14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 5-7

Chapitre 5 – STEINBACH – La mort de François

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 24/01/2016

 

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Portrait de François Boucher réalisé après sa mort par Honoré Umbricht à la demande d’Henry Boucher.

En bas, à gauche du tableau, dédicace « En souvenir de mon jeune et cher ami F. Boucher ».

 

 

Paul Boucher est lieutenant de réserve dans la 1e Cie, son jeune frère François vient d’être tué dans une tranchée à Steinbach.

 

 

Ces mots n’étaient que mes souvenirs de guerre proprement dits, je ne m’étendrai pas sur ce deuil cruel, d’autant plus cruellement ressenti par tous en raison des circonstances. Comme toujours ma femme fut aussi très courageuse et je trouvai auprès de tous mes camarades, parents, beaux-parents, les plus grands réconforts. J’allais être d’ailleurs immédiatement secoué par les événements car le 3 janvier nous attaquions le village.

 

Le 2 au soir, je me rendais avec Jenoudet prendre liaison avec Toussaint, capitaine de la 12e Cie qui avait occupé dans l’après midi les premières maisons à quelques mètres à peine de l’ennemi. Toussaint voulait nous faire un croquis et lire des actes, une bougie fut allumée et nous étions tous allongés sur le plancher de cette maison, masquant avec nos mains et képis la lumière de cette pauvre bougie et parlions à voix basse. Dans la nuit, l’artillerie 155 ne cessa de tirer sur Steinbach et Cernay où de nombreux incendies furent allumés, grandes lueurs qui n’arrivaient pas à nous réchauffer.

 

 

Paul Boucher 5-5 Image6 JMO.jpg

Journal de marche du 152e RI du 2 au 4 janvier 1915

 

Jenoudet dans la nuit du 2 au 3 fit faire une tranchée en avant de celle occupée la veille par François sur l’ordre de Castella.

 

Le 3 janvier, nous occupons l’ancienne tranchée. J’hésitais un moment pour savoir où me mettre et me décidais fort heureusement à me placer à l’intersection des deux. Cette nouvelle tranchée fut prise dés le jour en enfilade par les tireurs qui occupaient encore des maisons signalées comme évacuées. Tous ceux qui étaient dans la tranchée furent tués à quelques mètres de moi. J’entendais nettement le son mat des balles arrivant sur les corps ainsi que les gémissements de ceux qui les recevaient.

 

Un pauvre dragon, aide du maréchal-ferrant avait blessé le cheval de Jacquemot. Notre colonel nous était arrivé la veille. Peu au courant des habitudes des fantassins, il était sorti du boyau. « Rentre vite » lui crie-t-on.

 

Il ne va pas assez vite, à moins de 5 mètres de nous, nous voyons littéralement une série de balles frapper autour de lui et j’aperçus une balle qui l’atteint à la jambe. On vit l’étoffe voltiger. L’homme s’abat et se traine jusqu’à notre boyau où il ne devait pas survivre à ses blessures.

 

Entre temps car c’était l’époque de « Mademoiselle Cisaille », nous arrive un convoi de sapeurs du génie porteurs de cisailles, plus morts que vifs. Ils viennent pour couper devant nous les fils de fer.

 

La 12e Cie semble avoir un peu progressé à notre gauche. Nous avons tiré dans les fenêtres et peu à peu dés que mon caporal Barot eut pris le courage d’ajuster une fenêtre et tous ceux qui jusqu’alors tiraient sans viser, ni sans épauler à cause des balles qui nous fusaient se mirent à épauler et le boche se tint un peu plus tranquille.

 

La 12e Cie n’avance pas assez vite au dire du « célèbre » colonel Jacquemot qui était au Schletzenberg où se trouvaient les mitrailleurs de 65, aujourd’hui, je me remémore Jacquemot qui observait « de loin » le combat !

 

Mal renseigné, il avait annoncé la veille que nous avions la moitié du village et le grand communiqué officiel avait reproduit cette affirmation, nous avions quatre maisons sur 200 !

 
Ainsi fallait-il absolument progresser.

 

Le capitaine Toussaint au 15-2 depuis sa sortie de Saint Cyr, guerrier prudent, avait décidé de faire avancer sa Cie en raison de l’impossibilité de déboucher à découvert. Jacquemot lui intima l’ordre de d’aller plus vite, sinon il ferait ouvrir sur sa Cie le tir de 65 et des mitrailleuses. L’ordre fut donné aux artilleurs desquels je le tiens et qui ne l’exécutèrent pas.

 

En attendant, Toussaint, officier d’active, fut changé de corps et passa au 334e RI. Après la guerre, il passe à grand peine chef de bataillon. Il ne put faire retirer de ses dossiers les notes calomnieuses et immondes de Jacquemot. Son départ causa une terrible impression surtout parmi les non-militaires que nous ne connaissions pas encore.

