14-18Hebdo

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Journal de la Grande Guerre de quelques ancêtres des familles Farret, Cambon et Broquisse - 11 - Juin 1915

Olivier Farret – 02-01-2017

 

Le 1er juin, Le bureau opérations du 32e corps d’armée note « sur tout le front situé en forêt d’Argonne, après l’échec d’attaques de vive force prononcées par l’ennemi, une guerre des mines, combinée avec des pétards, des obus à gaz et toutes sortes d’engins se poursuit jour et nuit ». Sous terre, c’est de part et d’autre, un creusement incessant de galeries et de fourneaux de mines ; entre les sapeurs adverses, c’est une lutte de vitesse et d’habileté ; il faut faire sauter l’adversaire avant qu’il ne vous fasse sauter lui-même. (Réf. Centre de documentation de l’Ecole Militaire, MF. 7795).

 

Lors des premiers mois de 1915, dans le bois de la Gruerie, les sapeurs français exécutèrent plus de 3 000 mètres de galeries de mine, firent sauter 52 fourneaux dont la charge avait demandé plus de 7 tonnes d’explosifs. Plus tard, la guerre des mines connaîtra une ampleur plus considérable et l’on verra sauter certains fourneaux chargés à plus de 60 tonnes d’explosif.

 

Les gaz employés en Argonne ne sont déjà plus le chlore comme à Ypres mais un mélange de bromure de benzyle, de xylyle et de brome. Cette dernière substance, très lacrymogène et toxique, va infester, compte tenu de sa faible volatilité, de façon durable le secteur. Ces produits suffocants ont des effets d’autant plus dévastateurs qu’il n’existe pas encore de moyens de protection véritablement performants.

 

 

Le régiment de Paul Farret est reconstitué à l’arrière front avec de nouvelles recrues venues en particulier de Normandie. Ernest Chaussis, 30 ans, inspecteur de l’école primaire à Argentan, témoigne :

 

« Nous sommes maintenant sur la ligne de chemin de fer stratégique qui va d’Orléans à Sens, et de là vers l’Alsace, la Meuse, l’Argonne ou la Champagne. […] C’est en Argonne que nous allons rejoindre le 150e RI, un des coins les plus âpres de la « terre de nos exploits » chanté par le poète. Et cette perspective de luttes de brigands embusqués au flanc des ravins ne nous sourit guère. C’est contre l’armée du Kronprinz [prince héritier] que nous essayerons nos forces. […]

 

Voici Sainte-Menehould. Cette fois, « tout le monde descend ». Sac à dos, nous nous enfonçons vers le nord, dans l’épaisse forêt. Monde tout nouveau, angoissant : le cimetière aux milliers de croix blanches toutes pareilles descend des pentes jusqu’à la route ; les avions affairés mettent à profit le ciel tranquille et pur ; les convois se trainent lourdement sur la route poudreuse et fatiguée ; les voitures de la Croix-Rouge se croisent avec les camions du ravitaillement. Nous marchons péniblement ; le sac nous pèse, les musettes pleines, jointes aux cartouchières bondées, tirent vers le sol nos épaules endolories. Une montée à pente rapide, un village à toits plats, avec murs de pisé, c’est Florent [en Argonne, dans la forêt de Valmy, au sud du bois de la Gruerie] […], le 150e est à «Florent 2» en arrière de la commune, village de gourbis, construit de toutes pièces par le génie. Village, non, c’est plutôt une vraie ville : un millier de cabanes sont alignées sous les arbres du bois. Certaines sont coquettes et confortables, réservées au notables de l’armée, sergents majors et officiers. Les autres sont en terre ou en troncs d’arbrisseaux recouverts de feuillages, en forme de tente de toile ; là couchent les soldats. […]

 

Le pays est fort accidenté ; ce ne sont que ravins, vallonnements, ruisseaux, feuillages épais où le chêne domine ; l’air y est très sain. Le gros ennui, c’est l’eau. Il faut courir à 500 m au pied d’un ravin que l’on atteint par une pente à pic. L’eau est fournie par un ruisseau d’origine douteuse. Il est vrai que l’on s’y fait vite et que la vaccination anti typhoïdique restreint considérablement les risques. Tous nos pas, toutes nos actions se font au son du canon qui tonne à une dizaine de kilomètres de là. Notre première journée est une journée calme, dit-on. Tant mieux mais ce bourdonnement continuel ne me dit rien qui vaille. On s’y fait pourtant.

