14-18Hebdo

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Cultivons la mémoire

Document transmis par Isabelle Bonte-Fondeur - 21/10/2016 

 

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Il y a tout juste 100 ans, c'était le 25 septembre, "l'oncle Pierre" était tué à Bouchavesnes, près de Rancourt où a été édifiée la nécropole qui rassemble 3 223 soldats français tombés lors de cette bataille de la Somme. Pierre Fondeur, né en 1896, était le frère aîné de mon grand-père. Et Rancourt se situe sur la route nationale 17, entre Bapaume et Péronne.

 

A l'initiative de ma tante Thérèse et de mon cousin Didier, toutes celles et ceux qui ont pu se libérer, se sont rendus sur les lieux pour honorer sa mémoire; ce fut un grand moment !

 

Environ 20 personnes de la famille, (je n'en faisais pas partie mais j'en ai eu le récit par mon papa, avec les documents ci-joints), avaient fait le déplacement, y compris des cousins de mon grand-père depuis Bezannes-lès-Reims !

 

Mon cousin Didier a conservé précieusement, parmi d'autres documents, toutes les lettres échangées entre « Grand-Mère » et « l'Oncle Pierre ». Une de ces lettres a été lue sur place par Elisabeth, Marie-Françoise et Marie-Christine, trois de mes cousines : lettre particulièrement édifiante à tous points de vue de son meilleur ami de combat, sergent comme lui.

 

C'est une lettre de 3 pages adressée le 6 octobre 1916 à "Grand-Mère" de Chaumes, mon arrière-grand-mère, expliquant les circonstances de la mort de l'oncle Pierre : exceptionnelle !

 

 

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Lettre de Félix Lescudérot, ami de Pierre, adressée à Grand-mère de Chaumes le 6.10.1916.

 

Du front le 6.10.1916.

Madame,

 

C’est encore sous l’émotion causée par la perte de mon meilleur camarade que je me décide à vous donner les renseignements que vous demandez. Puissent-ils être une consolation dans votre malheur.

 

Pierre et moi étions deux bons amis, ne se quittant jamais, liés par une amitié très solide. Je dirais même que nous étions comme deux frères.

 

Dès que je le connus au mois de septembre 1915, son caractère affable et ses sentiments religieux avaient attiré mon amitié vers lui. Depuis cette époque, mon camarade fut évacué et ne fut pas remplacé durant son absence dans mes fréquentations.

 

Quand il rejoignit la compagnie au mois d’avril, nous fûmes heureux de nous retrouver à la même compagnie. Au mois de mai nous étions dans la même section. Quand la 6° compagnie fut disloquée, nous réussîmes à nous faire verser à la même compagnie, la 5e, mais nous n’étions plus dans la même section. C’était un soulagement aux misères de cette horrible guerre, que de pouvoir compter l’un sur l’autre.

 

J’ai eu bien des amis, Madame, qui tombèrent comme lui, en braves au champ d’honneur, mais je vous assure qu’il n’en fut pas d’autres dont la perte me frappât autant que celle de Pierre.

 

Avant de monter à l’attaque, nous passâmes quelques jours à Suzanne.

 

C’est dans cette période où nous reprenions nos forces physiques qu’il voulut aussi fortifier son âme. Nous étions très assidus le soir au salut, et dans la matinée du 18 nous nous rendîmes ensemble à l’église pour y faire la sainte communion.

 

Le 20, nous étions alertés, les boches ayant attaqué dans la région de B…

 

Pendant l’exercice on vint prévenir le régiment qu’il avait à occuper des tranchées dans la région de Curlu. Nous devions les quitter dans la nuit du 21 pour aller en 1re ligne à Bouchavennes.

 

Avant de quitter Curlu, Pierre vint passer quelques instants avec moi, et durant cet entretien d’ami à ami, il me rappela qu’il était heureux de se trouver avec moi, surtout à la veille d’une action que nous avions prévue.

 

Il regrettait même de ne pas être à ma section. Notre marche vers les lignes fut très pénible, les boches nous envoyant des gaz lacrymogènes et suffocants.

 

Le 24 au soir, ordre vint, que le régiment devrait attaquer les positions allemandes qui se trouvaient 100 m devant nous, mais l’heure n’en était pas encore fixée.

