14-18Hebdo

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84e semaine de guerre - Lundi 6 mars au dimanche 12 mars 1916

 

LUNDI 6 MARS 1916 - SAINTE PERPETUE - 582e jour de la guerre

MARDI 7 MARS 1916 - MARDI-GRAS - SAINT THOMAS D’AQUIN - 583e jour de la guerre

MERCREDI 8 MARS 1916 - CENDRES - SAINT JEAN DE DIEU - 584e jour de la guerre

JEUDI 9 MARS 1916 - SAINT GREGOIRE DE NYSSE - 585e jour de la guerre

VENDREDI 10 MARS 1916 - 40 MARTYRS DE SEBASTE - 586e jour de la guerre

SAMEDI 11 MARS 1916 - SAINT FIRMIN - 587e jour de la guerre

DIMANCHE 12 MARS 1916 - QUADRAGESIME - 1ER DIM. DE CAREME - 588e jour de la guerre

Revue de presse

-       L'effort allemand sur Verdun est-il brisé ?

-       En prenant Verdun l'Allemagne comptait détruire le prestige militaire de la France

-       Le nouveau raid des zeppelins sur l'Angleterre - 12 morts - 33 blessés

-       Naufrage du "Principe de Asturias" - 338 passagers et 107 hommes d'équipage manquent

-       La fin du Cameroun allemand

-       La lutte est toujours extrêmement acharnée - L'ennemi, est contenu à l'ouest comme à l'est de la Meuse - Nos troupes reprennent la majeure partie du bois des Corbeaux - Très grosses attaques allemandes sur Béthincourt et à l'est de Douaumont nettement repoussées

-       Succès russes sur tous les fronts - Nos amis prennent la ville de Rizeh à quarante kilomètres de Trébizonde

-       Un démenti formel aux mensonges allemands - Nous tenons toujours le fort et le village de Vaux - Flagrantes exagérations allemandes sur le nombre de prisonniers

-       Le contingent anglais s'élève à quatre millions d'hommes

-       La dégringolade du mark

-       L'ennemi subit des pertes hors de proportion avec les résultats qu'il obtient

-       L'Allemagne déclare la guerre au Portugal

-       Appel prochain de la classe 1888

 

Morceaux choisis de la correspondance

On annonce soi-disant de source sûre que, si nous tenons à Verdun et empêchons l’ennemi de passer, la guerre sera terminée en automne.

6 mars - ELLE (Arcachon).- Tu devines d’où je t’écris, comme toujours de ma chaise longue au balcon, où je passe la plus grande partie de mes journées. Nous avons un beau soleil aujourd’hui, le vent est encore froid mais il fait déjà meilleur. Nos enfants ont un appétit magnifique, les deux aînés vont à merveille, Robert s’est repris à tousser, c’est une rechute de coqueluche, aussi il ne sort pas.

 

J’avais cherché une demoiselle pour s’occuper des enfants. On m’en avait enseigné une que je suis allée voir. Elle a très bonne mine, mais étant donné que nos deux grands ont des devoirs à faire pendant 2 bonnes heures par jour, ils les font, soit le matin, soit le soir à cinq heures. Le matin vers 10 heures, Thérèse sort ses enfants et elle emmène les nôtres en même temps. L’après-midi Elise n’a rien à faire de 2 à 4 et est enchantée de s’en aller les promener. Robert n’est pas assez fort pour sortir en tous temps et je t’assure que, avec la vie que nous menons, notre jardin devant et derrière la maison pour y lâcher les enfants quand nous n’avons pas le temps de nous en occuper, je ne me fatiguerai pas avec eux.

 

La prochaine fois que j’irai à Arcachon, je me renseignerai pour un piano et un professeur. Mais je ne crois pas que nous prolongerons notre séjour ici au-delà du mois d’avril, 2 mois suffisent bien pour faire un bon changement d’air et je me réjouis déjà de rentrer. Tu sais qu’à ce sujet je suis peu raisonnable et n’aime rien tant que d’être chez nous.

