14-18Hebdo

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Thérèse Boucher-Schwindenhammer (1886-1969)

Une jeune femme trop parfaite ?

Portrait proposé par Hélène Bonte (sa petite-fille) - 01/04/2015

Quand Marie m'a proposé de faire un portrait de ma grand-mère Thérèse Boucher, j'ai décliné, pensant que je n'avais rien d'intéressant à dire à son sujet. Mais j'ai ensuite changé d'avis car j'ai pris conscience que Thérèse était très tonique, fine, intelligente et qu'elle méritait d'être mieux connue. J'espère y avoir contribué un peu.

J'exprime ma gratitude à Emmanuel Bonte, Marie Favre, Suzanne Gaudel et Catherine de Sèze dont les photos, illustrations et renseignements, m'ont permis de réaliser cette étude.

Hélène Bonte-Boucher

 

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Le livre « Reviens vite » que nous devons au travail d'historienne de Marie Favre, relate notamment la vie quotidienne d'une famille française pendant la guerre de 14-18. Il m'a fait découvrir des personnalités très intéressantes dont j'avais entendu parler, mais dont je ne soupçonnais pas les qualités exceptionnelles.

   

Image1 Therese et Maurice au debut de la guerre.jpg

 

Célina Boucher-Perrin et sa fille Marie dite Mimi Cuny-Boucher ont déjà été décrites dans le blog hebdomadaire 14-18, et je vais surtout parler de ma grand-mère Thérèse Boucher-Schwindenhammer : je ne possède malheureusement aucun écrit personnel de sa main qui aurait pu me renseigner sur son ressenti.

Je me réfère donc pour la décrire à la précieuse correspondance entre Georges et surtout Mimi Cuny qui, au fil des mois, ont appris à la connaître et l'aimaient toujours davantage pour sa finesse et ses qualités humaines.

Dans ses lettres à son mari, Georges Cuny, âgé de 40 ans au moment de la mobilisation, Mimi parle souvent de son frère Maurice Boucher, âgé de 31 ans, et aussi de sa belle sœur Thérèse qui avait 27 ans à ce moment.

 

Image2 1910 Maurice Boucher (Seynave).jpgMaurice Boucher en 1910 (collection Renaud Seynave)

 

Les deux couples s'appréciaient bien et les jeunes femmes avaient de nombreux points communs qui les rapprochaient.

Leur origine sociale

Leurs parents étaient issus de la bourgeoisie industrielle vosgienne.

Le père de Mimi, Louis Boucher, décédé en 1912, dirigeait la Papeterie Boucher à Docelles que sa mère Célina a fait fonctionner pendant toute la guerre de 14/18, en l'absence des hommes de la famille qui étaient tous mobilisés. Il fallait, en ce temps de guerre, beaucoup de courage, de détermination et aussi de sens des affaires pour trouver des matières premières, de la houille, des moyens de transport et de la main d'œuvre. Tout était très compliqué.

Thérèse Boucher était la fille aînée de Xavier Schwindenhammer, né en 1857, fabricant de papier à Raon-l'Étape dans les Vosges. Avec ce patronyme imprononçable (11 consonnes pour 4 voyelles !), vous avez deviné qu'il était d'origine alsacienne.

 

Le grand-père maternel de Thérèse, Camille Metenett, avait fondé en 1880 une papeterie à Neuville les Raon dans les Vosges. Il disposait de 2 machines très modernes pour l'époque qui lui permettaient de fabriquer du papier de couleur double face, puis du papier bulle pour enchemisage satiné d'un seul côté.

Il a été primé le 29 septembre 1889 à l'exposition universelle de Paris.

Xavier Schwindenhammer est le fils d'un industriel papetier, originaire de Turckheim. Venu faire un stage à la papeterie Metenett, il épousera Jeanne, la fille de Camille, et lui succédera à la tête de l'usine.

 

Image3 Xavier et Jeanne Schwindenhammer-Metenett.jpgLes parents de Thérèse, Xavier et Jeanne Schwindenhammer-Metenett

 

Célina Boucher et Xavier Schwindenhammer étaient de la même génération et tous deux étaient impliqués dans l'industrie papetière. Ils se connaissaient bien.