 

Le 25 à 11H30 on nous prévint de nous tenir prêts, l’heure de l’assaut étant à 12H35. Pour cet assaut, le 1er peloton dont je fais partie, devait partir en 1re vague, et le 2e peloton, (celui de Pierre) en 2e vague. Pierre est donc parti avec cette dernière vague d’assaut. Quand l’heure vint, au signal de nos chefs, d’un élan admirable, tous très confiants du succès, nous nous élancions sur les boches qui avaient supporté durant 2 jours un violent feu d’artillerie, mais, dès que nous eûmes parcourus une cinquantaine de mètres, un feu de mitrailleuses nous cloua au terrain. Déjà de nombreux blessés parmi lesquels les deux lieutenants, étaient sur le terrain. Le capitaine avait été tué ainsi que quelques braves camarades. Je ne sais pas par quel miracle j’ai échappé moi-même à la mort. Obligés de nous replier, je rejoignis avec les quelques survivants qui restaient, notre ligne de départ. Ma première pensée en arrivant fut pour mon ami. Je demandai de ses nouvelles à plusieurs camarades. Personne ne put tout d’abord m’en fournir, mais ce ne fut pas long. Le sergent Cailloux que je rencontrais, me dit qu’il avait vu Pierre étendu de tout son long dans un trou d’obus, à quelques mètres de la tranchée, et ne donnant plus signe de vie. Il avait été tué à une dizaine de mètres de la ligne de départ, au moment où la 2e vague s’élançait à l’assaut.

 

Je sais ce qu’est l’amour d’une mère, et qu’il n’est pas de malheur plus grand pour elle que la mort d’un fils. Croyez aussi qu’il en fut de même pour un véritable ami et que je partage votre malheur. J’ai voulu m’occuper moi-même de mon camarade afin de lui assurer une sépulture et ne pas permettre que son corps reste, hélas, comme tant d’autres, à l’air libre.

 

Le soir de l’attaque il me fut impossible d’y pourvoir, mais j’ai pu me rendre auprès de son corps et lui retirer les papiers, montre, et porte-monnaie qu’il avait sur lui. Dans la journée du 26, j’ai fait une croix sur laquelle j’ai inscrit tous les renseignements utiles à son identité.

 

Dans la nuit du 26 au 27, vers 11H, profitant d’un moment d’accalmie et ne croyant pas à une contre-attaque, je me suis rendu auprès du corps de mon camarade et aidé par un homme que je pris dans ma section, nous avons pu creuser une tombe d’une profondeur suffisante à proximité de lui.

 

Son corps a été bien enveloppé dans une toile de tente. J’ai retiré la plaque d’identité qu’il avait à son cou, pour l’attacher à la croix, laissant sur lui celle qu’il portait à son poignet, j’ai laissé également sur lui la médaille qu’il portait sur sa poitrine. Pierre a été blessé aux jambes et à l’abdomen par des balles de mitrailleuses, j’ai voulu m’en rendre compte en le fouillant ; il n’a pas dû souffrir longtemps, la mort a dû être presque instantanée, car son visage ne donnait pas l’expression de la douleur, ses yeux étaient clos et sa bouche légèrement entrouverte. De tous les braves qui sont morts comme lui durant ces combats et les précédents, c’est, je crois, le seul qui ait eu les honneurs d’une sépulture.

 

Pour que vous vous rendiez compte de l’endroit précis où il repose, je fais un plan d’après la carte que je vous transmettrai ces jours-ci. Sachez pour le moment que c’est au nord-est de Bouchavennes, à environ 600 mètres du village et à 500 m à l’est de la route de Bouchavennes à Rancourt.

 

Que pourrais-je faire encore pour vous ma pauvre dame, je ne sais si Dieu me conservera à l’affection des miens ou si j’irai rejoindre Pierre avant la fin de cette tragédie. Mais si je sors vivant de la fournaise, je me ferai un devoir d’accompagner moi-même quelqu’un de votre famille sur cette tombe.

 

Pour ce qui est des affaires personnelles de Pierre, j’en ai fait un paquet. Ce sont des livres, des lettres, son livret militaire, du linge, sa montre, sa pipe, son porte-monnaie. J’ai également retrouvé sur lui les photographies que je lui avais données quelques jours auparavant. Si vous vouliez encore quelques épreuves, vous n’avez qu’à m’indiquer lesquelles. Ce sera pour moi un devoir de vous donner ces pieux souvenirs. Si le camarade Drouin ne va pas bientôt en permission, je vous enverrai tout cela par la poste en colis recommandé. J’ai tenu à garder aussi pour moi un souvenir de Pierre ; j’ai gardé son petit paroissien, mais si vous tenez à l’avoir je vous le transmettrai.

 

Peut-être ai-je oublié quelques renseignements dans cette lettre. Si une question vous intéresse, écrivez-moi je suis à votre disposition.

 

Recevez, Madame, ainsi que toute votre famille, avec mes sincères condoléances, l’expression de mes meilleurs sentiments.

 

Félix LESCUDEROT, Sergent, 76e infanterie, 5e compagnie



21/10/2016
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