 

Je n’ai pas envie de suivre ton idée de mettre Dédé à l’école ici, d’abord il faudrait aller à Arcachon pour trouver une vraie école. Ici ce n’est qu’une petite classe tenue par des sœurs, qui ont des petits pensionnaires scrofuleux et franchement ce n’était pas la peine de l’amener ici pour le faire changer d’air et l’enfermer à nouveau de 8 à 11 et de 1 à 4, plus des devoirs à faire, le changer de maître, de programme, de livres pour 2 mois. Dans ce cas il valait mieux le laisser à Docelles. Mais il avait besoin de repos. Il a gardé de sa grippe et de sa coqueluche une certaine difficulté de respirer qui lui prend quand il est fatigué. Je t’assure que les devoirs qu’il fait ici suffiront à le maintenir et l’empêcheront d’oublier ce qu’il a appris, et comme on annonce soi-disant de source sûre que, si nous tenons à Verdun et empêchons l’ennemi de passer, la guerre sera terminée en automne, nous rentrerons chez nous et reprendrons une vie régulière et André pourra cette fois bien travailler sous ta direction. L’exemple des petits Nicolas qui ont beaucoup circulé n’étant pas très solides non plus et qui sont tout de même arrivés à leurs examens me console et me fait espérer qu’il en sera de même pour nos enfants.

 

On ne parle que de nos pertes relativement faibles, mais qu’est-ce que ce relativement ?

7 mars - ELLE (Arcachon).- J’ai reçu tout à l’heure une lettre de tante Caroline en réponse aux condoléances que je lui avais adressées. Elle me parle d’Edouard et me dit qu’il a été blessé le lundi et a été ramené 20 minutes après et transporté à Bar-le-Duc où il a fait prévenir son beau-père. L’oncle Vautrin est parti de suite en auto. Madeleine et Mr et Mme Michaut par le train de 8 h du soir pour n’arriver qu’à 4 heures du matin. Le pauvre garçon avait un bras arraché, la poitrine et les côtes enfoncées, il avait sa pleine connaissance et ne se plaignait pas trop, si ce n’est des souffrances pendant le trajet en auto. Il est mort dans la journée de mardi par une hémorragie interne. L’oncle Vautrin était si malheureux de ne pouvoir le sauver, paraît-il.

 

Hélas, combien y en a-t-il ainsi ? On ne parle que de nos pertes relativement faibles, mais qu’est-ce que ce relativement ?

 

Hier nous avons eu une belle journée, mais voilà que de nouveau on gèle aujourd’hui, et il grêle. C’est vraiment vexant d’être ici pour s’y enfermer et y vivre autour d’un fourneau. Je suis sur mon balcon depuis 2 heures mais je vais rentrer, car ma plume ne tient plus entre mes doigts. Mon Bertus dort, il tousse moins, mais comme il ne peut sortir, les journées lui sembleraient longues, et il se repose bien ainsi dans son lit. Les deux autres sont en promenade jusqu’à Arcachon. Ils s’imaginaient voir des masques, mais je ne pense pas qu’il s’en trouve par ces temps de tristesse.

 

J’ai reçu tes 300 francs et en ai été très étonnée puisque tu m’avais dit avoir dû faire beaucoup d’achats. La vie est extrêmement chère ici, 1/3 en plus au moins que dans les Vosges, je ne sais si c’est parce que nous sommes des touristes. Il n’y a que les huîtres qui soient bon marché, on en voit à 2 sous la douzaine, il est vrai qu’elles sont minuscules. Celles que nous mangeons sont à 0,50. Tu vois qu’on peut s’en offrir. Quand les colis postaux militaires seront rétablis, je t’en enverrai.

