102e semaine de guerre - Lundi 10 juillet au dimanche 16 juillet 1916
LUNDI 10 JUILLET 1916 - SAINT SYLVAIN - 708e jour de la guerre
MARDI 11 JUILLET 1916 - SAINT PIE - 709e jour de la guerre
MERCREDI 12 JUILLET 1916 - SAINT JEAN GUALBERT - 710e jour de la guerre
JEUDI 13 JUILLET 1916 - SAINT ANACLET - 711e jour de la guerre
VENDREDI 14 JUILLET 1916 - FETE NATIONALE - SAINT BONAVENTURE - 712e jour de la guerre
SAMEDI 15 JUILLET 1916 - SAINT HENRI - 713e jour de la guerre
DIMANCHE 16 JUILLET 1916 - NOTRE-DAME DU MONT CARMEL - 714e jour de la guerre
Revue de presse
- Les Russes franchissent le Stokhod - En Galicie ils ont occupé Delatyn - Nombreux prisonniers et important butin
- Avance italienne au Haut Astico, au mont Chiesa, au pas de l'Agnella et au col de San-Giovanni
- La bataille de la Somme se poursuit avec énergie et méthode
- Violentes attaques allemandes au nord de Verdun
- La grève générale en Espagne
- La crise alimentaire en Allemagne
- Rudes combats d'artillerie et d'infanterie sur le front britannique
- La propagande allemande au Maroc
- La nouvelle opposition en Hongrie
- La grève des cheminots en Espagne
- La gloire aux morts, le salut aux vivants - Le Président de la République remet un parchemin aux familles des soldats morts pour la Patrie - Les troupes défilent dans Paris à travers une magnifique ovation
- Les Allemands avouent leur défaite de la Somme
- Succès italiens à la Posina et au Tofana
- La révolte arabe - Il ne reste plus de trace de l'hégémonie turque à la Mecque
Morceaux choisis de la correspondance
10 juillet - ELLE (Nancy).- Nous sommes dans le pauvre appartement de Mère, très en désordre naturellement puisqu’il a fallu vider armoires et tiroirs pour en partager le contenu. J’aurais voulu que le déménageur vint aujourd’hui puisque nous avions déjà fait le partage hier mais il paraît qu’il n’a pas d’ouvriers aujourd’hui, cela va donc nous retarder d’un jour ou deux.
Nous avons pris nos repas hier chez l’oncle Jules et aujourd’hui nous allons chez Madame Lanique. Georges Garnier m’a parlé longuement hier soir de ses projets. Il est très indécis et ne sait pas que faire, surtout au sujet de son mariage. Moi je croyais, d’après ce que m’avaient dit les Vautrin, qu’il aimait Mlle Gilbert. Mais il m’a dit qu’elle était plus âgée que lui et que son père était mort très jeune, ainsi qu’un oncle, de la poitrine, qu’elle avait donc de mauvais antécédents de santé et qu’il n’avait jamais songé à la demander. Il se rend compte qu’il aura du mal de trouver ce qu’il désire étant donné que son passé n’est pas sans tache. Il est pourtant bien gentil et sérieux et quand on le voit comme cela on a peine à croire qu’il a le caractère difficile dont se plaignent ses parents. Il m’a dit qu’il s’installerait très volontiers à la campagne, mais je me demande si la lassitude ne viendrait pas bientôt. On voit qu’entre son père et lui, il y a bien peu de points communs et d’intimité. Il est parti à Charmes ce matin à 7 heures, je ne l’ai pas vu d’ailleurs et il revient le vendredi dans la matinée. Tante Caroline rentre de Challes ce soir.
Je ne reviendrai pas avant le 15 septembre, deux longs mois encore, quelle misère !
10 juillet - LUI.- J’ai reçu hier ta bonne lettre du 7 juillet et aujourd’hui celle du 8. Oui tu es passée bien près de moi et c’est vraiment dommage que nous n’ayons pu nous voir. Ma petite Mie, il eût fait si bon. Enfin demandons, si l’offensive ne doit pas continuer, qu’on ne supprime plus les permissions qui viennent d’être rétablies. Mais malgré tout je ne reviendrai pas avant le 15 septembre, deux longs mois encore, quelle misère.
