il faut d’abord le pardon de Dieu, plus loin un soldat qui râle ou qui appelle, ou qui, n’attendant plus personne, tressaille au contact de la main qui le touche. L’aumônier est venu, c’est le salut. Un flot d’espérance et de joie gonfle la poitrine de celui qui se croyait abandonné.

 

L’aumônier soulève le blessé qui peut marcher, le met debout, le conduit, le soutient, le prend dans ses bras aux endroits difficiles. Si l’homme ne peut pas se mouvoir, l’aumônier va chercher des brancardiers et les ramène. Quand l’aumônier est un géant comme le Père BROTTIER, il charge simplement son bonhomme sur les épaules et l’emporte. On y voit pas clair, on butte sur le terrain défoncé, on s’embarrasse dans les fils de fer barbelés, on donne contre un cadavre, on tombe. L’ennemi a entendu du bruit ; une détonation sèche part de la tranchée ennemie. L’aumônier la connaît bien. Est-il déjà étendu à terre, il reste sans bouger, avec son compagnon. Est-il encore debout, il dit à l’autre : « Couche-toi », et s’aplatit à côté de lui. Au-dessus d’eux une fusée s’allume, brûle, comme si elle ne devait jamais plus s’éteindre. Des balles sifflent, une mitrailleuse fait le moulin à café. On se rapetisse tant qu’on peut, on colle la bouche sur la terre froide. La mauvaise étoile brûle toujours. Tout à coup, elle s’éteint. On entend un bruit sec contre soi. C’est la fusée qui vient de tomber. Les Allemands ne l’avaient pas lancée dans une fausse direction. Mauvais signe. Toutefois, l’astre improvisé a rendu service. Tandis qu’il brillait, l’aumônier a, d’un œil rapide, examiné le terrain, aperçu l’endroit qu’il veut rejoindre, considéré les obstacles, reconnu la chicane. L’ombre totale est revenue. Les deux hommes se relèvent et repartent. Encore une fusée ! Nouvelle station à terre, nouvelle attente. Enfin, on est près du but. On presse le pas, on glisse contre le parapet, on tombe dans la tranchée avec le blessé. Sauvés !

 

Récit d’une mission de sauvetage de jour : Un officier français, grièvement blessé, est resté entre les lignes, dans ce no man’s land où les mitrailleuses allemandes ont le champ libre et en interdisent tout accès le jour. Qu’à cela ne tienne ! Le Père BROTTIER veut à tout prix sauver le blessé. Avec une tranquille audace, il attache un drapeau de la Croix-Rouge à un long bâton, et, accompagné de deux hommes portant un brancard, il s’avance à découvert jusqu’au blessé, le panse, le charge sur le brancard et le ramène dans nos lignes. Pendant ce temps, les mitrailleuses ont cessé le tir ; pas un coup de feu du côté allemand. Les poilus français en restent ahuris, tant du toupet de l’aumônier que du silence respectueux de l’ennemi ». Il reçut le surnom « d’Aumônier verni » car le ciel le protégeait visiblement à tout instant. Intrigué par cet homme hors du commun, le Colonel JANSON du 121e raconte que lorsqu’on lui disait : « Et vous, BROTTIER, vous n’avez pas peur de la mort ? », il répondait : « Ne croyez pas cela ! J’ai autant la trouille que vous ! »

 

…. ET MEME POUR LES MISSIONS DE RAVITAILLEMENT

Malgré un torride mois de septembre 1917, qui prendrait le risque d’une corvée d’eau ? Chacun doit garder son poste. Le Père BROTTIER comprend que plus que la faim, la soif fait souffrir les poilus. « Rassemblant vingt bidons à l’aide d’une cordelette, Daniel part en rampant pour une expédition aussi longue que périlleuse. Il lui faudra six heures pour un aller et retour de 4 kms, car la violence du bombardement était telle qu’il faut marcher à quatre pattes… ! Pas un bidon ne manqua à l’appel, pas un non plus était vide… Tous étaient remplis d’eau ! A son retour, ce furent des promesses de reconnaissance et de profonde amitié pour cet aumônier sans pareil (à défaut d’acclamations qui étaient défendues).

 

ATTENTIF ET IMAGINATIF POUR SOUDER LES RELATIONS DE CAMARADERIE ENTRE LES POILUS : « LA PHOTOGRAPHIE DU SOLDAT »

Le Père BROTTIER a une idée qu’il expose en ces termes à son supérieur général : « La visite des aumôniers aux soldats leur serait beaucoup plus agréable si elle était en même temps de quelque utilité, non seulement spirituelle, mais matérielle. Et j’ai songé à la photographie. Vous devinez quel plaisir ce serait pour nos soldats d’envoyer à leur famille une photographie du front ; et l’on ajouterait que l’on doit cela à l’aumônier, etc. On photographierait non pas un soldat isolément, mais une escouade, un groupe, un bout de tranchée, une batterie etc. Mon rôle se bornerait à prendre les vues au cours de mes tournées. Toutes les manipulations seraient faites par nos brancardiers qui seraient ravis d’être utiles aux camarades de l’avant… et puis qui sait ? Peut-être avec un choix de ces vues pourrai-je faire quelques conférences plus tard sous le titre « Souvenirs d’un aumônier militaire » au bénéfice d’un autre souvenir (africain celui-là) que je ne perds pas de vue… Voilà Monseigneur mon idée sur une œuvre qui pourrait s’appeler « La Photographie du Soldat ». Cette initiative suscita l’enthousiasme chez les poilus.

