105e semaine de guerre - Lundi 31 juillet au dimanche 6 août 1916
LUNDI 31 JUILLET 1916 - SAINT IGNACE DE LOYOLA - 729e jour de la guerre
MARDI 1ER AOUT 1916 - SAINT PIERRE-ES-LIENS - 730e jour de la guerre
MERCREDI 2 AOUT 1916 - SAINT ALPHONSE DE LIGUORI - 731e jour de la guerre
JEUDI 3 AOUT 1916 - SAINTE LYDIE - 732e jour de la guerre
VENDREDI 4 AOUT 1916 - SAINT DOMINIQUE - 733e jour de la guerre
SAMEDI 5 AOUT 1916 - SAINT CASSIEN - 734e jour de la guerre
DIMANCHE 6 AOUT 1916 - TRANSFIGURATION DE NOTRE-SEIGNEUR - 735e jour de la guerre
Revue de presse
- Combats acharnés au nord de la Somme
- Les victoires russes s'accentuent - Le bilan : 2 généraux, 651 officiers et 32,000 soldats prisonniers, 114 canons, dont 29 lourds, capturés
- Guynemer abat son onzième avion ennemi
- Lutte intense d'artillerie sur le front de Verdun
- Pression des Italiens au nord du mont Cimone - Plusieurs attaques autrichiennes repoussées
- L'anniversaire de l'invasion
- Des attaques allemandes dans la région de Verdun sont toutes repoussées
- Les attaques sur la Meuse pour masquer le recul sur la Somme
- Recul austro-allemand en Galicie orientale
- Des zeppelins sur l'Angleterre
- Sur la Somme où il se renforce, sur la Meuse où il attaque, nous dominons l'ennemi !
- Grave échec des Autrichiens dans la vallée de l'Astico
- Nos troupes ont repris Fleury et toutes les tranchées comprises entre Fleury et Thiaumont
- Le recul général des armées austro-allemandes sur le front russe
- La nomination de Hindenburg, généralissime sur le front russe, est considérée à Vienne comme une humiliation
- Un combat important est engagé près de Romani à l'est de Port-Saïd - Il semble favorable aux Anglais
Morceaux choisis de la correspondance
Comme ils espèrent que cette fuite des Allemands est proche, ce n’est pas la peine de chercher un appartement meublé.
31 juillet - ELLE.- Je rentre d’Epinal où j’avais quelques courses à faire et où j’avais demandé un rendez-vous à Gercet, ayant eu un vague mal de dents cette semaine. Il faisait très chaud mais en auto on n’en souffre guère. J’ai été chercher de l’argent à la banque, porter nos titres provisoires pour l’emprunt afin d’en avoir de définitifs, voir les tantes qui cuisaient dans leur jardin très étouffé. Gabrielle partira dans une quinzaine pour rejoindre son mari à Paris, elle s’installera avec ses enfants à l’hôtel où Pierre est déjà depuis 3 mois. Ils ne veulent pas prendre un appartement, car Pierre a reçu du directeur de la mine l’ordre de rejoindre Courrières dès qu’il sera libéré des Allemands ce qu’on espère prochain. Comme ils pensent que les Allemands auront abîmé les puits et détruit les plans des galeries et tous documents, il faudra que ce soient les anciens ingénieurs et mineurs qui y reviennent pour s’en tirer de leur mieux et remettre les choses en état. Pierre croit que le pays sera malsain et ne voudrait pas y ramener de suite sa femme. A ce moment elle reviendrait à Epinal et, comme ils espèrent que cette fuite des Allemands est proche, ce n’est pas la peine de chercher un appartement meublé. Au début de la guerre Pierre avait de suite eu un sursis de 6 mois et il reprendrait son action aussitôt que sa mine serait libre.
En somme dans les derniers combats on a peu avancé malgré les millions d’obus dépensés, et j’ai bien peur qu’on piétine encore sur place tout l’hiver.
Je suis comme toi, je me demande quelle est la chose qui donne tant d’espoir à de si nombreuses personnes. En somme dans les derniers combats on a peu avancé malgré les millions d’obus dépensés, et j’ai bien peur qu’on piétine encore sur place tout l’hiver.
Alors la Roumanie marchant, les Allemands sont obligés de venir au secours des Autrichiens, lâchent leurs tranchées si belles et profondes et se replient sur la Meuse.
