14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 94 – 5 au 11 février 1917

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 01/02/2017

 

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Le capitaine Guynemer parlant avec le général Lyautey en février 1917 près de Nancy

(Photo Album Valois ministère de la Guerre)

 

Lundi 5 février 1917

Le canon tonne toujours. Il n’y a pas de taube aujourd’hui.

 

Mardi 6 février 1917

A midi, nous entendons le tocsin, les canons tonnent. Ce sont des taubes, nous les voyons très bien au dessus du cours Léopold.

 

Il y a deux taubes allemands et un avion français. Le français les poursuit. Ce combat est très émotionnant. On entend très fort les mitrailleuses. Jamais je ne les ai entendues comme cela. C’est que les avions sont bas. Nous voyons l’avion français s’en aller. Il a fini toutes ses balles de mitrailleuses.

 

On dit que c’est Guynemer, le 1er as français. Il a déjà descendu 30 avions boches. C’est le premier qui en a descendu autant. On nous a envoyé Guynemer, notre premier pilote en France, ainsi qu’ Heurteaux qui a abattu son 19ème avion boche. Ils sont tous deux dans le camp d’aviation qui est près de St Nicolas.

 

On nous dit qu’une femme a reçu 2 balles de mitrailleuses dans le bras quand elle passait dans la rue.

 

Nous avons eu ce matin à déjeuner le docteur Thierry, député de Saint Mihiel. Il est mobilisé près de St Nicolas. Saint-Mihiel est envahi depuis le commencement de la guerre en 1914. Sa maison est complètement pillée. Sa femme est partie avec un petit panier à provisions de chez elle. Elle a traversé la Meuse croyant revenir le soir même et lorsqu’elle a voulu revenir le soir chez elle, les ponts étaient coupés. Elle n’a pas pu passer et s’est sauvée à Sampigny où est la villa de Mr Poincaré. Le docteur Thierry nous disait que les Allemands à Reims et dans tout le pays où ils passaient buvaient tout ce qu’ils trouvaient. Lorsqu’il est passé à Clermont (en Argonne), il a vu plus de 3 000 bouteilles de vin sur la place que les Allemands n’avaient pu emporter. Il me disait aussi que les Allemand étaient ivres au moment de la bataille de la Marne, c’est peut être la raison de notre victoire !! Il nous a montré une lettre qu’un officier allemand soigné par lui avait écrite pour le remercier. Il la porte toujours sur lui pour qu’elle puisse lui servir s’il était fait prisonnier des Allemands.

 

Mercredi 7 février 1917

Tocsin à 10 heures, canonnade. Je vois de nombreux petits nuages blancs. Ce sont des avions que l’on canonne. J’aperçois 11 avions boches qui se suivent. On les canonne fort. Lorsqu’ils passent devant le soleil, on croit qu’ils s’allument. Ils brillent comme des étoiles. Ce sont les avions de chasse avec leur armature en aluminium qui brillent au soleil.

 

Il y a quatre avions de chasse et quatre avions de combats. Ils vont très hauts, je les vois tous en groupe. Ils jettent deux bombes sur la voie à Champigneulles qui font sauter un rail. L’express de Paris doit passer par Pont-St-Vincent. Ils jettent aussi plusieurs bombes à Pompey. Une bombe brise un bateau dans le canal, l’autre tombe sur la maison de l’éclusier. La maison est détruite et la femme est blessée. Un soldat reçoit un culot de 75 qui lui brise le pied.

 

Jeudi 8 février 1917

A 10 heures, tocsin, taube sur Nancy. Il va vers Frouard. Nous entendons très bien un coup de bombardement. Toutes les 3 minutes, nouveaux coups qui font trembler nos fenêtres. De 10 heures du matin jusqu’à 2 heures, il y a eu 110 coups. Pas de victimes, 7 maisons abimées et 9 porcs tués à l’abattoir sur lequel tombe un obus. Il n’y a pas eu d’obus sur l’usine que les boches visent.

