14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 5.1 – 20 au 26 décembre 1914

Chapitre 5 – STEINBACH – La mort de François

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 19/12/2015

 

 

Informations données par « La gazette du centenaire » éditée par la cellule communication du 152e RI à Colmar

 

Paul Boucher 5-1 Image 0 Caserne Gerardmer.jpg

Les casernes du 152e RI du quartier Kléber à Gérardmer vers 1910 (collection Renaud Seynave)

 

Janvier 1914, où se trouve le régiment ?

En garnison dans les Vosges, à Epinal, de 1887 à 1905 (avec un bataillon à Bruyères en quartier d’hiver), tout le régiment passe l’été en camp à Gérardmer pour entamer un dur entraînement en moyenne montagne. A partir de 1905, le 152e s’installe à plein temps au quartier Kléber, flambant neuf, de Gérardmer.

 

Gérardmer compte environ 5 000 habitants à cette époque, l’arrivée du régiment fait quasiment doubler la population de la ville.

 

Il fait partie de la 81e brigade d’infanterie, 41e division d’infanterie, 7e corps d’armée.

 

   

Janvier 1914, qui est le fantassin du 152e RI ?

Le fantassin du 152e est foncièrement endurant, la marche reste un des actes fondamentaux de la guerre et cette activité est régulièrement programmée. Le service militaire dure 3 ans.

 

La grande majorité des effectifs du régiment est constituée de ruraux à la solide constitution physique et qui répondent aux critères d’aptitude de l’infanterie : « poitrine large et bombée, apparence vivace et intelligente, souplesse des membres et pieds parfaitement sains. »

 

Ces rudes gaillards proviennent majoritairement des Vosges complétés par des Franc-Comtois et des Bourguignons. Le corps des officiers compte de nombreux officiers alsaciens, dont les familles ont optés pour la France en 1871 et qui rêvent de voir leur province rejoindre la patrie française.

    

    

Paul Boucher 5-1 Image 1 Frontière sans legende.jpgFigure 2 : La frontière en Alsace Lorraine 1914

 

Janvier 1914, que fait le régiment ?

Les activités sont incessantes, exercices d’alerte, reconnaissances de terrain, courses d’orientation en forêt, longues marches en montagne alternant avec de multiples séances d’instruction, le tout sanctionné par des raids de bataillon de 60 kilomètres bien souvent le long de la frontière. Le commandement développe chez tous les officiers l’esprit d’initiative, la volonté d’aller en avant et le souci de rechercher dans la montagne boisée la manœuvre d’infiltration dans le silence.

 

Le 15.2 fait partie des unités de l’armée les mieux entraînées. Il a acquis une réputation d’endurance qui l’a fait surnommer « le premier grenadier des Vosges ».

 

Quelle est l’organisation du régiment ?

Le 152e RI est composé de :

-         Trois bataillons de quatre compagnies et d’une compagnie Hors Rang. Chaque bataillon est doté d’une section de mitrailleuses.

-         Chaque compagnie se décompose en 2 pelotons de 2 sections, soit 4 sections par compagnie.

-         Chaque section se décompose en 2 demi-sections de 2 escouades.

-         Une escouade correspond à 15 soldats commandés par 1 caporal.

 

Le régiment avant la mobilisation compte 60 officiers, 170 sous-officiers et 2 580 hommes, après la mobilisation avec les réservistes, il comptera 3 290 hommes au total.

 

Chaque compagnie de combat est forte de 4 officiers, 8 ou 9 sous-officiers et 180 caporaux et troupiers.

 

Février 1914, comment est équipé le fantassin?

En août 1914, les fantassins portent les pantalons rouges traditionnels, dit couleur "garance" et une capote, modèle 1877, gris de fer bleuté, fermée par 2 rangs de boutons. Le col est haut et porte comme le képi le numéro du régiment. Les pans sont remontés lorsque le fantassin est en campagne. Le pantalon de 1867 est enserré, aux mollets, par des guêtres en cuir qui se lacent sur le devant et couvrent le haut de l'équipement le plus précieux du fantassin, le brodequin en cuir à semelles cloutées. Le ceinturon porte 3 cartouchières et une baïonnette. Le képi (modèle 1884) à turban garance et bandeau bleu, est recouvert, en campagne, d'un couvre-képi bleu.

