14-18Hebdo

14-18Hebdo

118e semaine de guerre - Lundi 30 octobre au dimanche 5 novembre 1916

 

LUNDI 30 OCTOBRE 1916 - SAINT ALPHONSE RODRIGUEZ - 820e jour de la guerre

MARDI 31 OCTOBRE 1916 - SAINT QUENTIN - 821e jour de la guerre

MERCREDI 1ER NOVEMBRE 1916 - TOUSSAINT - 822e jour de la guerre

JEUDI 2 NOVEMBRE 1916 - COMMEMORATION DES FIDELES DEFUNTS - 823e jour de la guerre

VENDREDI 3 NOVEMBRE 1916 - SAINT HUBERT - 824e jour de la guerre

SAMEDI 4 NOVEMBRE 1916 - SAINT CHARLES BORROMEE - 825e jour de la guerre

DIMANCHE 5 NOVEMBRE 1916 - SAINT ZACHARIE - 826e jour de la guerre

Revue de presse

-       Violent bombardement au nord de Verdun

-       La Norvège inquiète du blocus allemand

-       Les Serbes réalisent de nouveaux progrès

-       Le ministère Koerber se forme en Autriche

-       En Roumanie l'ennemi piétine - Les Roumains tiennent et contre-attaquent - Prise du mont Rosca

-       Hindenburg et Ludendorff conseillent la patience au public autrichien

-       Le raid allemand dans la Manche - Deux destroyers allemands ont sauté sur des mines

-       M. Albert Sarraut gouverneur général de l'Indo-Chine

-       Un succès russe en Volhynie

-       Fin de la grève des tramways

-       Armée d'Orient - A l'est de la Strouma, les Anglais enlèvent Barakli

-       Le front de la Somme se ranime

-       Nouvelle victoire italienne sur le Carso

-       Le général Sakharoff à Bucarest

-       Les Venizélistes occupent Ekaterini

-       Violents combats sur le Stokhod

-       Le fort de Vaux est pris

-       L'Allemagne enrôle des Polonais

-       Les pèlerinages de la Mecque ont brillamment réussi

-       Fin de la session parlementaire à Berlin - Le Reichstag vote un projet pour adoucir l'état de siège

 

Morceaux choisis de la correspondance

30 octobre - ELLE (Angoulême).- Depuis que je suis ici, je n’ai jamais vu un aussi mauvais temps, c’est presque comme dans nos Vosges, où on ne sait pas par moments quand la pluie finira.

 

Comme je n’aime pas les promenades, cela ne me gêne pas dans mes projets. Je me lève tard, lis dans mon lit, ensuite je t’écris, vais causer avec Maguy. Elle va se lever aujourd’hui à onze heures, les autres jours, elle déjeunait dans son lit pour être moins fatiguée. L’après-midi, nous travaillons, on goûte. Hier Paul est revenu à cinq heures de Basseau et nous avons fait un bridge. Comme nous sommes tous très joueurs, Madame Edgard plus encore que nous trois, cela a fait plaisir à toute la famille.

 

Les Edmond n’aiment pas les cartes, ils sont venus nous faire une petite visite mais se sont sauvés quand ils nous ont vus si occupés. Je suis allée avant 7 heures dire un petit bonjour à Mme Edmond, qui s’est empressée de me dire du mal de sa belle-mère. C’est cocasse, tu sais, je me croyais entre tante Anna et Marie Molard, quand on quitte l’une c’est pour entendre mal parler de l’autre. C’est étonnant qu’on ne puisse garder ses petites histoires pour soi.

 

Je suis bien fâchée que tu aies si froid dans ton lit, quel malheur que nous n’y puissions être ensemble, on oublierait le froid en s’aimant bien, je te serrerais bien fort pour te réchauffer. Je n’ose pas t’envoyer une boule, quoique ce ne serait pas bien difficile pour toi de trouver de l’eau chaude pour la remplir, mais j’ai à Docelles un petit fourneau à pétrole dont je me servais quand j’étais jeune fille pour chauffer mon cabinet de toilette, je te l’enverrai, cela te fera du bien, tu l’allumeras les premiers jours le matin et laisseras les fenêtres ouvertes, car il sentira un peu mauvais n’ayant pas servi depuis longtemps, mais quand tu sauras bien le faire marcher, tu verras, il chauffe très bien, ton ordonnance nettoiera bien la mèche tous les jours et tu pourras même y mettre une petite bouillotte pour avoir de l’eau chaude ou ton déjeuner le matin. Il n’a pas grande valeur et tu n’auras aucun scrupule à l’abandonner si tu quittes ton beau château si froid. Mais franchement si tu dois y rester l’hiver, ce n’est pas la peine d’y geler pendant quatre mois.