Hier les officiers que Maurice avait invités, un capitaine d’auto fort commun qui m’a déplu, un capitaine d’artillerie qui a l’air d’avoir soixante ans, bon gros poussa qui semble fort, surtout au bridge, et le jeune Lafitte, leur chauffeur, se disaient bien informés et annonçaient que la Roumanie marcherait le 10 août, qu’on l’avait payée cher mais enfin qu’elle se mettait avec les Alliés. Je n’ai pas voulu les croire, depuis le temps qu’on se monte la tête avec ces balkaniques, on aurait bien mieux fait de ne pas tant compter sur eux. Alors la Roumanie marchant, les Allemands sont obligés de venir au secours des Autrichiens, lâchent leurs tranchées si belles et profondes et se replient sur la Meuse pour rétrécir leur front et avoir plusieurs corps d’armée libérés. Je crois qu’ils ne feront ce saut en arrière que s’ils se sentent perdus, car ils ne sont pas assez bêtes pour penser qu’on les laissera partir sans leur courir sus ou en leur laissant le temps de bien se réorganiser derrière la Meuse. Tout cela me semble avoir été créé dans le cerveau d’utopistes ou d’optimistes à outrance, qui voudraient voir leurs rêves se changer en réalités.
Que c’est loin de la vérité qui est hélas ! que tu es bien loin, réduit toi aussi à ne voir, à n’embrasser ta femme qu’en rêves, puisque la réalité est séparée de toi par de nombreux kilomètres et surtout une consigne sévère. S’il n’y avait que les kilomètres, les trains et ma Chenard seraient faits pour les parcourir, mais ces Messieurs de la prévôté, malgré mon air honnête, auraient tôt fait de m’arrêter et de me renvoyer garder mes oies ou mes enfants au lieu d’aller donner un baiser bien tendre à mon chéri. En été dans ta « cagna » il ne fait peut-être pas mauvais, nous jouerions à Robinson. Le lit ne serait peut-être pas bien large mais les baisers n’en seraient que meilleurs. Et puis je ne devrais pas penser à tout cela puisque c’est impossible. En tout cas, dès que les permissions de 24 heures seront rétablies pour Paris, tu pourras m’inviter et m’offrir à dîner à Paris, je serai très bonne et partagerai ma chambre avec toi, ceci pour te faire faire des économies pour que mon voyage ne te coûte pas trop cher. D’ailleurs les broches et leurs revenus nous permettent ce petit extra. Alors c’est entendu, je vais m’arranger à avoir toujours un laissez-passer prêt pour pouvoir me mettre en route du jour au lendemain.
Je t’aime mon Geogi et regrette tant de ne pas pouvoir te le dire tout bas, autrement que sur cet affreux papier. Bonnes tendresses. Ta Mi.
1er août - ELLE.- J’ai été obligée de demander à Mademoiselle Marchal de donner à André une leçon chaque jour de cette semaine, pour lui remettre en mémoire les différentes sortes de problèmes qu’elle lui avait fait faire au cours de cette année. Je lui ferai faire pendant les vacances les devoirs que ces demoiselles donnent à leurs élèves, car Mr Defer n’en fait pas faire et deux mois sont trop longs à passer en s’amusant toujours et, pour une mémoire d’enfant qui n’est pas encore profondément gravée mais n’est qu’effleurée par les diverses sciences, il ne lui en resterait rien. Tandis qu’en suivant le programme de ces demoiselles qui donnent des devoirs pour deux matinées par semaine, cela suffit à garder une teinte de chaque chose et en huit jours à la rentrée ils sont remis en train.
Tu rirais en entendant André raconter ce qu’on fait en classe, de huit à dix. On leur lit le journal et on leur en fait lire des passages. André sait très bien le prix d’une oie maigre ou grasse en Allemagne, etc. Grande récréation, puis copie jusque onze heures. « Je ne suis pas fatigué, allez, Maman, mais je m’ennuie ». Il a pris un livre pour lire dans ses moments inoccupés. L’après-midi, on rentre vers 1 heure ½, quand Mr Defer a fini de causer avec les passants, il est déjà un peu éméché et passe une grande partie de son temps à se mettre en colère. Les gamins lui attachent des bouts de papier aux pans de sa redingote, se moquent de lui par derrière, enfin c’est le modèle du désordre. Nous ne pourrons pas y laisser André l’année prochaine, il n’y apprendrait que du mal et serait trop en retard.
Nous ne prévoyions certes pas à ce moment-là que nous resterions si longtemps séparés et je crois d’ailleurs que, si les Français avaient pu prévoir la longueur de la guerre, ils seraient partis avec moins d’enthousiasme.
1er août - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre du 28 et comme je n’en ai pas reçue aujourd’hui j’en aurai certainement deux demain et peut-être une photo.