 

Il n’a jamais été question que Maguy logerait avec nous, en venant au Moulleau. Je savais bien en louant la villa qu’il n’y aurait pas de place pour elle. Mais d’autre part je ne voulais pas louer un immense chalet, où les bonnes auraient autant à faire que chez nous. Il a toujours été entendu que Maman lui offrait le séjour dans le grand hôtel du Moulleau distant de notre villa de 100 mètres. Elle viendra prendre son repas de midi avec nous avec Jean et pourra, si elle veut, dîner à l’hôtel où il y a beaucoup d’élégantes. Maguy qui aime se faire belle le soir, cela lui plaira.

 

Les attaques sur Verdun paraissent avoir été et être encore bien violentes !

Pour tous les gens d’ici qui n’ont jamais vu de troupes passer, ni de canons, ni camions, ils doivent bien mal se représenter quelles difficultés il y a à rassembler sur un seul point tout ce qui est nécessaire au ravitaillement, au transport d’une armée. C’est formidable.

8 mars - ELLE (Arcachon).- Nous recevons une lettre de Maman qui nous raconte son voyage de retour. Elle s’est arrêtée à Paris un jour, a déjeuné chez Marie Molard et de là a téléphoné à Alice Mangin pour savoir si elle était chez elle. Maman est ensuite allée chez Marie Paul, qu’elle a trouvée au lit. Paul était là et semblait ennuyé de la mauvaise santé de sa femme. Maman est restée un bon moment avec eux puis est allée chez Cécile Siouville et enfin est rentrée à l’hôtel pour se changer avant de passer la nuit en chemin de fer. Elle est arrivée à Jarville à 8 h 1/2 du matin et a trouvé le notaire Valdenaire sur le quai. Il n’avait pas reçu à temps le télégramme de Pierre Mangin qui annonçait qu’on retardait la réunion, étant parti un jour à l’avance, car Mr Humbert lui avait demandé une entrevue avant la réunion et il revenait fort mécontent d’avoir fait un voyage inutile et de manquer encore sa correspondance pour les Vosges à Jarville.

 

Maman est ensuite arrivée chez les Vautrin où elle a trouvé la pauvre Madeleine si courageuse. Edouard a été blessé dans la soirée de samedi 26 février, son cheval tué sous lui s’est abattu et le pauvre garçon a été retrouvé le bras gauche presque complètement arraché et la poitrine enfoncée. On se demande si c’est sa chute de cheval qui a enfoncé la poitrine, en tout cas il avait deux côtes cassées. Ce n’est que le lundi qu’après avoir eu des pansements sommaires il est arrivé à Bar-le-Duc. Il avait préparé un télégramme, « Blessé légèrement (etc.) », que son médecin sans le lui dire avait échangé contre celui-ci adressé au maire de Nancy : « Blessé grièvement, prévenez famille Michaut et Vautrin ». C’est un sergent de ville qui a apporté cette note chez les Vautrin et c’est Madeleine qui l’a reçue. Elle a craint déjà qu’on la prépare à un plus gros malheur. Son père est parti immédiatement pour Bar en auto, mais à cause des laissez-passer Madeleine a pris le train avec ses beaux-parents. En arrivant l’oncle Vautrin a eu plutôt une meilleure impression. Edouard en le voyant s’est cru sauvé, et quand sa femme est arrivée avec ses parents, il n’avait pas mauvaise mine et a causé beaucoup avec Madeleine, faisant le sacrifice de son bras avec la perspective de revivre près des siens et d’avoir encore une vie heureuse. L’oncle Vautrin ne pouvant rien tenter ce lundi soir et ayant laissé à Nancy des blessés et opérés graves est reparti après l’arrivée de sa fille, se promettant de revenir dès le lendemain matin pour faire l’amputation décidée. Hélas ! Une demi-heure après, en causant très bas avec sa femme, tout à coup il s’est trouvé angoissé disant qu’il étouffait, on a cherché par tous les moyens à le soulager. C’était une hémorragie interne des poumons. Il est mort ainsi dans les bras de sa femme qui a été courageuse au-delà de toute expression, dans sa situation si pénible puisqu’elle attend son bébé dans un mois.

