14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch 9-2 – La réorganisation

Chapitre 9 – La réorganisation – 2e partie

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 27/07/2016

 

 

Paul Boucher 9-1 Image3 PB gouverneur Steinbach.jpgLe capitaine Paul Boucher, gouverneur de Steinbach, au centre de la photo et ses officiers le 2 mars 1916.

Photographie de l’armée, album Valois

 

 

Paul Boucher est à Steinbach comme gouverneur pour quelques jours, nous sommes en mars 1916.

 

Nous sommes accablés de paperasseries ridicules par notre commandant Thiéry dont les manières barbares deviennent légendaires. Il est la terreur des fourriers à qui il dicte nuit et jour d’interminables proses, consignes, etc. Mais quelle honte de donner ainsi à un fou des hommes à commander au feu.

 

Descottes le major vient habiter avec moi. Nous sommes infestés de gros rats.

Note de RS : Le major est un capitaine adjudant-major, grade intermédiaire entre le capitaine et le commandant ou entre le commandant et le colonel (ou lieutenant-colonel). Il s'agit d'une fonction plutôt administrative et celui qui la détient est en fait l'aide du grade supérieur.

 

Mon gourbi est dans l’extrémité ouest du village, j’ai un lit en bois et un matelas. Les officiers sont l’un à l’usine Rollin, l’autre au carrefour du chemin creux devenu le « Village nègre ».

 

On fabrique des bagues avec les cloches de Steinbach. Les photographes de l’armée viennent nous prendre sur la côte 425.

 


Paul Boucher 9-2 Image2 Vue de Steinbach.jpgVue de Steinbach depuis la tranchée de 1
re ligne le 2 mars 1916

(Album de photos Valois, Ministère de la Guerre)

 

Papiers et élucubrations du commandant, consignes ridicules contre les gaz, on fait des petits fagots : de la poudre noire avec des allumettes.

 

Une tresse est suspendue au crucifix sur la route de Cernay pour indiquer le sens du vent.

 

J’apprends la mort d’Edouard Michaut survenue le 1er mars qui me navre.

 

On est en plein combat à Verdun et cependant ici nous n’avons aucun abri contre l’artillerie ou rien de bien fait.

 


Paul Boucher 9-3 Image3 Tranchée de Steinbach.jpgSteinbach depuis la tranchée de 1
re ligne le 2 mars 1916

(Album de photos Valois, Ministère de la Guerre)

 

  

« La gazette du centenaire du 152e RI n° 25 »

Editée en janvier 2016 par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources Humaines de l’armée de terre.

 

JANVIER 1916. SAULXURES-SUR-MOSELOTTE, LA RECONSTRUCTION :

L’année 1916 commence par une messe solennelle à Saulxures-sur-Moselotte où est installé le régiment. Deux jours avant, le 30 décembre au matin, le lieutenant-colonel SEMAIRE a écrit un ordre qui organise la reconstruction du régiment suite aux demandes qu’il avait exprimées dès le lendemain des combats, et il n'y pas de temps à perdre :

 

« A partir du 30 décembre midi, chacun des trois groupes provisoirement constitués au 152e reprendra la dénomination de BATAILLON - Chaque bataillon sera formé de 4 compagnies. Les commandants de bataillon seront jusqu’à nouvel ordre : 1er bataillon, le capitaine JENOUDET, 2e, le capitaine BOUCHER, 3e, le capitaine MARTIN. Le noyau de chaque compagnie sera formé par les gradés et hommes qui, avant les affaires des 21 et 22 décembre, appartenaient à cette compagnie. Ces gradés et hommes resteront jusqu’à nouvel ordre groupés en une section qui sera la première section de chaque compagnie.

 

Chacune des 12 compagnies doit recevoir 2 sections constituées, venant d’autres régiments, et qui formeront les 3e et 4e sections de chaque compagnie. Ce renfort sera d’abord fourni aux 1re, 2e, 5e, 6e, 9e et 10e compagnies dans les conditions ci-après :

·       1re compagnie recevra 1 section du 166e qui arrivera en gare de Saulxures le 31 à 4h59, 1 section du 277e le 31 à 4h59.

·       2e compagnie 1 section du 325e le 31 à 04h59, 1 section du 223e le 30 à 17h17.

·       5e compagnie 1 section du 212e le 30 à 17h17, 1 section du 257e le 30 à 17h17.