 

Les grandes armées européennes ont déjà adopté des couleurs plus discrètes, c’est notamment le cas des tenues de campagne britanniques, russes ou allemandes.

  

Le paquetage pèse 30 kg.

 

Paul Boucher 5-1 Image2 Fantassin.jpg

 

Le sac à dos ou havresac (avec cadre en bois) :

Lacets de rechange, une seconde chemise, un bonnet de police, un élément de toile de tente collective, un tournevis en acier, un nécessaire d’entretien, une pelle-pioche, des souliers cloutés de rechange, un seau en toile, une gamelle. Il renferme aussi du linge propre et du savon, et des objets personnels.

 

La musette :

Une boite en tôle contenant le pain de guerre, le quart, une conserve de viande, du potage déshydraté, du sucre, du café, du chocolat, un ouvre-boite, des couverts, ½ litre de vin, cidre ou bière et une ration d’eau de vie.

 

L’armement :

En 1886 est adopté le fusil à répétition de calibre 8 mm modèle 1886 Lebel. Il peut tirer à la cadence de 12 coups/minute à une portée maximum de 2000 mètres et à un poids de 3,760 kg sans le magasin à 3 cartouches. Le régiment est équipé aussi de la mitrailleuse Saint-Etienne modèle 1907 de calibre 8mm, d’une cadence de 30 à 600 coups/minute et d’un poids de 26 kg.

 

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Chapitre 5 - Première partie : 20 au 26 décembre 1914

 


Paul Boucher 4-4 Image 1 Les 2 freres.jpgA partir de la gauche: Chauffeur d’Henry Boucher, x, François et Paul Boucher, l’ordonnance de Paul Boucher. (Photo prise par Henry Boucher en août 1914 au col du Herrenberg)

  

Note de Renaud Seynave

Le 19 décembre 1914, Paul Boucher et sa compagnie sont à la Pêcherie, hameau à 6 km au nord de Saint Dié sur la route Saint Dié à Ram.

Paul Boucher est lieutenant de réserve dans la 1e Cie, François est sergent dans la 2e Cie du 152e RI

 

 

Après un jour de repos et de nettoyage, on nous embarque le dimanche matin 20 décembre en camion-auto. C’est un des premiers transports fait dans cette région, aussi de frétillants officiers d’état major y assistent. Je remarque avec agacement un très joli hussard ou chasseur d’Afrique dont l’élégante tenue nous humilie.

 

J’ai su depuis que c’était le commandant Prioux qui fut en 1918 mon chef d’état-major très aimable et bon camarde mais pas guerrier du tout.

 

Nous étions ravis de marcher dans un cortège de 50 camions-autos et de parcourir des pays connus. J’occupe le deuxième camion, à côté du conducteur, parmi ces derniers, Vautrion, Willez, Tonnelier. Nous évitons Saint Dié à notre vif désappointement.

 

Paul Boucher 5-1 Image4 JMO.jpgJournal de marche du 152e RI du 20 au 27 décembre 1914

 

Plus loin, de nombreux habitants de Gérardmer qui croyaient à une halte attendaient ainsi que de nombreux parents et amis qui se trouvaient parmi eux.

 

Aucune voiture ne stoppe, nous sommes bombardés de paquets, bouteilles de vin qu’on nous lance à la volée.

 

Je reconnais Durand et Mangin tandis que Papa et Maman nous dépassent en auto. Ma voiture a eu une panne au bout du lac en face de ma maison pendant dix minutes. Je contemple le cœur serré cette petite villa où j’habitais en parfait bonheur depuis mon mariage. Quand la reverrai-je ?

 

Nous entrions déjà dans le 5e mois de guerre et savions ce qui nous attendait, aussi peut-on imaginer les sentiments pénibles que j’éprouvais à ce moment. Heureusement ma femme et mes enfants étaient à Nancy, sinon mes regrets auraient été encore plus cuisants…

 

Nous gagnons Ventron où nous trouvons les deux autres bataillons qui ont fait route à pied. Notre expérience de la guerre nous a rendus fatalistes et nous prenons à chaque minute ce qui vient sans penser au-delà.