 

Voilà plusieurs jours que je n’ai pas de nouvelles des enfants. Maman n’est rentrée que vendredi, si elle a écrit le samedi, j’en recevrai demain je pense.

 

C’est en ce moment que s’engage la bataille à Cornimont, je voudrais bien être derrière la cloison et entendre ce qu’on y dit. Tu connais la curiosité féminine. Je t’aime, mon adoré et voudrais bien être avec toi, ce serait encore le meilleur de tout.

 

30 octobre - LUI.- Je reçois ta bonne lettre du 27 octobre. Tu n’as fait aucun mal en disant aux Molard qu’Henry avait vendu El Hajeb. Tu ne pouvais pas supposer que les Molard réclameraient si vite le remboursement de cette dette ni que Paul se blesserait de ce que Henry lui demanderait de l’argent. J’ajoute tout de même que, si Henry avait été prudent, sachant qu’il devait rembourser une dette à fin Xbre, il aurait dû s’arranger de façon à avoir cette somme liquide ou en tout cas prévenir les Molard.

 

Je t’ai envoyé Mie la copie de ma lettre à l’oncle Jules que je te prie de conserver parce que je n’en ai pas de double ayant eu assez à faire tous ces temps-ci. On me donne en effet à commander en plus deux autres batteries et tu sais ce que c’est les premiers jours, on a beaucoup à faire de tout vérifier et de voir si tout est en ordre, tir, abris, munitions, etc. Il fait très très mauvais aujourd’hui et vous devez avoir bien mauvais temps dans les Vosges.

 

Notre Dédé a dû être bien content de revoir sa grand-mère et sa maman. Evidemment c’est lui qui est le plus sensible et plus j’y pense plus je trouve que tu as bien fait d’engager l’institutrice. Le pauvre Dédé ne se serait pas plu au collège. Seulement il faudra tâcher quand même de remédier un petit peu à cette disposition d’esprit qui, si elle devenait exagérée, serait quand même mauvaise pour l’avenir.

 

Le résultat dont tu me parles est très beau en effet. Je ne sais pas comment fait Paul dans ses affaires pour toujours réussir ainsi. Mais pourvu qu’ils continuent à s’entendre à peu près les Molard et eux. A ce point de vue, le séjour de Paris pour les Molard ne vaut rien. Il vaudrait beaucoup mieux qu’ils fussent plus éloignés l’un de l’autre.

 

31 octobre - ELLE (Angoulême).- Je n’ai pas eu de lettres de toi aujourd’hui, ni hier et cela me prive beaucoup. Quand je reçois un mot de toi il me semble que je suis près de toi, que je t’entends, que je sens ta pensée venir vers moi, les paroles tendres que tu me dis, je crois t’entendre les prononcer, aussi tout me manque quand tu ne m’écris pas, je te crois doublement loin.

 

Je suis allée hier avec Mme Edgard faire une visite aux Lacroix, parents d’un jeune homme qui a été avec Georges à Winthertur. C’est cette brave dame qui écrivait à Maman autrefois qu’elle remerciait la Ste Vierge d’avoir donné à son fils un si bon ami et c’était le moment où Georges était tout ce qu’il y a de plus athée et nous avons pensé que la pauvre Ste Vierge avait au contraire abandonné son protégé en le confiant à un si vilain parpaillot. Ce jeune ami vient d’avoir un second bébé depuis la guerre, produit d’une permission, et Madame Edgard allait féliciter la jeune femme pendant que je faisais une visite aux parents.

 