·       6e compagnie 1 section du 323e le 30 à 17h17, 1 section du 344e le 30 à 17h17.

·       9e compagnie 1 section du 221e le 31 à 04h59, 1 section du 349e le 31 à 04h59.

·       10e compagnie 1 section du 358e le 31 à 04h59, 1 section du 370e le 31 à 04h59.

 

L’effectif de chacune de ces sections sera de : un chef de section, 2 sous-officiers de demi-section, 3 caporaux et 30 hommes. Une section sur deux sera commandée par un officier et comprendra en plus des cadres fixés ci-dessus, un sous-officier ou caporal-comptable. Les commandants de bataillon prendront les mesures nécessaires pour recevoir à la gare les sections destinées à leur bataillon, préparer leur cantonnement et leur assurer un repas chaud à leur arrivée. Le plus ancien officier présent dans chaque compagnie commandera provisoirement cette compagnie, quelle que soit sa section d’origine (152e ou renfort).

 

Les hommes de tous les détachements de renfort qu’ils soient ou non prévus par la présente, qui arriveront aujourd’hui 30 et demain 31 seront pris en subsistance à la C.H.R. jusqu’au 31 décembre inclus. A la date du 1er janvier 1916, ils seront pris en solde par leur compagnie. Les commandants de bataillon remettront au bureau du colonel le 31 à 10 heures, un tableau du modèle ci-joint indiquant la répartition numérique du personnel entre leurs compagnies et leurs sections. A ce tableau sera joint un état nominatif par compagnie : des officiers (avec leur ancienneté) des adjudants, des sergents-majors, des sergents-fourriers, des caporaux-fourriers ou caporaux-comptables. La C.H.R. et les compagnies de mitrailleuses remettront le 31 à 10 heures un état et un tableau analogues. Chaque jour à 10 heures, jusqu’à nouvel ordre, les bataillons, la C.H.R. et les compagnies de mitrailleuses remettront un état et un tableau du même modèle que ceux demandés ci-dessus pour le 31.

 

Les commandants de bataillon règleront la répartition entre les compagnies des sous-officiers et caporaux-comptables.

 

En résumé :

 

La réorganisation sera faite sur les bases suivantes : Les 3e et 4e sections de chaque compagnie resteront constituées jusqu’à nouvel ordre telles qu’elles vont arriver. On ne les renforcera ou on n’y fera aucun prélèvement sans ordre du chef de corps. La première section comprendra tous les caporaux et soldats de l’ancien 152e (actuellement présents ou devant rejoindre). Les renforts à recevoir (indépendamment des unités devant constituer les 3e et 4e sections) seront employés à compléter d’abord la 1re section à l’effectif de 42 environ, et ensuite à former la 2e section. Il faut que les compagnies aient le plus tôt possible 3 sections (1re, 3e, 4e) solides et bien encadrées.[…]»

 

Dès le 1er janvier, le régiment commence ses travaux de réorganisation et reprend l’instruction sous les ordres des nouveaux chefs de bataillon et de compagnie. Les renforts arrivent quasi quotidiennement soit du dépôt, soit des régiments de la 7e armée. La réorganisation est menée tambour battant. Le 4 janvier, après les compagnies, sont constitués les groupes pionniers, les bombardiers, les télégraphistes, les téléphonistes, les tambours, les clairons. Un wagon d’effets d’habillement arrive en gare. Le 5 janvier, le général Dubail, commandant le groupe d’armées de l’Est, vient lui-même inspecter le régiment, montrant ainsi l’importance qu’il accorde au 15-2.

 

Paul Boucher 9-3 Image4 Carte vallee de la Thur.jpg

CARTE DE LA VALLÉE DE LA THÜR

 

Le 7 janvier, le chef de corps accompagné de deux officiers se rend à Moosch au service funèbre du général Serret qui commande la 66e division et vient de succomber de la gangrène contractée après une amputation d’une jambe suite à une blessure au genou par un éclat d’obus survenue au HWK le 28 décembre 1915.

 

Le 9 janvier, la réorganisation du régiment est bien avancée et une cérémonie de présentation au drapeau a lieu suivie d’un défilé.

 

Le 16 janvier, le général de division Nollet qui succède au général Serret, vient inspecter le régiment. Le 20 janvier, le colonel de Cambarion, nouveau commandant de la 81e brigade vient s’entretenir avec les officiers.

