119e semaine de guerre - Lundi 6 novembre au dimanche 12 novembre 1916
LUNDI 6 NOVEMBRE 1916 - DEDICACE DES EGLISES DE FRANCE - 827e jour de la guerre
MARDI 7 NOVEMBRE 1916 - SAINTE LUCIE - 828e jour de la guerre
MERCREDI 8 NOVEMBRE 1916 - SAINTE HELENE - 829e jour de la guerre
JEUDI 9 NOVEMBRE 1916 - SAINT THEODORE - 830e jour de la guerre
VENDREDI 10 NOVEMBRE 1916 - SAINT ANDRE AVELLIN - 831e jour de la guerre
SAMEDI 11 NOVEMBRE 1916 - SAINT MARTIN DE TOURS - 832e jour de la guerre
DIMANCHE 12 NOVEMBRE 1916 - SAINT LIEVIN - 833e jour de la guerre
Revue de presse
- Brillante avance au nord de la Somme
- La Pologne royaume allemand
- Succès russes au nord du front moldave
- Violente réaction allemande au bois St-Pierre-Vaast
- Nos troupes occupent Ekaterini
- Brillante avance au nord de Chaulnes
- Intense duel d'artillerie vers Douaumont et Damloup
- L'élection américaine - Surprises et Leçons - Hughes ou Wilson ? - Les deux partis se déclarent vainqueurs - Les Etats de l'ouest soutiennent M. Wilson
- Sur les fronts roumains nos alliés avancent vers le Maros et en Dobroudja
- Progrès russes au sud de Dorna-Vatra
- L'emprunt a produit 11 milliards 360 millions - Près de 6 milliards en numéraire - Déclaration de M. Ribot à la Chambre
- En Dobroudja l'armée Sakharoff reprend Hirsova - 44 kilomètres d'avance en cinq jours - L'offensive austro-allemande continue en Valachie
- A Salonique M. Venizélos passe en revue les troupes grecques qui vont partir pour le front
- Tous les magasins devront fermer à 6 heures du soir à partir du 15 novembre
- Les Serbes ont enlevé les positions de Cuké et la moitié du village de Polok
- Guynemer abat ses 20e et 21e avions
- Amiens ville ouverte bombardée par les avions boches - Neuf civils tués et vingt-sept blessés
- M. Wilson est élu président de la République des Etats-Unis
- Le ravitaillement de Paris en pommes de terre
- Les Roumains tiennent tête aux vives attaques de Falkenhayn
Morceaux choisis de la correspondance
Il y a deux ans aujourd’hui, j’apprenais que tu étais blessé et en étais bien émue. Tu me diras que vous êtes toujours au front et que les Allemands sont encore là, c’est vrai, mais on a l’habitude, c’est très mal, sans doute, on en souffre moins qu’au début.
6 novembre - ELLE.- Il y a deux ans aujourd’hui, j’apprenais que tu étais blessé et en étais bien émue. Nous vivions tous à ce moment des jours bien angoissés, on vous sentait si en danger et les Allemands étaient si près de nous. Tu me diras que vous êtes toujours au front et que les Allemands sont encore là, c’est vrai, mais on a l’habitude, c’est très mal, sans doute, on en souffre moins qu’au début.
J’ai retrouvé mes chéris avec grande joie, on m’a sauté au cou dès mon arrivée hier soir. Mademoiselle a dit qu’elle était contente d’eux. André se donne de la peine, c’est le calcul, les problèmes qui seraient le plus en retard. Noëlle apprend très bien mais elle est impatiente. Quant à Robert voilà sa première parole : « Mademoiselle m’a dit que j’étais un grand calculateur ». Ton âme de mathématicien va tressaillir d’allégresse, Geogi chéri, en songeant que tu auras un fils et élève digne de toi. J’ai cherché à savoir ce qui avait motivé ce splendide éloge et André a de suite dit très fièrement, bien plus que s’il s’était agi de lui : « Mademoiselle avait donné à Robert deux multiplications à faire et il les lui a faites en une minute. Elle a regardé la pendule, alors elle lui a dit : Robert vous n’avez sûrement pas compté, vous avez posé n’importe quel chiffre. Mais non. Mademoiselle a corrigé et tout était juste ». Tu penses que Robert se rengorgeait et avait ses petits yeux qui brillaient de joie en entendant cela. Mademoiselle est gentille et facile à vivre, me dit Maman, elle ne lui fait qu’un reproche, c’est qu’elle cause trop avec les bonnes et, depuis qu’elle est là, Ehling est d’une humeur déplorable. Peut-être Mlle, qui a été dans des châteaux avant, lui fait-elle remarquer qu’ailleurs on travaille moins, qu’il y a des 5 ou 6 domestiques. Maman ne s’est pas occupée des cours, elle a laissé Mlle arranger cela à son idée se disant qu’il valait mieux qu’elle s’entende avec moi pour cela.