C’est très curieux comme on n’a pas ici la même façon de vivre que dans nos pays. Je ne sais pas si le peuple, les ouvriers, ont meilleur esprit que chez nous, mais ils ont une politesse, une sorte de respect pour le patron qu’on n’a pas chez nous. Ainsi depuis que je suis ici, la contremaîtresse de la salle, celle des chiffons, d’autres ouvrières ont demandé à voir Maguy et lui ont dit combien elles étaient contentes de la voir revenue ici, combien elles avaient pensé à elle quand elle était à la clinique. Chez nous, soit à Docelles, soit à Cornimont, bien des personnes auraient peut-être pensé à nous mais n’auraient pas eu l’idée de venir le dire. En tout cas, Maguy a trouvé le moyen de se faire aimer ici, par tout le monde, que ce soit dans sa famille, comme autour d’elle, ce qui est l’essentiel. Elle est toujours très heureuse, son mari et elle sont toujours aussi amoureux et sont encore en pleine lune de miel. Paul est vraiment charmant d’ailleurs, pour sa femme j’entends, car le reste de la chrétienté lui importe peu, que ce soit mère, frère et belles-sœurs. Pourvu que sa femme soit bien, c’est tout ce qu’il lui faut. A mon avis, ils ne font même pas assez attention à leur mère. La pauvre femme aime la chaleur et on lui ouvre toujours des fenêtres dans le dos sous prétexte que Maguy aime l’air.

 

Le petit Jean est un enfant bien facile, si gentil, très affectueux. Un enfant seul est vraiment bien plus sage, il n’y a personne pour le taquiner, on ne l’entend pas pleurer.

 

Cette guerre, après l’avoir tant crainte, que je la maudis.

1er novembre - ELLE (Angoulême).- Encore un jour sans nouvelles de toi, que fais-tu donc mon chéri, m’oublies-tu ou t’est-il arrivé quelque chose de grave. En pensant à tout ce qui peut tomber sur toi, je n’ai pas dormi cette nuit et me suis mis l’âme à l’envers, aussi j’ai hâte d’avoir de tes nouvelles. Ta dernière lettre était datée du 26, cela fait déjà loin. Peut-être est-ce mon changement de projets qui fait ce retard ? Mais c’est plus fort que moi, j’ai de suite des idées lugubres et ne puis me rassurer. Tu vas me dire que je ne suis pas raisonnable, c’est peut-être vrai mais je t’aime tant mon adoré, j’ai toujours peur pour toi et je voudrais tant te voir hors de danger.

 

C’est très vilain pour un jour de communion d’avoir si peu de confiance en Dieu et d’avoir si peur pour mon chéri, mais j’ai fait des rêves épouvantables, dont je reste impressionnée, je ne veux pas y croire et attends avec impatience que tu m’écrives une lettre bien tendre qui me remonte, j’ai si mal au cœur. Cette guerre, après l’avoir tant crainte, que je la maudis.

 

Je t’embrasse, mon Gi, car je n’ai plus de courage.

 

1er novembre - LUI.- Je ne croyais pas que tu ferais un si long séjour à Angoulême et depuis quelques jours je t’ai écrit à Docelles. Tu me dis que tu t’arrêteras un jour à Paris, et c’est pourquoi je t’y écris un mot pensant que tu trouveras ma lettre.

 

Nous sommes un peu occupés tous ces temps-ci par de simples petites opérations d’ailleurs, mais qui demandent quand même beaucoup de préparations et beaucoup de soin et, comme j’ai mes quatre batteries maintenant sur le dos, j’ai à faire. Seulement il faut aller aux tranchées et cela vous repose. Et puis mes officiers sont tellement gentils pour moi et mettent tant de bonne volonté pour m’aider que j’aurais mauvaise grâce à me plaindre. Hier, Déon avec qui je rentrais des tranchées m’a retenu à dîner à sa batterie. On a bu le champagne à l’occasion de l’anniversaire de ma blessure. C’est gentil, n’est-ce pas. Et puis ton Geogi n’est pas encore tout à fait insensible aux compliments. Il a été flatté aujourd’hui que le Ct d’infanterie qui dirige toutes ces petites opérations lui ait dit aujourd’hui après une journée un peu fatigante : « Mon infanterie a tout à fait confiance en vous parce que vous êtes tous des gens sérieux et pas bluffeurs. Vous faites ce que vous promettez ». Eh bien c’est gentil aussi.

 

Enfin ma Mie il est tard. Je veux que tu aies de mes nouvelles. Je vais très bien. Il va sans dire qu’il n’y a aucun danger pour nous dans ces petites opérations. Cette nuit debout à une heure du matin, aussi je m’en vais un peu dormir en regrettant bien que je ne t’aie pas à côté de moi.

 

Tu as voulu me prendre en faute et en effet je me suis trompé pour le secteur. Mais tu sais, ma Mie, la prochaine fois c’est moi qui te prendrai.

 

Enfin que la guerre finisse d’abord, que tu reviennes vite et ensuite on s’arrangera pour continuer à être heureux et à ne pas avoir d’ennuis. Nous trouverons toujours quelque solution qui nous satisfasse.