 

LE TOUT MALGRE SA MAUVAISE SANTE

« Ma santé est faible : toutes les vieilles infirmités coloniales se réveillent avec cette exigence rude et si mouvementée. Je ferai l’impossible pour tenir jusqu’à la fin ».

 

« Je souffre actuellement de la tête d’une façon incompréhensible. Mais pas question de se plaindre au milieu de tant de maux de toutes sortes ».

 

« Ma pauvre tête surtout en voit de dures. L’essentiel est de tenir ; je tiendrai, je le sais, jusqu’au bout, à condition de ne pas entamer une seconde campagne d’hiver » (15 Mai 1915).

 

« La guerre est dure par ces temps humides et froids. Je suis de plus en plus travaillé par la dysenterie ; mais je pense tenir jusqu’au bout ».

 

ECOUTÉ ET RESPECTÉ PAR LE COMMANDEMENT

Un officier vint un jour rendre visite au Père BROTTIER le soir d’une attaque, en lui faisant cette déclaration dont il garda un souvenir ému : « Monsieur l’aumônier, je n’ai jamais eu beaucoup de sympathie pour les hommes portant la soutane… mais votre bravoure dans cette attaque m’oblige à vous dire que vous avez désormais toute mon estime, toute mon admiration. Venez manger à ma popote quand vous voudrez, votre couvert vous y sera toujours mis. Considérez-moi comme l’un de vos amis, et demandez-moi tout ce que vous voudrez ».

 

Un soir, Daniel BROTTIER apprend qu’un bataillon du 121e doit attaquer dans un coin extrêmement dur, des forces allemandes bien retranchées. Il se rend donc au gourbi du commandant de ce bataillon dans l’intention de l’accompagner durant l’attaque. Arrivé sur place, il trouve le commandant avec deux de ses capitaines, accablés et silencieux…BROTTIER leur dit : « C’est parce que vous attaquez cette nuit que vous avez ce figures maussades ? » Le commandant explique alors à notre aumônier que ce bataillon doit attaquer à 5 heures du matin alors que les tranchées allemandes sont intactes et bien défendues (compte tenu d’une mauvaise préparation d’artillerie), ce qui équivaut à un suicide ! Vérification faite sur le terrain avec l’un des capitaines, le Père BROTTIER constata l’absurdité de cet ordre d’attaque « criminel ». Le commandant, levant les bras au ciel, lui répondit : « Qu’y puis-je faire, monsieur l’aumônier ! L’ordre est là, il me faut l’exécuter...» BROTTIER répondit calmement au commandant : « Laissez-moi tenter quelque chose. Je vais aller jusqu’à la division ». Et quittant les trois officiers, il emprunta les boyaux bouleversés par les obus du front jusqu’à l’état-major divisionnaire qui se trouvait à quelques kms à l’arrière. Il expliqua alors au chef d’état-major la situation à laquelle le bataillon allait être confronté.

 

L’officier supérieur qui reçut l’aumônier, le pria vertement de se mêler de ce qui le regardait ; l’ordre était donné par le corps d’armée et lui-même n’y pouvait rien. « En ce cas, repris BROTTIER, puisque vous envoyez ces hommes à une mort certaine, partez le premier et je vais avec vous. Ainsi personne n’aura rien à dire. D’une manière surprenante, le chef d’état-major prit alors son casque, et ils se rendirent tous les deux jusqu’aux tranchées de première ligne. L’officier constatant alors combien le Père BROTTIER disait vrai, en référa au général qui donna ordre de suspendre l’attaque… Des centaines de soldats furent épargnés cette nuit-là, grâce à l’intervention de cet aumônier peu ordinaire !