J’irai donc voir tout à l’heure les cahiers et les programmes. André suit la classe de 7ème d’un lycée. Il fera des compositions mensuelles et trimestrielles qui le classeront. Ils sortent de 11 h 1/4 à midi et de 1 à 2. Mlle aime beaucoup les promenades, ce qui me fait plaisir car cela fait du bien aux petits. Ils ont eu le gros chagrin de perdre leur boby écrasé par une auto militaire dimanche dernier. Robert qui aimait tant le taquiner en est très privé.
Figure-toi que j’ai encore grossi pendant mon voyage, je pèse maintenant 59 K, il serait temps que je m’arrête car je vais devenir une vraie tour. Et toi, mon amour chéri, vas-tu bien, n’as-tu plus froid dans ton vaste lit, as-tu toujours bon appétit, rappelle-toi les préceptes de ne pas manger trop vite comme tu le fais toujours et pas tant de cigarettes. J’ai voyagé avec Monsieur Catel hier, il venait en permission de six jours, mais sa femme est restée à Angoulême ne voulant pas faire faire un si grand voyage à ses trois enfants. Il est très content de ce qu’il fait à la poudrerie où il a un travail très intéressant.
7 novembre - ELLE.- Ma lettre découragée du 1er novembre, que j’ai regrettée de t’avoir écrite dès qu’elle a été partie d’ailleurs, me disant qu’elle était sans emploi puisqu’elle te ferait de la peine si tu la lisais et qu’elle ne servait à rien si tu ne la recevais plus, m’a valu une si tendre réponse, de si jolies paroles de mon mari aimé, une nouvelle preuve de son bel et grand amour, que j’en suis toute émue. Tu comprends bien mon adoré qu’on ne se résigne pas à perdre un si précieux trésor et qu’on tremble toujours pour lui. Ce que je vais te dire est assez paradoxal, mais je me serais moins effrayée de ton silence si je t’avais su dans un coin plus tourmenté du front, car j’aurais pu croire à un arrêt de la censure ou à un manque de temps et de moyens d’écrire de ta part, tandis que cette absence de lettres, sans changement de résidence de ton groupe, m’a fait craindre les pires choses. Et puis tu sais les petites femmes privées de leur mari sont toujours un peu nerveuses. La nuit je faisais des rêves macabres qui m’impressionnaient pour la journée et, comme je n’avais personne pour me consoler et me dire dans un baiser, comme tu sais si bien le faire, que j’avais tort de m’alarmer, je concentrais toutes mes pensées en moi pour en pleurer le soir quand j’étais seule. Enfin j’ai reçu ta lettre revenue de Docelles et j’ai reconnu que mes craintes étaient vaines et ces sombres pronostics trompeurs. Mon Geogi si aimé, c’est vrai, que deviendrai-je sans toi. J’ai besoin de ton amour pour vivre, de ton énergie, de ton intelligence, de ta loyauté pour me soutenir, car seule je ne suis bonne à rien.
Je t’envoie des épreuves de photo qui te remettront devant les yeux ta Mimi. Tu me diras celle que tu préfères afin que je puisse en faire la commande. A mon avis c’est le A et B. Dans le C ils m’ont fait de beaux grands yeux profonds que je n’ai pas. Ces photos te prouveront que je n’ai pas maigri, loin de là. Au contraire ta petite femme prend une opulence de formes dont elle était loin il y a 10 ans.
Tendresses mon chéri, je t’aime.
7 novembre - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre du 5 novembre déjà ce matin. Te voilà sur le chemin du retour et bien contente de retrouver nos chéris. Ecris-moi bien vite comment ils vont et ce que tu penses de Mademoiselle.
Voici le mauvais temps qui vient et je suis bien content que nous soyons un peu plus tranquilles. Le lieutenant qui m’est adjoint rentre ce soir de permission et j’en suis bien heureux car, avec quatre batteries sans personne pour m’aider pendant ces huit derniers jours, j’ai eu pas mal à faire. Je vais pouvoir de nouveau lire un peu et faire un peu de math. Le commandant est un géomètre excessivement calé. Nous nous posons l’un à l’autre des colles et c’est intéressant. Bien entendu depuis quinze jours il n’en était plus question.