2 novembre - ELLE (Angoulême).- Enfin j’ai une lettre de toi et surtout ce qui me fait plaisir c’est l’explication de ce silence qui m’inquiétait tant. Tu me croyais repartie à Docelles et il a fallu que Maman me renvoie ta lettre qui a donc couru dans toute la France. Ne pense plus à toutes les histoires de Cornimont, je vois que cela t’ennuie. Je te joins la lettre de Maman, qui te mettra au courant avant que tu ne reçoives un compte rendu officiel. J’y vois que comme toujours on n’y a rien décidé d’important. En somme Pierre Mangin nie la façon d’inventorier que tu avais préconisée et, sous prétexte qu’il n’y avait rien d’écrit, ne veut plus en entendre parler. Ce qui est ennuyeux c’est pour cette question de capital qu’on ne peut soi-disant pas changer. Il me semble que ce n’était pourtant pas difficile. Enfin que la guerre finisse d’abord, que tu reviennes vite et ensuite on s’arrangera pour continuer à être heureux et à ne pas avoir d’ennuis. Nous trouverons toujours quelque solution qui nous satisfasse.

 

Maman a profité de son voyage à Cornimont pour aller au cimetière voir la tombe familiale. Elle apportait un gros pot de chrysanthèmes et avait envoyé une couronne d’Epinal. Pauline a trouvé au cimetière tante Mathilde et ses filles, qui avaient aussi apporté une couronne, la tombe est donc bien rafraîchie.

 

Paul L.J. est parti hier avec sa mère à Paris, nous sommes donc seules Maguy et moi. Je la quitterai demain à 3 heures pour rentrer à Paris à 10 heures du soir.

 

Je m’en irai bien vite chez Marie Paul et laisserai ma malle à la gare d’Orsay. Le lendemain je la transporterai à la gare de l’Est où je la retrouverai le dimanche matin pour retourner à Docelles, où je me réjouis de revoir mes bons chéris. Maman ne m’en dit rien dans ses lettres, elle ne se doute pas que c’est ce qui m’intéresserait le plus, mais d’autre part cela prouve qu’il ne se passe rien d’anormal.

 

Ici le petit Jean est un amour d’enfant, très sage et obéissant, caressant, et un si bel enfant, il a des cheveux superbes. Maguy a assez bonne mine, mais il est vrai qu’elle fait peu de choses, elle se lève tard, plus encore que moi. Si nous allons en Suisse aux sports d’hiver en janvier, après ta permission, Paul nous la donnera, un mois dans une altitude élevée lui fera du bien après trois ans passés ici où il fait du temps mou et plutôt un peu anémiant.

  

  

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L'Echo de Paris - 31 octobre 1916   

  

3 novembre - ELLE (Angoulême).- Tu as dû te demander ce que signifiait ma lettre désolée de mercredi. Tu vois ce que c’est que ta femme, qui veut pourtant avoir l’air courageuse, aussitôt qu’elle n’a plus de nouvelles de son mari, elle se fait des idées très noires, elle se l’imagine enfoui dans un trou d’obus et elle ne vit plus. Ce n’est évidemment pas très raisonnable et, cette fois surtout avec mes changements de demeure, j’aurais dû penser que tu ne savais pas exactement où je gîtais et que tu m’avais écrit ailleurs, c’est ce qui est arrivé et Maman m’a renvoyé ta lettre contenant celle de l’oncle Jules et aujourd’hui le brouillon de la réponse que tu as adressée à ce dernier. Je trouve tout à fait épatante la façon dont tu lui fais remarquer qu’il a tort, c’est net et en même temps toujours très courtois. Tu es un amour chéri.

 

Je viens de quitter Maguy, qui est maintenant en bonne voie de guérison. Elle est (comme toutes les femmes) en admiration devant son mari, personne n’a de bonnes idées comme il en a, il n’y en a pas d’aussi intelligent, si apte à tout comprendre. C’est vrai qu’il est très supérieur à la moyenne mais c’est amusant de voir aussi comme ils se défendent l’un l’autre contre qui les attaque. Avec Mme Edgard, c’était inouï de les voir, elle est parfois un peu aigre en paroles, si elle lançait à Paul une petite pointe, de suite Maguy lui lançait des propos empoisonnés et des regards enflammés. Quand Maguy était en cause, c’était Paul qui répondait et je t’assure que j’étais étonnée de la façon dont ils répondaient à leur mère. Je n’aurais jamais osé en dire le centième aux nôtres. Ils prétendent que c’est la seule manière de faire avec Mme Edgard, pour qu’elle vous estime.