Te voilà bien contente d’avoir retrouvé tes bons chéris. Tu vas maintenant bien te reposer de ton séjour à Paris afin que lorsque ton Geogi reviendra il te trouve resplendissante de santé.
Je te remercie des petites gâteries que tu m’as envoyées. Tout cela était parfait, bouillabaisse et chocolats. J’ai reçu la paire de chaussures que tu m’avais fait envoyer et t’en remercie. Voici les mesures pour mon nouvel uniforme. Mais je dois te prévenir que l’ancien tailleur de ma batterie est parti et que le nouveau a la réputation de ne pas beaucoup s’y connaître. Je crois que tu ferais mieux de te baser sur les anciennes mesures.
Je suis très content que ton manteau d’astrakan te plaise et je me réjouis de t’admirer mais tu sais, ma Mi, ce serait encore bien plus joli, si après t’avoir admirée vêtue de ce beau manteau, il suffisait de l’ouvrir pour admirer tout de suite les jolies choses qu’il contient. Tu vas encore dire que ton Geogi est un petit fou, lui que tu appelles le sage, et qu’il confie à la correspondance des choses qu’il ne devrait pas dire. Mais comme je te l’ai déjà dit ma petite mie, il n’est pas sage du tout ton Geogi quand il pense à sa petite femme si chère et il l’adore trop pour pouvoir taire longtemps ses sentiments.
Quand me reviendras-tu, sera-ce pour toujours cette fois ?
11 juillet - ELLE (Nancy).- Le déménageur ne peut ou ne veut pas faire le chargement de mes meubles avant quelques jours. J’ai été chez lui hier après-midi plusieurs fois il n’y était pas. Je ne veux pas attendre ici son bon plaisir et rentre demain à Docelles.
J’ai reçu les confidences de Georges Garnier, qui voudrait se marier, de tante Caroline ce matin, qui est venue causer avec moi avant que je me lève. La pauvre Tante est toujours bien triste en pensant à ce qui s’est passé pour Georges, à Louise. Maintenant, ils sont satisfaits de voir Georges essayer une vie plus active. L’oncle Jules a dit hier soir à sa femme que ma visite avait fait du bien à Georges, qu’il y avait longtemps qu’il ne l’avait vu aussi gai. Gai ? Je trouve qu’il ne l’est pas, on voit au contraire que c’est un garçon qui a un caractère très concentré, habitué à vivre replié sur lui-même, à s’analyser. Il a des sentiments très délicats, beaucoup de tact, mais évidemment manque d’entrain et de jeunesse et d’enthousiasme.
Je ne le vois pas amoureux de sa femme comme toi mon Geogi si chéri, qui sais si bien aimer, avec un si grand cœur et de si douces paroles. Toi, tu es le meilleur de tous les maris et je suis folle de toi, tu sais, mais aussi bien en mal. Quand me reviendras-tu, sera-ce pour toujours cette fois.
Ici on est très calme, je n’ai pas vu de bombardement et aurai passé ma guerre sans voir un obus.
Se bat-on beaucoup de ton côté, on vous oublie dans les communiqués, ce qui me fait espérer qu’il y fait moins chaud qu’ailleurs. Ici on est très calme, je n’ai pas vu de bombardement et aurai passé ma guerre sans voir un obus. Hier soir à 10 heures et à minuit on a sonné le tocsin et tiré sur des taubes, mais ce n’était pas du tout impressionnant.
A toi tout mon cœur, chéri. Ta Mi.
Tous les Nancéiens se sauvent croyant que Nancy sera anéantie le 14 juillet.
12 juillet - ELLE (Epinal).- Me voilà enfin tout près du retour, bien contente de rentrer car je commence à être fatiguée, et fâchée pourtant de revenir sans même avoir fait mon déménagement, et sans avoir pu m’entendre avec le déménageur. Je l’ai attendu en vain hier et avant-hier, suis allée chez lui sans succès et finalement c’est Marie Molard qui s’est chargée de le voir aujourd’hui et de fixer un jour. J’espère ne pas être obligée d’y retourner. J’ai donné ma liste à tante Caroline qui veut bien se charger de surveiller le chargement. Il n’y en a encore pas pour longtemps et, comme elle semble vouloir me rendre service, j’en profite.
