Henry Novel – Lettres à ses parents (1914-1918) – 23- Décembre 1918 - Janvier 1919
Henry Novel, 17 ans en 1914, est mobilisé en 1916 à Chambéry puis rejoint le front en 1917. Futur étudiant en médecine il est affecté à des services d’ambulance. Il correspond régulièrement avec ses parents qui habitent Grenoble où son père exerce la profession d’avoué.
Document transmis par Michel Novel, son fils - 19/10/2015
Georges et Henry Novel
Ce 11 (11/12/1918 ?)
Mes chers Parents,
Arrivés hier soir à ... où nous avons été très bien reçus mais ignoblement logés et nourris, nous attendons notre départ pour ce soir ou demain pour un petit pays voisin où nous attendrons.
Je ne sais à quoi on nous destine mais actuellement nous sommes intangibles et nous attendons tous ensemble une affectation.
J'espère que ce sera prochain car nous sommes horriblement mal. De plus il fait froid et le pays est horrible, une immense plaine qui s'étend à perte de vue et qui suffit à elle seule pour vous donner le cafard. Le village n'offre aucune ressource et se trouve du reste assez loin de l'endroit où nous sommes.
Je vais vous donner mon adresse, quoique, avec le désordre qui règne, je n'ai aucun espoir de recevoir des nouvelles.
H Novel
méd. aux. (220 RI)
R.P.S.
Secteur 186
Je vous tiendrai au courant des événements futurs, et en attendant je vous embrasse tous.
Ce 14 (14/12/1918 ?)
Mes chers Parents,
J'ai reçu ce matin une note de service du médecin-chef de la R.P.S. me priant d'aller assurer le service garde dans un H.O.E. voisin et, depuis ce matin, je suis installé pour un jour hélas ! dans une petite chambre bien chauffée où mon seul travail a consisté en l’absorption d'un plantureux déjeuner et d'un diner dans le même goût... Je m'abonnerais bien à ce service-là d'autant plus que demain il faudra partir pour Corroy où nous serons parait-il plus mal que nous étions ici, si toutefois c'est possible. Je vais aller dés demain rouspéter auprès des autorités supérieures pour obtenir quelque chose de mieux que le grenier ouvert à tous les vents et sans feu qui nous est offert. Dire que Maman avait peur que je prenne froid à Grenoble !!!!
Le plus curieux de notre situation est que personne ne sait ce que nous venons faire ni même de qui nous dépendons ! Je crois et nous avons tous l'impression que nous sommes complètement oubliés ici... à la dissolution du corps d'armée, on n’a pensé qu'aux groupes de brancardiers et aux…/…
Ce 17 (17/12/1918 ?)
Mes chers Parents,
Avec tous ces déplacements et toutes ces mutations voilà plus de huit jours que je n'ai plus de nouvelles de vous ! Cela m'ennuie d'autant plus que je n'ai ici aucun camarade et que je vis absolument tout seul comme un sauvage. J'ai toujours beaucoup de travail, heureusement j'ai une auto à ma disposition et j'en profite lorsque j'ai un peu de temps pour faire quelques balades dans les environs qui sont très jolis. Cet après midi je suis allé revoir à 25 kms d'ici mon ancien bataillon qui tout en étant détaché de la division reste encore aux environs pendant quelques temps. Je le regrette de plus en plus car il y a réellement une différence extraordinaire entre le régiment que je quitte et celui où je suis tombé... pas un officier intéressant, rien de rien... De plus un médecin-chef de l'active à qui je n'ai pas caché le peu d'enthousiasme que j'avais en venant faire partie de son personnel, et qui me regarde de travers à cause de cela... toutes les joies en un mot !! Je pense que dans deux mois au plus ce sacré régiment sera dissous… Je compte les jours avec impatience je vous assure.
Je pense avoir demain de vos nouvelles car mes lettres finiront peut-être par me rejoindre. J'espère en tout cas que vous êtes tous en bonne santé et je vous embrasse tous bien affectueusement.
320e R.I. - 6e bataillon - S.P. 99
Ce 27 (27/12/1918 ?)
Mes chers Parents,
Depuis ce matin il neige presque sans arrêt et à mon retour de ma promenade quotidienne j'avais de vagues ressemblances avec le père Noël, tellement j’étais givré par la neige que la vitesse de l'auto avait plaquée sur moi.
