14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 4.1 - 17 août au 22 août 1914

 

Chapitre 4 - Le Spitzenberg - La stabilisation - 17 août au 18 décembre 1914

                         1ère partie - 17 août au 22 août 1914

 

 

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 19/11/2015

 

POUR MES ENFANTS - En souvenir de François BOUCHER, mon frère et d’Edouard MICHAUT, mon beau-frère, morts au champ d'honneur

Gérardmer - 1920

 

Paul Boucher 4-1 Image1 Les 2 freres.jpg12 août 1914 : Paul et François Boucher à la cabane forestière du Rudlin

 

En cette belle journée du 17 août nous voyons du haut de notre route le fond de la vallée. Quelques cavaliers et la 12e Cie du 152e (Capitaine Toussaint) s’approchaient de Munster et y entraient non sans échapper à quelques coups de fusils de patrouilles cyclistes allemandes.

 

Le même soir, nous sommes rejoints par toutes les fractions du régiment et sommes descendus par une nuit sombre vers Soultzeren et Munster. La marche est lente surtout à partir de Soultzeren, il y a des abattis (coupe d’arbres) sur la route qu’il faut dégager aux lanternes. L’artillerie nous entoure, nous avons l’impression d’être une colonne énorme et de représenter une force considérable. Nous arrivons à minuit à Munster sur la place de la gare. Aucun habitant aux fenêtres, tout est fermé. Sur la place un groupe de notables, brassards blancs aux bras a mission de guider les détachements vers des cantonnements.

 

Ma compagnie est conduite à la Realschule (Ecole secondaire), nos guides sont ultra réservés, pas un mot de sympathie ou de contentement. Installés à minuit, nos hommes sont dans le gymnase, nous occupons un local où couchaient la nuit précédente des officiers boches. Nous feignons de sentir l’odeur que nous retrouvâmes dans toutes les tranchées et abris occupés par nos Cies. On a beaucoup écrit sur cette odeur. Vient-elle du corps ou d’une graisse spéciale pour chaussures et cuisses. C’est une odeur aigre et rance à la fois rappelant l’animal sauvage et le liquide aigre mais indéniable et connu de tous les combattants.

 

Paul Boucher 4-1 Image2 Croquis.jpgEchelle de la carte : 1cm = 1km

Carte de la région de Colmar avec les dates indiquant l’endroit où Paul Boucher et la 1re Cie passaient la nuit.

J’ai indiqué l’itinéraire quotidien avec des couleurs différentes : 17 août en vert, 18 août en bleu, 19 août en rouge, 20 août en jaune, 21 août en violet et 22 août en orange. Je ne suis pas certain de l’exactitude des trajets.

 

Après avoir parcouru des journaux allemands laissés par nos prédécesseurs, nous commençons à dormir quand on nous réveille pour aller prendre les avant-postes direction sud-ouest à l’entrée de la vallée de Metzeral dont on ne connaissait pas exactement la situation.

 

Notre Cie s’installe sur la route de Metzeral au lieu dit « Spitalacker ». Le jour se lève et notre arrivée ayant été faite sans bruits, les habitants sont surpris de nous voir avec nos pantalons rouges.

 

Nous nous installons à quelques centaines de mètres en avant des sentinelles de la vallée. La consigne est d’interdire la circulation. Ce sont vite des récriminations, laitiers apportant le lait à Munster, ouvriers et ouvrières se rendant au travail.

 

Paul Boucher 4-1 Image3 JMO 16-28 aout.jpgJournal de marche du 152e du 16 au 19 août 1914

 

On laisse passer les laitiers, les ouvriers sont renvoyés chez eux. L’un d’eux s’exclame « Je vais avoir une amende à l’usine » et nous devons lui rappeler que c’est la guerre.

 

Les murs sont couverts d’affiches rébarbatives des boches : menaces de fusillades à qui logera l’ennemi, à qui coupera les fils électriques. Si l’affiche est enlevée, l’auteur sera fusillé et s’il n’est pas connu, la commune sera tenue responsable. Quoi d’étonnant à ce que les habitants soient quelque peu agressifs. Un camarade enlève une affiche comme souvenir.

 

Un cycliste venant de Metzeral se rend chez le maire et demande « puis-je continuer à faire tourner mon usine ? ». « Repartez chez vous comme vous êtes venu mais vous ne pouvez pas aller plus loin ». La conversation s’engage et l’industriel déplore la guerre et ses consignes. Il dit être très francophile mais craint les dévastations.

