14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 20 - 22 au 28 février 1915

Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Alexis et Anna Vautrin habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ». Ils ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher qui ont deux enfants : Annette et Jean, Madeleine épouse d’Edouard Michaut qui ont une petite Colette, enfin Marguerite et Yvonne.

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 19/02/2015

 

1915 Alexis Vautrin avec Yvonne et Marguerite.jpgYvonne, Marguerite et leur père Alexis Vautrin

 

Lundi 22 février 1915

Un taube est venu sur Nancy à midi et a lancé deux bombes. Le canon a tiré sur lui. Nous l’avons vu qui fuyait et nous apercevions les petits nuages de fumée de nos obus. Il n’a pas été atteint. Il y a eu deux blessés qui sont morts à l’ambulance des Beaux-arts. Ils étaient blessés très grièvement.

Mardi 23 février 1915

Edouard écrit de Belgique où il est toujours, près d’Ypres ; il n’y a pas de changement depuis 15 jours. Il est défendu maintenant sous peine de prison de dire le corps d’armée où l’on est dans les lettres. Paul écrit à Suzanne d’Alsace qu’ils sont assez tranquilles pour le moment. On se bat de l’autre côté, près de Munster.

Thérèse Boucher (femme de Maurice) est venue aujourd’hui coucher à la maison. Elle revenait d’Angoulême où Maurice est en convalescence chez sa sœur pour un mois. Son train a eu 1h30 de retard à cause des arrivées de troupes. On voit beaucoup de soldats.

Alexis a vu Mme Bourgon femme de l’architecte. Son fils est dans les tranchées du Bois-le-Prêtre près de Pont-à-Mousson. Il y a eu une action très vive ces jours derniers. Toutes les tranchées voisines de la sienne ont été prises par l’ennemi. Ils étaient prisonniers dans leur tranchée et n’ont pas voulu se rendre. Ils se sont sauvés pendant la nuit. Les Allemands ont tiré sur eux. Tous ses hommes ont été blessés excepté lui et son sergent. L’artillerie lourde a lancé 6 bombes sur l’usine électrique qui se trouve entre Gérardmer et Retournemer sans faire de dégâts. Une bombe est tombée aussi à Parrigoutte dans un pré. L’hôtel Altenberg est détruit et il y a eu des bombes sur la gare du tramway à la Schlucht. C’est des hauteurs de Metzeral que les Allemands bombardent. On a amené à Gérardmer de nombreux blessés. C’est le 12e régiment d’alpin qui a été très décimé. Il passe souvent des taubes à Gérardmer. Les Allemands bombardent la route entre la Schlucht et Munster à cause du ravitaillement de nos troupes. Hier il y avait eu un recul pour nous. Les Allemands avaient repris Metzeral et nous avions reculé plus loin que Stosswihr.

On nous raconte l’histoire de deux employés des Magasins réunis. L’un est soldat français, l’autre soldat allemand. Le soldat français est prisonnier dans un camp en Allemagne. En arrivant au camp, la surprise de l’un et de l’autre est de se retrouver l’un comme prisonnier et l’autre comme geôlier. Ils se serrent la main et le geôlier donne à son ancien camarade tout ce qu’il veut. Il lui permet d’écrire des lettres de 4 pages à sa femme. La femme du soldat allemand a même écrit à la femme du soldat français qu’elle vienne chez elle en Allemagne et qu’elle pourra voir ainsi son mari. C’est extraordinaire cette rencontre de ces deux employés qui étaient amis avant la guerre et qui se retrouvent.

Mercredi 24 février 1915

Edouard écrit du nord qu’il n’y a rien de nouveau. Le canon tonne toujours. D’Alsace, Paul écrit aussi qu’ils sont au calme en ce moment. On m’a dit que Mme Brunotte femme d’un professeur de pharmacie a été emmenée prisonnière en Allemagne ainsi que sa sœur. Elles habitaient Vic. Sa petite fille de 12 ans est restée à Vic avec une vieille bonne. Heureusement que son fils est à Nancy en ce moment, sans quoi il aurait été emmené aussi prisonnier.

Plusieurs blessés des Beaux-arts sont morts ces jours derniers. Ce sont des morts admirables. Un blessé a reçu hier les derniers sacrements et tous les blessés de la salle ont voulu communier. En mourant, il disait « Vive la France, c’est pour elle que je meure ».

Jeudi 25 février 1915

Les blessés arrivent nombreux à Gérardmer. Il y en a plus de 600 qui ne peuvent trouver place dans les hôpitaux. On les évacue à Remiremont. Les Allemands ont bien bombardé la Schlucht. Il y a eu une action violente entre Metzeral et Munster surtout à Stosswihr, petit village entre la Schlucht et Munster. Beaucoup de tués allemands et beaucoup de blessés français, les Allemands ont dû bombarder la Schlucht depuis le Hohneck.

Vendredi 26 février 1915

On a enfin des nouvelles d’Alfred Grandjean (mari de Marie-Louise Perrin, fille de Mathilde la sœur d’Anna Vautrin) qui est toujours à Briey occupé par les Allemands. On a su par une personne qui est passée par la Suisse qu’il va bien. Il loge 4 officiers allemands et n’a pas de problème de ravitaillement. En entrant à Briey, les Allemands ont exigé 50 000 francs comme rançon de la ville puis quelques jours après 100 000 francs. Pendant une journée, ils ont pris quelques otages à la mairie parmi lesquels se trouvait Alfred. On les a relâchés le soir. Alfred ne peut pas écrire à sa femme depuis que les Allemands sont à Briey en août.

Samedi 27 février 1915

Le canon tonne toute la nuit et très fort ce matin entre 6 et 7 heures. Cela doit venir du côté de Champenoux. Thérèse Gegout (Mme Mornier) qui habitait Montmédy a dû fuir précipitamment cette ville avec le sous-préfet. Elle avait une demi-heure pour se préparer, aussi a-t-elle laissé ses valeurs dans un trou qu’elle avait fait dans sa cave et où elle a mis son argenterie. La maison doit être pillée et ses meubles emportés. Aussitôt qu’elle est partie avec le sous-préfet, le génie a fait sauter les ponts. Madeleine nous raconte qu’à Baccarat, pendant l’occupation allemande, un officier allemand avait remarqué un beau vase à la cristallerie et ne voulait pas le voler comme tous les autres. Il a écrit à Monsieur Adrien Michaut qu’il voudrait bien ce vase. Monsieur Michaut lui a envoyé !

Dimanche 28 février 1915

Le canon tonne toujours. Les coups sont sourds mais violents. On nous dit que c’est une pièce marine près de Thiaucourt et nous bombardons aussi des trains d’approvisionnement allemands de ce côté-là. Un de nos avions a lancé parait-il 3 bombes sur Metz. Je vois sur l’Officiel d’aujourd’hui que nos troupes ont fait sauter des caissons près de Drillancourt à 1 km de Gercourt. Des patrouilles allemandes ont tenté encore de venir dans la forêt de Parroy près de Lunéville. Nous les avons repoussées. A Malancourt près de Verdun, les Allemands ont jeté du liquide brûlant sur les tranchées. Plusieurs de nos soldats ont été brûlés. C’est atroce. Malancourt est tout près de Gercourt, village natal d’Alexis.

A suivre…



20/02/2015
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