Excuse mon écriture. Ce matin je pensais t’écrire de Nancy à Epinal, mais il y avait une telle foule à la gare, tous les Nancéiens se sauvent croyant que Nancy sera anéantie le 14 juillet et quoiqu’arrivée plus d’une demi-heure avant l’heure du train (félicite-moi), il a fallu bondir dans le premier wagon venu au moment du départ tellement j’avais perdu de temps pour l’enregistrement des bagages, et j’étais fort mal installée, j’ai remis ma lettre à plus tard. Maintenant j’ai été déjeuner chez tante Lucie, ai vu Gaby et son bébé en fort bon état, mais au dernier moment on est venu prévenir qu’une montre perdue par Maman ces jours derniers à Epinal avait été retrouvée. Je suis donc allée la chercher bien vite et donner une gratification. Ayant marché vite, ma main tremble un peu et avec la vitesse du train, cela fait un griffonnage de folle, mais tranquillise-toi, je suis très d’aplomb, quant à la tête tout au moins, et le reste reviendra avec le repos.
Ce matin, j’ai passé chez Paul en arrivant, et n’ai vu que Gustave. De là je suis allée à la Banque de M. et, puisque tu m’as permis d’acheter des roubles, en te moquant de moi un peu Monsieur mon mari c’est très vilain, j’en ai parlé au directeur. Il m’a conseillé d’acheter plutôt de l’emprunt russe, car de cette façon je bénéficie du change et en même temps d’un plus fort intérêt que celui qu’il m’aurait donné comme dépôt de roubles en banque. Il ne me donnait que 3 ½ tandis que l’emprunt donne 5 ½, avec la différence de taux d’émission et du change cela fait du 7 ½. J’en ai pris pour 50 000fr, il y avait 30 000, virement que j’ai fait faire des Héritiers, 11 000 et quelques, intérêts de ton compte chez Paul, les coupons de Cheniménil et de St Gobain et j’achèverai le reste quand j’aurai les coupons de la Vologne. Tu vois que je commence à savoir faire les comptes.
J’ai reçu ta bonne lettre du 8 mon bon chéri, mais je voudrais bien que la poste soit plus régulière pour toi et que tu aies ta lettre journalière, ce serait bien plus agréable que d’en avoir 3 à la fois.
12 juillet - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre datée de Nancy. J’espère que tu ne t’y seras pas trop fatiguée et que les boches auront attendu que tu sois partie pour recommencer le bombardement de cette bonne ville, d’ailleurs assez peu fréquent.
Je suis depuis quatre jours au fort St Thierry, pour remplacer le commandant parti en permission. Le brave homme a prétexté le mariage d’une cousine pour demander aux jeunes sous-lieutenants qui restent encore à partir pour le 3ème tour de lui céder leur place. Cette permission lui comptera pour son quatrième tour, mais enfin il gagne ainsi presqu’un mois.
Pierre Mangin a bien tort d’avoir des velléités politiques car tu peux être sûre qu’il ne réussira pas. Il n’a rien de ce qu’il faut pour cela et comme il aura comme concurrent Flayelle, qui peut dépenser tout autant que lui, il sera battu.
13 juillet - ELLE.- J’étais si fatiguée hier en rentrant qu’après avoir causé avec Maman et les enfants un petit moment, je me suis couchée. Les enfants sont allés avec leur âne chercher mes bagages laissés en gare et Elise a déballé ma malle, c’est une opération que j’aime faire moi-même en général mais vraiment je n’en étais pas capable. Ce matin cela va beaucoup mieux et c’est plutôt par paresse et plaisir que je reste couchée plutôt que par besoin.
Toujours la pluie. On en est désolé pour les foins, dont la moitié n’est pas rentrée et qui seront de très mauvaise qualité. Tout le long de mon parcours j’en voyais des masses non fauchées encore ou des tas qui avaient été fanés et qui baignaient dans l’eau. C’est malheureux, particulièrement cette année où il aurait fallu du beau temps pour remplacer les hommes absents et faire du bon ouvrage.