 

Nous faisons avec le lieutenant Spiess le tour de nos postes de sentinelle, l’une d’elle est dans un joli parc avec des jets d’eau. Une dame s’exprimant en français sans aucun accent nous dit « Messieurs, ne pourriez vous pas placer vos hommes hors du parc. Ils verraient aussi bien ».

 

Toujours la crainte des affiches et des représailles, le premier contact n’est certes pas celui réservé à des libérateurs, certes non.

 

On s’installe, on se lave. Je loge avec Spiess dans une villa du lieu dit « Spitalacker » appartenant à une famille d’avocats de Colmar. Des petits lits d’enfants me rappellent les miens. Dans la journée, le contact s’établit mieux entre nos hommes et les civils. Quelques vieux combattants de 1870 entament la conversation sur leurs exploits. On trinque, ce qui délie les langues. Nous offrons à dîner à nos sous-officiers et passons une bonne nuit. Papa est venu dans l’après-midi.

 

Réveil à quatre heures du matin, nous rejoignons Munster pour remonter en direction de Soultzeren ; qu’est ce cela ! Arrêt au carrefour du Hohrod où il y a un grand encombrement : 152e, chasseurs, artillerie de montagne. Il se prépare une grande expédition mais un courrier arrive. Contre-ordre, seul un bataillon du 152e doit effectuer une reconnaissance dans les bois dominants Hohrod et Munster. On lui adjoint une batterie de 65 de montagne. Le 3e bataillon est désigné, nous regagnons tranquillement notre Spitalacker tandis que le bataillon monte non moins paisiblement la route de Hohrod et Hohrodberg.

 

Après une bonne toilette, voici qu’à quinze heures, surprise, je vois ma voiture la Chenard 12 HP, conduite par Tassot, occupée par Suzanne. Le reste de la famille, Papa, Maman et Madame Rousseau sont restés à Munster avec François. Tout joyeux de voir mon automobile, je saute au volant et en route seul avec Suzanne, direction de Metzeral. Au bout de quelques kilomètres, je remarque l’air étonné des habitants et je me rends compte de l’imprudence de cette sortie en touriste dans une zone non occupée des patrouilles ou isolée, l’ennemi pouvant parfaitement s’y trouver.

 

Je fais demi-tour et rentre à mon cantonnement d’où, après autorisation de Spiess, je repars avec l’automobile pour rejoindre ma famille et déjeuner. La rencontre se fait devant l’école supérieure. Papa ayant envie de déjeuner à La Cigogne, nous partons à pied dans cette direction. En cours de route, nous entendons quelques explosions. Le génie dit-on fait sauter des obstacles et dégage notre marche en avant. Soudain, un sifflement caractéristique et Papa s’écrie « Mais nom de Dieu, ce sont des obus, je me souviens avoir entendu ce bruit en 1870 ».

 

Hâtant le pas, nous arrivons à la Cigogne ; sur place les voitures dételées du régiment sont alignées comme aux grandes manœuvres. La plupart des notables de Gérardmer sont là, Messieurs Mathieu, Lucien Garnier, Rousseau. Chacun s’installe à qui mieux-mieux. Notre groupe était au rez-de-chaussée, à l’extrémité de la table, le colonel de Coligny et le major Rouffiandre, à l’autre extrémité, Papa, Maman, Suzanne, François, Mme Baudureau et moi. Maman qui a apporté des vins offre avec insistance de la salade de pommes de terre tandis qu’avec fracas les explosions se succèdent et se rapprochent. Le colonel de Coligny roule des yeux furieux, il fait appeler Blondel. L’officier de garde donne l’ordre d’atteler les voitures pour évacuer la place puis nous invite à rejoindre nos unités. Il a raison.

 

Paul Boucher 4-1 Image4 Munster 19 aout Bis.jpg 

Nous partons et à peine ai-je franchi quelques mètres qu’un obus de 150 tombe sur la place détruisant tous les vélos, plusieurs voitures et tuant deux soldats et un civil. Le major Rouffiandre assis à côté de ma femme a un éclat à la nuque. Les dames descendent à la cave de l’hôtel, y récitent des prières et papa va chercher l’automobile que le chauffeur a pu abriter dans une ruelle latérale. J’ai su depuis que profitant d’une accalmie, les automobiles avaient pu ramener tout le monde vers Gérardmer sans encombre. La mienne en plus de ma famille a eu comme voyageur inattendu jusqu’à Soultzeren Hansi, le caricaturiste-interprète. Quoique valide, il a préféré ce moyen de locomotion à celui des fantassins. Cette imprudence n’a eu heureusement aucune suite fâcheuse mais elle a servi à rappeler à chacun que nous étions en guerre et que ce n’était plus les grandes manœuvres.