 

Image4 1912-Famille Boucher N&B-051 Corrigee + Nom Therese.pngFamille Boucher à Docelles (Vosges) en 1912

Les adultes de gauche à droite : Georges Boucher, Georges Cuny, Louis Boucher, Paul Laroche-Joubert, Maguy Laroche-Joubert, Célina Boucher, Marie Cuny, Thérèse Boucher et Maurice Boucher.

Les enfants de gauche à droite : André Cuny, Noëlle Cuny et Robert Cuny

 

Durant la guerre de 14-18, Docelles, tout comme Cheniménil, ont dû supporter « l'invasion » bien contraignante des troupes françaises, mais ce n'était rien en comparaison avec les ravages subis dans les zones de combat.

 

Image5 Docelles Usine Grand Meix Carte ecrite 1915 A Bartko Reher.jpg

 

Le 26/08/1914, Mimi Cuny écrivait : « Tous les villages depuis Lunéville jusque Raon-l'Étape entre la frontière et la Meurthe ont été évacués […]. On prétend que tout ce coin est en feu en ce moment. Thérèse est bien attristée car elle n'a aucune nouvelle de ses parents ; elle croit qu'ils ont dû rester, à moins qu'on les ait forcés à s'en aller, car elle dit qu'ils n'ont jamais peur de rien. »

« Nous nous redonnons du courage mutuellement toutes les trois (Célina et les deux jeunes femmes, Mimi et Thérèse). La semaine dernière, c'était Maman qui en manquait, maintenant c'est Thérèse qui est ennuyée ces jours-ci, sentant son mari au feu, et ses parents peut-être assaillis par les Allemands. »

Le 31/08/1914 elle écrit : « Toujours pas de nouvelles des parents de Thérèse. Georges (Boucher) croit que leur usine est brûlée, mais il ne l'a pas dit à Thérèse, elle le saura toujours assez tôt. Elle craint que ses parents y soient restés et qu'on ait tué son père ou emmené comme otage. »

Mimi écrit le 04/09/0914 : « La pauvre Thérèse est bien anxieuse, nous le devinons, du sort de ses parents, mais elle est très réservée et montre peu ses sentiments, elle aime si tendrement tous les siens que nous la plaignons bien.»

 

Le 17/09/1914 Thérèse part au volant de sa « zèbre » à Raon pour s'enquérir de ses parents ; Mimi, craignant une mauvaise nouvelle, a tenu à l'accompagner.

 

Image6 1914-2 RET 1914 Zebre.jpgLa « Zèbre » de Thérèse - Docelles

 

« Nous avons vu, Thérèse et moi, bien des horreurs de la guerre. A Raon, même spectacle qu'à Baccarat. La principale rue est détruite, il y a même plus de dégâts, plus de 100 maisons incendiées, nous ont dit les Schwindenhammer, dont celle de M. Metenett, le parc à bois, deux grandes cités Schwindenhammer sont détruites dont plusieurs petites maisons que leurs ouvriers s'étaient construites. […] »

 

Une autre grande question se pose à elles : faut-il fuir avant l'arrivée des Allemands ? (29/09/1914). Georges les en dissuade avec insistance.

Effectivement : « A Raon, ils n'ont fait aucune violence à la population, mais ils ont brûlé des maisons habitées. Ils ont simplement prévenu les habitants d'avoir à sortir avant 2 h de leurs demeures qu'ils voulaient incendier.

(N'est-ce pas une façon bien singulière d'estimer qu'il ne s'agissait pas de violence ?) 

Maman et moi, cela nous aurait beaucoup ennuyées de partir, aussi nous sommes bien tentées de croire Georges, mais Thérèse a une frousse intense. »

Rappelons que ses grands parents habitent à Turckheim en Alsace occupée par les Allemands depuis la défaite de 1870 : son père Xavier Schwindenhammer avait alors 13 ans. Et elle savait bien de quoi les envahisseurs étaient capables.

Raon a d'ailleurs été une nouvelle fois bombardé en mars 1916, occasionnant des dégâts importants dans la maison et l'usine Schwindenhammer. A Raon, Thérèse « ne se sent pas en sûreté et n'aime pas y rester longtemps ; elle a toujours peur des bombes. » (21/08/1916).