Je commence d’abord par te remercier de m’avoir envoyé mon nouvel uniforme. Il va à peu près bien et il n’y aura je crois que peu de retouches à faire. Le col me semble trop haut et me force à relever trop la tête, mais enfin c’est un détail d’autant plus que ma Mimi aime beaucoup que son Geogi se tienne bien. Les insignes d’artilleur par exemple ont été manqués et je les fais changer à Reims. Tu sauras ma petite mie que les numéros de régiments pour les officiers ne se mettent pas en chiffres noirs et que le liseré vert que tu as fait coudre sur l’écusson est l’insigne de l’artillerie lourde. J’aurai donc passé par toutes les armes : infanterie, artillerie lourde. Tu sais au fond moi cela m’est égal, seulement c’est ennuyeux quand on rencontre un chef et qu’il vous dit : « Ah, vous êtes dans l’artillerie lourde », d’être obligé de dire que le tailleur s’est trompé.
Ainsi donc, la guerre ne nous ruinera ni l’un ni l’autre. Il n’y aura guère que ces pauvres cultivateurs et les ouvriers mobilisés qui y auront perdu et pendant ce temps-là les autres s’enrichissent. C’est un peu immoral et je comprends que le gouvernement propose un impôt de 50% sur les bénéfices de guerre au-dessus du bénéfice normal.
Il y a quelque chose de changé et, si nous avons le courage de patienter, nous sommes sûrs d’être vainqueurs.
Ma petite mie, il y aura demain deux ans que je suis parti pour Besançon. Nous ne prévoyions certes pas à ce moment-là que nous resterions si longtemps séparés et je crois d’ailleurs que, si les Français avaient pu prévoir la longueur de la guerre, ils seraient partis avec moins d’enthousiasme. On ne peut pas dire évidemment que nos affaires marchent mal. Celles des Russes mêmes, s’il faut en croire les journaux et leurs communiqués dithyrambiques, iraient fort bien. Ce qui nous donne le plus de confiance, c’est que les Allemands ne semblent pas réagir comme ils l’eussent fait il y a un an dans pareilles circonstances. Est-ce un signe d’épuisement ou en tout cas de grande fatigue ? Je ne sais pas mais, quoi qu’il en soit, il y a quelque chose de changé et, si nous avons le courage de patienter, nous sommes sûrs d’être vainqueurs. Je voudrais cependant que notre patience ne fût pas mise à une trop rude épreuve, tu devines bien pourquoi ma Mie. Car sans toi, vois-tu, il n’y a pas de bonheur sur cette terre. Ne plus te voir, ne plus caresser sa petite mie et ne plus jouir de ses caresses, c’est bien triste et cela ne peut durer. Comme tu le dis, qu’est-ce que 18 jours de permission en une année !
Quand Dédé sera en vacances, il me racontera ses impressions sur sa première communion.
Il y a deux ans aujourd’hui tu venais de nous quitter et nous avions tous le cœur bien angoissé en songeant à tous ces dangers que vous alliez courir, à cette absence que nous pensions déjà longue, quelques mois, et qui dure des années… Ces deux dernières années de séparation nous pèsent tellement.
2 août - ELLE.- Il y a deux ans aujourd’hui tu venais de nous quitter et nous avions tous le cœur bien angoissé en songeant à tous ces dangers que vous alliez courir, à cette absence que nous pensions déjà longue, quelques mois, et qui dure des années. J’ai eu la chance à ce moment qui était déjà si douloureux, de ne pas songer une minute aux ennuis matériels, envahissement, incendie des maisons et usines, fuite avec les enfants, auxquels nous étions bien exposés en effet, presque dans la gueule du loup. Voir mon mari aimé partir m’oppressait à un tel point que je n’ai pas eu le courage, tu te rappelles, de t’accompagner à la gare. Ce n’était vraiment pas chic et depuis je me le suis tant reproché mais je n’aurais pas pu arrêter mes larmes et il valait peut-être mieux ne pas te montrer cette faiblesse, ni la faire voir au public. Quel orgueil, n’est-ce pas. M’en aurais-tu cru capable ? Mais au fond tout cela est très triste, ces deux dernières années de séparation nous pèsent tellement.
Mon pauvre chéri, je suis navrée car je vois que tu es impatient de recevoir mes photos. L’artiste de Paris payé à la commande ne daigne pas répondre aux lettres que je lui adresse. Je vais prier Marie Molard d’aller le secouer. Quant à celles que Maman avait prises, elles sont ratées, et je n’ai plus de plaques, il faut aller en acheter à Epinal. Pendant ce temps, mon Geogi attend et j’en suis désolée.