Tu te rappelles que, lorsque nous étions aux environs de Soissons l’an dernier, j’avais fait construire un observatoire dans un arbre très élevé. Figure-toi qu’on l’appelle l’arbre de Cuny. Tu vois comme l’origine des lieux-dits est quelquefois bizarre. Voilà peut-être mon nom qui va passer à la postérité.
Les Parisiens n’ont-ils plus eu de nouvelles d’Henry. S’il est parti sur le front, je serais heureux de savoir où il se trouve. Si tu as des renseignements, tu me le diras.
Bonnes amitiés à Maman et à Thérèse. J’espère que nos chéris vont être bien sages pour ne pas fatiguer leur maman Mimi.
Quelle horreur ce doit être qu’un champ de bataille par ces temps de pluie perpétuelle.
8 novembre - ELLE.- Ici, nous allons tous bien, je me repose ces jours-ci mais sans rien de grave et qui ne soit naturel. Les enfants ont très excellente mine. Ils obéissent assez bien à Mademoiselle qui use des retenues d’ailleurs pour les faire joindre. Hier André avait une demi-heure et Robert, qui est libre en général à quatre heures, a été obligé de remonter faire une page d’écriture comme punition. Il fait toujours le pitre en classe et fait rire les deux grands, il faut lui faire perdre cette habitude. Il n’y a jusqu’alors qu’une chose qui nous déplaît en Mlle, c’est qu’elle va trop bavarder avec les bonnes et, depuis qu’elle est ici, Marie Ehling est d’une humeur massacrante, alors qu’elle était si charmante avant. Le soir, elle nous quitte de suite en sortant de table, c’est elle-même qui a demandé à avoir sa soirée à elle, cela nous évitait l’ennui de le lui dire. Mais alors elle va faire de grands palabres avec Marie.
Noëlle n’a pas eu encore de retenues, Mlle dit qu’elle n’est pas meilleure que les garçons, mais qu’elle est plus maligne. Comme Mlle fait toujours une menace avant de sévir, Noëlle s’arrête à temps, tandis que les garçons, une fois lancés, ne s’arrêtent que lorsque la punition est donnée. Tous les jours ils font une dictée, deux problèmes et des opérations. J’ai tenu à ce qu’on ajoute cela au programme, qui ne comprenait que 3 problèmes par semaine. Quel dommage que Noëlle ne soit pas un garçon à la place d’André, elle apprend si vite. Ils ont commencé l’allemand ensemble, elle sait déjà le double de mots que lui.
On ramène des troupes tout autour de chez nous, retour de la Somme. La 66e division dont font partie le bataillon de Paul Boucher le 152 et le 15e est dans les environs de Laveline.
Maman avait reçu la semaine dernière une lettre du capitaine de cavalerie que nous avions logé l’été dernier, nous disant qu’il était à Jussarupt et viendrait nous voir un de ces jours. Comme Maman avait à faire à Bruyères lundi, nous y sommes allées ensemble et avons poussé jusque Jussarupt. Mais nous n’avons pas eu de chance, le 3e chasseur avait justement quitté la veille au soir. Les enfants ont été désolés d’apprendre cela car nous leur avions promis d’inviter leur cher capitaine à déjeuner pour un de ces jours. Nous avons vu toutes ces troupes de la 66e division arrivées fraîchement de la Somme et, en les voyant si boueux, si sales, les hommes avaient leurs capotes pleines de terre jusqu’au col, les chevaux jusqu’à la croupe, nous nous sommes représentées le bourbier dans lequel ils avaient séjourné et marché. Quelle horreur ce doit être qu’un champ de bataille par ces temps de pluie perpétuelle.
Nous avons eu hier la visite de Georges Vourion, qui est chauffeur d’un intendant en ce moment, et pendant que son officier s’entendait à la mairie pour la réquisition des pommes de terre, il est venu nous voir, Maman était au village pendant ce temps, je l’ai donc reçu seule. En retournant prendre son chef, il a rencontré Maman, qui les a invités tous les deux à prendre le thé. Georges Vourion a sa femme et sa fille à Epinal, il y est lui-même depuis près de deux mois. Il nous a dit que Jules Germain est à Remiremont, arrivé très déprimé de Besançon. J’ai eu envie de lui dire qu’il aille au front, il y sera peut-être moins déprimé. C’est encore comme pour Edmond L.J., ce sont les plus heureux qui s’amusent à faire de la neurasthénie.
