14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 107 –4 au 12 novembre 1918

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 29/10/2018

 

1910 Vautrin Alexis et Anna Coll Michel Segond.jpg
Alexis et Anna Vautrin en 1910

  

 

Lundi 4 novembre 1918

Beaucoup de passages de troupes, nous voyons à la gare 3 énormes canons comme jamais je n’en ai vu. Ce sont des 240 au moins. Beaucoup de matériels. Le train de Paris qui doit arriver à 2h30 n’arrive qu’à 8h du soir à cause des troupes.

 

Mardi 5 novembre 1918

A 2 heures, tocsin, je vois très bien trois taubes sur Nancy. Le canon les chasse. A 6h, mon beau-frère Albert arrive de Paris pour passer un jour avec nous. A 7h, vient Monsieur Henry Boucher.

 

On entend fortement le canon. On parle beaucoup d’une offensive en Lorraine. Le général Mangin est ici avec des Marocains et, lorsqu’il y a un coup à donner, c’est toujours lui qu’on demande.

 

Il y a 30 divisions massées aux environs de Nancy prêtes à attaquer les Allemands s’ils n’occupent pas les conditions d’armistice qu’on doit leur donner ces jours-ci. Nos troupes viennent de reprendre Rethel et Dun-sur-Meuse.

 

Nous ne pouvons pas encore aller à Gercourt, c’est une zone de combat.

 

Mercredi 6 novembre 1918

Les artificiers viennent chez Madame Elie pour voir la bombe qui est dans un massif. Ils disent qu’ils ne savent pas si elle est éclatée. Elle a 1,40m de hauteur. Si elle était tombée sur la maison, elle aurait fait de gros dégâts. Nous allons à l’hôpital voir les pauvres bombardés dans la grande salle. Une femme est tellement brûlée qu’elle a un pansement sur toute la figure. On ne voit que son nez et sa bouche tout noirs. On attend d’heure en heure sa mort, c’est horrible. Il y a 15 morts et 24 blessés. Et c’est au moment où les boches demandaient l’armistice qu’ils viennent jeter des bombes sur Nancy.

 

Jeudi 7 novembre 1918

Ce matin, Albert est parti en même temps que Madame Michaut et Yvonne qui allaient à Bar-le-Duc sur la tombe d’Edouard. André Michaut est parti aussi pour rejoindre sa batterie. Il avait 20 jours de permission parce qu’il avait été malade dans une ambulance. Paul Perrin loge trois Américains très gentils qui ne savent pas un mot de français. Ils disaient l’autre jour à Marguerite « Les Français sont si bons pour nous, si gentils. Dans les magasins, on ne se moque pas de nous quand nous demandons quelque chose. Nous n’avons rien fait pour la France. » Ils admirent beaucoup la France. Dans les hôpitaux américains, les blessés et les malades sont mal soignés. Il y a très peu de bons médecins en Amérique !

 

Vendredi 8 novembre 1918

Canon très fort du côté de Pont-à-Mousson. Dans la ville, il y a de l’agitation. On dit que l’armistice vient d’être signé à Champenoux. J’apprends en rentrant qu’il n’y a rien de vrai.

 

Samedi 9 novembre 1918

A midi, nous entendons le tocsin et sirène. A 6 heures du soir, sirène et tocsin. Est-ce le dernier avion qui viendra ?

 

Les plénipotentiaires doivent aller trouver le maréchal Foch pour lui demander l’armistice. Le maréchal Foch leur dit l’endroit où ils doivent se rencontrer. C’est près de Guise. Nancy est fiévreuse, on se demande s’ils accepteront car les conditions seront dures, espérons-le.

 

Dimanche 10 novembre 1918

A midi de nouveau tocsin et sirène.

 

Espérons que ce sont les derniers taubes qui franchissent nos lignes avant la paix ! Nous apprenons que ces deux taubes viennent d’être abattus par nos canons à Gondreville.

 

J’aperçois le général Mangin dans une automobile. Il vient près de Nancy avec ses Marocains et Sénégalais.