 

Paul est à Paris, il doit aller voir Mr Barral, chef des poudres au ministère des Munitions, car il voudrait tenter en grand un essai qui lui a réussi en petit : faire de la poudre avec du bambou qui ne coûterait presque rien, venant du Sénégal, tandis que le coton coûte si cher, et il paraît que cela donne un très bon résultat.

 

3 novembre - LUI.- Je suis absolument navré en recevant ta lettre du 1er novembre. Sans le vouloir je t’ai causé de l’émotion, je m’en rends bien compte mais que veux-tu ma Mie tu m’as dit que tu arriverais à Angoulême le vendredi, que tu y resterais deux jours. Je t’ai écrit la dernière fois à Angoulême le jeudi et j’ai pensé qu’en t’écrivant après tu n’aurais plus ma lettre et tu en trouveras une provision à ton retour à Docelles. Cependant mercredi dernier, comme tu me disais que tu t’arrêterais à Paris une journée, je t’ai écrit chez les Paul et je souhaite de tout cœur que tu aies reçu cette lettre. J’espère aussi que Maman aura eu la bonne idée en t’écrivant (elle doit t’écrire tous les jours) de te dire qu’il y avait pour toi des lettres de moi à Docelles.

 

Mais ma petite Mie, tu dis : « M’oublies-tu ». Tu sais bien que non et c’est dans un petit moment de découragement que tu dis cela, puisque tu sais bien que je ne vis que pour toi. Ne sais-tu pas bien que je t’aime à la folie et que je soupire après tout toi dont je raffole. Mais si, Mimi, tu le sais bien et tu te doutes de la peine que j’éprouve à être privé de tes yeux, de ta bouche, de tout ton corps chéri. Tu sais bien que je maudis la guerre autant que toi et que je prie Dieu chaque jour qu’elle se termine bien vite. Tu vas de suite à la réception de ma lettre m’envoyer un petit mot et même, si tu n’es pas forcée d’aller à Epinal pour cela, une dépêche où tu me diras que tu as repris courage et que cette petite alerte n’a pas nui à ta santé.

 

Mais je t’en prie, ma petite Mie, ne sois pas toi non plus si sensible. Dis-toi bien qu’il arrivera des moments où tu n’auras plus de nouvelles. Vois dans la Somme ou à Verdun, les courriers des poilus sont arrêtés. Cela ne prouvera rien. En tout cas sois tranquille à mon sujet. Tu vois que j’ai tenu mes promesses et que rien ne m’est plus arrivé depuis deux ans. Tu penses bien ma Mi que j’ai la volonté de vivre pour toi et que je ne vais pas m’exposer bêtement. Je ne parle évidemment pas d’ici où il n’y a aucun danger. D’ailleurs d’ici deux jours, nous serons moins remués que tous ces derniers temps et j’aurai du loisir. Allons ma Mi, du courage, je suis sûr qu’un bon baiser de ton Geogi va calmer tes inquiétudes et te redonner de la vigueur. Je te le donne ma Mie comme si j’étais auprès de toi, tu sais, dans notre lit où il fait si bon tous deux et où je me réjouis de te retrouver dans bientôt deux mois.

 

J’ai choisi un train pour les garçons, comme ils n’en ont pas ici et que la guerre menace de durer encore, ils auront le temps d’en profiter.

5 novembre - ELLE (dans le train de retour de Paris).- Cette fois me voici enfin sur le chemin du retour, je quitte Paris par un temps superbe. Je me suis levée à une heure à laquelle je ne suis guère habituée, six heures moins le quart. Mariette a été assez gentille pour m’apporter mon déjeuner à six heures et, allant à la messe à St Honoré d’Eylau, elle m’a porté mon sac jusqu’au métro de la place Victor-Hugo, car à cette heure matinale pas de taxi. Arrivée à la gare de l’Est à 7 heures, j’ai enregistré mes bagages, retenu ma place, et ai couru à la messe à St Laurent, tu vois la vieille petite église qui est tout près de l’hôtel Terminus. Paul avait parié que je n’aurais pas de messe, mais j’ai rempli mon programme tel que je l’avais projeté.

 

Le train comme toujours est bondé d’officiers. Il y a près de mon compartiment un groupe de jeunes lieutenants et sous-lieutenants de chasseurs à pied, dont deux sortent de la cavalerie. Ils causent beaucoup et racontent des combats de la Somme effrayants. Ils disent qu’on renvoie les chasseurs à pied dans les Vosges pour l’hiver.