 

Dès fin 1917, le Père BROTTIER a eu l’idée de conserver l’esprit d’unité et de solidarité des poilus, et d’essayer de le maintenir la paix revenue. « Tous ces soldats qui se sont battus au coude à coude, se sacrifiant les uns pour les autres, sans aucune considération de classes sociales ou d’idéologies politiques et religieuses, devraient constituer le ferment d’une réconciliation nationale. Ce serait l’Union Nationale des Combattants (UNC), à laquelle le Père BROTTIER proposa la belle devise : « Unis comme au front ». Toujours audacieux et aidé par des officiers amis, il va trouver CLEMENCEAU et lui expose son projet. Hanté par « l’Union Sacrée », le Tigre lui répond : « Mon Père, vous avez une idée magnifique ! Des deux mains je vous approuve et vous encourage ! Voici 100 000 F qui m’ont été remis récemment par une pauvre mère qui a perdu son fils à la guerre… Puissiez-vous faire, avec cette somme, du bon travail ! » CLEMENCEAU connaissait déjà le Père BROTTIER. C’était au cours d’une de ses légendaires tournées des popotes. On raconte que pénétrant dans une tranchée, le Président demande :

« Où est l’aumônier BROTTIER ? »

« Il prie »

« Parfait ! La victoire de demain est assurée ! »

 

RECOMPENSÉ PAR LA NATION RECONNAISSANTE

Le 5 Mai 1916, avant de quitter le champ de bataille de Verdun, le Père BROTTIER, dont la conduite a été au-dessus de tout éloge, est fait chevalier de la Légion d’Honneur devant le front de la 26e division, avec la citation suivante :

« Depuis le début de la campagne, le Père BROTTIER n’a cessé de prodiguer ses soins aux blessés avec un courage et une abnégation au-dessus de tout éloge. Pendant les combats de Mars 1916, est resté au premier rang avec les troupes engagées, dans les circonstances les plus difficiles, recueillant les blessés sous un feu meurtrier, les soignant et les encourageant. A apporté à tous le meilleur réconfort moral par sa belle attitude, par son sang-froid et son admirable dévouement ».

 

Très peu de temps après, le 16 Mai, nouvelle citation à l’ordre de l’armée :

« S’est fait remarquer depuis le début de la campagne par son abnégation, son dévouement, son mépris absolu du danger, toujours au milieu des troupes au moment des attaques, se portant au secours des blessés sans tenir compte des dangers qui l’entouraient. S’est particulièrement fait remarquer pendant les bombardements dirigés sur nos lignes devant le bois d’Avocourt les 22, 23, et 24 Mars 1916, où il a eu ses vêtements déchirés par les éclats d’obus. Ne trouvant pas sa mission achevée, il employait ses nuits à inhumer nos morts ».

 

Le 26 Novembre, nouvelle citation, soit trois citations en un an de guerre !

« Superbe de courage et de dévouement, d’esprit de devoir. Est parti à l’assaut le 4 septembre 1916 avec les premières vagues du régiment, encourageant tous ceux qui étaient autour de lui. N’a cessé depuis, sous les bombardements les plus violents et les plus meurtriers, d’aller d’une unité à l’autre, sans le moindre souci du danger, prêchant l’exemple et se prodiguant inlassablement pour rechercher les blessés et les panser lui-même ».

 

Le 17 Mai 1917, nouvelle citation (à l’ordre du 105e R.I), la 4e :

« A depuis le début de la campagne, partagé les fatigues et les dangers dans tous les combats livrés par le régiment, donnant les preuves de la plus grande bravoure et du mépris absolu du danger, en réconfortant les blessés, souvent sous les bombardements les plus violents. S’est particulièrement dépensé à Verdun et dans la Somme ».

 

En Septembre 1917, citation (à l’ordre du 121e R.I), la 5e :

« Aumônier légendaire au 121e R.I pour sa bravoure calme et réfléchie, son mépris du danger, son extraordinaire esprit de dévouement et d’abnégation. A pris part avec le régiment aux combats de Chaulnes, les 4 et 6 Septembre 1916, Moulins-de-Tous-Vents, le 13 Avril 1917, partant en tête des vagues d’assaut et arrivant un des premiers dans les lignes ennemies. S’est prodigué en toutes circonstances et sous les plus violents bombardements, pour apporter aux blessés le réconfort de sa présence et leur donner les soins nécessaires. Est hautement estimé et admiré de tous au régiment ».

 

Le 29 Juin 1918, citation à l’ordre de l’armée (la 6e) :

« Ame magnifique où s’allient harmonieusement l’ardeur du soldat et le dévouement du prêtre. Légendaire au régiment dont il partage toujours les heures pénibles. Pendant les attaques des 1er et 2 juin 1918 à Troesnes, il parcourait la ligne pour relever, panser et secourir les blessés, allant les chercher en avant de nos postes, sous le feu intense des mitrailleuses, et encourageant les combattants. Est resté à Troesnes malgré deux relèves de bataillon, subissant le 3 une nouvelle attaque, et, dans les jours suivants, un bombardement très dur. Exerce sur les combattants qu’il soutient moralement, aux heures difficiles, par ses encouragements et son exemple, l’influence la plus heureuse ».

 

 

Telles vous ont été ici mises en pleine lumière, ces illustrations du comportement exceptionnel et exemplaire de ce personnage rare. Je m’étais donné pour mission de vous les relater, depuis longtemps déjà.

 

 

 

Patrick GERMAIN

 

 



02/06/2017
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