J’ai regardé dernièrement les photographies que tu m’as envoyées depuis le début et ai revu celles où tu as ton ceinturon et ta bretelle pendants, j’espère que maintenant tu les ajustes mieux mon Geogi chéri et que tu es un peu plus élégant. Tu me dis que tu viendras dans deux mois, ce sera alors au début de janvier, si seulement tu pouvais être ici pour le premier de l’an.
9 novembre - ELLE.- Aujourd’hui je ne t’écris pas comme d’habitude dans mon lit avant de me lever, ce matin je me suis rendormie comme une paresseuse après mon déjeuner. Nous nous étions couchées tard ayant été dîner et passer la soirée chez Marie Krantz avec Thérèse, Jean Schwind. et son lieutenant. Thérèse les a depuis bientôt quinze jours. Le lieutenant, qui surveillait les convois automobiles qui descendent les bois de Tendon à la gare de Docelles, a été blâmé, changé de place et c’est le chef de Jean Schwind., qui avait très peu de choses à faire, puisqu’il a encore 4 sections de camions pour le ravitaillement de la vallée de Thann et qu’une suffit pour le peu de troupes qui s’y trouvent, qui a été chargé de faire cet intérim. Nous avons donc fait un bridge et n’étions couchées que pour minuit, c’est ce qui t’explique ma paresse.
En me levant j’ai rangé quelques petites choses, puis suis allée jeter un coup d’œil sur Robert et Noëlle seuls dans leur salle d’études, pendant que Mlle donnait la leçon de piano d’André. Robert faisait des opérations, je l’ai écouté compter, il va vraiment vite pour son âge. Quant à Mlle Noëlle, c’est toujours la jeune indépendante qui n’admet pas les conseils. Sans que je l’aie prévenue, Mlle s’en est bien aperçue, elle m’a dit ce matin que c’est André qui a le meilleur fonds et est le plus facile. A sa leçon de piano il est très docile. Il paraît que Robert a fait une bonne réponse à Mlle lorsque j’étais encore à Paris. Mlle le menaçait un jour qu’il n’était pas sage et lui disait : vous verrez quand votre Maman reviendra, ce qu’elle vous fera. « Oh, dit Robert, Maman, elle n’est pas forte, elle ne me fera rien, cela la fatiguerait de me fouetter ». Tu vois le malin singe, il connaît la situation.
Je constate qu’une institutrice allège beaucoup, on est sûr que les enfants sont surveillés et cela ne m’étonne pas que les dames qui sont habituées à en avoir ne puissent plus s’en passer. Mlle s’est arrangée dans son programme à laisser tout l’après-midi de jeudi libre et tout le dimanche pour bien reposer les enfants. Maman demande surtout qu’on laisse aux enfants et à elle la délicieuse grasse matinée du dimanche matin. Aujourd’hui ils se sont promenés jusque deux heures ½ puis se sont amusés avec leurs petits cousins. Maintenant André découpe du bois, il aime beaucoup cela, Noëlle lit et Robert est parti au bureau avec Maman.
Maman est de nouveau un peu fatiguée comme en été, je vais m’employer à la faire reposer. Maintenant que je suis avec elle, elle est plus rattachée à la maison. Cet après-midi je l’ai gardée sur un fauteuil de 1 heure à cinq. Quelques jours à ce régime lui feront du bien.
Bonnes tendresses mon Geogi. Ta Mi. Au fait tu m’avais dit il y a quelque temps que ta permission serait avancée de 8 jours par suite d’un départ. Et voilà que tu me dis que tu ne viendras que vers le 12 janvier. Cela ne fera donc aucune avance, juste 4 mois après la dernière.
9 novembre - LUI.- Je reçois ta bonne lettre du 6 et suis heureux de te savoir rentrée en bon port. Très content d’apprendre que tu continues à grossir. Non Mimi, il ne faut pas t’arrêter du moins pour le moment. Quand tu arriveras aux environs de 80, alors là nous pourrons en causer. Tu vois que je te taquine mais j’aime mieux que ma femme soit un peu rondelette. En tout cas cela prouve que le traitement du docteur de Paris t’a fait du bien.