Notre fils André n’a pas été amélioré par sa 1ère communion. Il est bougon et frondeur tout à fait. A lui aussi, mais pour une autre raison, ton retour serait bon car il lui faudrait une bonne poigne pour le redresser. J’espère que ce n’est qu’un moment à passer et qu’il retrouvera ses bonnes qualités sous peu, car vraiment il est assommant. Les deux petits sont encore plus maniables. Ils vont très bien tous les trois. Ce beau temps est excellent.
3 août - ELLE.- J’ai reçu hier soir ta bonne grande lettre du 30 juillet et j’en ai été très intéressée.
Ton opinion au sujet de l’institutrice ne m’a pas étonnée, je la connaissais de longue date, elle concorde avec la mienne en beaucoup de points et je sais bien que ce n’est qu’un pis-aller. Si Mlle Marchal avait pu continuer à instruire André, je n’y aurais pas pensé et aurais même mis les deux petits à l’école aussi. Mais vraiment je t’assure il n’y a pas moyen de laisser André à la classe Defer inférieure en tout, instruction, éducation. Les enfants n’y sont pas surveillés et parmi les grands il s’y passe même des choses très laides comme mœurs. André est encore trop jeune pour apprendre le mal. D’autre part tu dis bien que certains jeunes gens rattrapent le temps perdu et arrivent aux écoles. Tu n’as plus en mémoire ce que tu faisais à son âge, mais j’ai vu le programme de huitième et septième et je me rappelle ce que faisait le petit Jean Biesse à son âge, il était autrement avancé qu’André.
J’avais songé à faire comme nous avions dit ensemble au Moulleau, à laisser André à l’école une partie du jour et à lui faire faire des devoirs l’après-midi et donner une leçon de Mlle Marchal à cinq heures. Mais Mlle ne peut pas accepter, car elle dit qu’elle se brouillerait avec Mr Defer, qui trouverait que c’est une atteinte à sa dignité. Elle en donne en ce moment mais en cachette et Noëlle y va avec André, pour qu’on ne dise pas que c’est André seul. Mais tu dis aussi que ce serait l’institutrice qui ferait les devoirs. Je ne le crois pas car elle n’aurait pas seulement André mais les deux petits, et il faudra bien qu’André travaille seul pendant qu’elle s’occupera des deux autres. Si j’étais plus forte comme santé j’aurais pu m’en occuper, mais je suis encore souvent fatiguée et il faut de la régularité pour les enfants. De même pour les promenades, ils n’écoutent pas les bonnes. Comme je marche très peu, je ne puis les accompagner, il faut aussi quelqu’un mais je t’assure que cela ne me réjouit pas. Et puis il faut trouver la perle rare. Je ne me décide pas à commencer les recherches, ce que c’est de ne pas savoir prendre de décisions, c’est stupide. Mais je sais que tu n’y tiens pas, moi je ne le fais non plus qu’à mon corps défendant et parce que je vois vraiment que nous ne pouvons trouver d’autre solution. André n’est pas assez fort pour être interne.
Pierre Mangin a obtenu son sursis, paraît-il. Je pense donc qu’il va rentrer à Cornimont. Gare, il va y avoir encore des cris dans bien des endroits, avec les directeurs, contremaîtres et employés habitués à ne plus être commandés.
Maurice a fait une révolution à Cheniménil et a renvoyé Marcel Poirot qui faisait le patron, devenait insupportable, voulait faire partir les Auptel pour reprendre la direction. Maman et moi avons trouvé que Maurice avait un peu brusqué les choses. Il n’a jamais été patient mais son séjour à l’armée où les officiers sont obéis avec soumission ne lui a pas donné l’habitude de patienter plus et il s’imagine que tout devrait aller comme en temps de paix. Mais c’est inévitable que des petits jeunes gens qui ont été laissés seuls maîtres un grand moment n’acceptent plus de réprimandes et deviennent des petits coqs. On aura bien du mal à reprendre la direction. C’est la même chose avec les bonnes.
3 août - LUI.- J’ai reçu hier ta bonne lettre du 30 avec la carte coloriée de Noëlle qui m’a fait plaisir. Tu diras à notre chérie qu’elle l’a très bien réussie. Aujourd’hui je n’ai rien reçu. Dis donc ma petite mie, est-ce que tu prendrais la détestable habitude de ne plus m’écrire un petit mot tous les jours. Tu vas trouver ton Geogi bien tyrannique pour une fois. Mais que veux-tu, une lettre de ta main, ne fût-elle que d’une page, lui fait tant de plaisir qu’il est tout étonné lorsqu’il n’a pas sa lettre habituelle.
