14-18Hebdo

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Campagne du 106e B.C.P - LE LINGE - (Mars-Septembre 1915) - 7e partie - Une commémoration originale et émouvante

 

Une commémoration originale et émouvante du centenaire des combats, racontée par l'arrière-petit-fils du commandant du 106e B.C.P.

 

Patrick Germain - 20/10/2015

 

Nous sommes le 25 juillet 2015 ; je me trouve au cimetière militaire du Wettstein, où j’assiste à une messe célébrée dans l’oratoire. Dans ma main droite, ce cher fanion du 106e B.C.P, seul témoin présent muet, mais vivant, de cette sanglante bataille ; je suis ému par cette ambiance sobre et recueillie, environné de toutes ces croix en granit, sentinelles de la mémoire de tous nos braves chasseurs.

 

Et je pense très fort au chasseur Henry, présent ici même avec ce vénérable fanion à la cérémonie d’inauguration du Mémorial du Linge le 9 Août 1981, qui depuis nous a quittés pour rejoindre sa famille, son commandant et tous ses chers camarades du 106… :

 

Image1 Cimetiere Photo Veronique.jpg
(Photo Véronique Remy)

 

Image2 Patrick photo Veronique.jpg(Photo Véronique Remy)

 

Image3 General de Guigne Photo Veronique.jpgLe général de Guigné en conversation avec le prêtre (photo Véronique Remy)

 

J’assiste en qualité d’invité à une cérémonie privée à caractère familial, et je pense au singulier et providentiel concours de circonstances qui m’a conduit ici ce soir. En voici le cheminement… :

 

Peu après avoir mis la dernière main à l’historique du 106e B.C.P que vous avez pu visiter sur les épisodes précédents, j’ai pensé que ce panorama ne pouvait être complet sans une participation active de ma part à une cérémonie commémorative, comme je l’avais déjà fait exactement 9 mois plus tôt, le 25 octobre 2014. Vous en avez lu le récit dans l’article « Ramscapelle ou la fin de la course à la mer ». Il s’agissait alors de célébrer le coup d’éclat mené conjointement par le 16e B.C.P commandé par mon arrière grand-père, le commandant Chenèble, et le 6e régiment de ligne belge, pour barrer la route de Calais à l’envahisseur allemand.

 

Ce soir, je marche une nouvelle fois dans ses pas, mais guidé cette fois par un curieux hasard. M’étant renseigné sur le programme des commémorations, je choisis celle du 25 juillet, compte tenu de sa proximité immédiate avec la date de l’attaque du 22 juillet 1915. Mais je lis qu’il s’agit d’une cérémonie privée à caractère familial… Elle est organisée pour sa famille par le général Yves de Guigné, délégué au patrimoine de l’armée de terre, afin de commémorer la mort au combat le 22 juillet 1915, à la tête de sa compagnie, de son grand-père le capitaine Jacques de Guigné, engagé en 1re ligne du 114e B.C.P[1] dans l’assaut du Barrenkopf. Lorsque je pris connaissance de ce détail, je me remémorai immédiatement le croquis que j’avais tracé du dispositif d’attaque, selon lequel le 106e B.C.P et le 114e B.C.P étaient côte à côte dans la même mission d’assaut… :

 

Image4 Croquis.jpg

Croquis Patrick Germain (d’après le J.M.O)

 

Je ressentis immédiatement un clin d’œil du destin, qui m’invita à oser envoyer mon document au général. Il eut la gentillesse de me répondre en m’invitant, avec quelques membres de ma famille, à être à ses côtés pour cette cérémonie hors de l’ordinaire. C’est ainsi que j’eus le privilège de prendre place parmi cette famille, fervente dans le recueillement devant la mémoire de son aïeul.

 

Après la messe, nous nous dirigeâmes en voiture jusqu’au monument des chasseurs, qui se trouve à l’endroit précis des parallèles de départ de l’attaque du 22 juillet. Avant le protocolaire dépôt de gerbe, le général y prononça un discours retraçant en détail la vie de son grand-père, ainsi que les circonstances de sa mort héroïque.

 

Je pus alors mesurer combien étaient parallèles nos trajectoires respectives dans le souvenir, tout comme l’avaient été d’ailleurs les axes d’attaque des 2 bataillons que nous représentions. Cent ans après, les descendants des héros passés se retrouvaient ainsi en pèlerinage…, « œuvre de la Providence », me dit avec raison le général.

