14-18Hebdo

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Journal de la Grande Guerre de quelques ancêtres des familles Farret, Cambon et Broquisse - 4 - Novembre 1914

Olivier Farret – 28-09-2016

 

Le 1er novembre, l’Empire Ottoman entre en guerre aux côtés des Empires centraux. La France appelle son Empire à prendre les armes : « Le gouvernement de la République appelle les troupes de l’Afrique occidentale à l’honneur de participer à la guerre contre l’Allemagne, par l’envoi en France de régiments. » Lors d’une visite aux armées des quatre présidents (de la République, du Conseil, de la Chambre et du Sénat, Deschanel confie à Gallieni : « La guerre va s’éterniser, durer des saisons, des années peut-être.» (Rémy Porte). Le front Ouest s’enlise. Les premières tranchées organisées apparaissent.

 

Le régiment de Paul Farret (111e RI) quitte les cantonnements pour aller relever le 112e aux tranchées du Bois des Forges qui dominent la Meuse au nord-ouest du Mort-Homme et de Verdun. Les deux frères ne sont pas très éloignés l’un de l’autre. On ne sait pas s’ils ont pu se rencontrer. A la mi-novembre, le régiment reçoit un détachement de renforts de 320 hommes pour combler les pertes des dernières semaines. Les bataillons alternent les montées en ligne et les périodes de réserve en seconde ligne et subissent le feu de l’artillerie ennemie. Les pertes sont peu élevées. Coincés dans des tranchées humides balayées par le tir de l’artillerie et des mitrailleuses allemandes, le régiment déplore plus de 500 cas de gelures durant l’hiver 1914.

 

Depuis l’automne 1914, les combattants se terrent dans les tranchées. Ils s’organisent une existence précaire malgré une hygiène déplorable et un ravitaillement difficile. Robert Porchon, 20 ans, sous-lieutenant au 106e RI, ami de Maurice Genevoix, écrit :

 

« Depuis six jours, il pleut à jet continu, tout est brun kaki, couleur de glaise de la région. Les hommes souffrent beaucoup. Néanmoins moral très bon sur toute la ligne, mais il y a pas mal de petits de la classe 14 qui commencent à trainer la patte. Nous sommes dans les boyaux où j’ai passé la nuit. J’étais redescendu dans l’abri et j’avais vidé mes souliers, changé de chaussettes et j’avais dormi 2 heures. »

 

Soumis au froid, à la promiscuité, à l’humidité, à l’insalubrité, en compagnie des poux et des rats, avec l’odeur insoutenable des cadavres qui les entourent, les soldats sont atteints de diverses pathologies dont le Pied de tranchées. Cette affection est connue depuis le Baron Dominique Larrey, chirurgien de la Grande Armée, sous le nom de « gelure des pieds ». Dès l’automne 14, les soldats consultent par centaines. Le jeune médecin auxiliaire Louis Maufrais, du 94e RI, souvent proche du régiment de mon grand-père, témoigne :

 

« Dans la tranchée, nous vivions constamment dans l’humidité, la boue, la neige, et surtout le froid. Nos pieds enserrés dans des chaussures pleines d’eau macéraient, gonflaient. Il était formellement interdit de se déchausser. Il en résultait des espèces d’engelures qui s’infectaient, et les pieds gelaient. Une affection extrêmement sérieuse, qui me fit évacuer un grand nombre d’hommes. »

 

Sur le front des Éparges, le sous-lieutenant Genevoix (106e RI), après plusieurs nuits passées dans les tranchées, écrit :

 

« Mes pieds sont bleus, de ce bleu que l’on voit aux nuages de l’été, les soirs d’orage. Ils deviennent verts comme une chair de noyé. Ils deviennent rouges comme des paquets de viande saignante. Je regarde mes pieds changer de couleur […] Mes pieds cramoisis fourmillent de démangeaisons brulantes. Engelures énormes, ils commencent à bouillir ; à présent j’ai des jambes : mais je n’ose pas y toucher. […] Mon Dieu, que ces pieds me font mal ! »

 

L’étiologie du pied des tranchées est multifactorielle : froid, humidité des sols, maladie cryptogamique (champignons), constriction des bandes molletières. Le Pied de tranchées aurait concerné au moins 200 000 hommes durant toute la guerre. Des manifestations analogues peuvent survenir au niveau des mains, avec des gelures particulièrement graves observées chez des soldats couchés sans pouvoir se relever en raison de la violence des bombardements. (Olivier Farret)

 

Le 23 novembre, le régiment d’André Farret (173e RI), rattaché au 6e Corps d’Armée, quitte l’Argonne pour rejoindre les Hauts de Meuse, dans le secteur des Eparges à proximité de la tranchée de Calonne où a été tué le 22 septembre 1914, le lieutenant Alain-Fournier. [Porté disparu, sa dépouille n’a été retrouvée qu’en 1991 lors de l’exhumation d’une fosse où étaient inhumés 21 soldats]. Malgré des tirs d’artillerie et des attaques à la grenade, le régiment organise la défense du secteur face au saillant de Saint-Mihiel, à l’est de Verdun, occupé par les Allemands. Sous un orage d’obus, le 106e (Maurice Genevoix), le 132e de Reims et le 173e se soutiennent au coude à coude. Les mêlées à l’arme blanche sont fréquentes.

 

L’hiver approche, sur l’ensemble du front, c’est l’enlisement dans lequel des milliers d’hommes croupissent, piochent et meurent de la Champagne à l’Argonne, des Hauts de Meuse à la plaine de la Woëvre fermée à l’est par la Moselle.

 

Jean Broquisse est nommé caporal. Il commande une escouade (10 à 15 hommes). Dans ses lettres, il évoque cette franche camaraderie et cette cohésion si nécessaires lors des montées en lignes et des coups durs.

 

En cette fin de novembre, le torpilleur de Pierre Farret est au mouillage pour la révision des chaudières, des blocs torpilles et le grand nettoyage : lavage de la coque, des cheminées… Avec la guerre qui se prolonge, le port de Bizerte est essentiel pour l’approvisionnement en combustibles (charbon et produits pétroliers) de l’escadre de la Méditerranée. Depuis la fin du mois d’août, une véritable noria de charbonniers s’est établie avec le port britannique de Cardiff. Douze charbonniers réquisitionnés sont ainsi affrétés et destinés à rapatrier de Cardiff les 8 000 tonnes que les mines peuvent livrer chaque semaine. La plupart des bateaux sont équipés de TSF. Par ailleurs, Bizerte sert de dépôt pour le pétrole et les huiles de graissage (Marc Saibène).

 

Aucune nouvelle d’Eugène et de Marcel Cambon.

 

Sources

  • ·       Olivier Farret, La pathologie des tranchées, Médecine et Armées, T.44, N°1, 2016.
  • ·       Louis Maufrais, J’étais médecin dans les tranchées, Robert Laffont, 2008.
  • ·       Maurice Genevoix, Ceux de 14, Flammarion, 1950, Extrait de La Boue.


25/11/2016
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