 

Par la suite, beaucoup de légendes ont été écrites, la plus courante était d’attribuer la prise de Munster à l’insouciance des officiers du 152e occupés à festoyer en galante compagnie tandis que les boches guidés par les traitres reprenaient la ville. Or Munster ne fut évacuée que le 3 septembre et on était le 19 août.

 

Le bombardement était dirigé de Munster, évidemment cette petite ville fourmille d’Allemands « pur sang » qui n’avaient nulle accointance avec l’ennemi. On se décida d’expulser la maison mais il faut aussi faire la part des imprudences et du manque d’habitude à nous abriter qui renseignait l’ennemi mieux que tous les signaux.

 

Rentrés à notre cantonnement, nous recevons l’ordre de départ vers l’arrière ! Ce que je n’ai pas encore compris à l’heure actuelle. Nous allons vers Hohrod et ma section va occuper le haut de la montagne Hohrodberg, sans consignes ni indications. En montant nous sommes survolés par un avion. On tue de toutes parts de sorte que les balles sifflent autour de nous. Je dois suspendre la marche et faire coucher ma section pendant une dizaine de minutes. Arrivés au Hohrodberg, nous apprenons que le 3e bataillon parti le matin en reconnaissance a eu une rencontre violente avec un gros détachement ennemi. Les renseignements manquent et naturellement les bruits les plus contradictoires circulent. Les habitants du hameau sont plus que méfiants.

 

Note : Deux cahiers ont disparu, le texte qui suit a été rédigé à partir des petits carnets journaliers que Paul Boucher tenait très régulièrement.

 

Jeudi 20 août 1914

Je dors parfaitement dans la maison forestière du Hohrod ; beaux meubles, objets forestiers ou de chasse, phonographe et jacquet.

 

A 4h du matin, le bataillon monte et nous précède. Nous laissons les prisonniers au Walkenstull, nous suivons les crêtes vers les Trois-Epis. Au col du Hohrodberg nous retrouvons le 3e bataillon et des blessés des combats très rudes de la vallée : 27 tués chez nous, cent et plus chez les Allemands. Il reste le long de la route comme une montagne de blessés, impressionnante à voir. Nous continuons en prenant les dispositions contre l’artillerie. On a avancé jusqu’au Trois-Epis où nous arrivons sans encombre à 11 heures du matin. Nous trouvons devant nous le vide, mais depuis la veille nous nous méfions de l’artillerie qui est installée à Niedermorschwihr et qui a encore tué ce matin. J’ai vu quelques départs de bombardements de la veille sur Munster, éclatant sur la place. Les vitres de la salle ont été cassées, blessant légèrement le médecin-major. Enfin, tout le monde a pu sortir et partir sans incident. Journée passée aux Trois-Epis dans le calme du Park hôtel. Nous bivouaquons sur place.

Vendredi 21 août 1914

Matinée calme, quelques coups de canon. Vers 11h, nous partons jusqu’à la lisière du bois de Katzenthal que l’on découvre ainsi que Colmar. Nous couchons sur place.

Samedi 22 août 1914

Vers 10h du matin, nous quittons la forêt au-dessus de Katzenthal et les canons. Nous nous arrêtons pour cantonner à Wintzenheim. A peine installée, notre Cie repart dans la direction de Logelbach d’où on tire de nombreux coups de fusil. Les balles sifflent, nous nous déployons en tirailleurs. Nous restons couchés sur place jusqu’à 6 heures du soir sous une grêle de balles. Un homme de ma section, Renaud, est blessé légèrement au pied. Nous rentrons à Wintzenheim vers 18h30, à la nuit. Deux obus éclatent sur nous, nous n’avons que l’émotion. Quelle journée !

 

On me dit que Papa est revenu. J’apprends que le lieutenant Capelle a été tué devant moi. C’est un des meilleurs officiers du régiment et un de ceux que je connaissais le mieux.

Nous dînons très bien. Je couche dans un pressoir à vin.

 

Paul Boucher 4-1 Image5 JMO 21-24 aout.jpgJournal de marche du 152e du 21 au 24 août 1914

A suivre…



20/11/2015
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