 

Vendredi 9 février 1917

A 9 heures, tocsin, taube qui passe sans jeter de bombes. A 11 heures, le canon tonne, encore un taube mais toujours sans lâcher de bombe.

 

Je vois passer deux énormes canons sur des tracteurs qui vont vers Essey sans doute du côté de Champenoux pour l’offensive.

 

On vient chercher mon mari à 4 heures pour l’hôpital. On vient d’amener un aviateur qui est tombé près de Villers et qui s’est fait une fracture du crâne. Mon mari l’a trépané mais il était dans le coma. Espérons qu’il pourra le sauver.

 

Guynemer, notre as de l’aviation est venu à l’hôpital dans le service de mon mari voir un de ses mécaniciens.

 

On nous dit qu’Heurteaux a descendu un avion boche à un kilomètre de Lay-St-Christophe. Les aviateurs boches ont été faits prisonniers.

 

Je rencontre dans la ville une petite fille ayant dans un petit panier à provision de la houille comme si elle venait d’acheter des pommes de terre. Le chauffage est très rare et on ne peut pas se procurer de la houille qui est aussitôt réquisitionnée par l’armée dés qu’elle arrive à Nancy. J’ai vu plus de 20 femmes devant un marchand de charbon.

 

J’étais allé chez Mr Kronberg pour de la houille du calorifère car nous n’en avons plus que pour 6 jours. Pas moyen d’en avoir ! Heureusement que M de Rozières, qui est parti, a bien voulu nous céder sa houille. Il en avait encore 1 000 kilos, ce qui nous permet de passer quelque temps. Il y a des gens qui ont froid. Les écoles vont fermer à Nancy faute de charbon. Et avec cela, il fait un froid terrible.

 

Pauvres soldats, comme ils doivent avoir froid dans les tranchées par cette température glaciale.

 

Il y a à la gare 30 wagons de pommes de terre gelées. Plus de 3 000 compteurs à gaz sont gelés.

 

Samedi 10 février 1917

Cette nuit, tocsin à 9 heures puis à 11 heures, taubes qui jettent 3 bombes, une près de la caserne Drouot, une 2ème à Jarville et la 3ème Rue de Phalsbourg.

 

Nous avons à Manoncourt près de St Nicolas, l’escadrille la plus réputée de toute la France, « La Cigogne ». Nous avons en ce moment les premiers as de notre aviation : Guynemer qui a déjà abattu 30 avions boches, Heurteaux qui en est à son 20ème.

 

Hier, il y avait 22 avions sur Lay-St-Christophe. Heurteaux a descendu son 20ème à 1 km de là mais les aviateurs boches ont eu le temps de brûler leur appareil. Ils ont été blessés.

 

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Le capitaine Guynemer au centre en février 1917 à Manoncourt près de Nancy

(Photo Album Valois ministère de la Guerre)

 

Dimanche 11 février 1917

On a amené place Stanislas aujourd’hui un grand avion de chasse boche à deux moteurs et à 3 places pour le pilote et 2 observateurs. Il est passé au dessus de Nancy. Guynemer était à Malzéville guettant le passage d’un avion boche. Aussitôt, il s’élance et le poursuit. Guynemer a une façon à lui d’attaquer les taubes. Il se tient toujours au dessus d’eux pour les mitrailler. Il était très haut, et il a réussi à descendre cet avion de chasse près de Commercy.

 

Je vais à l’hôpital avec Yvonne cet après-midi dans le service d’Alexis. On a amené ce matin deux personnes de Pompey avec des éclats d’obus et une de Neuves-Maisons.

 

A 10 heures du soir, quand nous étions couchés, tocsin, une bombe, plusieurs avions en l’air. J’en vois un allumé de rouge qui surveille Nancy toute la nuit. On entend des mitrailleuses. Le canon se met à tonner. C’est une pièce lourde. Les vitres tremblent. Le tocsin recommence encore à sonner à 1 heure du matin. Toujours le canon très fort, il y a certainement une attaque.



03/02/2017
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