 

Il n'empêche que « l'éloge de M.et Mme Schwindenhammer est sur toutes les lèvres ; leur dévouement est reconnu et apprécié de tous. Tu n'en seras pas étonnée comme moi. Certes le bien porte sa récompense dans la satisfaction du devoir accompli ; néanmoins, la voix publique ne doit pas être méconnue, et Thérèse éprouvera une joie bien légitime à savoir que ses parents sont estimés et aimés. » (Lettre de Marie Paul Cuny à Mimi Cuny le 08/02/1915)

 

Image7 Baccarat Carte postale.jpg

 

Les hommes de la famille sont mobilisés : en leur absence, les usines doivent continuer à fonctionner : Il faut bien aussi que les habitants aient des ressources ; le boulanger ne peut plus faire crédit...

Célina Boucher-Perrin, qui a perdu son mari en 1912, est une femme d'expérience. A 54 ans, elle connaît parfaitement le fonctionnement de la papeterie de Docelles. Elle le prouvera pendant toute la guerre qui va durer quatre longues années.

Il en va différemment pour Thérèse qui, à 27 ans, est immédiatement confrontée à un problème grave et inattendu relaté dès les premières pages de « Reviens vite ».

 

Image8 Raon Carte postale.jpg

 

Thérèse se bat pour sauvegarder la filature de Cheniménil vandalisée.

Le 09/08/1914 « Hier, le jeune commis de Cheniménil est venu prévenir Thérèse que l'usine était envahie, le bureau ouvert, etc. Maman et Thérèse y sont parties à 2h. Arrivées là, elles trouvent une usine dans un état épouvantable. On avait sorti toutes les balles de coton, et les caisses de tubes du grand hall d'entrée étaient ouvertes. Les soldats forgeaient dans la forge comme si de rien n'était. Ils avaient couché la nuit dans l'usine, avaient sorti le coton du mélange des cardes pour y coucher dessus ; toutes les allées étaient pleines de coton. Mais le plus ennuyeux est qu'on avait fait sauter la serrure du bureau, regardé dans toutes les archives. Le bureau américain de Maurice même avait été ouvert, des coupons d'actions et d'obligations jonchaient le sol. Tous les tiroirs des bureaux des employés ont été vidés des plumes, crayons, papier à lettres qui s'y trouvaient. Ces dames ont été désolées, les officiers les renvoyaient d'Hérode à Pilate, enfin à 6h. du soir, elles ont réussi à obtenir une équipe de soldats pour faire rentrer les balles de coton et caisses à l'intérieur de l'usine, et demain Thérèse ira faire ramasser le coton et faire balayer l'usine par des femmes, le serrurier remettra des serrures à toutes les portes, et Thérèse retournera tous les jours dans sa maison de 10h à 16h pour être là quand les troupes arrivent, et les installer où elle désire qu'elles soient .»

« A Cheniménil, nous avons trouvé Maman et Thérèse éreintées […]. On ne racontera pas tout cela à Maurice, qui serait trop désolé de savoir sa belle usine en si piteux état. Comme on n'y peut rien, ce n'est pas la peine de l’ennuyer. »

 

Image9 Chenimenil Filature Carte postale.jpg

 

Le 10/08/1914 : « Hier, j'ai accompagné Thérèse jusqu'à Cheniménil. Il fallait aller trouver le maire pour le prier de défendre à l'avenir l'entrée de l'usine aux troupes. On a débarrassé des hangars qui leur seront réservés. En rentrant chez Thérèse hier, nous avons été saluées par un garde-général des forêts, qui faisait partie de l'état-major du général Pierrot et qui était chargé de remercier Thérèse de l'hospitalité qu'ils recevaient chez elle. »

En affaire, Thérèse est discrète, efficace mais avisée. Elle parvient à faire évacuer les troupes françaises des locaux de l'usine et s'active pour que le coton et le matériel soient replacés à l'abri dans les hangars et que les locaux soient rapidement nettoyés et remis en état.

Cependant l'usine sera réquisitionnée en décembre 1914 pour servir d'ateliers de réparation aux autos et camions militaires : cette occupation durera un an et laissera les locaux dans un triste état. Par ailleurs, les militaires avaient emporté du matériel appartenant à l'usine, notamment, toutes les caisses de tubes en bois qui seront à remplacer. Il faudra attendre janvier 1916 pour que la filature puisse fonctionner à nouveau.