Nous avons du très beau temps ici et préférons beaucoup cette grosse chaleur à la pluie continuelle des mois derniers, d’autant que nous n’avons pas grand chose à faire qu’à monter de temps à autre à l’observatoire ou aller à notre échelon. Je monte à cheval presque tous les jours, ce qui me fait beaucoup de bien et je lis beaucoup. As-tu reçu à ce propos les petits livres de la Bibliothèque nationale que je t’avais envoyés avant ton voyage à Paris. C’est très commode, on met cela dans sa poche et, si nous sommes forcés de partir subitement, nous pouvons les laisser ici car ce n’est pas coûteux.
Je me suis acheté un képi bleu clair, qui cadrera mieux avec mon nouvel uniforme que mon képi trop foncé, que je garde pour mettre avec l’autre. Comme je te l’ai dit, j’ai envoyé la vareuse à Reims pour transformer les écussons et mettre les chevrons soi-disant réglementaires. Mais tu sais, on n’en porte pas beaucoup sur le front et nous ne recevons pas les rubans que nous avons demandés pour en orner les uniformes de nos hommes. Je dois reconnaître cependant qu’avant leur départ en permission, presque tous se procurent ces galons, car ils craindraient de passer pour des embusqués.
Voici encore deux photos qui sont mal faites mais qui t’intéresseront peut-être. Garde-moi en tout cas celle de la batterie de St Thierry car c’est un souvenir. Toujours rien de Paris ! Quels lambins ces photographes ! Ils ne se doutent pas qu’il y a sur le front un petit mari qui voudrait bien avoir la photographie de sa petite mie adorée.
4 août - ELLE.- Tu me demandes si je grossis, je m’étais arrêtée dans ma courbe ascendante pendant mon séjour à Paris, mais depuis j’ai repris et atteins maintenant le joli chiffre de 58 kilos ce qui, pour ma petite taille, indique un état assez replet. Sans la fatigue, que je ressens encore pour un rien, je me porterais à merveille. Je dors bien, ai bon appétit et à condition que je prenne quelques petites précautions, mon estomac est aussi très sage. Le résultat ne me satisfait pas encore complètement, puisqu’il faudrait obtenir plus de résistance à la fatigue. Mais enfin le poids qui augmente est une preuve de progrès, espérons que le reste suivra.
Nos enfants vont très bien. Ils sont dans une excellente période comme santé, comme diablerie aussi par exemple. Ils aiment l’indépendance, comme tous les enfants je crois, et détestent la contrainte et l’obéissance passive. Hier ils sont allés se baigner dans la rivière. Robert n’a fait que se tremper les pieds, car le froid ne lui serait pas bien bon. Les deux grands étaient ravis mais ils sont comme leur mère d’une prudence un peu exagérée et avaient grand peur de se noyer. Ils ne s’enfonçaient que lentement. Pas loin de là se baignaient aussi des galopins, qui leur ont raconté que c’était la troisième fois qu’ils se baignaient dans la journée. « Ils sont bien heureux ceux-là, leur mère est à l’usine toute la journée et ils font tout ce qu’ils veulent ». Voilà l’idéal des enfants.
J’ai reçu une lettre de Marie Paul, qui n’est pas encore satisfaite de sa santé. Elle ne dort toujours pas et le bon air de St Gervais duquel elle attendait un bon résultat ne lui fait pas de bien. C’est bien ennuyeux pour elle et pour Paul, qui avait espéré voir la fin de tous ses malaises avec l’opération.
Nos meubles de Nancy sont en route pour Cornimont. Je pense y aller soit demain, soit lundi pour le déchargement. Georges Garnier viendra ici pour l’Assomption. Sa mère veut absolument que je le marie, elle ne se doute pas que ce n’est pas facile.
5 août - ELLE.- Je suis allée ce matin conduire Madame Bigaut à l’hôpital à Epinal. Elle est malade depuis quelque temps, son mari ne sait pas la soigner, elle a un caractère très bizarre, ses voisines venaient soi-disant près d’elle mais n’étaient d’aucun secours. Il fallait encore que Maman s’en occupe en plus de toutes ses autres besognes et malgré tout elle était mal soignée. Nous avons eu bien du mal de la faire entrer à l’hôpital où il y a maintenant si peu de place pour les civils. Heureusement dans ces circonstances qu’on est bien connu dans le pays, cela facilite beaucoup de choses.