 

L’oncle Vautrin était rentré à Nancy vers six heures et le soir à 8 heures la supérieure de l’hospice civil qui avait reçu l’avis de la mort venait faire ses condoléances, elle s’est aperçue que les parents ne savaient rien et c’est elle qui l’a appris à l’oncle Vautrin. On a mis en bière et enterré Edouard le jeudi dans un caveau provisoire à Bar-le-Duc. Madeleine fait peine à voir dans sa robe d’intérieur toute noire, son teint fatigué et ses yeux si doux un peu éteints.

 

Nancy ayant encore été bombardée ces temps derniers et l’oncle Vautrin ayant été prié à nouveau par l’autorité militaire d’évacuer de ses salles tout ce qui peut se tenir debout, il craint une nouvelle attaque sur Nancy et ne veut pas courir le risque de voir Madeleine accoucher à Nancy dans une situation si précaire en cas de gros bombardement. Elle va donc partir à Gérardmer chez Suzanne. Si on avait besoin de l’oncle Vautrin, Suzanne enverrait vite l’auto le chercher. Enfin, tout cela est bien triste, et je plains bien la pauvre petite veuve, car en plus de la perte de son mari, du vide au cœur qu’il lui laisse, la vie d’une veuve a bien des difficultés, des ennuis et tristesses.

 

Ici, nous avons toujours le même temps froid, on se croirait à Gérardmer en septembre, de la pluie puis une éclaircie, puis de la neige, enfin un vrai climat vosgien. Je suis profondément vexée d’avoir fait ce déplacement et d’être obligée tout comme à Docelles de rester auprès d’un fourneau ou d’une cheminée.

 

Les attaques sur Verdun paraissent avoir été et être encore bien violentes. Pourvu que les Allemands ne percent pas, ils semblent aujourd’hui vouloir passer par le côté ouest. S’ils avançaient par là, ne crains-tu pas qu’on ne soit obligé d’abandonner Verdun pour ne pas y être cerné. Que de mal on aura pour les battre. Cela ne m’étonne pas que les Méridionaux n’aient pas la même mentalité que chez nous, toutes ces batailles paraissent si loin d’ici. On lit bien les journaux mais, pour tous les gens d’ici qui n’ont jamais vu de troupes passer, ni de canons, ni camions, ils doivent bien mal se représenter quelles difficultés il y a à rassembler sur un seul point tout ce qui est nécessaire au ravitaillement, au transport d’une armée. C’est formidable.

 

Je pense bien à toi, mon Geogi adoré. As-tu pu refaire de meilleurs abris puisque tu trouvais ceux de vos prédécesseurs défectueux, il y a vraiment beaucoup de chefs qui ne font pas ce qu’ils devraient. Vois-tu souvent ce Mr Gay dont tu me parles, est-il aimable et gentil ? Et le cher commandant, il n’a plus ses jeunes infirmières à inviter, cela doit bien lui manquer ? Bonnes tendresses, mon chéri. Ta Mimi.

 

On songe à tous nos pauvres blessés et aux combattants qui sont sous le feu des Allemands dans ces batailles terribles de Verdun que relatent tous les journaux.

9 mars - ELLE (Arcachon).- Pour la première fois, il fait vraiment bon. Les enfants ont pu jouer au jardin sans manteaux. Robert est sorti avec les autres pendant une heure entre 1 heure et deux, ayant déjà été sur le balcon le matin. Maintenant, il se repose pendant la promenade des grands. On ne sent pas un souffle d’air et le soleil donne, ce qui est exquis. La mer est superbe, toute brillante et argentée, elle mérite en effet son nom de côte d’argent quand on l’aperçoit ainsi à travers nos pins dorés par le soleil, c’est tout à fait joli et on voudrait être artiste pour pouvoir le reproduire.