 

Thérèse s'intéresse à la marche de l'entreprise : en l'absence de Maurice, son mari, c'est elle qui ouvre le courrier, en lit le contenu, et signe les « départs ». Elle prévient dès que surgit un incident : « Thérèse a couru tous ces jours-ci aux environs pour trouver un monteur de câbles, celui de Saint-Dié lui avait dit qu'il viendrait, quoique souffrant, mais depuis hier on l'attend et il ne vient pas. C'est ennuyeux car on ne pourra pas encore remarcher. ».

Il est parfois délicat de vouloir contenter à la fois son père et sa belle-mère :

« Nous avons reçu la visite de M. Schwindenhammer et de Thérèse : M. Schwind venait demander du sulfate d'alumine, il allait être forcé d'arrêter, car il n'en trouvait nulle part. Maman est très fière car elle en a au moins pour un an, mais elle s'est bien gardée de le lui dire et a juste cédé ce qu'on lui demandait.

 

Image10 Chenimenil les usines carte postale.jpg 

M. Schwind ne l'a aidée en rien depuis qu'elle remarche. Combien de fois lui a-t-elle demandé quelque chose, il a toujours répondu qu'il n'en fabriquait pas ou qu'il n'en avait pas. Mais naturellement elle n'a pas voulu refuser et, quand elle lui a dit son prix, il n'en revenait pas, ce que Maman a payé 25 vaut maintenant 36F. Voilà plusieurs fois que Maman a vu qu'elle avait bien réussi dans ses achats et cela lui fait grand plaisir. »

Elle connaît les prix, l'état des stocks, et donne des avis pertinents. Mimi écrit le 17/02/1917 : « A Cheniménil, Thérèse dit qu'ils ont du coton et de la houille pour deux mois. Donc, si on n'en reçoit plus, cela amènera jusqu'en avril, au moment où on peut s'occuper des cultures. Il n'y a pas à s'affoler, les usines ont été arrêtées plusieurs mois au début de la guerre, elles le seront encore pour la fin, et voilà tout. »

 

Thérèse est très appréciée de tous.

Au début de la guerre, Thérèse habite avec Françoise, qui a 2 ans, et Louis, 1 an, chez sa belle-mère Célina Boucher-Perrin avec sa chère belle-sœur Mimi Cuny, 30 ans, et ses trois enfants André, 7 ans, Noëlle, 5 ans et Robert, 4 ans.

Mimi écrit en mai 1915 : « Thérèse a l'intention de « se réinstaller chez elle pour essayer de lutter contre l'envahissement progressif des occupants de l'usine et de la maison. Ce projet est très raisonnable, mais nous serons bien privés ici, car Thérèse est si charmante, toujours d'humeur égale, d'un commerce extrêmement agréable et ses deux petits sont des amours chéris. Lili aime tant sa Tante Mimi et ses chocolats. Maurice, jusqu'alors resté un peu indifférent pour son petit garçon, réservant toutes ses faveurs pour Françoise, commence à lui trouver de l'intérêt. »

 

Image11 Docelles femmes et enfants.png 

Mimi écrit le 05/07/1915 : « Plus nous connaissons Thérèse, et plus nous l'apprécions, C'est une femme parfaite, d'humeur égale, serviable, intelligente et sérieuse. Nous sommes bien contents que Maurice soit si bien tombé. Maurice étant si jeune de caractère et souvent irréfléchi avait besoin d'une compagne pondérée et qui sache lui montrer le bon chemin. De plus Thérèse est très bonne pour Maman.

 

Image12 Therese et ses enfants.jpgThérèse avec ses deux jeunes enfants Françoise et Louis (qui porte une robe)

date probablement du début de la guerre de 14


Thérèse est venue déjeuner avec sa petite Françoise hier, c'est une joie quand elles viennent. […] Maurice est très fier de sa fille qu'il trouve une jolie petite fille, c'est vrai que sa mère l'élève très bien. »

Le 17/04/1916 : « Nous avons Thérèse et moi maintenant bien plus d'idées communes qu'avec ma vraie sœur qui a tellement changé depuis qu'elle s'est éloignée de nous. Cela fait un peu de peine de voir combien nous tenons peu de place dans sa vie et combien elle s'est détachée de la famille et des Vosges ».