Notre petit Dédé se donne de la peine, me dis-tu. C’est l’essentiel. Mais je crois que la classe de 7ème que tu lui fais suivre maintenant sera peut-être un peu trop forte pour lui. J’aime mieux que tu le ménages un peu que ce que tu le pousses trop. D’ailleurs tu verras bien toi-même vers le milieu de l’année. Ne lui fais pas trop apprendre de choses mais qu’il les sache à peu près bien.
Je souhaite vivement que les dispositions de notre petit Robert se confirment. Je serais heureux de voir un de mes fils plus tard en polytechnicien et, s’il aime les maths autant que je les aime, de le voir continuer ses études de ce côté. Tout le monde ne peut pas être industriel et d’ailleurs plus tard ce ne sera pas un métier très amusant. Naturellement il ne faut pas nous emballer là dessus. Bien souvent, et je le dis aussi bien pour Dédé que pour Robert, les dispositions et tournures d’esprit changent avec l’âge. Tel était un des derniers de sa classe à neuf ans qui était un des premiers à 16 ans et réciproquement.
Mademoiselle Noëlle est impertinente paraît-il. Cela ne m’étonne pas mais je sais que tu la surveilleras à ce point de vue et que tu tâcheras de lui donner un caractère doux et conciliant comme le tien.
Je serais heureux, puisque tu me dis que André fera des compositions mensuelles, que tu me donnas les sujets de compositions. Il est bien entendu que pour ces compositions on ne l’aidera en aucune façon et que Mademoiselle le laissera complètement faire. C’est le seul moyen de comparer exactement. Il est fort probable qu’il sera le dernier au début parce qu’il n’aura pas la méthode du professeur et que forcément le professeur pose en composition des questions dont on a déjà un peu parlé en classe. Nous en tiendrons compte voilà tout, et puis au milieu de l’année il fera peut-être quelques progrès. Je pense que tu as choisi latin et sciences qui me semble être le meilleur programme.
Je souhaite que Maman ne soit gênée en aucune façon par Mademoiselle et que celle-ci comprendra qu’elle n’a pas à discuter avec les bonnes tout en étant gentille pour elles.
Tu diras à Dédé que je suis content qu’il se donne de la peine.
10 novembre - ELLE.- J’ai reçu la feuille d’avertissement pour l’acquit de l’impôt sur le revenu, nous avons 160 francs à payer, ce n’est donc encore pas cela qui nous appauvrira beaucoup. Je vais dire au bureau de Cornimont de payer le percepteur. Mais tu vois comme la loi est bêtement faite, on fait soi-disant une déclaration sous enveloppe fermée qu’on adresse au directeur des contributions pour que personne du pays ne la connaisse, mais le percepteur vous envoie un avertissement où tout est nettement indiqué, de sorte que les petits commis que les percepteurs ont souvent chez eux et qui sont du pays pourront répandre dans le village tout ce qu’ils savent. Cela ennuie beaucoup Maman et elle est allée à la Trésorerie pour demander si elle ne pouvait pas acquitter son impôt à la Trésorerie sans passer par le percepteur, mais il paraît qu’il n’y a pas moyen, c’est le percepteur qui remplit la fiche d’avertissement et fait les calculs. Maman avait envie de prendre un petit appartement à Epinal pour s’y faire domicilier, mais il est bien spécifié que l’impôt est dû au domicile le plus important du contribuable. Donc il n’y a rien à faire qu’à déplorer une fois de plus la manière détestable de faire les lois de nos députés.
Le percepteur d’ici a justement comme saute-ruisseau le fils de Boullery, gamin de 14 ans très bavard. Tu penses quelles réflexions il fera quand il saura combien Maman peut dépenser par an. A Cornimont cela m’est égal, car nous arriverons bons derniers parmi les autres, Nicolas, Perrin, Humbert, Mangin. Ici où on est seul, c’est plus ennuyeux.
Voilà le froid qui revient, je pense à toi, mon chéri, et vais aller au grenier chercher le petit fourneau à pétrole dont je t’ai parlé, pour te l’envoyer.
Je t’embrasse de toutes mes forces. Ta Mi.
11 novembre - ELLE.- Nous avons un beau soleil le jour, de la gelée la nuit, un bon temps sain. Chez vous qui êtes à une altitude moins élevée, je crains bien que vous ne soyez dans la brume.
