14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 6 - 16 oct. 1914 au 31 oct. 1914

 

Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Anna est la plus jeune des enfants de Constant et Marie-Virginie Perrin. Elle a un frère Paul et quatre sœurs : Clémentine Cuny, Mathilde Perrin de Thiéfosse, Caroline Garnier et Célina Boucher. Alexis et Anna Vautrin ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher, Madeleine épouse d’Edouard Michaut, Marguerite et Yvonne. Ils habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ».

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils  09/11/2014

 

Anna part en Angleterre pour chercher sa fille Marguerite qui est au "Holy Trinity Convent" à Bromley dans le Kent. Elle raconte avec détails son voyage en pleine guerre...

 

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 4 générations : Anna Vautrin, Madame Vautrin, Suzanne et Paul Boucher avec leur fille ainée Annette

à Nancy en 1911

 

Vendredi 16 octobre 1914

On n’entend pas le canon aujourd’hui. Les Allemands sont entrés à Gand en Belgique.

Samedi 17 octobre 1914

On nous dit que Monsieur Mézières, sénateur, a disparu depuis le siège de Longwy et que nous n’avons plus de ses nouvelles. Les Allemands l’ont sans doute emmené en otage.

Les Allemands sont aujourd’hui à Cirey-sur-Vezouze. Ils ont emmené Mr Mazerand et 50 jeunes de 15 à 18 ans comme otages pour faire des tranchées. Les Allemands ont bombardé Arras. L’hôtel de ville, œuvre d’art du 16ème siècle n’existe plus.

Dimanche 18 octobre 1914

La bataille de l’Aisne continue toujours. Il y a des fusiliers-marins qui viennent d’arriver à Toul. On fortifie beaucoup et on fait des tranchées du côté de Château-Salins. Aujourd’hui, en rentrant chez moi à 7h30 du soir, j’ai vu un éclair violent. Il n’y avait pas d’orage. C’est certainement une fusée d’un espion. Il paraît qu’il y en a encore beaucoup à Nancy. On parle en ce moment d’une grande bataille qui se prépare dans les environs de Nancy, soit près de Pont-à-Mousson ou du côté de Château-Salins. On dit aussi que le XXème corps va revenir du Nord.

Madame Adrien Michaut de Baccarat nous disait que le neveu du duc de Bade, héritier du duché de Bade qui logeait chez elle pendant l’occupation allemande, l’avait invitée à aller le voir à Karlsruhe et qu’elle serait très bien reçue !

Lundi 19 octobre 1914

Il n’y avait rien de nouveau à Nancy. Nous n’entendons plus le canon.

Mardi 20 octobre 1914

Madeleine n’a pas de nouvelles d’Edouard depuis 15 jours.

Rien de nouveau

Mercredi 21 octobre 1914

Madeleine reçoit d’Edouard sept lettres à la fois. Ils sont toujours dans le Nord près d’Arras. Ils restent dans les tranchées vis-à-vis des Allemands qui sont aussi dans les leurs. Dans une de ses lettres il dit qu’ils ont canonné pendant toute une journée. Ils croyaient qu’ils n’avaient eu aucun résultat et le soir, on leur amenait 400 prisonniers allemands dont 10 officiers. Edouard a interrogé les officiers en allemand. Ils sont découragés et disent qu’ils sont à bout de forces. Ils sont enchantés d’être prisonniers et disent qu’il y en a bien d’autres qui se feront prisonniers. Ils en ont assez de voir tomber tous les leurs les uns après les autres.

Jeudi 22 octobre 1914

Le canon a recommencé à tonner toute la matinée. Vers midi les coups étaient très forts. Marie Molard est revenue de Suisse avec sa fille Germaine pour voir Adrien. Elles repartent demain.

Vendredi 23 octobre 1914

J’ai pris un passeport pour partir en Angleterre pour chercher Marguerite qui est dans le couvent à Bromley. On m’a donné un passeport pour passer soit par Boulogne soit par Dieppe selon le trajet que je pourrai emprunter.

Samedi 24 octobre 1914

Horaires des trains :

Je pars à 3h14 du matin de Nancy pour l’Angleterre. Le voyage est très long à cause de la guerre.