Le 25/11/1916 : « Comme nous étions seules chez Maurice, nous n'avons pas joué aux cartes et avons causé bien paisiblement. Thérèse est si bonne et si charmante, plus on la voit et plus on l'aime. Cette guerre aura eu au moins ce résultat de rattacher fortement Maurice à sa femme. Dans les premières années de mariage, il n'était pas gentil pour elle. Mais maintenant, il lui reconnaît toutes ses qualités et l'aime beaucoup. C'est le triomphe de la douceur féminine.

Si au début, Thérèse s'était fâchée et avait jeté le manche après la cognée, cela aurait fait un très mauvais ménage. Mais elle a accepté les exigences de son mari avec soumission et peu à peu l'a compris. Et maintenant, elle a une grande influence sur lui, ce qui nous fait bien plaisir car c'est une femme sûre et toute de devoir.

Maurice a souvent besoin d'être guidé, car c'est un impulsif qui agit trop sous l'empire de la première impulsion. »

Au message de Mimi, Georges Cuny répond le 29/11/1916 : « Oui, Thérèse est une personne très sérieuse en qui on peut avoir toute confiance, et Maurice est fort bien tombé. Tant mieux qu'il lui reconnaisse maintenant toutes ses qualités. »

 

Image13 1917-1-Docelles Permission Maurice N&B-034 Corrigee.jpgDocelles 1917 – Robert Cuny, Thérèse Boucher, Maurice Boucher, Françoise Boucher, Louis Boucher,

Célina Boucher, Mimi Cuny, André Cuny et Noëlle Cuny

 

Pendant la guerre de 1914/1918, le courrier avait une énorme importance et chacun s'inquiète légitimement quand les lettres arrivent en retard. La correspondance entre Maurice et Thérèse a malheureusement disparu. Avec Georges son mari chéri, Mimi s'exprime avec spontanéité et parfois elle n'est pas tendre dans ses jugements, même à l'égard de ses proches. Par exemple, évoquant le colonel que Maurice apprécie :

« Enfin, il plaît à Monsieur mon frère qui n'est pas facile à contenter pourtant. Il a heureusement une femme charmante et sérieuse, qui cherche à le remettre dans le droit chemin quand elle le voit partir, tel don Quichotte, à la conquête de chimères ou quand il se lance dans des paradoxes bizarres ».

Maurice sait pourtant se montrer affectueux : « Serrons-nous les uns contre les autres, ma chère grande sœur, et considère ma femme comme ta vraie sœur. Que tes enfants et les miens s'aiment tendrement, c'est mon vœu le plus cher » (le 08/10/1917).

« Pour la barrette que tu as eu la gentillesse d'organiser, je te prie de la faire venir directement chez toi et tu l'offriras à ma femme la veille ou le jour de sa fête au nom de ton frérot. Ce jour-là, tu embrasseras tendrement ma femme pour son mari ».

A Georges Cuny il écrit : « Ma petite Françoise, la gosse, parle souvent avec moi de son oncle Georges et tous les soirs dans sa prière Thérèse lui fait dire ton nom. Je suis sûr que cela te portera chance. »

 

Image14 1917-2-Cuny dans Auto N&B-040 Corrigee rognee.jpgA Cheniménil en juin 1917 pendant une permission de Georges Cuny

André Cuny, Georges Cuny, Mimi Cuny au volant, Robert Cuny, Noëlle Cuny et Célina Boucher

 

Thérèse est sportive

Elle sait patiner. Mimi raconte : « Thérèse, Marie Krantz et la cousine de Thérèse, Madame Klein, sont allées patiner jusqu'à 3 heures, inutile de te dire que je ne les ai pas accompagnées, les sports me sont interdits et ne me tentent d'ailleurs pas. »

Elle aime conduire sa « Zèbre » : aujourd'hui on la qualifierait de « voiture de collection » ou « tacot ». Elle fut la première femme des Vosges à obtenir son permis de conduire quand celui-ci fut rendu obligatoire après la guerre.

