14-18Hebdo

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Edouard Favre - Mes cahiers de souvenirs - 16 - Fin octobre 1915

 

Edouard Favre, 38 ans en 1914, officier d’active dans l’artillerie, va passer toute la guerre au front. Il tient un journal, et nous suivons ses préoccupations dans 3 domaines : la guerre, sa famille, et son « idée fixe » : les avions suspendus...

Document transmis par Marie Favre, sa petite-fille - 11/11/2014

 

1915 Favre Edouard BEST rogne Photoshop.jpgEdouard Favre - 1915

18 oct. (1915)

Je suis à peu près remis maintenant, il me semble cependant que j’aurais mieux dormi dans ma cagna. Et puis j’ai perdu un temps précieux à me déshabiller hier, à m’habiller ce matin, et je ne pouvais faire autrement puisque je suis redevenu civilisé. Guelfucci qui m’est revenu depuis la mort de Fond s’occupe naturellement de ma popote. Mais tout repas doit être composé d’au moins trois plats sans compter l’entrée, l’entremet, le fromage et le dessert. Il est compliqué, ne conçoit pas que les denrées de l’ordinaire puissent figurer à ma table. De même pour le vin. Les repas n’en finissent pas, ils sont pénibles et j’attends l’addition. J’avais eu déjà à réformer quand nous étions à Harbonnières, il me faudra encore intervenir, c’est désagréable. Il est vrai que ce n’est pas encore coutume et que faisant actuellement table commune avec mon curé et l’aumônier, le curé fournissant le vin et le matériel et les légumes, je serais mal venu de rien dire maintenant !

   

Le temps se maintient assez beau, mais on sent l’automne. Et cela a surpris nos yeux, habitués aux friches et aux maigres sapins de Champagne, de retrouver de belles prairies, des rivières et des arbres dont le feuillage a pris les chaudes teintes d’automne. L’hiver ici sera néanmoins assez dur probablement. Le thermomètre chaque hiver descend jusqu’à 15 et 20° au-dessous de zéro.

  

J’ai parlé au Colonel au sujet de ma mission à Paris. Je lui ai demandé l’autorisation d’écrire au colonel président de la Section technique. J’ai écrit avant-hier, ma lettre sera à Paris demain ou après-demain, je serai convoqué peut-être vers le milieu de la semaine. Trois ou quatre jours me suffiront peut-être pour les expériences préparées. Il faudrait aussi que j’en prépare d’autres relatives au profil des corps immergés, mais je n’y ai pas encore suffisamment réfléchi. Je vais tâcher de m’y préparer.

  

J’ai écrit hier à François et à Thérèse. J’ai reçu le 13 octobre une bonne lettre de chacun. François me racontait ses petites histoires de collège avec sa précision habituelle. Il semble avoir pris l’internat par son bon côté et je m’en réjouis. Pour Jean il en ira de même.

22 octobre (1915)

Nouvelles lettres de François et Jean avant-hier. Celle de François est insouciante et je lis en marge une phrase inattendue : la vie de collège est pénible, je crains bien de ne pouvoir m’y acclimater. Comme ça, tout d’un coup ! Je suis persuadé que cela a dépassé sa pensée mais je lui ai envoyé néanmoins une lettre d’encouragement. Quant à Jean il est bien toujours le même, il ne savait jamais si on allait en récréation, à la chapelle ou au réfectoire. C’est à cause de cela qu’il a eu ae[1] pour ses leçons et pour ses devoirs.

  

Le colonel Fleury ne me répond pas, peut-être est-il très heureux d’être débarrassé de moi. S’il ne me répond pas ou ne me donne pas signe de vie, je suis tellement têtu que je casserai les vitres. Sa phrase relative à des « vacances comme récompense du travail que j’ai fait à mon poste de commandement » ne ferait pas mal dans un compte rendu.

23 oct. (1915)

Le Commandant, Piet et Jean sont partis en permission ce matin, leur absence va durer une semaine au moins. Pendant ce temps je commande le groupe. Au retour du Commandant je partirai à mon tour, je tâcherai d’aller en Savoie, à Grenoble, Lyon et Paris. En six jours, ce n’est pas commode de faire tant de choses, cependant en voyageant un peu la nuit et en tenant compte des délais de route je dois pouvoir arriver à remplir ce programme et à avoir près de 48 heures à rester à Paris.

27 octobre (1915)

Depuis le départ du chef d’escadron je commande le groupe. Il serait intéressant de lui donner un peu de cohésion, un peu de discipline de feu, de l’orienter, de régler les batteries, etc.

  

Un avion boche vient se promener dans la région, on l’a canonné vigoureusement mais assez mal. Il me semble que je tirais mieux autrefois quand je m’occupais d’eux. Quand me sera-t-il donné de leur faire la chasse. Bientôt peut-être. Le colonel Fleury m’a répondu, sa lettre est du 20 octobre. Il me dit qu’il a aussitôt adressé une demande officielle et il espère que je serai bientôt rappelé. Cette nouvelle mission va coïncider sans doute avec ma permission. Je demanderai à partir pour St Jorioz et Lyon et m’arrêterai à Paris au retour et y resterai. L’oncle Louis m’offre l’hospitalité, je ne demande pas mieux que de me fixer chez lui. Il est sûr que chez l’oncle Jacques la maison doit être actuellement très remplie avec Joseph, Noël et Madeleine[2], Anne[3] aussi peut-être avec son bébé. Et Marthe viendra sans doute passer quelques mois la pauvre petite veuve avec ses deux garçons.

  

Un mot, une lettre de Mlle Colombo qui me demande des nouvelles de son frère, ce pauvre garçon dont je n’ai pu ramasser que des débris, mélangés sans distinction possible avec son camarade Richard. Comment lui exposer cela ?

    

Un petit mot de François aussi qui me dit que ses dessins, ses bateaux, ses soldats, ses longues promenades de Grenoble lui manquent beaucoup… C’est dur et j’en souffre pour lui mais il s’y fera tout de même.

30 octobre (1915)

Je suis de nouveau inquiet, énervé, irritable. Sans me rendre compte suffisamment des lenteurs administratives je trouve que ma convocation à la Section technique est longue à venir. Et pourtant il faut absolument que cela aboutisse et que l’on m’écoute, et j’ai expérimenté déjà que l’on ne m’écoutera que lorsque je pourrai apporter des résultats d’expérience, des chiffres, et dire en acceptant mes idées vous économiserez 20%-30% de la force que vous dépensez actuellement. Actuellement je ne puis pas leur tenir ce langage et, comme ils se soucient fort peu de toutes mes considérations mathématiques, je n’ai plus aucune prise sur eux.

A suivre…



[1] Notation « médiocre » chez les Jésuites

[2] Joseph (1905-1977), Noël (1901-1970) et Madeleine (1898-1936), ses jeunes cousins, les 3 derniers enfants de Jacques Callies et Marie, née Aussedat

[3] Anne Delaage (1890-1970), née Callies, fille de Jacques Callies et Marie, née Aussedat, a épousé en 1914 Maurice Delaage (1886-1918)



23/10/2015
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