Départ de Nancy 3h14 matin, arrivée à Toul 4h15 matin,

changement de train, départ de Toul 5h10, arrivée à Neufchâteau à 7h matin,

changement de train, départ à 8h18, arrivée à Chaumont 11h,

changement de train, départ à 12h30, arrivée à Troyes à 4h15,

départ à 6h08, arrivée à Paris dimanche à 01h30 du matin.

En partant de Nancy, il faut montrer un passeport à Fontenoy-sur-Moselle. Un douanier monte dans le train et demande mon passeport. Il regarde partout dans le compartiment. C’est la dernière station avant Toul. Je suis partie de Nancy à 3h du matin, il fait encore nuit. Nous changeons de train à Toul, puis à Neufchâteau où on changera encore. A la gare de Neufchâteau, il y a une ambulance d’évacuation installée provisoirement. Ensuite de Neufchâteau, nous allons à Chaumont où l’on change encore. Passons à Bar-sur-Aube. A la gare, il y a une locomotive allemande qui a été prise. A Troyes, je visite la ville, 2 heures d’arrêt. C’est la ville de concentration pendant la durée de la guerre où l’on voit sur les places beaucoup de voitures d’approvisionnement. Je vois l’église St Jean très ancienne ainsi que l’hôtel de ville très beau. Je vais voir les usines de bonneterie Raguet et Cie. La ville de Troyes n’est pas belle, de petites rues très étroites. A Romilly-sur-Seine une infirmière monte dans les compartiments pour quêter pour les blessés. Arrivée à Paris à 1h30 du matin, je voyage avec plusieurs officiers français. L’un d’eux va jusqu’en Angleterre chercher des soldats anglais.

Dimanche 25 octobre 1914

Je reste à Paris.

Lundi 26 octobre 1914

Horaires :

Départ de Paris à 8h du matin, arrivée à Dieppe midi.

Départ de Dieppe par bateau à 13h30 du matin, arrivée à Folkestone à 17h30,

Départ à 18h30 et arrivée à Londres à 21h du soir.

Nous partons de Paris à 8h du matin, passons à Pontoise et arrivons à Dieppe. Nous prenons le bateau à midi 30, la mer est très forte et tous les passagers sont malades. Je vois descendre les uns après les autres dans les cabines. Un monsieur malade n’a pas le temps de descendre et se couche à plat ventre sur le pont. Un autre a sa casquette enlevée par le vent. On ne peut se tenir debout sur le pont. Il ne reste sur le pont qu’une vieille dame anglaise, son fils, un officier anglais, deux messieurs et moi qui ne sommes pas malades mais il faut rester tranquille sur des fauteuils avec des couvertures. Je descends en bas quand je vois les côtes d’Angleterre. Il y a bien 40 couchettes, une salle à manger, un fumoir. Le coucher du soleil sur la mer est superbe : un globe de feu qui s’enfonce dans la mer. Nous apercevons du côté de Newhaven des navires marchands. On aperçoit les falaises de Folkestone et on arrive à 9h du soir. Avant de descendre du bateau, on passe la visite médicale, obligatoire depuis la guerre. On regarde les cheveux, les yeux, les poignets et on prend le pouls. Les enfants sont examinés attentivement. La visite dure une heure.

En débarquant du bateau, nous voyons des blessés belges, plus de 400 qui viennent d’arriver par bateau. Il y en a qui ont de très graves blessures.

Arrivée à Londres à 8h30 du soir mais on m’a prévenue à Dieppe que, pour revenir d’Angleterre, je devais avoir un passeport car mon sauf-conduit ne suffirait pas. Je descends à l’hôtel Victoria, (très bon) près de Trafalgar Square. C’est un grand hôtel parfait sous tous rapports. Je vais diner au grill-room du Grand Hôtel vis-à-vis du Victoria car je n’ai pas eu le temps de diner dans le train. Je me couche à 10 heures.