   

Image5 Monument des chasseurs.jpgLe monument des chasseurs (photo Patrick.Germain)

 

 

Image6 Monument des chasseurs 2.jpgLe monument des chasseurs (photo Patrick Germain)

 

Un pot familial réunit l’assistance, au cours duquel, après avoir devisé agréablement avec des membres de la famille Guigné, le général me remit un exemplaire de la plaquette commémorative qu’il avait rédigée pour la circonstance. Puis il me proposa de nous retrouver entre nous quelques jours plus tard sur le terrain pour approfondir le partage de notre œuvre de mémoire.

 

Image7 Dedicace Guigne.jpgLe capitaine Jacques de Guigné - Dédicace de son petit-fils, le général Yves de Guigné

 

Deux jours plus tard, le 27 juillet, c’est sans protocole que nous nous rejoignîmes sur le terrain ; le général était accompagné de son fils Benjamin. Il me proposa de suivre les traces des 2 bataillons, tout d’abord dans leur marche d’approche depuis le col du Wettstein, puis dans leur mouvement d’attaque.

 

Image8 Photo general et son fils.jpg(photo Patrick Germain)

 

Image9 Photo general et Patrick.jpgPendant la marche d’approche (à défilement des vues de l’ennemi) (photo Benjamin de Guigné)

 

La partie du champ de bataille où eut lieu cette action n’est pas celle qui est restaurée en musée de plein air( laquelle comprend le sommet du Linge proprement dit et le Collet du Linge où passe la route), mais celle en continuité, vers le sud, sur une surface plus étendue. Elle est  composée de 2 montagnes boisées, le Schrätzmaennlé et le Barrenkof, encadrant un vaste espace dégagé, « la Courtine ». Je reproduis ici, pour une meilleure compréhension, la photo figurant dans la 2èmepartie :

 

Image10 Vue de la Courtine.jpgSource photographique : « Le Drame du Linge », d’Armand Durlevanger

 

La première réflexion qui interpelle concerne la profondeur du champ de l’attaque ; celle-ci ne dépasse pas 200 mètres, depuis les parallèles de départ jusqu’à la crête ; on y accède en pente douce pour la partie droite (la Courtine et le Barrenkopf), mais les pentes du Schrätzmaennlé composant la partie gauche sont très escarpées ; y existaient des carrières de grès rose, dont les Allemands ont su tirer un profit avantageux dans la constitution de leur système de défense.

 

Image11 Champ de bataille aujoud hui.jpgLe champ de bataille aujourd’hui

Au fond à gauche : le Schrätzmaennlé - A droite : le Barrenkopf, objectif du 114e B.C.P

Au centre : l’espace dégagé de « la Courtine », objectif du 106e B.C.P (photo Patrick Germain)

 

L’espace dégagé central est en faible déclivité, ce qui autorisait une progression rapide, mais était continuellement sous le feu d’une centaine de canons allemands dissimulés à défilement derrière la crête du Rain des Chênes ; cette terrible puissance de feu, sur un espace de terrain aussi réduit, a bousculé les premières vagues d’assaut avant même leur sortie des parallèles de départ ; malgré tout,  l’élan d’attaque a été magnifique, et les objectifs de la crête atteints et dépassés, jusqu’à ce qu’un terrible tir de mitrailleuses placées en flanquement de part et d’autre de la Courtine ne fassent de terribles dégâts, en isolant de l’arrière la première vague d’assaut, empêchant toute liaison et tout secours aux blessés. Simultanément, un bombardement d’une intensité inouïe a achevé cette œuvre d’anéantissement. Dès le franchissement de la lisière de la forêt, nous avons pu mesurer l’extrême densité du système de défense allemand en réseaux de tranchées bétonnées, boyaux de communication, tourelles de tir, casemates, ainsi que les vastes espaces souterrains des carrières du Schrätzmaennlé, reconvertis en réserves de troupes. Sur le versant allemand serpentait un petit chemin de fer provenant des 3 Epis, hauteur elle-même ravitaillée depuis la plaine d’Alsace par un funiculaire… On retrouve d’ailleurs ce même type d’organisation logistique allemande sur les autres champs de bataille des Crêtes, l’Hartmannswillerkopf et la Tête des Faux. Le général m’a montré avec émotion, en montant au Barrenkopf, le petit périmètre supposé sur lequel son grand-père, le capitaine Jacques de Guigné, est héroïquement tombé, en entraînant sa compagnie à l’assaut ; on y voit d’ailleurs encore sur la droite le petit fortin qui abritait la mitrailleuse crachant ces tirs meurtriers :

 

Image12 Abri mitrailleuses.jpgAbri de mitrailleuse entre la 1re et la 2e ligne allemande au Barrenkopf (photo Patrick Germain)

 