 

Alexis a un colonel blessé à l’hôpital qui lui a dit que, si les Allemands n’acceptent pas l’armistice, nos 30 divisions qui sont massées près de Nancy se mettront en marche immédiatement sur les Allemands pour prendre beaucoup de terrain boche.

 

Si l’armistice est signé, la 8e armée, commandée par le général Gérard qui se trouve à Flavigny, doit partir occuper l’Alsace.

 

On est dans l’attente de l’armistice.

 

Lundi 11 novembre 1918

Signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne.

 

A 9 heures du matin, Alexis de l’hôpital me téléphone que l’armistice est signé. Il le sait certainement par le général Gérard qui a téléphoné à l’hôpital. Aussitôt, les cloches de toutes les églises sonnent à toutes volées. Tout le monde met ses drapeaux. Je mets tous les nôtres.

 

Je vois passer le préfet en auto passer porte Désilles. Il va certainement dire la nouvelle à tous les maires des communes.

 

Comme j’étais sur mon balcon au milieu de mes drapeaux, un officier américain qui passait me fait le salut militaire.

 

Je sors l’après-midi, toutes les rues sont pavoisées et Nancy est en liesse. Tous les poilus sont en permission, ils se donnent la main pour faire une ronde autour de la statue de Stanislas, place Stanislas. Tous les lycéens vont chanter la Marseillaise devant l’hôtel de ville en criant « Vive la France ». Le maire se montre au balcon et leur dit quelques mots. Quatre poilus portent un poilu sur leurs épaules en chantant « La Madelon » … Les soldats entourent plusieurs dames et font une ronde autour d’elles au milieu de la rue.

 

Les tramways et les autos sont pavoisés de drapeaux français et américains. Les poilus embrassent tout le monde, ils entraînent les jeunes filles et font de grandes rondes dans les rues. Une auto est couverte de soldats. Les sergents de ville et les soldats policiers américains sont au point central avec des bâtons pour arrêter de temps en temps les autos.

 

C’est une animation incroyable ! Il y a des cavaliers qui passent, des autos et des camions. Tout le monde avec des drapeaux.

 

Ce soir, pour la 1ère fois depuis 4 ans, nous laissons nos lumières à la véranda sans fermer les rideaux. Tous les cafés sont illuminés, les réverbères allumés. Il y a quatre ans qu’on n’avait pas vu les rues noires de monde à Nancy. Trois Américains qui sont chez mon frère Paul Perrin viennent nous voir. Ils nous apportent des cartes pour aller demain à la réunion de l’Hôtel de ville où l’on doit entendre Miss Wilson, la fille du Président des Etats Unis qui vient chanter pour les soldats américains en France.

 

Dans les journaux, on voit que le Kaiser s’est sauvé en Hollande. Il a abdiqué ainsi que le Kronprinz. La révolution est en Allemagne.

 

Mardi 12 novembre 1918

Nous avons télégraphié à nos filles qui sont à Gérardmer de venir aussitôt avec nous. Maintenant que l’armistice est signé, on ne craint plus les bombardements à Nancy.

 

Nous laissons nos drapeaux pour fêter l’armistice. A deux heures de l’après-midi, je vais avec Alexis et mes filles à l’Hôtel de ville pour entendre Miss Margaret Wilson, fille du Président des Etats Unis. Le grand salon est comble de Français et Américains. Miss Wilson chante deux chansons en français et une en anglais avec une voix forte. Elle est très blonde et gracieuse. Elle est venue exprès d’Amérique pour chanter. Elle dit très gentiment « Excusez si je ne prononce pas très bien le français. »

 

On joue l’hymne américain et la Marseillaise, une Alsacienne et une Lorraine offrent des fleurs. Une superbe corbeille en souvenir des veuves de la guerre qui ont été très secourues par l’Amérique lui est offerte par Bernadette de Cissey, Nicole Michaut et Mademoiselle Winsbach. Bernadette dit quelques mots en anglais à Miss Wilson. Monsieur Rageot, homme de lettres, fait une très belle conférence.



02/11/2018
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