Nous devons quitter Bitche dans quelques jours pour aller du côté de Sarreguemines... heureusement que je n'en suis plus à un déplacement prés... Grâce à l'énergique intervention de mon ex-colonel et de mon ex-médecin-chef, j'ai la promesse de retourner au 10e s'il arrive un médecin au 320e. Or il doit en arriver un ces jours-ci. Je fais des vœux pour que le médecin en question soit bien pourvu d'effets chauds, n'ait pas d'accidents de chemin de fer, et pour qu'il se dépêche d'arriver.
Hier après-midi j'ai patiné et nous avons projeté pour demain une promenade en traineau si les routes se prêtent à ce genre d'exercice. Je crois du reste que je serai obligé d'avoir recours à ce moyen de transport pour aller voir mes malades car si la neige continue à tomber il me sera impossible d'aller en auto demain matin.
J'ai consulté les horaires et cherché des moyens de locomotion divers pour aller voir Georges mais je crois que cela me sera impossible. Du reste s'il ne va pas en permission avant le mois de février, et si mon régiment, car je serai peut-être encore au 320, est dissous je profiterai de la dissolution pour aller faire un tour à Grenoble et je le verrai à ce moment.
Je vous embrasse tous.
Ce 31 décembre 1918 (le mois et l'année sont déduits)
Mes chers Parents,
Mes vœux de Nouvel An vont peut-être vous arriver un peu en retard mais je n'ai pas eu jusqu'ici une minute pour vous écrire et vous souhaiter pour l'année 1919 tous les bonheurs que je puisse vous souhaiter.
Je suis actuellement depuis une heure à Stiring-Wendel petit pays industriel (mines de charbon) situé entre Sarrebruck et Forbach. Je viens de passer à Forbach deux jours très intéressants pendant lesquels j'ai pris contact avec le boche car ici tout est boche... les gens vous annoncent du reste tous sans aucune tentation de dissimulation leur nationalité de boche. Je vous jure que pendant deux jours je n'ai pas été étonné mais littéralement ahuri... Je n'ai jamais très bien compris pourquoi nous avions été vainqueurs et maintenant je ne le comprends plus du tout. Tout marche et tout a marché merveilleusement et nous sommes en train de substituer une pagaye formidable à cette organisation. C'est vraiment triste et malgré la victoire on a un peu honte d'être Français C'est étrange mais c'est comme cela.
Le côté le plus embêtant de l'histoire c'est que tous les gens parlent allemand et qu'il est impossible de comprendre et de se faire comprendre. Je vous demanderai de m'envoyer un petit dictionnaire français-boche (collection Lilliput). Je voudrais aussi du cirage jaune (2frs.50 la petite boite ici !!) et du savon pour faire laver mon linge. Vous pourrez jusqu'au 20 janvier mettre sur mes adresses 1er bataillon au lieu de 2e, de cette façon mes lettres m'arriveront plus vite. J'ai en ce moment un service assez pénible, la compagnie du bataillon étant garde-frontière pour empêcher la rentrée de vivres en bochie, j'ai tous les matins deux heures de cheval à faire pour aller voir mes malades et avec ce temps ce n'est pas très drôle.
J'attends bientôt de vos nouvelles et en vous renouvelant mes vœux de bonne année, je vous embrasse tous.
P.S. J'enverrai un de ces jours à Papa un certificat de présence au corps.
Ce 10 janvier (01/01/1919 ???)
Mes chers Parents,
J'ai expédié hier à Papa un colis de tabac français et algérien. Le tabac français est difficile à trouver mais si Papa aime le tabac algérien je pourrais facilement lui en expédier un ou deux paquets par semaine. Je vais également envoyer aujourd'hui le plus possible de cigarettes à l'oncle Paul mais je voudrais que vous pensiez à me dire quand et dans quel état ces colis sont arrivés car je crains fort qu'ils restent en route.
Ici toujours rien de neuf et le départ que je vous ai annoncé dans ma dernière lettre ne semble pas devoir être immédiat. Nous avons toujours un temps pluvieux et humide mais il ne fait pas froid du tout. Les habitants du petit pays où nous sommes sont très gentils et très accueillants je suis logé chez de très braves gens qui sont aux petits soins pour moi… je suis sûr que comme affectation il m'était presque impossible de mieux trouver.
J'ai oublié dans mes lettres précédentes de vous demander des nouvelles de l'oncle Morin. Comment va-t-il, est-il toujours à la clinique ? J'espère bien avoir une lettre de vous aujourd'hui ou demain car depuis que je suis parti je n'ai rien reçu et je commence à trouver le temps long surtout que la vie de pacha que je mène n'a rien de bien absorbant.
Je vous embrasse.
FIN
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