 

Nous menons toujours la même petite vie calme toute de repos qui m’est recommandée, je ne fais pas un kilomètre en une semaine certainement. Thérèse sort ses enfants tous les jours, mais elle fait revenir sa cuisinière Marie Charles de Cornimont pour remplacer sa femme de chambre appelée auprès de son frère qui a une pneumonie très grave. Il a été administré et le major qui le soigne le considère perdu. C’est bien dommage, car c’était un gentil garçon et on en manquera assez après la guerre.

 

Je ne sais pas si Georges Humbert est près de Verdun, il faisait partie d’une division de cavalerie mais je ne sais pas de quel corps. Henry est dans le 15e bataillon de zouaves. A sa dernière lettre, c’est-à-dire au 1er janvier, il était à Sousse, mais si tu veux lui écrire, tu ferais aussi bien de lui adresser à Sfax, on lui fera suivre. Il est caporal, rappelle-toi.

 

As-tu écrit un petit mot à Maman, cela lui ferait plaisir. Dédé veut absolument que j’aille à la plage où ils viennent de s’installer, il paraît qu’il y fait délicieux. En effet, de ma terrasse, je les vois tous jouer et je suis obligée d’enlever mon gros manteau qui me semble trop chaud avec le soleil. J’ai les joues toutes rouges, ce soleil doit faire du bien à tout le monde, pourvu qu’il nous tienne fidèle compagnie. Mais on a presque honte d’être si bien et si tranquille lorsqu’on songe à tous nos pauvres blessés et aux combattants qui sont sous le feu des Allemands dans ces batailles terribles de Verdun que relatent tous les journaux.

 

Maurice va bien. Thérèse reçoit toujours de ses nouvelles, mais les lettres mettent huit jours à lui parvenir, ainsi aujourd’hui la lettre est datée du 1er mars.

 

Il paraît que St Dié et St Michel s/Meurthe ont été très bombardées ces jours derniers avec des bombes incendiaires, Etival et Moyenmoutier aussi. L’usine Marchal a eu un commencement d’incendie. C’est vraiment malheureux d’être si près de l’ennemi, on n’est guère tranquille dans toutes ces régions.

 

10 mars - ELLE (Arcachon).- Voilà les bords de la baie d’Arcachon, à peu près sur toute la ligne. Tu peux ainsi te représenter notre maison qui est séparée de la mer par un petit bouquet d’arbres comme celui-là. Nous allons tous bien, et je pense bien à toi, je voudrais tant te voir. Le temps est décidément meilleur sans être encore parfait pourtant. Vives tendresses. M.C.

 

Je t’assure qu’ici on ne se croirait pas en guerre.

11 mars - ELLE (Arcachon).- Cette fois, c’est le beau soleil qui réchauffe, le grand beau temps, la mer et le ciel tout bleus. Les enfants sont sur la plage depuis dix heures du matin, même Robert, c’est te dire que la température est douce sans un souffle d’air puisque le docteur défend qu’il aille au bord de la mer quand il y a du vent.

 

Tout à l’heure après le déjeuner, je vais offrir à Thérèse et aux enfants une promenade en voiture découverte. Cela nous fera connaître les jolis coins d’Arcachon que nous ignorons encore, moi du moins qui n’ai pour ainsi dire pas bougé depuis mon arrivée. Les enfants font de bons tours dans la forêt et Thérèse est allée plusieurs fois en ville. Je te dirai demain ce que nous aurons admiré.

 

André et Noëlle ont des figures resplendissantes, ils dévorent, d’ailleurs après les repas il n’est pas rare qu’André se coupe encore un morceau de pain. Robert est toujours plus pâlot, je le mets au soleil le plus possible pour le bronzer. Autrement il va bien, a aussi très bon appétit et dort bien.