Elle véhicule volontiers Célina, sa belle-mère, quand elle a des démarches à effectuer à Épinal, ou encore Mimi et ses enfants.

Elle apprend à Mimi à conduire, et cette dernière qui est douée y prend plaisir. Thérèse n'hésite pas à lui prêter la « Zèbre » si nécessaire.

Les voyages sont pleins d'incertitudes car les voitures sont moins fiables qu'aujourd'hui ; ainsi, elles sont toutes contentes de rentrer sans incidents : « nous n'avons pas eu de panne, ni de pneu ». (Explication : quand un Vosgien dit : « j'ai eu un pneu » cela signifie « j'ai eu une crevaison.)

« Les phares sont des lampes à pétrole, mais on peut s'en passer à la pleine lune... »

Mimi juge que Thérèse « va un peu vite », mais il faut cependant savoir que la vitesse de pointe de la « Zèbre » ne dépassait pas les 60 km /h...

Thérèse n'hésite pas de faire à pied le trajet de Cheniménil à Docelles et organise aussi des promenades familiales.

En vacances, elle sort presque tous les jours avec les enfants.

 

Image15 Therese à ski.jpg 

Thérèse aime découvrir de nouveaux horizons

Bien sûr, elle aime beaucoup les Vosges, mais elle les quitte quand les circonstances l'exigent : ainsi le 22/12/1914, quand Maurice, son mari est blessé, elle le rejoindra, pour le soigner à Granville où elle restera quatre longs mois. Elle en fait de jolies descriptions, mais trouve que le temps coule lentement : sa famille lui manque...

Cependant les circonstances sont parfois différentes et elle a été ravie d'accepter l'invitation de Mimi de l'accompagner dans un endroit avec un bon climat susceptible d'apporter un changement d'air bénéfique aux enfants.

C'est l'occasion de profiter de la plage et de la ville. Mimi est généreuse. Le 11/03/1916, elle écrit : « Tout à l'heure après le déjeuner, je vais offrir à Thérèse et aux enfants une promenade en voiture découverte. Cela nous fera connaître les jolis coins d'Arcachon que nous ignorons encore, moi du moins qui n'ai pour ainsi dire pas bougé depuis mon arrivée. Les enfants font de bons tours dans la forêt, et Thérèse est allée plusieurs fois en ville. Je te dirai demain ce que nous aurons admiré. »

Les deux jeunes femmes s'entendent très bien et sont heureuses d'être ensemble. Mais elles se font du souci pour leurs maris qu'elles savent en danger et s'inquiètent dès que le courrier est en retard.

 

Heureusement, Georges Cuny et Maurice Boucher reviendront vivants de cette guerre effroyable : ils ont fait preuve d'un comportement héroïque qui leur a valu des médailles bien méritées, mais ils resteront marqués pour la vie par ces quatre années de souffrances où ils ont sans cesse côtoyé la mort.

 

Que sont-ils devenus ?

Georges et Mimi se sont réinstallés à Cornimont avec leurs enfants André, Noëlle et Robert. Georges a retrouvé son poste dans l'usine textile des « Héritiers de Georges Perrin ».

Maurice et Thérèse sont restés à Cheniménil où Maurice a continué à veiller à la bonne marche de la filature de Cheniménil, sa « belle usine » ; Françoise et Louis ont eu un petit frère Georges dit « Do » né en juin 1918. Le dernier message de Georges Cuny dans « Reviens vite » le 29 juin 1918, évoque cette naissance :

« Je suis très heureux pour Thérèse et Maurice et j'écris un petit mot à ce sujet à Thérèse. Je pense qu'ils auraient préféré comme nous une petite fille, ce sera pour la prochaine fois. Il ne faut jamais désespérer. »

Leurs vœux ont été comblés puisqu'une petite Vivette Cuny est née durant l'été 1921.Thérèse et Maurice Boucher ont eu en 1920 un quatrième enfant : André, dit Dédé.

 

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Les liens affectifs entre la famille de Maurice et Thérèse Boucher et celle de Georges et Mimi Cuny sont restés très solides et leurs enfants ont toujours continué à s'aimer.