Paul Boucher est en ce moment à Raon-aux-Bois à faire des manœuvres, la division d’Alsace y a été envoyée et va partir sans doute après ce repos vers un secteur plus actif, Verdun ou Somme. C’est le sort de tous ceux qui viennent à ce camp d’Arches, soit de ceux qui y viennent se reformer après un choc trop rude, soit ceux qui se préparent à en recevoir.
J’ai vu à Nancy l’abbé Hamant, qui a gardé de sa rougeole toute une éclosion de petits boutons à la face qui ne l’embellissent pas, heureusement qu’il n’a personne à embrasser. Il allait partir à Paris, de là Poitiers, Angoulême où il voulait faire une visite à Maguy, et Périgueux chez des cousins et vers le 15 août se trouver aux environs de Grenoble dans une famille, pour y faire travailler un garçon jusqu’à la rentrée. Il est toujours d’avis que les vacances sont le plus beau temps du professeur.
André Kempf a été reçu en philo, d’ailleurs Mr L’Abbé dit qu’on en a reçu 100%. Jamais il n’a vu une telle fantaisie. Au milieu d’une composition de physique, le tocsin a sonné, tous les élèves sont descendus à la cave, se sont communiqués leurs devoirs et tous ont eu la même faute. C’était vraiment un plaisir de passer son baccalauréat cette année, à Nancy tout au moins. Ceci ne veut pas dire qu’André Kempf n’avait pas la science voulue.
Deux ans d’occupation militaire auront plus abîmé notre maison que si nous y avions vécu.
14 juillet - ELLE.- Je ne t’ai pas encore dit qu’en voulant détacher le coupon 2 des actions Cheniménil pour le faire toucher en banque, j’ai trouvé le coupon 1 qui y était encore attaché. Maman et Georges ne l’ont plus, j’ai demandé à Paul et Adrien qui ne l’ont plus et Maurice croit te l’avoir payé. As-tu un souvenir de la chose, peut-être as-tu oublié de lui renvoyer le coupon ? La banque s’offrait à me le payer mais j’ai préféré attendre plutôt que d’avoir à le rembourser. Dans ton livre je vois qu’en 1913 on a donné 5% mais il n’y est pas question de coupon. Jusqu’alors j’avais espéré trouver une indication à ce sujet sans avoir à t’en parler, car c’est déjà bien loin et tu as été forcément si étranger à toutes ces choses depuis deux ans qu’il se peut très bien que tu les aies oubliées. Enfin si tu te rappelles avoir touché tu me le diras, autrement j’attendrai que Maurice revienne ici et regarde ses livres.
Le Grand-Meix a donné 217. Parfaitement, oui, Madame était dans la jubilation.
Moi je le suis beaucoup moins car j’ai un Dédé qui devient de plus en plus flemmard. Il est dans un mauvais moment comme caractère et comme ardeur, il grogne sur tout, devient garnement et traîne sur ses devoirs. C’est le mauvais âge qui commence, j’espère que cela ne durera pas et qu’on lui retrouvera ses qualités d’ici peu.
Robert a fait des progrès en lecture, il saura juste lire pour ses 6 ans le 27 juillet.
As-tu pensé à écrire à Henry pour sa fête, c’est demain, et Maguy c’est le 20.
Marie Molard doit être à Bayon ces jours-ci, elle devait y partir hier soir après avoir fait son déménagement et s’attendait à y trouver bien des dégâts. Ses gens ont enterré tout ce qu’ils croyaient avoir de la valeur, même les ivoires, des éventails anciens, etc., elle en a déjà déterré une partie la dernière fois qu’elle est allée à Bayon et a trouvé beaucoup de choses endommagées. Pour une fois, moi qui n’ai pas eu tant de soin, cela m’a mieux réussi. Ce que nous avons caché ensemble était mis dans une boîte de fer et n’a pas pâti de son séjour en terre, et le reste, meubles et jolis bibelots que j’avais laissés en place prêts à être cueillis par les Allemands se sont joliment bien trouvés de n’avoir pas été transportés et cachés dans des endroits plus ou moins bien choisis. Cela ne veut pas dire que je n’aurai rien à remplacer au retour, deux ans d’occupation militaire auront plus abîmé notre maison que si nous y avions vécu, mais je ne m’en fais pas de soucis, pensant que mon chéri mari m’ouvrira les crédits nécessaires. Ce sont surtout les gouttières qui m’inquiètent. Il faudra que nous fassions venir quelqu’un du métier ou que nous changions notre toit car il y a vraiment quelque chose de défectueux.