 

Je commence à perdre la mauvaise idée que j’avais du pays qui nous avait semblé si triste à l’arrivée et si froid et à me dire que nous avons tout de même bien fait de venir ici, cela fera une bonne cure d’air aux enfants, et il paraît que cette dernière quinzaine qui a été si mauvaise l’a été de même dans toute la France et aussi sur la Côte d’Azur. L’oncle d’Elise, qui est prisonnier dans un camp près de Marseille, lui écrivait qu’ils n’ont pas eu aussi froid depuis le commencement de l’hiver.

 

As-tu vu dans le journal comme les Gafsa ont monté depuis que nous avons acheté nos actions. Elles sont maintenant à 740 francs. Pour notre déclaration de rentes touchées l’an dernier, il faut que j’attende mon retour à Docelles car je n’ai pas apporté le petit carnet sur lequel j’ai inscrit ce que nous avions touché. Je n’ai apporté ici que le cahier organisé par toi avec les noms et numéros des valeurs, le reste est dans le coffre-fort. Je crois t’avoir dit le numéro 51 et le secret 132, pour le cas où par accident je ne retournerais pas à Epinal.

 

On voit de belles petites barques à voile blanche qui voguent sur le bassin aujourd’hui et qui sont si jolies sur la mer bleue. A part cela, il y a quelques barques à pétrole, un petit bateau à vapeur qui passe à heure régulière pour faire le courrier d’Arcachon au cap Ferret dont nous avons le phare en face de nous. Je t’assure qu’ici on ne se croirait pas en guerre.

 

Voici l’heure du déjeuner, je te quitte en t’embrassant de tout mon cœur. Ta Mi.

 

Elle n’a pas eu un mot de lui depuis qu’il est près de Verdun. Elle est bien courageuse, ce doit être si long cette attente.

12 mars - ELLE (Arcachon).- Nous avons fait hier une très bonne promenade en voiture dans Arcachon, le cocher nous a conduits dans la ville d’hiver où il y a 8 grands hôtels et des multitudes de villas, devant lesquelles on voyait beaucoup de personnes étendues, messieurs ou dames, probablement des malades. Cette ville d’hiver est à l’abri du vent de mer par des dunes plantée de pins. La ville d’été est au contraire en bordure de mer. Il y a dans les deux quelques belles villas. Il y a une plaque sur une maison qui rappelle aux passants que c’est là qu’était Alphonse roi d’Espagne quand il est venu faire la connaissance de la princesse de Battenberg qui devait devenir la reine. Les gens d’Arcachon doivent en être très fiers car le cocher nous en a parlé à plusieurs reprises.

 

Nous sommes allés acheter des plaques pour pouvoir faire quelques photos maintenant qu’il fait beau. Je t’ai fait envoyer un petit paquet de pruneaux fourrés qui t’arriveront bien j’espère. Et on est revenu ici pour goûter. Les enfants ont couru à leur chère plage, il y a une barque de pêche qui y est ancrée et dans laquelle ils font mille sottises. Ils ont assisté à l’atterrissement hier matin et au relevage de filets qui les ont bien intéressés.

 

Thérèse et moi sommes allées visiter une villa tout près de la nôtre mais bien plus vaste, belle et confortable. Si jamais nous revenons ici, ce serait celle-là qu’il faudrait prendre. On aurait pu y être très nombreux, il y a dix lits de maîtres, plus un lit d’enfant et 4 de bonnes.

 

J’avais écrit à Cécile pour avoir des nouvelles de son mari et elle me répond en date du 5 mars qu’elle n’a pas eu un mot de lui depuis qu’il est près de Verdun. Elle est bien courageuse, ce doit être si long cette attente. Je pense que c’est une consigne qui les empêche d’écrire. Pauline m’écrit aussi que les jeunes gens de Cornimont qui y sont ne donnent pas de leurs nouvelles. Pourvu qu’il n’arrive rien à Camille, si charmant homme. En tout cas, il n’est pas blessé parce que Cécile en aurait été prévenue puisqu’il aurait été porté à l’arrière, mais elle doit être bien anxieuse.