Dédé m’a accompagnée et pour revenir s’est mis à côté de moi et a tenu le volant. Il prend déjà très bien ses tournants et aime ce sport. C’est le premier jour de vacances aujourd’hui. Monsieur Defer a pris un jour de plus car il va à Lyon voir son fils qui est au camp de la Valbonne. André a encore une leçon de Mademoiselle Marchal ce soir, puis ce sera fini. Il n’aura plus que ses devoirs de vacances, soit deux matinées par semaine, ce sont comme je te l’ai dit les devoirs de l’école des filles, car Maître Defer a fermé son école sans donner un seul devoir. Il verra dans deux mois comment il retrouvera ses élèves.
Je te joins le modèle de la broche que je me suis choisie chez Noury à Paris pour que tu voies comme elle est jolie, en attendant que tu l’admires sur moi dans un mois quand tu reviendras. Je suis presque honteuse d’acheter de si jolies choses en temps de guerre. Quand mon pauvre petit mari vit dans la boue, sous terre et privé de tout confort, je devrais prendre part à tes privations. Je pense bien à toi et espère que ton retour ne tardera plus trop, n’est-ce pas, pousse un peu à la roue.
En attendant, je t’envoie mon chéri mes meilleures tendresses. Ta Mi.
5 août - LUI.- La poste est toujours la même. Voilà deux jours que je n’avais rien reçu de toi et le vaguemestre me remet aujourd’hui à la fois tes trois bonnes lettres du 31 juillet et des 1er et 2 août. Merci, ma bonne chérie, d’être toute disposée à faire le long voyage fatigant de Paris pour venir m’y rejoindre dans le cas où j’aurais une permission de 24 heures. Mais d’abord, on ne parle plus de ces permissions pour le moment, Déon seul en a profité et je crois qu’il faut attendre quelque temps. De plus, je vais revenir en permission vers la mi-septembre et je préférerais plutôt te voir entre les deux permissions. Enfin, raison principale, je crains que ce voyage ne te fatigue beaucoup. Il faudrait pour bien faire que tu consentes à passer au moins quelques jours à Paris, afin de ne pas faire deux voyages séparés simplement par quelques jours. Tu penses bien, ma bonne chérie, que je serais ravi de te revoir et, quand je pense aux bons moments que nous pourrions passer dans notre petite chambre d’hôtel où l’on est si tranquille, quand je pense aux baisers qu’on s’y donnerait et dont moi je suis si gourmand, j’ai bien envie de te dire de prendre le train et de courir chez le commandant pour tâcher d’être libre pendant deux jours. Seulement comme cela ne servirait à rien, du moins à l’heure actuelle, je suis forcé de patienter et de te recommander simplement de bien chauffer notre chambre quand je reviendrai (il fait déjà froid en septembre) et de ne pas attendre le soir pour le faire puisque j’arriverai à 10 heures du matin.
Je reçois une lettre du petit Père que je t’envoie. Si tu es d’accord je lui dirai que je ne suis pas pressé de vendre mais que, cependant, si mes frères sont d’avis, je ferai comme eux, ne voulant pas en tout cas augmenter ma part. Comme nous n’avons pas besoin de cela pour vivre, j’aurais autant aimé garder cette propriété qui plus tard peut être une bonne affaire et puis je me défie d’un acheteur qui la paierait 400 000 comptant. Il faudrait avoir des garanties et connaître ledit acheteur.
Pour Dédé, comme je te l’ai dit, nous en causerons en septembre mais c’est bien assommant s’il faut déjà le mettre au collège. Il me semble cependant qu’avec quelques leçons de Mlle Marchal cela pourrait marcher.
Tu remercieras notre petit Robert de sa bonne lettre. Je me réjouis en effet de constater comme il sait bien lire.
5 août - JMO 5e RAC/Groupe 95.- Les batteries 44 et 45 exécutent des tirs de destruction sur les réseaux de fils de fer faisant 2 brèches permettant au 62e d’infanterie de faire un coup de main en vue de ramener des prisonniers. Extrait de la Décision du 62e à la suite de cet exercice : « L’artillerie, sous la direction du commandant Giraud, a su, par un tir d’une merveilleuse précision, soutenir nos efforts. Les fantassins savent le précieux appui que leur apportent leurs camarades de l’artillerie ; ils leur en sont toujours reconnaissants. Le colonel commandant le 62e régiment d’infanterie. Signé : Courcy ».
J’attends le fameux 10 août avec impatience puisque c’est le jour où la Roumanie doit se mettre en marche.
6 août - ELLE.- J’ai reçu hier soir ton mandat de trois cents francs, mille grâces.