Je me suis levée aujourd’hui, mais caresse ma chaise longue qui me fait grand bien, je suis à la véranda, il y fait très bon mais ce n’est pas encore le beau temps, c’est malheureux pour les cultures.
14 juillet - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre de Nancy. Tu t’es encore fatiguée dis-tu. Tu as peut-être voulu aller un peu trop vite afin de retrouver rapidement tes enfants chéris. Comment as-tu fait, ma petite mie, pour te passer d’eux pendant plus de quinze jours. Enfin tu vas maintenant bien te reposer et continuer à grossir pour que tu sois tout à fait bien portante pour mon retour. En tout cas tu as joliment fait de ne pas t’occuper toi-même du transbordement de tous ces meubles. Je suppose que tu les as envoyés à Cornimont et que tu ne t’en occuperas pas.
Je plains en effet les pauvres parents Garnier. Tu me disais dans une de tes lettres que Henri de Reure songeait à se marier. Evidemment ils ne peuvent rien dire ni rien faire pour l’empêcher. Mais mets-toi à leur place, c’est quand même un gros crève-cœur pour eux et crois-tu vraiment qu’HdeR viendrait chercher une femme à Nancy et n’a pas déjà fait son choix s’il en a parlé à ses beaux-parents. Bénissons le bon Dieu ma petite mie de nous avoir donné le bonheur et demandons-lui qu’il nous continue sa protection et, lorsque nous sommes un peu las de cette trop longue séparation, regardons autour de nous et voyons combien sont plus malheureux que nous.
Oui je me dis tout cela, ma petite Mimi, mais cela n’empêche pas que comme toi je suis fort en mal et que j’ai hâte de te revoir et de sentir ton petit corps adoré tout près du mien. Ce ne sera sans doute pas encore pour toujours que je reviendrai la prochaine fois au mois de septembre, mais j’espère toujours que nous nous retrouverons définitivement pour la fin de cette année.
Les jours passent sans amener de grands changements, les premiers jours de juillet avaient fait espérer de belles choses, mais je ne crois pas que ce soit encore la grande envolée qui doit faire finir la guerre en octobre. Cela allonge indéfiniment les jours que nous passons loin l’un de l’autre.
N’avoir que les boches à exterminer ou à regarder à la lorgnette, cela finit par être dur à la longue et il vaudrait bien mieux contempler ta petite femme, n’est-ce pas Geogi.
On ne nous donne que 18 jours et 18 nuits à passer ensemble par an, c’est vraiment peu large !
Je t’écris tous les jours pour te forcer à penser à moi, c’est presque de la tyrannie.
15 juillet - ELLE.- Les jours passent sans amener de grands changements, les premiers jours de juillet avaient fait espérer de belles choses, mais je ne crois pas que ce soit encore la grande envolée qui doit faire finir la guerre en octobre comme l’a si bien parié ton frère Paul. Il en sera pour son pari et pour le dîner au restaurant qui en était l’enjeu et moi je le déplore car cela allonge indéfiniment les jours que nous passons loin l’un de l’autre. Je suis encore moins à plaindre que toi car j’ai mes enfants, moitié de moi-même, et la vie presque normale, tandis que toi, tout seul pauvre chéri, vivant en veuvage, sans femme pour t’aimer, sans enfants pour t’occuper. N’avoir que les boches à exterminer ou à regarder à la lorgnette, cela finit par être dur à la longue et il vaudrait bien mieux contempler ta petite femme, n’est-ce pas Geogi, même faisant la paresseuse sur sa chaise longue comme ces jours-ci. Elle devient bien présomptueuse, ta Mie, tu vois, mais tu lui dis si souvent qu’elle te manque énormément qu’elle finit par le croire. T’imagines-tu que nous sommes des vieux mariés de dix ans. Dans d’autres ménages on commence à faire chambre à part, nous ne paraissons pas prêts à le faire. Il est vrai que la guerre nous y oblige puisqu’on ne nous donne que 18 jours et 18 nuits à passer ensemble par an, c’est vraiment peu large. On voit que nos généraux ont tous soixante ans passés et que l’amour n’a plus pour eux tant de charmes, sans cela ils auraient été moins raides. Enfin, tu peux t’imaginer que tu es chartreux et comme tel au contraire remercier Dieu de te faire vivre loin de cet être de perdition qu’est la femme. Mon pauvre Gi, pardonne-moi, j’aime dire des bêtises par moments, cela me rajeunit et je crois t’entendre me dire « quelle enfant ». Seulement ce serait bien meilleur si tu étais près de moi, car je t’embrasserais pour te forcer à te déranger de ton travail, de tes calculs, comme une vraie enfant qui veut qu’on s’occupe d’elle. Tu vois, c’est mon habitude, puisque je t’écris tous les jours pour te forcer à penser à moi, c’est presque de la tyrannie.