Hier je n’ai pas bougé et ai travaillé comme un cœur toute la journée. Le soir, Marie Krantz était venue après le dîner faire un petit bridge mais elle était à peine installée que sa bonne venait la chercher en lui disant que les Dlles Thomas, ses petites cousines d’Epinal, venaient d’arriver et la demandaient. Cette chose imprévue nous a fait craindre de suite un malheur et en effet les Thomas avaient reçu un télégramme des petites Champion à Paris, disant qu’elles avaient trouvé leur mère morte le matin en se levant. Les parents Thomas sont partis de suite à Paris et leurs filles venaient avertir la pauvre Madame Rayel, elles voulaient l’aide de Marie Krantz. C’est un bien gros malheur pour toute cette famille et vraiment cela fait un peu douter de la bonté de la Providence quand on voit des femmes comme Madame Rayel si bonnes et si pieuses être si éprouvées. Nous en étions très impressionnées Maman et moi. J’avais commencé à lui lire le journal mais cela ne l’intéressait pas et elle en revenait toujours à cette mort.
J’ai lu le style peu clair de l’oncle Jules, qui écrit comme il parle d’une façon un peu bafouillante, tu ne l’as pas convaincu malgré les chiffres que tu lui fournissais à l’appui de tes dires. Il semble blâmer ceux qui ne pensent qu’à l’argent, sans doute le brave oncle Jules, le désintéressement est très beau, mais quand il était jeune, il a trouvé qu’il fallait de l’argent pour vivre puisqu’il a préféré tante Caroline, qui n’était pas belle mais avait un petit bien, à Marguerite Georges qu’il aimait et trouvait charmante mais qui n’avait pas de quoi alimenter le ménage. Enfin tout ceci prouve une chose, c’est que l’an prochain il ne faudra plus rien accepter des associés, même s’ils offrent une somme quelconque pour pouvoir garder notre liberté et prévenir en juin 1917 que tu ne veux plus te réengager avec les mêmes statuts.
Thérèse va bien, Maurice vient en permission mercredi prochain.
Bonnes tendresses mon Gi.
J’ai confiance que l’an prochain à pareille époque nous serons ensemble.
11 novembre - LUI.- J’ai reçu tes deux bonnes lettres du 7 et du 8. Les photos m’ont fait beaucoup de plaisir et je les garde, cela va sans dire. Celle où tu es le mieux, où je te reconnais tout à fait, est le n° A. Le n° B n’est pas mal mais ce n’est pas toi et le n° C n’est pas du tout cela. Donc demande plutôt du n° A.
Tu me dis toi aussi de trop bonnes choses dans ta lettre du 7 mais je suis sûr que maintenant tu ne te laisseras plus impressionner par un manque de lettre, qui peut très bien survenir sans que je puisse t’aviser au préalable.
Je suis content que les enfants aient une mine excellente. Tant mieux que Mademoiselle se fasse un peu obéir et les punisse quand ils le méritent. Si notre Dédé comme je le suppose était dans les derniers pour ses premières compositions, ne le lui dites pas trop pour ne pas le décourager. Il est regrettable que Mademoiselle aille tant bavarder avec Marie Ehling. Je sais que c’est difficile de le dire à l’une ou à l’autre mais cela doit bien ennuyer notre pauvre Maman pour qui c’est encore une gêne. Tu me dis que tu ajoutes au programme de chaque jour une dictée, deux problèmes et des opérations. Mais tu n’as pas peur d’un peu les surcharger. Et puis tu leur fais déjà faire de l’allemand. Ma pauvre Mie, comment vont-ils faire pour se fourrer tout cela dans la tête !
Rien de nouveau ici. Nous avons un temps très beau depuis deux jours, mais il fait assez froid. Mais avec mes couvertures et tous mes uniformes sur mon lit, je ne gèle pas. J’aimerais quand même mieux, tu sais ma Mie, t’avoir à mes côtés. Il ferait joliment bon t’embrasser tu sais et caresser sa petite mie de tous les côtés. Enfin j’allais presque dire comme le député Brizon : « Vive la paix ». J’ai confiance que l’an prochain à pareille époque nous serons ensemble.