Nous avons reçu la nuit dernière la visite d’avions allemands, personne ne s’en est douté d’ailleurs, ce n’est que le matin qu’on s’en est aperçu en trouvant dans tous les environs des petites feuilles imprimées à Berlin, dans lesquelles on nous annonce que des aviateurs français sont venus lâchement tuer d’innocentes personnes à Carlsruhe, Mulheim, Fribourg, etc., etc., qu’il y a eu des centaines de victimes, que ces villes n’avaient aucune importance militaire et qu’ils vont user de représailles. Quel toupet.
Ensuite ils écrivaient : Français vous êtes vendus à l’Angleterre par votre Poincaré qui en est l’esclave, ne serez-vous pas bientôt las de vous faire tuer pour l’Angleterre, c’est votre sang qui coule, etc., etc. Ils voudraient sans doute que l’alliance se rompe. Toutes ces feuilles ont beaucoup amusé tout le village. Il faut croire que l’état-major s’attend à quelques incursions car depuis deux jours on éteint toutes les lumières du village, on a reçu avis de fermer tous les volets des maisons ou de mettre des rideaux opaques et on a posé un timbre à l’usine qui doit résonner quand un avion est signalé et on doit éteindre immédiatement et attendre un nouvel appel avant de rallumer. Je pense qu’une de ces nuits prochaines on va faire un essai. Comme nous avons un centre d’aviation à
J’attends le fameux 10 août avec impatience puisque c’est le jour où la Roumanie doit se mettre en marche.
Tendresses, mon Geogi adoré, j’embrasse ton petit cou chéri que j’aime tant. Ta Mi.
Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 06/08/1916 (N° 1337)
Le général Fayolle - Commandant l’armée de la Somme
Le général Fayolle, qui commande l’armée de la Somme, était dans le cadre de réserve comme brigadier depuis le mois de mai 1914, lorsque la guerre éclata. Il reprit aussitôt du service et recevait bientôt sa troisième étoile, en mai 1915. Il commandait la 70e division, à la tête de laquelle il fut glorieusement cité à l’ordre du jour, quand il fut appelé, voici quelques mois, au commandement d’un corps d’armée, puis d’une armée. Le général Marie-Emile Fayolle est né le 14 mai 1852, au Puy (Haute-Loire). Il a fait sa carrière militaire dans l’artillerie. Il est considéré comme un chef particulièrement énergique et actif.
Ayant reçu, ces jours derniers, de sa ville natale, une adresse que lui envoyait le Conseil municipal, le général Fayolle répondit dans les termes suivants : « Je remercie le maire, les adjoints et les conseillers municipaux de la ville du Puy des félicitations qu’ils ont bien voulu adresser aux vaillantes troupes de l’armée de la Somme ; fières de ce témoignage de sympathie, elles continueront à poursuivre avec la même ardeur, la même confiance, l’œuvre de délivrance, d’où notre patrie sortira plus grande et plus forte que jamais. »
Comment, le 14 juillet, les Anglais célébrèrent le « France’s Day » à Bazentin
C’est un blessé qui a raconté à notre confrère le ‘Daily Mail’ comment lui et ses camarades, le 14 juillet, célébrèrent héroïquement la fête nationale française. Nous savions tous, déclara ce blessé, que c’était le « France’s Day » et je ne sais pas si, dans leur imperturbable résolution dans l’assaut, dans leur façon de tirer qui ont caractérisé tous les mouvements de nos troupes, depuis le commencement de l’assaut, nos gaillards n’ont pas, vendredi dernier, emprunté quelque chose à nos braves alliés français, comme une sorte de tribut à la nation française. Je veux dire qu’ils ont fait preuve, et beaucoup, de cet élan vigoureux, de cette bravoure, de cette fougue qui appartiennent aux troupes françaises. Le premier jour de l’offensive actuelle, c’est-à-dire le 1er juillet, fut épique. Vendredi, tel que je l’ai vu, a été glorieux. On me dit qu’ici, en Angleterre, vous avez rendu le 14 juillet un grand hommage à nos braves alliés. Eh bien ! je ne pense pas qu’il ait été plus beau que celui que lui ont rendu nos braves soldats entre Ovillers et Longueval. Tous connaissaient le « France’s Day » et vendredi notre cri était : « La belle France ! » et : « Vivent les Français ! » Cela a dû paraître bien drôle aux boches.