Mardi 27 octobre 1914

Je me promène dans les rues fréquentées de Londres, Piccadilly, Regent Street, Oxford Street qui ont les plus beaux magasins. Devant la devanture d’un grand magasin, je vois beaucoup d’armes et d’objets pris aux Allemands ainsi que des photographies de la guerre. Il y a un de nos obus de notre pièce d’artillerie qui est réputée si meurtrière. Il y a une pancarte disant « Le fameux 75 Français ». J’en étais très fière. Je vois beaucoup d’officiers anglais. Un régiment passe dans les rues de Londres en chantant. Un autre régiment passe avec la musique. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que sur tous les taxis, les voitures, les omnibus et sur toutes les statues, il y a de grandes affiches telles que « votre Roi vous appelle » ou bien « Lord Kitchener compte sur vous » ou « Aux armes, tous pour la Patrie ».

Comme le service n’est pas obligatoire en Angleterre, les jeunes gens partent s’ils veulent. Pour cette guerre, il y a beaucoup de jeunes gens qui s’engagent. Le soir, ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que Londres n’est pas du tout éclairé. Les becs de gaz sont barbouillés de noir pour que la lumière tombe en bas. Des projecteurs fouillent le ciel continuellement dans la nuit.

Je prends le train à 2 heures pour Bromley (ville du grand Londres à 15 km de Charing Cross). Marguerite m’attend à la gare car il y a deux gares. Le couvent où elle est se nomme Holy Trinity Convent. Il est très bien situé en pleine campagne au milieu d’un grand parc. Nous reprenons le train pour Londres.

Mercredi 28 octobre 1914

Ce matin, nous allons au consulat français à Londres pour demander un passeport pour moi. On me le donne sans difficultés. Pour Marguerite, il a fallu que deux personnes majeures viennent avec elle au consulat. C’est un monsieur de Bromley et sa femme qui sont venus avec elle à Londres.

En allant à la gare de Charing Cross pour demander nos billets de retour, nous avons aperçu de nombreux réfugiés belges qui arrivaient. Ils nous accostent voyant bien que nous ne sommes pas Anglais et nous demandent si nous sommes réfugiés. On se dit bonjour et on s’accoste sans se connaître. Un Belge à qui nous demandons notre chemin veut faire la route avec nous. Il est d’Anvers et est réfugié à Londres. On ne voulait pas qu’il paie sa pension. A Londres, on est si bon avec les réfugiés belges. Plusieurs familles prennent des enfants ou prêtent leurs maisons aux réfugiés. Il est si content de causer en français de la guerre et de la Belgique qui est si dévastée par les Allemands. Il nous demande si Nancy est un port de mer ! C’est cependant un monsieur très bien. A la gare, des soldats belges demandent à Gogo si elle prend le train pour Boulogne. Nous répondons qu’à cause des mines mises par les Allemands dans la mer, nous passons par Dieppe. Oh ! comme nous regrettons disent-ils. Ils avaient deviné que Gogo était Française car nous avions entendu l’un des soldats dire « Tu vois, c’est surement une Française ».

A Londres, les grill-rooms sont très bons et la cuisine est excellente.

Dans l’après-midi nous allons visiter les musées de Londres, la National Gallery que nous n’avions pas pu voir lorsque j’avais accompagné Marguerite pour la première fois en Angleterre à cause des suffragettes qui avaient percé un tableau. Très belles peintures, nous visitons aussi la Wallace Collection avec de superbes collections d’armes anciennes, de bonbonnières, de meubles, de peintures. Dans la collection de peintures, il y a des Greuze de toutes les années.

Jeudi 29 octobre 1914

 

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Détail des horaires de la main d’Anna Vautrin dans ses carnets

 

Départ de Londres à 10h du matin par la gare Victoria. Nous arrivons à Folkestone à midi et demi et nous repartons à 1h30 pour Dieppe. Nous voyons beaucoup d’officiers anglais en kaki qui sont tous de très beaux hommes. J’apprends que le jour de ma traversée de Dieppe à Folkestone, un paquebot qui faisait le service des réfugiés de Boulogne à Folkestone a sauté sur une mine mise par les Allemands en mer du Nord et qui a dérivé dans la Manche. Mon paquebot aurait très bien pu en rencontrer une.