 

Image17 1940 Famille.jpg

Juillet 1938 - Thérèse à 51 ans avec ses 4 grands enfants :

Dédé, 18 ans, Françoise Hommell-Boucher 26 ans, Do 20 ans et Louis en soutane 25 ans.

Devant Françoise : Monique et Jacqueline qui tient la main de sa grand-mi.

 

Dédé, devenu frère franciscain, est mort à 25 ans dans le camp de concentration de Buchenwald

 

Image16 1941 Mariage Do et Trott.png
 

 

Marie Favre, l'auteure de « Reviens vite » indique qu'elle fait partie des 28 petits-enfants du couple Georges et Mimi Cuny. Elle porte le numéro d'ordre 21.

 

Image18 Docelles 1926.jpg

 

Par mon père Do Boucher, je suis leur cousine et les mariages ont renforcé encore les liens de parenté et d'affection : en effet la charmante Noëlle Cuny a épousé Jean Favre le frère de Trott Favre, ma mère, laquelle se mariera avec Do Boucher en septembre 1941. André Cuny s'est marié avec Lily Laurent, nièce de ma grand-mère maternelle. Nous sommes donc « parents » avec eux à la fois du côté paternel et du côté maternel.

 

J'ai connu ma grand-mère Thérèse Boucher comme une dame discrète, maîtresse de maison raffinée, digne mais aussi un peu terne et tristounette. C'est l'image qui en est restée... Et pourtant elle ne manquait pas de qualités !

 

Image19 1941 Mariage Trott les parents.pngSur le parvis de l'église de Menthon Saint Bernard - Mariage Do et Trott Boucher-Favre - Sept. 1941.

"Les parents" : le colonel Édouard Favre, Thérèse Boucher, Maurice Boucher et Yvonne Favre-Bon.

En arrière-plan on voit Xavier Schwindenhammer.

 

En lisant « Reviens vite » j'ai été très surprise de découvrir, la jeune femme de 27 ans, qu'elle était au début de la guerre de 1914.

C'était pourtant une « pièce rapportée », mais sa belle-mère Célina comme sa belle-sœur Mimi Cuny, qui pourtant ne sont pas toujours tendres, ne cessent d'en brosser un portrait élogieux, constatant que finalement elles se sentent beaucoup plus proches d'elle que de Maggy L. J. qui est pourtant née Boucher.

 

Image20 Mariage Do et Trott Therese et marie-louise Aussedat.jpgAu mariage de Trott et Do Boucher montre Thérèse Boucher assise ainsi que Marie Louise Aussedat riante.

 Image21 Therese et famille Gaudel.jpgThérèse Boucher, et sa sœur Louise Gaudel, Suzanne et Marie Gaudel + Xavier G. et Dédé Boucher

 

Image21 Therese et famille son pere.pngÀ Raon chez son père Xavier Schwindenhammer : Thérèse Boucher et ses quatre enfants,

Françoise 17 ans, Louis 16 ans, au premier rang : Dédé 9 ans et Do 11 ans.

Sa sœur Louise Gaudel et ses 3 enfants Xavier, Marie et Suzanne ; tous les autres sont des Schwindenhammer.

 

Image22 Therese et son fils Andre.jpgThérèse, élégante, avec Dédé en tenue de franciscain

et ses petites filles Jacqueline et Monique Hommell perchées sur une voiture

 

Cent ans après la guerre de 1914-1918, que reste-t-il ? 

  • Les adultes comme les enfants évoqués dans « Reviens vite » ne sont plus de ce monde.
  • Les usines familiales vosgiennes :
    • les entreprises textiles : « Les Héritiers de Georges Perrin » et la « Filature de Cheniménil ».
    • La papeterie de Raon et celle de Docelles

ont toutes cessé leur activité dans les dix dernières années.

  • Les descendants Boucher se sont multipliés mais la plupart ont quitté les Vosges.

 

Aujourd'hui, Menthon Saint Bernard en Haute Savoie, où se sont mariés Do Boucher, mon père, et Trott Favre, ma mère, reste un lieu privilégié, où les liens d'affection exceptionnels qui unissaient déjà les membres de notre famille continuent encore à se fortifier. Certains y habitent, et beaucoup y passent leurs vacances.

 



02/04/2015
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