 

Aussi à Ventron, j’assiste particulièrement à la bonne tablée de Martin Germain qui pour la première fois de la guerre reçoit tous les officiers du bataillon autour du commandant Castella venu de l’état-major et qui nous commandait depuis le 24 octobre dernier, homme ferme, aimable et droit qui me laisse le meilleur souvenir.

 

Marguerite et Jean Boucher viennent nous voir. Toute la famille sauf Papa parti à Paris se réunit là, Lucette aussi.

   

On dirait un pressentiment… c’est la dernière fois que François les vit. Maman qui avait couché à Thiéfosse chez Alphonse Perrin passe tout le temps qu’elle peut avec François et déjeune à sa popote chez un menuisier, à la montée vers un col de Ventron. On se donne rendez-vous le lendemain mercredi 23 décembre, mais nous levons le camp avant et tout le régiment réuni sur la route, ce qui ne s’est pas vu depuis l’Alsace, gravit la côte d’Oderen couverte d’une mince couche de neige.

 

       

 

Paul Boucher 5-1 Image5 Lettre Paul A Suzanne.jpg

Lettre de Paul Boucher à Suzanne écrite le 23 décembre 1914 de l’hôtel du frère Joseph à Ventron

 

 

HOTEL DU FRERE JOSEPH                                                                   Ventron  23 décembre 1914
ancienne maison Gustave Valroff

       C. Martin-Germain
              Successeur

Correspondant du chemin de fer de l’est

Ventron

 Chère Suzy,

 

 Nous pensions rester ici quelques jours et je regretterai un peu ton éloignement mais voici un ordre, nous partons tout à l’heure pour Fellering en bas du col.

  

 J’aurai eu trois bonnes nuits reposantes ici, bonne table. J’ai vu Marguerite de Thiéfosse qui est venue avec son cheval et sa voiture avant-hier avec Maman qui a couché à Thiéfosse et est revenue hier un bon moment.

 

 J’ai fait visite chez Madame Germain aussi. Nous n’étions que le bataillon seul, mais les deux autres sont venus hier de La Bresse avec le célèbre Jacquemont toujours désagréable.

 

 Il est 8h30, nous allons casser la croute et partir à 9h30 pour le col. Il fait beau froid sec, c’est agréable de marcher.

 

 Je t’engage à rester à Nancy jusqu’après le nouvel an car tu passeras ainsi de bonnes fêtes.

  

Embrasse tout le monde et toi surtout.

  

Paul

  

 

 

Marthe Boucher, la maman de Paul et François écrit dans son journal :

« Je puis retourner à Ventron et passe la journée avec mes fils et Marguerite qui est venue depuis Thiéfosse en voiture. Ils sont gais et contents d’être là au repos, loin des obus ; ils espèrent y passer Noël. Le 22, ayant couché à Thiéfosse, je retourne à Ventron et déjeune avec François et ses amis sergents. Je le quitte vers trois heures, ils ont une revue !

Puis-je prévoir que j’embrasse mon François pour la dernière fois ? Quel déchirement si je l’avais supposé ! Mais non, je les quitte gaiement pensant revenir et passer Noël avec eux. Hélas ! Le 23 décembre, j’apprends que le régiment part en Alsace, je cours à Ventron avec des provisions et j’arrive vers 13h. Ils sont partis à 11h ».

   

    

Le soldat français est ainsi fait que nous sommes tous contents de changer de place, fiers de notre régiment qui a vraiment belle allure et donne une impression de force. Au passage de l’ancienne frontière, nous prenons le pas cadencé. A Kruth, nous défilons devant le chef de corps ainsi jusqu’à Fellering où nous cantonnons.

 

Cela ressemble aux manœuvres dans cette vallée. Le lendemain 24 décembre, au repos. Je voisine avec François qui va dans l’après-midi jouer de l’orgue à l’église en vue de la messe de minuit. Tous les officiers du bataillon doivent réveillonner à « L’Arbre vert ». La messe de minuit est décommandée, le curé dit-on craint pour ses ouailles. Le réveillon commence mais on appelle le commandant.