Voilà, nous devions prendre ce point que vous voyez sur la carte (Bazentin). Nous nous dirigeâmes par quatre pelotons. Le mien était le troisième. Master Boche fit une chaude réception aux deux premiers et au mien, spécialement au second et au mien. Les deux premiers devaient atteindre la première et la seconde tranchée. Ils le firent vraiment bien. A ce moment, les mitrailleuses allemandes se mirent en mouvement. Je puis vous donner ma parole que la moitié de mes hommes sautèrent dans la tranchée boche, sans une arme dans les mains. Beaucoup d’entre eux avaient eu leur fusil brisé. Je n’ai jamais rien vu de plus beau de ma vie. Mes hommes ne faisaient pas plus attention aux baïonnettes boches que si elles n’existaient pas. Je n’ai jamais vu pareille furie. C’étaient de véritables diables en rage avec leurs cris incessants de : « Vive Français ! Français for ever ! » Voir tous mes gars taquiner le boche avec les mains et les bras nus, cela vaut la peine de vivre… ou de mourir. Un commandant de ma section, descendu dans la tranchée, prenait les boches par le fond de la culotte et par le cou et les lançait par-dessus le parapet, et ils venaient rouler dans les restes de leurs fils de fer barbelés. « Dégringole ! », hurlait-il et, je ne sais quoi encore, le diable m’emporte. En tout cas, il les mettait hors d’usage, vous savez, (‘out of business all right’). Et en même temps mes hommes nettoyaient la tranchée en se servant de bombes allemandes. Nous n’avons rien laissé de vivant. Je ne crois pas que le kaiser ait dans sa garde prussienne un peloton qui aurait pu vivre devant mes gaillards aux bras nus, vendredi. Par Dieu ! c’était un grand jour, c’était le « France’s Day » à Bazentin.
Ajoutons à cette relation pittoresque un détail qui montre tout le découragement des Allemands devant la puissance de destruction de l’artillerie anglaise et le formidable élan des troupes britanniques. Un commandant allemand fait prisonnier dans un abri cimenté, ne pouvait cacher sa surprise : « Si vous pouvez franchir nos lignes ici, disait-il, vous pouvez les franchir partout. Pourquoi ne le faites-vous donc pas tout de suite ‘pour qu’on en finisse enfin’ ? »
Les instantanés de la guerre (photos)
Les cinématographistes prenant des éclatements d'obus
Russes creusant des tranchées
Rencontre de poilus russes et français dans un boyau
Transport des troupes anglaises à l'aide de péniches sur la Somme
Un régiment défile devant les ruines de Clermont en Argonne
La Somme à Frise
Scaphandrier relevant des mines à Salonique
Artillerie française et anglaise dans le bois de M… (Somme)
A Salonique - Nos soldats ont des moustiquaires
Le mat de cocagne des alpins
Les instantanés de la guerre (photos)
Train stratégique transportant des munitions
Dans la Somme - Sous-officiers français et anglais fraternisent
Types d'Australiens
Arrivée de prisonniers allemands à Southampton
Un des gros canons capturés au N.-E. de Reims
Une revue avant le départ pour les 1res lignes
Le petit lion mascotte de l'aviateur russe Effimof
Proyard (Somme)
A Salonique - Les Serbes transportent des munitions sur radeau
Au même dépôt - Le plus grand et le plus petit de la classe 17
Thèmes qui pourraient être développés
- Italie - Grave échec des Autrichiens dans la vallée de l'Astico
- Russie - Le recul général des armées austro-allemandes sur le front russe
- Autriche - La nomination de Hindenburg, généralissime sur le front russe, est considérée à Vienne comme une humiliation
- Marine - Un sous-marin boche à Londres
- Placements - Titres provisoires pour l'emprunt (avant d'en avoir des définitifs)
- Industrie - Réouverture des mines (ex. Courrières)
- La Roumanie a été payée pour se joindre aux Alliés
- Prisonnier - Coups de main pour faire des prisonniers
- Armée - Insignes d'artilleur, écusson et chevrons réglementaires
- Religion - Appel du cardinal Luçon à Benoît XV
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- Pologne - Un projet allemand pour écarteler la Pologne
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- Santé - Hôpitaux : peu de place pour les civils
- Turquie - Constantinople, bombardé par un sous-marin allemand
- Aviation - Mise en place d'une sirène pour alerter en cas de passage d'avions
- Général Fayolle, commandant l'armée de la Somme (Portrait dans LPJ Sup)
- Nourriture - Mets de siège (LPJ Sup)
- Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
- Front - Cagna - Abri militaire
- Tracts de propagande allemande antibritannique et signalant les nombreuses victimes allemandes innocentes de bombardements par des aviateurs français
- Religion - Fête religieuse - Saint Pierre-ès-Liens - 1er août
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