J’ai recommencé les leçons de piano des enfants. Mademoiselle Noëlle qui n’y était plus habituée voulait n’en faire qu’à sa tête naturellement, elle a saboté tous ses morceaux en mon absence, les jouant à toute allure, et sans aucune mesure, ni doigté, il faut donc tout reprendre d’une façon un peu suivie et sérieuse. André est enchanté d’avoir un jour de congé pour le 14 juillet, il est allé en classe jeudi pour avoir le samedi en compensation, cela permet aux maîtres de s’absenter pendant 3 jours s’ils en ont envie. En mon absence, André a revu Mr Daval qui passait en auto, paraît-il. Il est officier, décoré et croix de guerre, et comme il y avait un embarras de voiture que regardait tout un groupe de gamins retour de l’école, dont André, il a fait arrêter son auto et est descendu gentiment pour causer à Dédé.
16 juillet - ELLE.- Je vois une fois de plus dans ta lettre du 12 que nous raisonnons toujours de même. Au sujet des Molard et de la responsabilité des gérants de la Vologne, j’ai absolument dit à Marie les mêmes choses que tu me répètes, soit que cet article des statuts, qu’ils jugent souverainement draconien et auquel ils veulent se soustraire dès que possible, ne les engageait en rien en cas de guerre, qu’on ne pouvait les déclarer responsables de l’incendie ou bombardement des usines soit par les boches, soit par nos armées, et que les obligataires, ne trouvant pas de quoi être indemnisés pour le montant de toutes les actions, auraient même pu faire un procès, ils auraient été certainement au tribunal déboutés de leur demande et les gérants auraient eu gain de cause. Mais Marie ne veut pas comprendre et soutient qu’elle et Marie Paul se sont fait assez de soucis au début de la guerre à ce sujet, et que pendant de nombreuses nuits elles n’en ont pas dormi. Elle a tressauté d’indignation quand je lui ai dit que ces questions ne m’avaient pas empêchée une heure de sommeil et surtout quand je lui ai dit d’un air détaché : « Qu’est-ce que c’était que cela, tu aurais eu un million de moins et voilà tout ». J’avoue que j’abusais un peu mais cela m’amusait de la taquiner.
D’ailleurs, tu devines que j’ai été vite remise à ma place. Elle m’a dit que j’avais bien facile de parler, que ma mère avait une fortune énorme, etc. De fait si celle de Marie avait été écornée, celle de Maman et la nôtre eussent été bien entamées elles aussi. Au fond, Marie trouve, je crois, que toi comme moi nous sommes de bien mauvais administrateurs de la situation de nos enfants. Heureusement, chéri, que nous nous entendons à merveille à ce sujet et, si nous sommes un peu étourdis, du moins nous gardons notre sommeil et notre anxiété pour des soucis plus plausibles.