Un peu plus loin, c’est dès le franchissement de la lisière de la forêt que nous pénétrâmes au cœur du formidable dispositif de défense allemand. Il convient de rappeler que le bombardement français préparatoire à l’attaque n’y avait causé que peu de dégâts, le haut-commandement ignorant son degré d’organisation. Les tranchées sont constituées de pierres de taille, et les ouvrages fortifiés en béton, imperméables à tout bombardement. Par ailleurs, couler du béton dans des endroits aussi reculés relève de prodiges techniques…

 

Image13 Emplacement de tir.jpgEmplacement individuel de tir en métal hautement résistant (photo Patrick Germain)

 

Image14 3e ligne de defense.jpg1re ligne de défense allemande (tranchée proche de la lisière de la forêt) (photo Patrick Germain)

  

Image15 Fortin.jpgFortin bétonné sur les pentes du Schrätzmaennlé (on devine, malgré l’emprise progressive de la forêt, l’espace dégagé de la courtine en contrebas) ; à noter : les ouvertures sur l’arrière probablement dans le cas d’une attaque à revers venant de la crête. Cet ouvrage, par ses tirs de flanc, a causé en particulier de terribles pertes au 106e B.C.P. (photo Patrick Germain)

 

Image16 Boyau de communication.jpgBoyau de communication allemand (photo Patrick Germain)

 

Image17 Carriere.jpg

La grande carrière du Schrätzmaennlé (photo Patrick Germain)

(cette carrière de grès constituait pour les Allemands une fortification naturelle ; ces excavations, dont on devine une entrée à droite, servirent de point de repli, de réserve de troupe et de matériels à l’abri des tirs français

 

Après avoir parcouru l’ensemble du système de défense allemand derrière la lisière de la forêt, nous redescendîmes par la courtine, le secteur d’attaque du 106e B.C.P, et je me mis alors à songer à tous ces braves dont j’ai évoqué l’action dans le récit posthume de ce cher chasseur Henry, agent de liaison, rescapé de cette horreur : l’héroïque sergent téléphoniste Fouilloux, déroulant inlassablement son câble malgré 4 ruptures successives, et qui malgré tout criait : « Hardi les enfants, en avant ! », le chasseur Soulié, rendant compte de sa mission sur une mitrailleuse et qui saluait de sa main droite aux 4 doigts arrachés : « Mon lieutenant, ordre exécuté ! » ; le s/lt Deflandre, les lieutenants Bardoux et Marnay, emmurés dans un blockhaus, que l’on croyait perdus, et qui furent finalement délivrés par les Allemands et faits prisonniers ; tous les officiers blessés dès le franchissement du parapet, hospitalisés à Gérardmer et angoissés du sort de leur bataillon, tous ces braves petits diables bleus, dont les corps dorment sous nos pieds, et enfin tous ces vaillants petits chasseurs de la classe 15 qui connaissaient là leur baptême du feu, et dont « l’élan au combat fut magnifique », comme l’a témoigné en ces termes la brillante citation du bataillon à l’ordre de l’armée ; et puis aussi j’essayais d’imaginer les pensées de leur commandant, mon arrière-grand-père Chenèble, devant ces pertes aussi brutales ayant réduit son bataillon en quelques heures à la moitié de son effectif, et qui ne savait pas encore qu’il aurait ensuite à prendre le commandement de tout ce qui restait des bataillons de la 1re attaque pour s’accrocher, plus loin à gauche, à la crête du Lingekopf…(*)[2]

 

Image18 Paysage.jpg

 

 

Image19 Paysage 2.jpg

La Courtine, secteur d’attaque du 106e B.C.P, vue d’en haut et d’en bas (photos Patrick Germain)

 

Et voilà que 100 ans après cet enfer qui vit se sublimer les plus hautes vertus de vaillance et d’abnégation, je redescendais doucement, et dans une nature apaisée, ce « chemin de croix », cette parcelle de terre saignée à blanc… Je levai alors les yeux et contemplai, en pleine lumière, ce petit créneau de « la ligne bleue des Vosges » ; j’échangeai un bref coup d’œil avec Yves, mon compagnon de pèlerinage ; pas besoin d’explications… nos regards traduisaient notre complicité de pensée. Nous nous saisîmes alors mutuellement par les épaules dans un élan spontané, heureux d’avoir partagé ensemble ces moments forts et exceptionnels…

 

Image20 Patrick et le general.jpgPatrick Germain et Yves de Guigné (Photo Benjamin de Guigné)

 

 

Image21 Les deux officiers.jpg

FIN

Patrick GERMAIN

Gérardmer, le 15 août 2015



[1] Dans le document que le général de Guigné m’a remis, il fait généralement état du 114e B.C.A (Bataillon de chasseurs alpins). Cette appellation est en effet largement reconnue aujourd’hui aussi bien dans les documents que sur les monuments commémoratifs.

 

[2] Voir 4ème partie



06/11/2015
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