 

Le 150e RI avait demandé 250 hommes, il en est venu 1 200. Le « rabiot » comme nous disons, forme le groupe des « hommes excédents » qui, en attendant, appartiennent à la compagnie hors-rang du 150e… » (Ernest Chaussis)

 

 

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Capitaine Paul Farret (au centre de la photo) entouré de

ses officiers et de quelques soldats de la 10e compagnie. Coll. Farret

 

Le régiment tient le secteur du Four-de-Paris et de Saint-Thomas, à 10 km au nord de Florent. Les combats sont moins âpres qu’à Bagatelle et les unités peuvent récupérer leurs fatigues. Cependant les Allemands s’acharnent sur Bagatelle avec des attaques au lance-flammes et aux gaz asphyxiants ; le 150e y revient à plusieurs reprises comme troupe de renfort et de contre-attaque. (Cne Ensales)

 

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Bois de la Gruerie, 10e compagnie… le temps d’un repas. Coll. Farret

 

Louis Maufrais, étudiant en médecine, incorporé au service de santé du 94e RI, est en première ligne pour le secours des blessés. Il témoigne :

« A l’entrée du poste de secours de Bagatelle, je retrouve […] quelques morts en plein soleil, avec les yeux et les lèvres remplis de mouches, et, à côté, des blessés assis par terre, à la porte. A l’intérieur, il y a [Émile de] Parades et un médecin du 155e dont le bataillon est engagé en ligne devant nous. Il n’y a pas assez de place pour coucher tous les blessés. Tous ceux qui le peuvent restent debout. Le plus terrible ce sont les mouches. Par ce temps orageux, elles piquent et nous dévorent les yeux, surtout ceux des blessés graves, qui n’ont même pas la force de les chasser. Pour essayer de les protéger, on leur met de la vaseline et on leur couvre tout le visage d’une gaze. Bientôt, nous devons nous appliquer le même traitement. Nous n’avons pas été ravitaillés et nous n’avons pas d’eau à boire. […] » [Louis Maufrais, J’étais médecin dans les tranchées, Rober Laffont, 2008].

 

A plusieurs reprises le 150e RI de Paul Farret relèvera le régiment de Louis Maufrais. Ces deux régiments seront dans les mêmes secteurs à Verdun en 1916 et au Chemin des Dames en 1917.

 

En 2014, j’ai fait la connaissance de la petite-fille de Louis Maufrais, madame Martine Veillet qui a donné au public cette chance de pouvoir lire les témoignages exceptionnels de son grand-père ; quant à Emile de Parades, son petit-fils est un de mes collègues gastro-entérologues. Vous pouvez imaginer l’émotion de nos rencontres « mémorielles ».

 

Le 30 juin, une attaque violente enfonce les lignes de ce secteur infernal et menace La Harazée et la vallée de la Biesme. Le régiment en alerte prend une part très vive à l’action. Soumis à des tirs précis d’artillerie et de mitrailleuses, il subit des pertes sévères ; entrainée par le commandant Maignan, la troupe attaque à la baïonnette ; trois contre-attaques sont nécessaires, au prix de lourdes pertes pour bousculer l’ennemi qui, abandonnant le terrain, se replie en désordre. Le régiment est relevé par le 161e RI.

 

 

Après les durs combats des Hauts de Meuse, le 173e RI d’André Farret va rejoindre à la mi-juin la Marne, et passant par Sainte-Menehould, pénètre dans les forêts d’Argonne à Vienne-le-Château. Son régiment n’est pas si éloigné de celui de son frère Paul dans le bois de la Gruerie.

