Journal de la Grande Guerre de quelques ancêtres des familles Farret, Cambon et Broquisse - 13 - Août 1915
Olivier Farret – 16-01-2017
Un an de guerre !
En ce dimanche 1er août 1915, Guillaume II écrit un manifeste dans la presse, répétant que « la guerre lui a été imposée et que l’Allemagne saura lutter jusqu’au bout ».
Le 4 août, le président Raymond Poincaré s’adresse aux Chambres en affirmant que « la seule paix que puisse accepter la République est celle qui garantira la paix en Europe, qui nous permettra de respirer, de vivre et de travailler, qui reconstituera la patrie démembrée ». Les pays belligérants entament leur deuxième année de guerre. Le 5 août, paraît un décret conduisant au désarmement des forts de Verdun. Les journaux français sont de plus en plus excédés par les outrances du régime de la censure. Le Figaro lance sa propre campagne contre « le bourrage de crâne » ; Georges Clemenceau, dans son journal « L’homme enchaîné » parle des horreurs de la guerre. Vigilante Madame Anastasie avec ses ciseaux ne baisse pas les bras pour autant.
En Argonne, la IIIe Armée, à bout de souffle, a perdu en 6 mois « sans gain significatif de terrain » 80 000 de ses 200 00 hommes ; elle est maintenant accablée, sous une chaleur torride, par une recrudescence de l’épidémie de dysenterie colportée par des myriades de mouches qui enveloppent l’Argonne.
La diarrhée dite des tranchées, de cause inconnue à l’époque, est probablement en rapport avec une dysenterie bacillaire à minima pouvant être associée à une parasitose intestinale comme le montre la découverte récente de marqueurs parasitaires conservés dans des vestiges archéologiques de la Grande Guerre : macro restes (œufs et kystes) ou biomolécules (ADN). En Alsace, deux études menées par Michaël Landolt sur les sites de Geispolsheim et de Carspach, « Kilianstollen », ont mis en évidence des œufs d’ascaris, de ténia, et de trichocéphale. Les facteurs prédisposant sont les conditions d’hygiène déplorables au front malgré les actions du personnel de santé pour y remédier. Dans les premières lignes, l’approvisionnement en eau potable peut-être incertain. De nombreux exemples de soif incoercible (tranchée de la soif au Saillant de Saint-Mihiel) poussent les hommes à boire de l’eau croupie dans les trous d’obus ou de l’eau ruisselant des parois du Fort de Vaux à Verdun. Le traitement de ces diarrhées est assez empirique. Le Jubol, très connu à l’époque, est sensé nettoyer l’intestin de tous les microbes... (Olivier Farret)
Revue Les Annales, 17 décembre 1916
Les travaux de remise en état des aménagements du champ de bataille se poursuivent tout au long de ce mois. Le successeur de Sarrail, le général Georges Humbert a la consigne de rétablir un plan de défense de l’Argonne, organisé en profondeur. Il convient aussi de procéder à la relève des unités fatiguées – doux euphémisme – et, après consolidation des organisations défensives, de passer à l’offensive, car, selon le nouveau commandant de la IIIe Armée : « on ne se bat bien qu’en attaquant. »
Le général Humbert, dans l’Ordre général n°105, insiste sur l’importance qu’il attache à la capture des prisonniers. Il décide l’octroi de permissions aux gradés et hommes de troupe qui par un acte individuel de courage et d’adresse, auront capturé un prisonnier. Le tarif est le suivant : En dehors des combats, 12 jours pour un simple soldat ennemi capturé, 15 j pour un sous-officier, 20 j pour un officier. Des primes en argent pourront être accordées : 50 Francs pour un simple soldat prisonnier, 75 F pour un sous-officier, 100 F pour un officier. Lors des combats, des permissions et des primes en argent sur les fonds secrets peuvent être accordées. Cependant, il faut éviter que, sous prétexte de ramener des prisonniers, les soldats ne quittent le rang pendant le combat… (Signé Humbert, Commandant la IIIe Armée) ! (Document SHD –Argonne 1915)
Le 7 août, bien avant le lever du jour, une série d’explosions de mines ébranle le front du 32e corps d’armée, en cours de relève par le 10e. Durant toute la journée, ce ne seront qu’assauts, attaques et contre-attaques. La dernière grande attaque allemande aura lieu le 27 septembre 1915 et se soldera par un échec. Le secteur devient alors plus calme, seule la terrible lutte des mines continuera jusqu’en 1918. Il faudra attendre l’arrivée des Américains pour envisager la libération de ce secteur âprement disputé. En octobre 1918 une offensive franco-américaine permettra la libération de l’Argonne. Au terme de la guerre, ces combats ont fait en quatre ans environ 200 000 morts dans les deux camps. La forêt est transformée en un véritable désert.