 

Le 23 janvier, le président de la république, Raymond Poincaré, est en visite à Wesserling, première visite symbolique en Alsace d’un président français. Le général Dubail qui accompagne le président lors de cette visite, note dans ses carnets de marche : « En route, je croise le 152e se dirigeant vers la Thur et je constate la bonne allure et l’excellente tenue de ce régiment remis en état. » Le capitaine Jenoudet, seul officier qui a réussi le 22 décembre à rejoindre les lignes françaises à la tête d’un détachement de 60 hommes, y est décoré de la Légion d’honneur. Le lendemain, le général de division Nollet est de retour au 15-2 pour y inspecter les compagnies à l’exercice.

 

Le 28 janvier, le régiment rejoint Krüth à pied, le troisième bataillon et la compagnie de mitrailleuses restent cantonnés sur place tandis que le reste du régiment est transporté par voie ferrée à Moosch, sauf le train régimentaire et le train de combat qui font le trajet par la route. A son passage à Krüth, le premier bataillon est passé en revue par le général Dubail qui écrit : « L’ensemble est bon, mais l’instruction de détail et de certains gradés et officiers laisse à désirer. Je le fais remarquer au colonel, en lui demandant un nouvel effort pour obtenir mieux. »

 

Le 29 janvier, le 3e bataillon rejoint à pied le camp de Bouvines où il stationne en réserve de division. Le chef de corps, les chefs de bataillons et les commandants de compagnies, vont reconnaître leur futur secteur entre le sud du Hartmannswillerkopf et Steinbach. Ce même jour, à Moosch, le lieutenant Paoli, rescapé des combats du 22, est décoré lui aussi de la Légion d’honneur.

 

Le 30 janvier, le 2e bataillon remplace, comme réserve de secteur le 13e BCP. Le soir, le 1er bataillon s’installe en première ligne après avoir relevé le 68e BCP dans le secteur de Sihl - Faux Sihl.

 

A la fin du mois de janvier, le régiment est reconstitué et immédiatement réengagé.

 

ANALYSE DES COMBATS DU 21-22 DÉCEMBRE 1915 :

Après les combats du 22 décembre 1915 qui virent disparaître la presque totalité du 15-2, trois documents furent rédigés cherchant à analyser ce qui avait pu conduire à ce drame. Le premier est écrit par le lieutenant-colonel SEMAIRE, chef de corps :

 

« En résumé, les caractéristiques des combats du 22 décembre, qui devaient malheureusement aboutir à la disparition du 152e sont les suivantes :

·       Extension extrême du front à tenir et à organiser.

·       Insuffisance de réserves à proximité immédiate.

·       Nature de la position occupée. Le terrain, depuis le sommet de l’H.W.K. jusqu’aux tranchées créées, étant un escarpement, absolument en vue des nombreuses batteries de l’adversaire.

·       Impossibilité pour notre artillerie d’agir efficacement en avant de notre ligne nouvelle, dans l’intervalle entre les deux éperons de l’H.W.K. Impossibilité d’ailleurs pour l’infanterie de renseigner l’artillerie, par fusées ou autres signaux, en raison du brouillard.

·       Difficulté extrême des liaisons. Communications téléphoniques pour ainsi dire inexistantes, malgré le dévouement des téléphonistes, qui, au prix de pertes très sérieuses, essayèrent constamment de les rétablir.

·       Brouillard intense, rendant, avec la nature escarpée et boisée du terrain, la communication par la vue impossible.

·       Fatigue de la troupe d’attaque qui avait fourni le 21 un effort magnifique, éprouvé des pertes sérieuses, travaillé toute la nuit en luttant au fusil, à la baïonnette et à la grenade.

·       Action formidable de l’artillerie adverse, qui opéra des barrages constants derrière les troupes du 152e, cherchant manifestement à créer le long de la crête une muraille infranchissable, en vue de s’opposer au renforcement ou à la retraite.

 

Paul Boucher 9-3 Image5 Lt colonel Semaire.jpgLIEUTENANT-COLONEL SEMAIRE

 

Le 152e avait donné le 21 décembre un exemple magnifique d’élan et d’énergie. Il s’était montré digne de son passé et de sa réputation. L’évènement déplorable dont il devait, le lendemain, être la victime ne peut entacher en rien son honneur militaire. Il avait rempli la veille une mission de confiance, remporté un succès considérable dans les conditions les plus difficiles, il avait fait à l’ennemi 700 prisonniers.