 

Le 20 juin, dans une ruée que les Allemands qualifieront de Vernichtungorgie [Orgie de destruction], le général Von Mudra relance l’offensive après cinq heures d’intense préparation d’artillerie avec 25 000 obus à gaz sur un front de 2 km de large et 150 m de profondeur. Ses troupes de choc équipées de 35 000 grenades démantèlent l’ébauche de réseau défensif français dans le secteur de Bagatelle, littéralement arasé. Dans ce terrible bois de la Gruerie, le bois de la tuerie, confrontés aux attaques des lance-flammes et des gaz mortels, les Corses du 173e, les Aixois du 55e et les Toulonnais du 112e se cramponnent au terrain au prix de lourdes pertes.

 

Prussiens et Wurtembergeois ne seront arrêtés que le 30 juin face à un barrage de canons de 75 tirant à bout portant et hausse zéro [canons braqués à l’horizontal]. Dans les situations désespérées alors que l’ennemi est à moins de 500 m des lignes, l’ordre sinistre est donné aux artilleurs : « Sur l’infanterie ennemie, A volonté ».

 

 

Jean Broquisse, considéré comme guéri, rejoint le 20 juin 1915 le centre d’instruction de Farges-en-Septaine, près de Bourges et à proximité du « camp d’aviation » d’Avord, très actif durant la guerre avec l’instruction des recrues au pilotage élémentaire (9 000 brevets de pilote en 4 ans). Cette base importante comprendra jusqu’à 1 200 avions. Elle préfigure la future BA 702 qui joue un rôle stratégique de premier plan.

 

Georges Guynemer, engagé volontaire de 20 ans, rejoint l’école d’Avord. Bientôt, il volera au sein de l’Escadrille des Cigognes, cet emblème qui semait la terreur dans les lignes ennemies. Jusqu’à sa mort en septembre 1917, il multipliera les combats, les victoires, les coups d’audace et les médailles : 53 victoires de 1915 à 1917. D’autres « As » de la guerre aérienne sont passés par le camp d’Avord : Nungesser, Fonck et beaucoup d’autres…

 

Jean Broquisse écrit : « Quand au camp d’Avord, il est splendide et survolé nuit et jour par des multitudes d’avions militaires… Les aéros volent et s’entrecroisent au-dessus de moi. Il y en a tant qu’on finit par ne plus y penser. Malheureusement, il y a beaucoup de casse… ».

 

Sa tante Jeanne Devade, durement éprouvée par la perte de son fils Pierre, se réjouit de savoir son neveu temporairement épargné, « à l’abri des balles ». Profitant d’une permission, il visite Bourges « de fond en comble, avec de vieux monuments très intéressants en particulier la belle cathédrale Saint-Etienne et le palais de Jacques Cœur ».

 

Durant la guerre, la ville de Bourges est surtout connue pour ses établissements militaires, l’atelier de construction et la pyrotechnie, fabriquant des canons et des munitions. En 1917, 23 000 personnes travailleront pour l’armée. La ville de Bourges atteindra ce chiffre considérable de 100 000 habitants. 40 canons de 75 mm sortiront chaque jour des usines, soit 3 000 au total. En 1918, la production journalière atteint 80 000 obus de 75 et 40 000 fusées diverses.

 

Pour Jean Broquisse, affecté au 419e RI, les exercices succèdent aux marches et aux corvées. Il évoque dans ses lettres l’espoir d’une permission pour Paris avec un de ses camarades de section : « Ni l’un, ni l‘autre ne connaissons la capitale ; nous ne voudrions pas partir au front sans avoir vu la ville lumière. »

 

 

A la suite de l’échec des opérations dans les détroits, Bizerte est un point d’appui important de la flotte, avec une position centrale en Méditerranée. Le vice-amiral Paul-Emile Guépratte est nommé préfet maritime. La guerre sous-marine menée par les Allemands impose une vigilance accrue des patrouilleurs dont le torpilleur 330 commandé par le lieutenant de vaisseau Pierre Farret.

 

A la fin du premier semestre 1915, le nouvel uniforme bleu horizon se généralise et devient, au même titre que le casque Adrian, emblématique du Poilu français.

 

Sources

Ernest Chaussis, Les rides du sol, 1914-1918, Ysec Editions, 2004



13/01/2017
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