Je suis tout à fait de ton avis pour Pierre Mangin et sa politique. A Paris, ils sont convaincus qu’il réussira. Je ne crois pas, car il n’est pas plus aimé de ses confrères que de ses ouvriers. On dit bien, il sera soutenu par le gouvernement et Flayelle arrivait avec une faible majorité quand il luttait contre des petits bonshommes concurrents quelconques, Fluhr ou autres. C’est vrai, mais Pierre aura beau se dire démocrate ?? Il aura tous les socialistes contre lui. Ce que je voudrais, c’est qu’il quitte Cornimont, car vraiment depuis la guerre il montre un caractère si peu droit et loyal que c’est assommant d’avoir un associé pareil.
16 juillet - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre du 13 et suis bien content de te sentir de nouveau à Docelles où tu vas pouvoir te reposer de tes fatigues. Mais mon petit Mi, si j’osais, je te gronderais un peu de t’être fatiguée à Nancy. Tu as voulu certainement aller trop vite et tu n’as pas pris assez de voitures. Voyons il faut être raisonnable et faire plaisir à ton Geogi en te ménageant un peu.
Tu trouveras inclus une lettre de la Cotonnière de Dedovo. Tu regarderas dans mon livre quel est le montant de mon dépôt dans cette société. Ils me créditent en effet de 2 800frs et dans le bas de la feuille ils ajoutent : Intérêts à 6% de 70 000 = 2 800. Il est évident que l’un de ces deux chiffres est faux et avant de leur accuser réception je veux être fixé.
Je te félicite ma petite mie de tes dispositions financières. Alors l’achat des roubles cela n’a plus marché ! Il est vrai qu’en revanche tu as fait une opération superbe, de l’argent à 7 ½ % !! Tu sais ma petite mie que, lorsque je reviendrai, il faudra absolument que tu aies l’administration de notre fortune. Tu t’en tireras beaucoup mieux que moi. Pardon de te taquiner un peu, mais non, comme toujours depuis notre mariage, nous nous soumettons nos idées et n’avons rien de caché l’un pour l’autre.
Je t’envoie encore quelques photos faites par Déon qui pourront peut-être t’intéresser. N’oublie pas de m’envoyer celle que tu as fait faire à Paris. Je l’attends avec impatience pour pouvoir de temps à autre regarder ma petite Mi telle qu’elle est maintenant car tu sais je n’en ai que d’assez mal réussies et ce n’est pas tout à fait toi.
Le commandant est revenu et j’ai réintégré ma batterie avec plaisir.
Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 16/07/1916 (N° 1334)
Le général Baratier - L’ancien compagnon de Marchand - Commandant une division sur le front
Les guerres coloniales nous ont formé une merveilleuse pléiade de conducteurs d’hommes. Rien que de cette fameuse mission Congo-Nil qui comptera, dans les annales coloniales, comme l’un des plus prodigieux exploits de l’énergie française, sont sortis trois généraux qui, de nouveau, dans cette guerre se sont illustrés. Tous trois étaient capitaines lors de leur départ pour la grande randonnée à travers l’Afrique. Tous trois ont aujourd’hui les étoiles. Ce sont Marchand, le chef de la mission, le héros de Fachoda en 1899, le héros de Champagne en 1915 ; Mangin, nommé divisionnaire pour les admirables services rendus devant Verdun ; et enfin Baratier, l’ami, le collaborateur, ‘l’alter ego’ de Marchand, dont nous donnons aujourd’hui le portrait à nos lecteurs.