 

Après un tel précédent s’ajoutant à tant d’autres, on n’a pas le droit de supposer qu’aucune des unités du régiment n’a pu se conduire, le lendemain, de façon différente. La perte est cruelle, mais l’honneur est sauf. »

 

Le second document est celui du général Serret qui commandait la division : « Je n’ai rien à reprendre aux ordres donnés par le colonel Goybet et le lieutenant-colonel Semaire. Il me paraît indéniable que le 152e régiment, après sa brillante attaque et même en portant toutes ses unités en ligne, s’y est trouvé très étiré et a manqué de profondeur de même que ses voisins, le 5e bataillon et le détachement du 23e régiment.

 

Paul Boucher 9-3 Image6 General Serret.jpgGÉNÉRAL SERRET

 

Il y a là le résultat d’une erreur initiale qui peut m’être imputée : insuffisance des effectifs d’infanterie par rapport au front à atteindre et aux réactions immédiates à prévoir.

 

Malgré cet étirement, les communications latérales et avec l’arrière n’ont pas cessé d’exister, les détachements de travailleurs ont pu, toute la journée, porter du matériel à la première ligne. Jusqu’au matin, le lieutenant-colonel Semaire n’a cessé d’être en liaison avec ses commandants de bataillon et a pu, à juste titre, n’avoir aucune inquiétude sur la situation.

 

Le craquement et l’effondrement de toute la ligne du 152e provient évidemment de l’absence de réserves en arrière de la ligne de feu.

 

Un bataillon du 23e a été mis, le 21 au soir, à la disposition du colonel GOYBET, comme réserve de brigade.

 

J’ai eu le tort de ne pas spécifier que ce bataillon devait être porté au plus vite, immédiatement derrière le 152e en avant des barrages ennemis, comme avait été placé le dispositif d’attaque et j’ai été surpris d’apprendre, au cours de la matinée du 22, que le gros de ce bataillon était encore en arrière de Pierres.

 

En résumé, personne ne s’est étonné de la grandeur de la tâche et n’a douté un instant du succès.

 

Les excellentes troupes engagées n’ont pas songé un seul instant à se trouver aventurées et à crier : « Au secours ! »

 

Cet excès de confiance et de valeur a permis, à une riposte ennemie, préparée et menée avec des forces nombreuses, de submerger les unités fatiguées et étirées du 152e régiment et de ses voisins.

 

L’enseignement à tirer de cette malheureuse affaire est que, en arrière d’un front d’attaque aussi étendu un effectif égal aux troupes d’attaque est immédiatement nécessaire, sans préjudice des relèves ultérieures nécessaires. J’ai eu le tort de ne pas m’en rendre compte d’avance.

 

Je n’ai pas trouvé d’autre erreur grave commise sous mes ordres. »

 

Le troisième document provient du général Dubail qui commande la VIIe armée et qui figure dans le tome III de son journal de campagne intitulé « Quatre années de commandement 1914-1918 » :

 

« Cet échec est dû à ce fait que, derrière la ligne de combat, on n'a pas occupé la position conquise (c'est cependant une des mesures essentielles de prudence dont j'exige l'application dans toutes les manœuvres de division). Le colonel Goybet commandant la brigade n'a pas songé à faire avancer, à cet effet, son bataillon de réserve du 23e RI. De plus, le colonel Semaire est resté près de lui sans communication avec son régiment qu'il ne pouvait, ainsi, plus commander. Enfin, le 152e n'avait pas de profondeur : obligé de tenir un front qui s'élargissait au fur et à mesure de son avance, il avait mis en ligne tout son monde. Nous avons su par des prisonniers qu'il s'était très bravement comporté suivant son habitude, et avait fait beaucoup de pertes (les 3 chefs de bataillons ont été tués ou blessés grièvement).

 

Paul Boucher 9-3 Image7 General Dubail.jpg

 

Des déclarations d'autres prisonniers, il semble résulter aussi que, grâce aux renseignements d'un lâche qui venait de déserter, l'ennemi s'attendait à être attaqué et avait préparé la riposte, qui, en fait, s'est déclenchée rapide et puissante. »

 

Ainsi on se rend compte qu’à aucun moment, le 152e régiment d’infanterie n’est mis en cause. L’honneur est sauf, mais son comportement ne lui vaudra pas de citation, ni pour sa magnifique action du 21, ni pour son sacrifice du 22.

 

Fin de la 2e partie du chapitre 9 des souvenirs de guerre de Paul Boucher

 



29/07/2016
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