 

(Note de RS : à propos du capitaine Toussaint dans le livre du 15-2 à propos de la grande guerre : « grâce à un mouvement hardi de la 12e Cie menée avec une merveilleuse habileté par le capitaine Toussaint, officier dont la bravoure et l’expérience étaient réputées au régiment. »)

 

L’heure de l’attaque était à 13 heures. Je fais sortir devant nous deux sapeurs du génie qui tombent immédiatement morts. Il y a un glacis de 25 à 30 mètres, infranchissable, un troisième sapeur est appelé. Il hésite, Jenoudet lui montre son revolver, j’obtiens qu’il ne tire pas.

 

La tranchée s’arrête à trois mètres du chemin creux, profonde de 3,5 m environ. Nous décidons de progresser par ce chemin creux. Nous sommes imprudents car si un fusil ou une mitrailleuse avait tenu le débouché, nous étions anéantis !

 

Nous gagnons l’extrémité de la tranchée et Jenoudet enjambe rapidement les deux-trois mètres à découvert et dégringole dans le chemin creux. Je le suis et roule en boule au fond du chemin. Séjournant, mon ordonnance, après moi.

 

Mais le mouvement s’est interrompu, le quatrième, Pierrat, tombe tué d’une balle. Nous sommes tristes au fond de notre chemin. Nous crions aux suivants de creuser rapidement les trois mètres de tranchées non achevées pour éviter de passer à découvert. Bourquin arrive en faisant le grand tour devant nous à dix mètres en avant. Le chemin creux est garni d’énormes fils de fer barbelés que nous nous mettons en devoir de cisailler.

 

Pendant ce temps, la 2e Cie conduite par un lieutenant de cavalerie arrivé la veille, J. Desportes attaque un élément de tranchée dite « Tranchée Est » établie au sud du chemin creux.

 

Note de Renaud Seynave : A la suite de l’épisode douloureux et sanglant de Steinbach, Paul Boucher a été cité à l’ordre de l’Armée. Ce sera la première des sept citations qu’il recevra pendant la guerre.

 

Texte de la citation de Paul Boucher : Ordre N° 4 Armée des Vosges - 27 janvier 1915.

  

Lieutenant de réserve Paul Boucher

  

« Très belle conduite au feu pendant l’attaque de Steinbach le 3 janvier. A fait preuve d’une grande énergie morale ayant eu la veille son frère mortellement frappé à son côté. A conduit avec une grande bravoure une charge à la baïonnette qui l’a rendu maître d’un point d’appui important. »

 

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Signé : Général Putz, commandant le groupement des Vosges

 

 

 

Paul Boucher 5-3Image3 Le 15-2.jpgLe quinze-deux pendant la grande guerre

 

 

Chapitre : Steinbach décembre 1914 - janvier février 1915

 

Le 3 janvier, de nouveaux corps à corps nous livrent presque tout le village. A minuit Steinbach était à nous, grâce à un mouvement hardi de la 12e Cie menée avec une merveilleuse habileté par le capitaine Toussaint, officier dont la bravoure et l’expérience étaient réputées au régiment.

 

Mais presque aussitôt, une violente contre-attaque permet aux Allemands d’y reprendre pied. Ils parviennent jusqu’à la 8e Cie, en réserve sur la place. Surprise d’abord, elle se ressaisit et se jette sur l’ennemi à la baïonnette.

 

Un simple soldat, Raclot, entraîne par son ascendant une vingtaine de ses camarades et, dans la mêlée, se lance à leur tête sur l’église et le cimetière. L’ennemi chancelle sous le choc et abandonne précipitamment le village, laissant entre nos mains une quarantaine de prisonniers dont 2 officiers.

 

Après quinze jours et quinze nuits de combats, où nous avons perdu 12 officiers et 700 hommes, Steinbach est enfin à nous… Mais ce n’est pas surtout contre l’Allemand que le régiment doit lutter. Pour lui, l’ennemi le plus dur, c’est l’hiver.

 

Et lorsque les survivants de cette époque parlent de « l’enfer de Steinbach », ce n’est pas seulement aux bombardements, aux fusillades, aux corps à corps à travers les incendies qu’ils songent. Ils revoient les tranchées à demi effondrées, où ils restent stoïques, dans l’eau jusqu’aux genoux, au milieu des glaçons. Ils revoient les longues nuits d’hiver, où la neige ensevelissait les guetteurs aux créneaux ; les corvées et les relèves à travers les fondrières des boyaux ; la lutte contre le froid qui les terrassait lentement ; le calvaire de leurs camarades, qui les pieds gelés, se traînaient encore jusqu’au jour où il fallait les emporter de la tranchée… Par suite de la fatigue extrême et de l’état des tranchées où les hommes sont dans l’eau… les évacuations pour pieds gelés sont nombreuses. L’effectif tombe à 1 800 hommes sur 3 200 !

 



05/02/2016
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