 

Je pense que tu as dû comme moi oublier la fête d’Adrien le 5 mars. Nous n’avions plus notre chère Mère pour nous le rappeler discrètement. Ce n’est que le 9 que je m’en suis souvenue et que je lui ai écrit toutes mes excuses.

 

Nous allons tous très bien, je pense à toi mon bon chéri et voudrais être avec toi. Quand recommenceront les permissions ? Je t’envoie mes meilleures, meilleures tendresses. Ta Mimi.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 12/03/1916 (N° 1316)

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Le zeppelin abattu

Après le zeppelin noyé, le zeppelin abattu et brûlé. Les zeppelins n’ont pas la veine depuis quelque temps. Le comte Zeppelin disait naguère : « Nos ballons ne sont pas seulement des instruments d’exploration, ce sont avant tout des engins de destruction. » Les zeppelins auront démontré dans cette guerre l’exactitude de cette déclaration ; ils ont, en effet, beaucoup détruit. Mais ils s’étaient aussi beaucoup détruits eux-mêmes. Ces énormes ballons sont singulièrement fragiles. L’Allemagne en a fait l’expérience. Mais jusqu’à présent, nous ne comptions, comme zeppelin abattu, que celui qui succomba sous les coups de l’aviateur anglais Warneford. D’autres, peut-être, avaient été atteints, au cours de leurs raids, soit par les projectiles des avions qui les poursuivaient, soit par ceux des autos-canons qui tiraient sur eux ; mais ils avaient pu toujours regagner les lignes allemandes, et nos aviateurs et nos canonniers n’avaient pu jouir pleinement de leur victoire. Cette fois, c’est chose faite : un zeppelin, atteint par l’obus d’un auto-canon, a pris feu en l’air et s’est abattu dans nos lignes aux environs de Brabant-le-Roi. Il a été complètement détruit et son équipage a péri tout entier. C’est la section d’autos-canons de Revigny qui a accompli ce superbe exploit.

 

Il était environ huit heures et demie du soir quand nos postes d’écoute de première ligne signalèrent qu’un zeppelin était en marche de Sainte-Menehould vers le sud. Le dirigeable, qui faisait partie du parc aéronautique de l’armée du Kronprinz, ayant franchi nos lignes de l’Argonne venait de survoler Sainte-Menehould. Le zeppelin avait toutes ses lumières éteintes et semblait voguer à 1 800 ou 2 000 mètres de hauteur. Il luttait contre le vent et avançait lentement. Le dirigeable avait pris la direction de Revigny. Les autos-canons de cette station lui donnèrent aussitôt la chasse. Dès qu’il est à bonne portée, la canonnade commence. Un obus à fusée éclate à l’arrière de la masse et l’illumine. Un autre obus passe plus au-dessus. Soudain, un obus incendiaire semble traverser le zeppelin et s’accrocher à son flanc droit. Le feu court bientôt tout le long du navire aérien et dessine la nacelle, le réseau et le corps du ballon. Une lueur rougeâtre s’élève lentement : l’embrasement est complet. Le dirigeable brûle sans aucun éclatement perceptible. Il descend peu à peu, illuminé par les morceaux d’enveloppe enflammés, qui se détachent successivement. En touchant le sol, près de Brabant-le-Roi, petit village à 16 kilomètres de Bar-le-Duc et à 240 kilomètres de Paris, l’éclatement des bombes que portait le zeppelin se produit. L’explosion est formidable. De tous côtés une foule énorme accourt à travers champs dans une boue épaisse. Sur les routes, des phares d’autos surgissent de toutes parts. On s’embrasse, la joie est générale. Sur le sol, le zeppelin n’est plus qu’un amas de débris informes, auxquels sont accrochés vingt à trente cadavres complètement nus.