12 novembre - ELLE.- Je reçois ta lettre du 9 courant et je ferai attention, au moment où André fera ses compositions, qu’on le laisse travailler seul comme tu le demandes. Il est je crois parfaitement capable de suivre la septième. Je n’ai pas eu à choisir latin sciences, ce n’est qu’en 3ème qu’on oblique dans un sens ou dans l’autre, et il ne fait pas encore de latin, on ne le commence que dans le dernier trimestre de septième. Je t’enverrai copie de son programme de compositions, il n’y a pas pris part en octobre, n’ayant commencé le cours que le 20. André a toujours son même défaut, le manque de confiance en lui, je lutte autant que je peux contre cette façon de faire qui est une faiblesse en ce monde. Pour réussir il ne faut pas douter de soi et encore moins que les autres doutent de votre valeur.
Je n’ai pas cette peine avec Noëlle qui est orgueilleuse jusqu’au bout des ongles, il est vrai qu’elle a tellement de facilité pour tout. Mademoiselle me le disait encore tout à l’heure, elle n’a jamais eu une enfant pareille parmi ses élèves et elle en a eu pourtant de fort intelligents. C’est un plaisir de l’enseigner. Mais comme caractère, il y a à faire. Il faut l’adoucir et la polir, car je veux une fille soumise, non pas comme les jeunes personnes modernes. J’en ai vu encore à Angoulême, gamine de 18 ans, qui avait si bien l’air de mépriser sa mère, dédaigner ses idées et conseils, et j’ai entendu un ménage ami de Paul L.J., les Weiller, dire de leur fille âgée de 9 ans, qu’elle commande dans la maison, Mademoiselle invite ses amies pour tel jour et en avertit ensuite sa mère, et d’autres petits détails de ce genre. Il faut de l’initiative aux garçons, mais je déteste l’indépendance chez les jeunes filles et, avec l’intelligence de Noëlle, ce serait désastreux. Tu es de mon avis, n’est-ce pas. D’ailleurs la pauvre Noëlle n’a pas de chance, on ne lui fait que bien rarement des compliments trouvant qu’elle s’en fait suffisamment elle-même.
Thérèse est très grippée cette semaine. Je suis allée la voir hier, sa grippe est portée sur l’estomac, elle ne peut rien absorber sans que cela lui amène des vomissements. Elle ne vient donc pas déjeuner aujourd’hui avec ses enfants comme d’habitude le dimanche. Son frère Jean et le lieutenant partent aujourd’hui reprendre leur section au Thillot. Elle pourra mieux se reposer en attendant l’arrivée de Maurice mercredi.
Le dimanche, les enfants n’ont aucun devoir, ni leçon, pour bien les reposer. En ce moment, retour du catéchisme, les deux garçons jouent avec leur âne au jardin et Noëlle a pris ses poupées à la salle d’études. Les garçons ne s’entendent pas avec leur sœur et il vaut mieux qu’ils s’amusent séparément jusqu’à ce qu’ils soient devenus un peu plus galants. Mais quand cela viendra-t-il ? Faudra-t-il attendre 18 ans, quand ils deviendront des petits hommes ?
Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 12/11/1916 (N° 1351)
Le général Sainte-Claire-Deville - Grand-officier de la Légion d’honneur
On sait que récemment, au cours d’une inspection sur le front, le général Sainte-Claire-Deville a été atteint d’une blessure grave. Il a été nommé grand-officier de la Légion d’honneur. Voici le texte de la décision accompagnant cette promotion : « Officier général d’une haute valeur intellectuelle et morale, qui a mis au service de l’armée une rare compétence technique et a rendu au pays de remarquables services ; a été grièvement blessé au cours d’une inspection qu’il a poussée jusque sous le feu de l’ennemi. » Ajoutons à ceci que le général Sainte-Claire-Deville est l’un des pères de notre glorieux 75. Il est donc l’un des principaux artisans de la victoire.
Dans sa conférence sur le « 75 », publiée dans les « Pages d’histoire » de Berger-Levrault, M. Schloesing, l’éminent savant, membre de l’Institut, rappelle que dès l’année 1889, le capitaine Sainte-Claire-Deville avait construit une pièce du calibre de 57 millimètres qui est aujourd’hui au Musée de l’Armée aux Invalides, et qui comportait déjà bien des perfectionnements essentiels dont bénéficie actuellement notre artillerie : hausse indépendante, collimateur, boucliers d’affût, sièges d’affût, caisson blindé à retournement, débouchoir double, etc. Bientôt, en 1894, par les remarquables travaux du lieutenant-colonel Deport, qui utilisait notamment un frein à longue course, fut prouvée la possibilité d’établir un canon de plus fort calibre qui réunît les qualités désirées. Le lieutenant-colonel Deport, ayant pris sa retraite, le capitaine Sainte-Claire-Deville fut chargé de continuer les recherches dans la voie où l’on savait pouvoir s’engager avec profit. Il se mit aussitôt à la besogne, et, avec la précieuse collaboration du capitaine Rimailho, s’en acquitta de la façon la plus prompte et la plus heureuse.