Le général Baratier est le fils de l’intendant Baratier. Il a fourni la plus belle carrière militaire. Son nom est inscrit parmi les plus illustres dans l’histoire de notre expansion coloniale. Et, comme Marchand, comme Mangin, ses camarades de la mission Congo-Nil, il aura, dans la grande guerre, rendu de nouveaux services à son pays. Au mois d’août de l’an dernier, les journaux illustrés publiaient une photographie des plus curieuses, des plus sensationnelles, pourrait-on dire, celle de la rencontre sur le front du ministre de la Guerre anglais, lord Kitchener, et du général Baratier. Ce dernier, à cheval, coiffé du casque de dragon, saluait de l’épée Kitchener. Dix-sept ans auparavant, ces deux hommes s’étaient rencontrés à Fachoda, presque en adversaires ; ils se retrouvaient aujourd’hui, soldats de la même cause, et se saluaient et se souriaient. « Extraordinaire péripétie, disait alors un de nos confrères, et bien propre à induire à des réflexions philosophiques sur l’instabilité des desseins politiques, la versatilité des nations comme des hommes. »
Les événements d’Arabie - Les fils du chérif de La Mecque ont chassé les Turcs des villes saintes de l’Islam
Cet événement, si loin qu’il se passe de notre front de bataille, a une importance considérable et se rattache directement à la guerre. Il est une conséquence de la main mise de l’Allemagne sur le pouvoir turc. Les causes de cette révolte si grave en ce moment pour la Turquie peuvent se résumer en peu de mots. Autrefois, le titre de vicaire du Prophète et de khalife de La Mecque appartenait aux descendants de Mahomet. Il y a un peu plus d’un siècle, le sultan de Constantinople s’appropria ce double titre. Or, jamais les Arabes de la Syrie n’ont admis cette usurpation. Un missionnaire, qui vient de passer vingt-cinq ans en Syrie, expliquait ces jours derniers à un de nos confrères comment l’antipathie des Arabes pour les Turcs avait surtout grandi ces dernières années.
D’abord, ils reprochaient au sultan de ne plus maintenir le mahométisme dans l’état d’indépendance ancien, puis ils lui reprochaient surtout son alliance avec l’Allemagne qui faisait de la Turquie l’esclave de cette puissance. Au début de la guerre, raconte ce missionnaire, la scission s’affirma entre le gouvernement de Constantinople et le chérif Hussein, qui vient de reconquérir ses droits en s’emparant de La Mecque. Sachant que celui-ci, en sa qualité de descendant de Mahomet, avait une plus grande influence que lui sur les musulmans, le sultan lui demanda alors de prêcher la guerre sainte contre la France et l’Angleterre. Le chérif lui répondit à peu près en ces termes : « Vous me dites de prêcher la guerre sainte contre deux puissances chrétiennes. Mais avez-vous réfléchi à ceci que, si je vous obéis, je serai obligé de combattre vos alliés les Allemands ? De plus, pourquoi me battrais-je contre la France et l’Angleterre qui comptent parmi leurs sujets plusieurs millions de musulmans ? Ces deux nations ont-elles forcé ceux-ci à changer de religion ? Non, n’est-ce pas ? Au contraire, elles font tout pour faciliter leurs pèlerinages à La Mecque. » Cette réponse sensée fut, on le conçoit, mal accueillie à Constantinople. Mais le chérif allait payer son arrogance. Il eut à subir, de la part du pacha représentant le sultan, toutes sortes d’avanies. Pour éviter des incidents qui eussent pu devenir graves, car la population déjà était surexcitée, il quitta La Mecque et se retira dans la propriété qu’il possède à deux heures de la ville. Et là, il prépara sa vengeance. Celle-ci vient d’éclater, terrible pour les Turcs. Trois armées conduites par les fils du chérif ont marché sur La Mecque, sur Taif, sur Djedda, sur Médine. Les garnisons ottomanes sont chassées ou prisonnières. Et cet effondrement de la puissance turque en Arabie marque pour l’Allemagne un échec de plus.
Les instantanés de la guerre (photos)
Gros canon autrichien en Galicie
Entrée des Russes à Czernovitz
Concert dans les ruines d'un village du front
Eclatement d'une mine dans la tranchée boche
Cour intérieure du fort de S… après un bombardement
Tranchées en ciment armé que les Allemands font sur les bords du Rhin
Le masque russe
Locomotive de train à voie étroite
Troupes indigènes et leur officier
Le masque anglais
Les instantanés de la guerre (photos)
Camp des Annamites à Salonique - Le cuisinier
Déjeuner dans la tranchée au poste de commandement
"Noiraud" le chien du 55e
Le lavoir improvisé dans un trou de 380 boche
Cuisine roulante automobile
Pose de fils de fer barbelés
L'intérieur de la voiture T.S.F.
Quadricycle sur rail du génie
Le Kaiser passant la revue des hussards de la mort
Nouveau lance-grenades italien adopté par les troupes françaises
Thèmes qui pourraient être développés
- Espagne - La grève générale en Espagne
- Maroc - La propagande allemande au Maroc
- Hongrie - La nouvelle opposition en Hongrie
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