 

Ce zeppelin était le L-Z-77, d’un modèle perfectionné, ayant huit mitrailleuses et deux canons-revolvers sur sa plate-forme supérieure. Sa courte carrière et son tragique destin donneront probablement à réfléchir aux assassins de l’air.

 

 

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Noyés… à coups de canon - Des troupes allemandes ayant tenté de franchir la Duna gelée, l’artillerie russe tira sur la glace, la brisa et les Boches furent engloutis.

Le « général Hiver » continue ses hauts faits. En dépit de toutes leurs précautions, les Allemands en souffrent cruellement. Tantôt la rigueur de la température les tue comme des mouches dans leurs abris, tantôt, comme il advint récemment dans la région de Novogrodek, le dégel survenu soudainement fait déborder les fleuves et les Allemands périssent dans leurs tranchées inondées. Mais voici un autre fait qui évoque tragiquement le terrible souvenir de la Bérézina. Les Allemands, cantonnés aux environs de Dwinsk, voyant la Duna gelée, voulurent en profiter pour traverser ce fleuve. Ils s’engagèrent sur la glace. Mais les Russes, prévenus de leur mouvement, avaient amené de la grosse artillerie. Soudain, ce fut, sur le fleuve, une véritable avalanche de projectiles énormes. De toutes parts la glace craqua, se rompit. Et, dans les eaux tumultueuses et glacées, près de cinq cents Allemands furent engloutis.

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Un 120 long en action

Spécimen de l'autocanon avec lequel a été abattu le zeppelin à Revigny

Le dernier salon où l'on cause

Un guetteur dans une tranchée de 1re ligne

Le village de Revigny où a été abattu le zeppelin

En Champagne - Détachement d'infanterie se rendant aux tranchées

Sur le front - Sentinelle double dans un petit poste

Corvée de bois à la frontière d'Alsace

Le maire de G… présenté au général Joffre

Un homme de liaison vient chercher les renseignements du guetteur

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Le gros canon autrichien Skoda, en action

Le pont du Vardar de Salonique à Monastir, gardé par un zouave et un fantassin grec

A X… Armée d'Orient - Un avion allemand est en vue

En Albanie - Camion automobile traîné par des bœufs

En Orient - Le convoi de l'escadrille française du corps expéditionnaire

En Argonne - En première ligne

Débarquement des ambulances venant de la Champagne

Le général Joffre descendant d'auto

Un poste d'observation en Russie

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Aviation - Le nouveau raid des zeppelins sur l'Angleterre - 12 morts - 33 blessés
  • Marine - Naufrage du "Principe de Asturias" - 338 passagers et 107 hommes d'équipage manquent
  • Angleterre - Le contingent anglais s'élève à quatre millions d'hommes
  • Portugal - L'Allemagne déclare la guerre au Portugal
  • Appel prochain de la classe 1888
  • Allemagne - Le 4e emprunt allemand
  • La vie 1/3 plus chère dans les Landes que dans les Vosges
  • Transport de troupes - Se représenter quelles difficultés il y a à rassembler sur un seul point tout ce qui est nécessaire au ravitaillement, au transport d’une armée. C’est formidable !
  • Veuve de la guerre - La vie d'une veuve
  • Verdun - Les batailles terribles de Verdun que relatent tous les journaux
  • Placements financiers - Les actions - Les Gafsa ont monté
  • Arcachon - La ville d'hiver et la ville d'été
  • Espagne - Alphonse roi d'Espagne et sa femme la princesse de Rottemberg
  • Aviation - Le zeppelin abattu (LPJ)
  • Foires d'autrefois et d'aujourd'hui (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Conseils pratiques - Epargne (LPJ Sup)
  • Religion - Fête religieuse - Cendres
  • Religion - Fête religieuse - Quadragésime - 1er dimanche de Carême
  • Religion - Fête religieuse - 40 Martyrs de Sébaste - 10 mars


02/03/2016
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