Le fruit de ces efforts fut la pièce de campagne dite de 75 parce qu’elle a un diamètre intérieur de 75 millimètres. Dès 1897, elle était complètement mise au point par les capitaines Sainte-Claire-Deville et Rimailho et adoptée. « L’œuvre, dit M Schloesing, étonne autant par l’ingéniosité que par la hardiesse et le nombre des solutions nouvelles, dans l’épreuve à laquelle elle est actuellement soumise, elle se montre à la hauteur de toutes les espérances qu’elle avait fait concevoir… » On sait, en effet, que le 75 est le triomphateur de cette guerre. Les Allemands eux-mêmes n’ont cessé de reconnaître son immense supériorité sur leur 77. Les créateurs de notre merveilleux canon de campagne ont donc bien mérité de la Patrie. Et nous sommes assurés que nos lecteurs seront heureux de posséder le portrait du général Sainte-Claire-Deville dont le nom reste glorieusement attaché à cette création.
Offrandes à la Patrie - A la fête des Saintes-Maries-de-la-Mer, les pêcheurs provençaux offrent leurs anneaux d’or à la Défense nationale
En 1792, on vit les citoyens offrir à la nation ce qu’ils avaient de plus précieux pour sauver la Patrie, et équiper les « poilus » d’alors, les soldats de Sambre-et-Meuse, de Valmy et de Jemmapes. Chacun déposa son or, son argent, ses bijoux précieux sur l’autel de la Patrie, dans l’espèce la tribune de l’Assemblée nationale. Les pêcheurs des Saintes-Maries-de-la-Mer ont récemment renouvelé ce geste généreux à l’occasion de la fête pittoresque qui se déroule chaque année sur le rivage de la douce Provence, à l’endroit même où, selon la légende, abordèrent sainte Marie-Madeleine, son frère Lazare, Marie Salomé et Sara l’Egyptienne.
Rappelons en deux mots la légende des Saintes-Maries. On sait qu’après la mort du Christ, tous ses fidèles furent éloignés de Judée. Lazare, Maximin, Sidoine, Marthe, Madeleine, Marie Jacobé, Marie Salomé furent entassés dans une barque sans voiles et sans gouvernail. Au moment où l’on allait pousser cette barque sur la mer, une femme accourut et demanda à partager le sort des malheureux qu’on livrait ainsi aux hasards des flots : c’était Sara l’Egyptienne, la servante des deux sœurs Marie Jacobé et Marie Salomé. Elle monta dans le frêle esquif qui partit à la grâce de Dieu et vint aborder aux rivages de Provence. Là, plusieurs exilés s’en allèrent vers le haut pays ; seules les deux Maries et leur servante Sara demeurèrent sur le rivage où elles avaient atterri. C’est là qu’elles moururent toutes trois après avoir édifié les habitants de la contrée par leurs vertus. Une chapelle fut élevée pour recevoir leurs restes ; et c’est sur l’emplacement de cette chapelle que fut élevée l’église fortifiée autour de laquelle se déroule chaque année la pittoresque procession des Saintes-Maries.
Ce village des Saintes-Maries est célèbre entre toutes les cités de la France pour la merveilleuse beauté de cette église qui daterait, s’il faut en croire la tradition, du premier siècle de notre ère et qui fut, en l’an 922, fortifiée par Guillaume-le-Grand. C’est à l’ombre de ses imposantes murailles crénelées que Mistral fait mourir Mireille, et cet épisode de l’illustre poème provençal n’a pas peu contribué à la célébrité de l’église des Saintes-Maries. Le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer est toujours très nombreux comme à la grotte de la Baume où vécut, dit-on, et mourut dans la pénitence sainte Madeleine. La procession, cette année, a parcouru le village pavoisé aux couleurs des Alliés et l’archevêque d’Aix a béni la mer et les barques des pêcheurs. Le touchant de cette cérémonie a été de voir, après vêpres, les pêcheurs apporter dans le plateau de l’offrande destinée à la Défense nationale les anneaux d’or qu’ils portaient aux oreilles, comme signe distinctif de leur profession. Ils donnaient ce qu’ils avaient de plus précieux.
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