Je vois même des rescapés de ce bateau à Folkestone. Un habitant d’Anvers qui se sauvait par ce bateau s’est sauvé à la nage après le naufrage. On lui avait prêté des vêtements de soldat belge. Plusieurs personnes ont péri.

Quand je suis rentrée à Nancy, mon mari m’a dit combien il avait été inquiet ce jour là, me sachant en mer et lisant dans le journal qu’un paquebot avait sauté en mer.

Nous faisons une très belle traversée de Folkestone à Dieppe. Nous mettons 4 heures. La mer est très belle. Personne n’est malade. Je vais avec Gogo dans la salle à manger du bateau pour prendre un thé. L’arrivée à Dieppe est splendide.

Je montre nos passeports et nous prenons le train à 6 heures du soir pour Paris. Ayant des premières classes, nous sommes obligées de voyager en troisième car tous les compartiments de première sont retenus pour les médecins militaires et les dames de la Croix-Rouge. Nous voyageons avec un Belge d’Anvers qui comme nous devaient être en 1ère classe. Il nous dit que sa maison est encore debout alors que les autres maisons de la rue ont brûlées. Nous causons de la Belgique. Il a fui son pays qui se montre admirable devant l’envahisseur.

Nous arrivons à Paris à 10h du soir où nous allons coucher.

Vendredi 30 octobre 1914

Nous restons à Paris ce jour-là car, comme j’emmène avec nous la petite Nicole Michaut qui a 12 ans, belle sœur de Madeleine, il faut que j’aille à la préfecture de Police pour qu’on la signale sur mon passeport. Elle était partie avec sa grand-mère, Madame Blavier, aux bains de mer au moment de la grande panique à Nancy le 20 août et on attendait toujours une occasion pour son retour. Je vais l’après-midi avec Gogo à la chapelle des Invalides car tous les musées de Paris sont fermés pendant la guerre. Nous voyons dans la chapelle 7 drapeaux allemands pris à la guerre pendant les mois d’août, septembre et octobre. Il y en a un en très bon état qui est encore décoré de la croix de fer allemand. Il est blanc avec les armes prussiennes. Les 6 autres sont déchiquetés par les balles et les obus. Il y en a deux bavarois. Cela est très impressionnant et il y a beaucoup de monde. Nous voyons des blessés anglais, belges et français qui viennent les voir, appuyés au bras des infirmières de la Croix-Rouge. On passe pour arriver à la chapelle par le tombeau de Napoléon Ier. Nous sommes très impressionnées par ces deux visites.

Nous voyons à Paris un régiment de fusiliers marins qui viennent de Toulon et qui partent par le train pour Calais. Ils chantent en partant, les pauvres garçons.

Samedi 31 octobre 1914

Nous allons chercher nos bagages à la gare St Lazare car ils sont arrivés de Dieppe ce matin. Gogo sert d’interprète à une Anglaise qui n’arrive pas à se faire comprendre à la gare pour ses bagages. Il n’y a que 3 trains pour Nancy toutes les 6 heures et on met 23 heures de Paris à Nancy.

Nous partons à 8h56 du matin, arrivée à Troyes à 1 heure, nous avons 2 heures d’attente et nous visitons deux belles églises anciennes. Ensuite, nous prenons le train jusqu’à Chaumont où nous arrivons à 6 heures du soir. Changement de train et nous arrivons à Neufchâteau à 10h. Nous mangeons dans le train et nous changeons de train à Neufchâteau pour Toul. En remontant dans le train, dans notre compartiment de première, les coussins et les dossiers ont de nombreuses taches de sang. Ce sont de pauvres blessés qu’on a transportés ces derniers jours. Nous arrivons à Toul à 3h du matin. C’est ici le moment le plus fatiguant du voyage car on fait entrer les voyageurs dans une salle d’attente unique de troisième. Tous les bancs sont déjà couverts de voyageurs. Ce sont tous des réfugiés. Il y a des enfants couchés, des vieillards qui attendent là toute la nuit un train. Ne trouvant plus de place, nous sommes restés Gogo, Nicole et moi assises sur nos valises. Enfin, nous sommes arrivées à Nancy à 8 heures du matin le dimanche. Nous avons mis juste 23 heures de Paris à Nancy.

A suivre…



14/11/2014
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