 

Maman m’écrit aussi qu’elle a reçu une lettre du capitaine de cavalerie que nous avons eu pendant trois semaines cet été, il est à Jussarupt et lui annonce sa visite pour un de ces jours.

 

Il paraît que nos chéris se réjouissent de me voir revenir, tu devines que leur maman ne sera pas la moins contente. Hier après-midi, nous avons été, Marie Paul et moi acheter des jouets pour eux pour la St Nicolas. J’ai choisi un train pour les garçons, comme ils n’en ont pas à Docelles et que la guerre menace de durer encore, ils auront le temps d’en profiter, et pour Noëlle une poupée habillée d’un manteau d’auto en toile cirée et portant un parapluie. Noëlle sera enchantée, si j’en juge par le bonheur que j’aurais eu à avoir un parapluie pour poupée quand j’avais son âge.

 

Avant j’étais allée faire une visite à Alice Mangin, elle attendait son mari ce soir même de retour des Vosges, ils emménagent dans leur nouvel appartement la semaine prochaine. Tante Alice était passée la veille emmenant Zizi à Nice, elle était accompagnée par Mlle Fritsch, la sœur de son ex-institutrice. Un docteur de Berck les avait amenées à Paris, elle était très mécontente que l’oncle Paul ne soit pas venu les voir à Paris et les aider pour la traversée de la ville. Elle avait chargé Marie Molard de lui prendre ses billets et de retenir des places de sleeping. Quand Marie les lui a apportées à l’hôtel, elle lui a dit qu’elle ne pouvait pas les lui payer, qu’elle n’avait que 300 francs sur elle, que son mari la laissait sans argent. Marie a dit qu’elle n’était pas à 500 francs près, que cela n’avait aucune importance, « tu as bien de la chance » lui a répondu tante Alice. Marie lui a offert de lui en prêter, mais Tante a refusé, ce qui me fait penser qu’elle en avait tout de même plus que ce qu’elle disait car elle ne serait pas partie à Nice, ville où elle connaît peu de monde, avec une malade, sans argent. Qu’est-ce que trois cents francs dans des hôtels. Il paraît que Zizi tousse beaucoup, elle a 39 de fièvre tous les soirs, mais elle pourra peut-être encore vivre jusqu’au printemps. On ne dit pas à Titite l’affection qui emportera sa sœur de peur de l’impressionner, on lui dit que c’est du cœur qu’elle souffre.

 

Que dis-tu de la reprise de Douaumont et surtout de celle du fort de Vaux ? Tout de même cela doit un peu désillusionner les boches. Après avoir subi tant de pertes pour s’emparer de tous ces points qu’ils déclaraient importants pour eux, les voilà obligés de les abandonner presque sans combats. Je sais bien que ce n’est pas encore la fin et je le regrette bien, mais j’espère bien maintenant que l’hiver prochain nous le passerons ensemble.

5 novembre - LUI.- Tu ne saurais croire combien ta lettre du 2 m’a causé de joie. J’étais très ennuyé que tu n’aies plus de mes nouvelles. Heureusement que Maman a eu la bonne idée de t’envoyer mes lettres. Mais je t’en supplie, lorsque tu n’en recevras plus (cela peut venir d’un moment à l’autre sans que j’aie le temps de te prévenir, bien entendu il n’en est pas question maintenant), ne te frappe pas et ne va pas t’imaginer tout de suite des choses qui n’existent pas.

 

Te voilà bien contente probablement d’avoir retrouvé nos chéris. Ils ont dû également être bien contents de te revoir. Notre petit Dédé travaille-t-il bien ? Que dis-tu de Mademoiselle et le laisse-t-elle un peu travailler seul car tu sais c’est fort important.

 

Nous avons fait cette nuit encore une petite opération qui a parfaitement réussi. Il s’agissait de faire des prisonniers et nous n’avons eu de notre côté aucune perte. On nous dit que nous allons être un peu plus tranquilles maintenant. D’ailleurs nous n’avons pas à nous plaindre quand nous songeons aux pauvres gens qui sont à Verdun ou dans la Somme. Que dis-tu de la reprise de Douaumont et surtout de celle du fort de Vaux ? Tout de même cela doit un peu désillusionner les boches. Après avoir subi tant de pertes pour s’emparer de tous ces points qu’ils déclaraient importants pour eux, les voilà obligés de les abandonner presque sans combats. Je sais bien que ce n’est pas encore la fin et je t’assure que je le regrette bien. Mais j’espère bien maintenant que l’hiver prochain nous le passerons ensemble. L’offensive des Allemands en Roumanie et Dobroudja m’avait bien un peu inquiété. Mais tu vois, les prétendues victoires allemandes n’amènent jamais rien de décisif et nous tenons quand même le bon bout.