Le 10 août, le 32e CA dont font partie le 150e et 173e RI quitte définitivement l’Argonne. Dans son fascicule sur les 6 mois de guerre du 1er février au 1er août 1915, le Grand Quartier Général français écrit :
« Si ce n’est en Argonne, où nous avons affaire à un corps d’élite, le 16e corps allemand (Metz) dont, pour l’honneur du Kronprinz impérial, les cadres et les effectifs sont entretenus avec une préférence marquée sous l’énergique direction du général Von Mudra, il n’y a pas, sur notre front, de troupes allemandes auxquelles leurs chefs aient pu demander un effort si continu d’offensive. »
Le 2 septembre, Maurice Boigey écrit dans Le Petit Meusien, édité à Verdun :
« Argonne… Emouvante forêt, qu’avons-nous fait de toi ?
Un funèbre charnier, hanté par des fantômes… »
C’est à partir de 1917, à la suite d’une demande officielle du chef de corps, le lieutenant-colonel Rollet que le 150e RI portera avec fierté, pendant le reste de la campagne le nom de « Régiment de Bagatelle » avec inscription « Bagatelle 1915 » sur son drapeau.
« C’est un titre de gloire que je revendique pour le Corps que j’ai l’honneur de commander, et je le revendique avec d’autant plus de force que je tiens à honorer la mémoire du colonel de Cheron tué à Bagatelle. […] Au nom de tous nos camarades qui dorment dans les cimetières de la Gruerie, au nom des rares survivants de l’ancien 150e, en souvenir des sacrifices si glorieusement offerts à la Patrie par mon Régiment, je vous demande de vouloir insister auprès du Commandement afin que Bagatelle soit le nom du 150e régiment d’infanterie. »
(Extrait de la lettre du lieutenant-colonel Rollet, commandant le 150e RI, datée du 25 janvier 1917.)
Le 150e, après un court voyage en train, est regroupé dans les villages sur la route entre Epernay et Châlons-sur-Marne [en Champagne]. Paul Farret rejoint son régiment le 17 août. Le 19 août, devant le régiment rassemblé, le lieutenant-colonel Faure-Beaulieu proclame les noms des officiers, sous-officiers, caporaux et soldats du 150e tués dans les combats d’Argonne.
Le régiment d’André Farret est relevé le 16 août du bois de la Gruerie ; le 173e RI est transporté par voie ferrée dans la région de Villers-Cotterêts, puis par voie de terre au Chemin des Dames, au sud-est de Craonne. Durement éprouvé, il complète ses effectifs et travaille à la construction des parallèles de départ qu’il occupera lors du déclenchement de l’offensive de l’armée française en septembre 1915.
Avec les nombreuses pertes sur le front durant ces huit premiers mois de l’année 1915, le commandement accélère l’instruction des jeunes soldats et constitue de nouvelles divisions d’infanterie. Le 15 août, au camp d’Avord, proche de Farges-en-Septaine, la 158e DI est créée avec 4 régiments dont le 419e où est affecté Jean Broquisse. Un groupe de cavalerie divisionnaire, d’artillerie et du génie complète les effectifs.
Jean Broquisse écrit : « On va frapper un grand coup, j’en suis convaincu… » Dans le camp, l’atmosphère devient un peu plus fébrile : « Mercredi, travaux de campagne (tranchées) matin et soir, marche de nuit ; jeudi préparation fébrile pour la revue du général Brugère, commandant la division. Vendredi, départ à 5 h manœuvre toute la matinée ; la soupe n’arrive qu’à une heure et demi… ».
Les familles soutenant leurs soldats qui sont au feu attendent avec une certaine inquiétude la tournée du facteur et commencent à ressentir une grande lassitude empreinte d’une angoisse grandissante. Une amie de la famille écrit :
« J’espère que Jean est toujours au camp d’Avord. On est dans un terrible moment ; on ne pense qu’aux nouvelles. Elles sont bonnes au moins mais les hôpitaux se remplissent. La guerre se déchaine partout, c’est affreux… »
Après l’Italie qui a choisi le camp des Alliés, la Bulgarie entre dans le conflit aux côtés des puissances centrales. Face aux attaques allemandes, la Russie vacille mais résiste. La guerre est en Afrique avec l’attaque des colonies allemandes, en Orient contre l’empire ottoman, en Chine contre les comptoirs allemands… La guerre est mondiale.
En cet été 1915, n’oublions pas la déportation des populations arméniennes commencée en avril 1915 qui se transformera en un véritable génocide : « On les a simplement arrêtés et tués dans le cadre d’un plan général d’extermination de la race arménienne ». Leslie Davis, consul américain en Turquie.
En méditerranée, le torpilleur de Pierre Farret participe au nouveau dispositif de surveillance des U-boote. L’escadrille de patrouille de l’Armée navale est constituée ; elle comprend quatre divisions dont trois patrouillent dans la mer Egée, et une dans le canal de Sicile. C’est insuffisant mais l’action sous-marine est encore contrôlée. Les zones de surveillance de la marine française sont au nombre de quatre dont Toulon, sud de l’Espagne (à l’exclusion de Gibraltar), Corse, Sardaigne et Bizerte, frontière algéro-tunisienne, Sardaigne, Sicile, frontière Libye‑Tunisie ; les deux autres zones sont en méditerranée orientale.
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