14-18Hebdo

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La vie dans les tranchées

 

Patrick Germain - 29/11/2014

 

A la fin du siècle dernier, à la question posée à un micro à Alain Decaux sur ce qui, à son sens, était arrivé de plus horrible à l'Homme au courant du XXème siècle, je l'ai entendu répondre : « les tranchées en 14-18 ».

Près d'un siècle plus tôt, le journaliste Léon Bailby écrivait dans « L'Intransigeant » du 01/01/1915 : « Ce soir, dans quelques heures, l'année 1914 sera morte. Elle sera tombée dans le trou sans fond d'où personne n'est jamais revenu. » Cette année incomplète, pourtant la plus meurtrière de toute la guerre, se terminait avec la fin des grands mouvements de troupes qu'avaient été la bataille des frontières, la contre-offensive victorieuse de la Marne et la course à la mer, au terme de laquelle l'ennemi avait échoué dans ses multiples tentatives d'enveloppement du front allié.

Les tranchées, nouvelle stratégie de combat

Les premières tranchées (sommaires) étaient apparues du côté français lors du repli de la « bataille des frontières » ; sous le feu allemand, les soldats français cherchent refuge où ils le peuvent, derrière leurs sacs massifs, à l'abri d'un talus, puis en creusant des trous individuels, reliés ensuite les uns aux autres. Le succès de la bataille de la Marne repose en partie sur ces tranchées sommaires depuis lesquelles les fantassins français décimeront les vagues d'assaut allemandes.

La guerre prenait en novembre un tour radicalement nouveau : la guerre de mouvement faisait place à une guerre de position symbolisée par la stabilisation du front occidental, constitué d'une ligne continue de tranchées de la mer du Nord à la Suisse.

Ce sont les Allemands qui vont choisir les premiers ce mode de stratégie ; compte tenu de l'échec de leurs manœuvres de mouvement sur leur front de l'Ouest, ils vont concentrer leur capacité de mouvement sur le front Est afin de hâter la défaite russe pour ensuite reporter leur effort sur le front Ouest, sur lequel, avec pragmatisme, ils vont dans un premier temps figer leurs positions en les organisant de façon inexpugnable.

La doctrine française, basée sur l'offensive, délaisse les tranchées, car l'état-major ne souhaite pas que les troupes y prennent leurs aises ; leur utilité doit être temporaire, pour préparer l'assaut en vue d'une percée décisive.

Mais Joffre sera finalement obligé d'accepter cette stratégie, après des attaques sanglantes de front contre des tranchées allemandes profondes, bétonnées, comprenant des abris sur plusieurs niveaux, équipées pour la plupart de l'électricité et de la ventilation.

Ainsi, à l'hiver 1914, se mettent en place deux réseaux de tranchées sur une ligne pratiquement continue d'un bout à l'autre du front.

Désormais, jusqu'à l'offensive allemande du printemps 1918, jamais le front ne bougera de plus de 30 kms.

Le combat de tranchées

Sans rentrer dans le détail du réseau des tranchées en lignes (étagées en profondeur), boyaux de communication, points d'observation, et banquettes de tir, on peut dire que si les tranchées offrent aux fantassins des conditions de vie épouvantables, elles n'en présentent pas moins l'avantage d'une moins grande vulnérabilité. Alors que les premiers mois de la guerre sont les plus meurtriers, le rythme des pertes diminue à partir de début 1915 pour ne recommencer qu'avec la reprise de la guerre de mouvement en Mars 1918. Dans l'intervalle, jamais le réseau de tranchées ne sera percé définitivement. A chaque fois que des assaillants emportent une première ligne, ils s'exposent, épuisés et décimés, aux contre-attaques de troupes fraîches venant des tranchées de seconde ligne et de réserve. En outre, l'artillerie des assaillants arrive mal à suivre la progression de ses troupes, problème qui ne sera que partiellement résolu par l'apparition d'une artillerie blindée mais mobile, les chars.

La vie au quotidien dans les tranchées

Les tranchées deviennent ainsi le nouveau cadre de vie des combattants, en bouleversant le rapport qu'ils ont avec l'espace, mais aussi avec le temps. Le temps semble s'immobiliser ou devenir cyclique.

En dehors du combat, la vie dans les tranchées est un mélange d'ennui, de routine et de tâches répétitives : garde, travaux d'entretien. Le rythme des relèves ( souvent par des marches très éprouvantes), qui fait passer les soldats des dépôts aux postes de secondes ou de premières lignes, accentue encore la dimension cyclique et répétitive de la vie au jour le jour, plus occupée par le travail que par le combat proprement dit.

Malgré la dureté du travail, beaucoup de temps libre et de loisirs permettent aux combattants de lire, d'écrire (plusieurs millions de lettres sont échangées chaque jour), de dessiner, ou encore de fabriquer des objets d'artisanat de tranchée (briquets, coupe-papiers, cannes...).

Une sociabilité particulière à la vie des tranchées se développe également. Les jeux, les chansons, la musique y jouent un rôle majeur.

Ces « loisirs des tranchées » permettent aux combattants de s'extraire un temps de l'emprise de la hiérarchie militaire, et d'un cadre de vie inhumain.

Malgré tout, la vie dans la chaleur de l'été ou la froideur de l'hiver, sous la pluie et dans la boue, met les corps à rude épreuve. Des maladies spécifiques se développent, comme des infections pulmonaires, des entérites chroniques ou encore le « pied de tranchée » qui pourrit les doigts de pied et nécessite parfois leur amputation. Il faut composer également avec les poux et les rats, les odeurs de pourriture, de charogne provenant des cadavres mal ensevelis qui vous regardent au passage...

Comme l'a appelé le poète Louis Krémer, c'est « le royaume de la mort », qui rend toute vie « normale » impossible. Même si elle est moins probable que lors des batailles, la mort est une compagne permanente. Le combattant vit au quotidien un long tête à tête avec la mort.

 

Voilà pourquoi de telles souffrances poussées à un tel degré de paroxysme dans la durée (la guerre de tranchées durera un peu plus de 3 ans...), nous semblent aujourd'hui relever du surhumain.

Comment l'Homme a-t-il pu supporter aussi longtemps ces effroyables conditions d'existence ? On a dit avec raison que la rusticité du combattant-paysan français avait constitué un facteur important de résistance, mais il convient aussi d'affirmer que le moral d'airain du soldat a été minutieusement forgé depuis des dizaines d'années auparavant par un conditionnement psychologique très solide et une doctrine disciplinaire implacable qui feront la preuve de leur efficacité ; ce point sera développé dans mon article suivant.

 

Mais quoi qu'il en fût, la vie « au royaume de la mort » a rendu des morts-vivants...

 

(Sources partielles : Les journaux de guerre )



28/11/2014
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