 

Merci de la lettre de Maman, ce n’est guère la peine de lui renvoyer. En somme il n’y a eu à la réunion aucune parole irréparable prononcée. Nos oncles ont bien fait de céder sur la question inventaire mais je suis bien content qu’on ait pris une délibération en faveur des employés. Sans doute il eût mieux valu ne pas les critiquer mais enfin le mal est réparé et c’est l’essentiel.

 

Puisque maintenant on doit avoir une permission tous les quatre mois, je viendrai en permission vers le 12 janvier. Prends-en note avant de faire tes projets pour la Suisse. En tout cas vous ferez très bien d’y aller tous, cela fera beaucoup de bien aux enfants et j’espère que vous demanderez à cette brave Thérèse de vous y accompagner.

 

5 novembre - JMO 5e RAC/Groupe 95.- Les 44e et 45e batteries, renforcées par deux batteries de 90 et deux batteries de 95, appuient un coup de main de l’infanterie en tirant : 925 obus de 75, 150 obus de 90, 120 obus de 95, de 5h45 à 6h15. Résultat. Il a été fait un prisonnier.

 

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 05/11/1916 (N° 1350)

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L’amiral Lacaze - Ministre de la Marine

L’amiral Lacaze présente cette particularité très rare parmi les officiers généraux de notre marine : il n’est pas d’une famille de marins ; il n’est même pas né dans une contrée maritime. Il a vu le jour en 1860, loin de la mer, à Pierrefonds, à l’ombre des vieux murs féodaux que Viollet-le-Duc n’avait pas encore restaurés. Cependant une vocation impérieuse le poussa, dès la jeunesse, vers cette carrière maritime qu’il honore par sa valeur et ses talents.

 

Entré à l’Ecole navale en 1877, il était, deux ans plus tard, aspirant de 2e classe. Comme aspirant, il fit la campagne de Tunisie et prit part aux combats de Sfax et de Gabès. En qualité de lieutenant de vaisseau, puis de capitaine de frégate, il fit campagne aux Indes, au Sénégal, au Tonkin. Attaché naval à l’ambassade française à Rome, il quitta ce poste avec le grade de capitaine de vaisseau.

 

M. Raymond Lestonnat, qui, dans l’’Illustration’ a publié sur l’amiral Lacaze une excellente étude biographique à laquelle nous empruntons plus d’un trait, rapporte que le futur ministre de la Marine fut désigné pour faire partie de la mission française à la conférence de La Haye. « Il eut ainsi l’occasion, dit-il, d’étudier tout à son aise la mentalité germanique en observant les délégués allemands qui s’ingéniaient de toute façon à faire avorter les travaux de la conférence, et faisaient tour à tour de l’obstruction et de la surenchère. Ce ne fut certainement pas une surprise pour lui. Il a une trop bonne mémoire au service d’une grande érudition pour douter un seul instant que le Germain, contre lequel nous luttons, comme celui qui envahissait périodiquement notre pays aux premiers temps de son histoire, ne soit un Barbare. En 1907, l’amiral Germinet, nommé au commandement de l’escadre de la Méditerranée, prit le capitaine de vaisseau Lacaze comme chef d’état-major. Ce fut pour cette escadre une période de grande activité. L’amiral Germinet disait alors de son chef d’état-major : « Il partage absolument mes idées. Comme moi il a la conviction profonde que tout ce qui n’a pas pour but la préparation au combat est du temps perdu… » Après avoir commandé le cuirassé ‘Masséna’, le capitaine de vaisseau Lacaze fut chef de cabinet de M. Delcassé quand celui-ci prit le portefeuille de la Marine. Il fut nommé contre-amiral en 1911.

 

Quand éclata la guerre, il commandait une division de la première escadre de ligne. Il prit une grande part aux opérations destinées à assurer la sécurité des convois transportant en France nos troupes de l’Afrique du Nord, et au blocus de la flotte autrichienne dans ses ports de l’Adriatique. En mai 1915, il fut nommé commandant de la marine à Marseille et c’est en cette qualité qu’il organisa le transport du corps expéditionnaire français en Orient.