   

   

Anna Vautrin écrit le 1er janvier 1915 dans son journal de guerre:

« Suzanne reçoit une lettre de Paul qui lui dit que son régiment a quitté St Dié pour aller en Alsace. Il y avait plusieurs autobus pour les emmener. Ils sont passés de St Dié à Gérardmer puis à Thiéfosse, Cornimont et Ventron où ils ont stationné deux jours. Madame Boucher et Marguerite Boucher de Thiéfosse ont pu aller les voir à Ventron. Ils étaient très gais et très heureux de se reposer. François qui est dans le même régiment que Paul, le 152e RI a demandé à sa Maman qu’elle lui envoie des chants religieux de Gérardmer. Il a appris aux soldats des chants de Noëls qu’ils voulaient chanter en Alsace. Il accompagnait les soldats à l’orgue. Ils sont maintenant près de Thann ».

  

   

Notre réunion manque d’entrain et nous envoyons aux nouvelles un camarade qui nous dit « Allons vivement nous reposer, le régiment part à 3h du matin, direction Uffholtz ».

 

Le temps de regarder sur ma carte où se trouve Uffholtz, je constate que c’est loin et que pour y aller, il faut une bonne étape et bien dormir au préalable.

 

Ce que j’ignorais, c’est qu’Uffholtz est occupé par les boches et que l’étape ne serait pas si facile que je le pensais. Le jour de Noël 1914 à 1 heure du matin, nous faisons lever nos hommes dont beaucoup malgré les défenses avaient réveillonné et peu dormi.

 

Ce fut pour beaucoup leur dernier trajet et pour François, on peut le dire, ces quelques minutes d’orgue lui rappelèrent sa vie pacifiste d’antan si éloignée en tout de la vie militaire.

 

A trois heures du matin, le régiment se met en route avec ma compagnie en tête.

 

La marche est lourde, silencieuse, nous croisons partout du monde sur la route revenant des messes de minuit allant aux messes d’aurore. Seules les églises sont éclairées et le long ruban noir du régiment qui avance avec le seul bruit des pas et du harnachement guerrier : baïonnette, gamelles, etc., bruit bien connu de tous les fantassins.

 

A Bischwiller, nous ne remarquâmes rien sauf la 2e Cie qui nous suit. Tout le reste du régiment a pris une autre direction. Seules les 1ères et 2èmes compagnies avec le commandant Castella regagnent Thann. Il fait grand jour et nous tournons pour passer par l’étroit vallon de Kaltenbach.

 

Le commandant ne répond pas à nos demandes de renseignements. Nous suivons comme des petits chiens, toutefois je suis préoccupé de voir que nous allons dans les bois car nos hommes n’ont rien mangé et rien emporté sur eux, pas plus que nous, si certains que nous étions en train de faire une marche pacifique. Un arrêt au lieu dit « Sacklimle » où il y a un café où nous trouvons quelque peu à manger. J’invite François à partager avec moi ma « pâture », la présence de François gène quelque peu Bauer, un lieutenant décidemment peu aimable. Quelle différence avec l’accueil du commandant Rousseau. Je ne m’occupe d’ailleurs nullement de Bauer.

 

De là, nous montons par un sentier à un col où nous faisons halte pendant deux heures au moins par un froid glacial. Les Cies forment les faisceaux un peu en arrière du col, à cause du froid sans doute.

 

Un bruit sec dans un arbre à grande hauteur, bruit caractéristique d’une balle perdue, me fit réfléchir quelque peu.

 

Le commandant appelle les officiers et dit « les lignes passent à quelques distances d’ici, le jour est favorable, des renseignements sûrs indiquent que l’ennemi fête Noël ».

 

Les chefs sont en permission, les soldats peu nombreux festoient, les deux compagnies vont se diriger vers Cernay, laissant de toute manière sur notre gauche un village nommé Steinbach que nous contournerons pour surtout ne pas y entrer. Ce village doit être miné.

 

Paul Boucher 4-3 Image 1 Les 2 freres.jpgLieutenant Paul Boucher et le sergent François Boucher à la cabane forestière du Rudlin août 1914.



25/12/2015
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