 

Le 29 octobre 1915, il acceptait le portefeuille de la Marine que lui offrait M. Briand. On sait quels services il a rendus dans ce poste à la défense nationale. « L’amiral Lacaze est un chef, dit M. Lestonnat. Il sait commander. Il a beaucoup vu, beaucoup osé, et il possède cette divination de la mobilité impulsive des foules qui sert si bien les meneurs d’hommes. Ce sont chez lui des qualités innées. S’il a eu de la chance -qui n’en a pas au moins une fois dans sa vie ?-, c’est d’avoir été sous les ordres d’observateurs attentifs qui ont découvert en lui un sujet d’élite dès les premières années de son service, ce qui lui a valu d’être désigné tôt pour le commandement. »

 

 

 

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Le jour des Morts sur le front

Beaucoup de familles eussent désiré pouvoir aller, à l’occasion de la Toussaint, prier sur la tombe de ceux des leurs qui, tombés au service de la patrie, sont enterrés dans la zone des armées. Les nécessités militaires n’ont pas permis que ce pieux désir pût être exaucé. Les parents des soldats morts au champ d’honneur et enterrés, soit au lieu même où ils tombèrent, soit dans les cimetières des villes et des villages dont l’accès demeure interdit tant que dure la guerre, ne pourront que célébrer de loin le cher souvenir des disparus.

 

Mais du moins ont-ils pu avoir l’assurance que la tombe de l’être cher n’était point abandonnée. De toutes parts, sur le front, les camarades des défunts ont rivalisé de zèle pour décorer, à l’occasion de la Toussaint, les sépultures des héros morts pour le pays. En maints villages les habitants se font un devoir d’entretenir ces tombes qui se trouvent parfois en pleins champs et qu’ils évitent de bouleverser au passage de la charrue. De toutes parts, les pâles fleurs d’automne, les dernières roses, les chrysanthèmes ont été apportés sur les tombes des soldats que l’on décore également de drapeaux. Ainsi, les héros disparus dorment leur dernier sommeil à l’ombre de l’emblème sacré pour le triomphe duquel ils sont morts.

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Tracteur automobile italien, servant au transport des pièces d'artillerie lourde

Le centre d'une escadrille de chasse - Les appareils prêts à partir

Le colonel du 1er régiment de spahis décore des officiers et des soldats de son régiment

Ce qui reste de l'église et du village de Deniécourt

Un moulin en Macédoine

Campement français en Macédoine

Une maison de la Macédoine grecque avec un nid de cigognes sur le toit

Le lieutenant-colonel G… tué en Macédoine

Sur le front de la Somme - Canons et matériel pris aux Allemands

Une saucisse en plein vol

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

LPJ Illustre 1916-11-05 D.jpg

Patrouilleurs ramenant dans les lignes deux prisonniers allemands

Dragons français dans le Krusa Balkan, Macédoine

Evacuation des blessés, chez les Russes, en Champagne

Front italien - Une tranchée "la tranchée fleurie" en ciment armé

Patrouille de spahis en reconnaissance

Dans la Somme - Cavalier hindou baignant son cheval

Sénégalais pilant son café

Front du Trentin, Italie - Colonne des skieurs

Combles

Casse-tête trouvé dans une tranchée boche à Combles

 

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • La Norvège inquiète du blocus allemand
  • Autriche - Hindenburg et Ludendorff conseillent la patience au public autrichien
  • Indochine - M. Albert Sarraut gouverneur général de l'Indo-Chine
  • Grèves - Fin de la grève des tramways
  • Verdun - Le fort de Vaux est pris
  • Pologne - L'Allemagne enrôle des Polonais
  • Religion - Les pèlerinages de la Mecque ont brillamment réussi
  • Japon - Le prince impérial japonais Kanine reçu par le tsar au grand quartier général
  • La Belgique sous la domination allemande - La vie à Bruxelles
  • Amiral Lacaze, ministre de la Marine (Portrait dans LPJ Sup)
  • Commémoration - Le jour des morts sur le front (LPJ Sup)
  • Commémoration - Le culte des morts à travers le monde (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Conseils pratiques - Soin des cheveux (LPJ Sup)
  • Religion - Fête religieuse - Toussaint - 1er novembre
  • Religion - Fête religieuse - Commémoration des Fidèles Défunts - 2 novembre


28/10/2016
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