14-18Hebdo

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123e semaine de guerre - Lundi 4 décembre au dimanche 10 décembre 1916

LUNDI 4 DECEMBRE 1916 - SAINT PIERRE CHRYSOLOGUE - 855e jour de la guerre

MARDI 5 DECEMBRE 1916 - SAINT SABAS - 856e jour de la guerre

MERCREDI 6 DECEMBRE 1916 - SAINT NICOLAS - 857e jour de la guerre

JEUDI 7 DECEMBRE 1916 - SAINT AMBROISE - 858e jour de la guerre

VENDREDI 8 DECEMBRE 1916 - IMMACULEE-CONCEPTION - 859e jour de la guerre

SAMEDI 9 DECEMBRE 1916 - SAINT RESTITUT - 860e jour de la guerre

DIMANCHE 10 DECEMBRE 1916 - SAINT MELCHIADE - 861e jour de la guerre

Revue de presse

-       Regain d'activité sur la Somme et devant Verdun

-       Des sous-marins allemands ont torpillé dans le port de Funchal le convoyeur de sous-marin "Kanguroo", le vapeur anglais "Dacia", la canonnière française "Surprise"

-       La tension entre Washington et Berlin au sujet des torpillages

-       M. Asquith démissionne - Il était en conflit avec M. Lloyd George

-       Nungesser abat ses 19e et 20e avions

-       Le rationnement de l'éclairage électrique

-       La retraite roumaine vers la Moldavie

-       Nouveaux progrès des Franco-serbes au nord de Paralovo

-       La prise de Bucarest est annoncée par les Allemands

-       Dorme abat son dix-septième avion - Viallet son septième

-       Le gouvernement d'Athènes traque les Venizélistes

-       La Grèce de Constantin bloquée par les Alliés

-       Fin de la crise anglaise - M. Lloyd George a constitué son cabinet

-       Le "Suffren" perdu corps et biens

-       La crise du charbon - Le charbon du Pays de Galles va nous être fourni

 

Morceaux choisis de la correspondance

Chez nous c’est le sucre qui se fait rare et Georges Boucher nous en demande encore, ce qui rétrécit notre provision.

4 décembre - ELLE.- Je reçois ta lettre du 1er et la réflexion de ton commandant au sujet de ses inférieurs bien obéissants est bien amusante. Pauvre Geogi qui n’est pas docile. Les officiers d’active doivent être plus souples que ceux de la réserve, qui mettent dans le métier militaire la même initiative que dans la vie civile.

 

Nos troupes sont parties, le petit sous-lieutenant que nous logions nous a quittés ce matin. Il n’est pas pour les économies, lui, il trouvait que chaque groupe d’artillerie devrait avoir son auto, ne serait-ce qu’une Zèbre pour que le commandant puisse surveiller ses batteries. Je lui ai fait remarquer que les commandants avaient des zèbres à quatre pattes. Mais j’ai bien vu que c’était surtout pour sortir un peu du secteur que les jeunes lieutenants adjoints aimeraient avoir une auto. Il est vrai que dans leur cas actuel, ils ont des batteries bien disséminées, une à Kruth, une au Linge et une au Lac Noir, où se trouve le commandant. Il est évident qu’il ne pourra aller facilement voir celle de Kruth.

 

Je suis obligée d’avoir l’œil sur Mlle, qui ne pousse pas assez les enfants. Après avoir craint qu’elle les pousse trop, je trouve qu’elle ne les fait pas assez travailler. Et je me fais descendre maintenant les cahiers tous les soirs pour inspecter les devoirs. Elle était toujours contente avant, « Oh ! Oui Madame ils travaillent bien ». Je crois qu’elle est paresseuse elle-même et ne cherche pas à les stimuler. C’est difficile de trouver quelqu’un de très bien.

 

J’ai eu une lettre de Marie Paul ce matin qui me dit qu’ils ont eu la réunion de Dedovo, mais sans me donner de détails. Elle fait comme tous les Parisiens des masses de provisions, je me demande ce qu’ils craignent, la taxation comme en Allemagne. Chez nous c’est le sucre qui se fait rare et Georges Boucher nous en demande encore, ce qui rétrécit notre provision.

 

Maman a vu un oculiste à Lausanne, qui lui a dit que la faiblesse actuelle de sa vue venait de sa santé générale, il lui a prescrit quelques soins mais l’a rassurée sur sa vue.

 

La guerre n’a pas l’air d’aller vite et je crains qu’elle ne s’éternise.

5 décembre - LUI.- J’ai reçu tes deux bonnes lettres des 1er et 2 décembre. Je suis content que Maman soit revenue en bon port et n’ait pas été trop fatiguée de son voyage. Dis-lui combien je suis touché de la démarche qu’elle a bien voulu faire à Lausanne. Oui j’ai peur que ma pauvre Maman reste encore longtemps là-bas. La guerre n’a pas l’air d’aller vite et je crains que les Allemands après avoir battu la Roumanie ne se retournent contre notre armée de Salonique et nous jettent à la mer. Ce qui nous manque évidemment, c’est un chef et la discipline, mais tu sais au fond aussi bien celle des bourgeois que du peuple. Nous ne sommes plus un peuple discipliné et sérieux et je crains que la guerre ne s’éternise, car je ne crois pas quand même que les Allemands arriveront à nous repousser sur notre front.

 

Notre départ est fixé dans la nuit du 9 au 10 mais malheureusement du moins pour le moment ce n’est pas pour aller en Lorraine. Nous allons tout simplement rejoindre notre ancien corps d’armée que nous avons quitté il y a deux mois. Ce qui m’ennuie un peu c’est que, changeant de secteur postal, je serai peut-être quelques jours avant de recevoir tes chères lettres. Je t’indiquerai notre nouveau secteur aussitôt que possible. Il est fort probable que je vais reprendre là-bas le commandement de ma batterie et je ne serai pas fâché car le commandement de quatre batteries est un peu dur lorsqu’on est tout seul et je n’ai plus le temps de lire ni de faire un peu de math. Avec ma batterie seule, je pourrai un peu reprendre les bonnes habitudes qu’on acquiert à l’observatoire.

 

Je suis sûr que Georges se débrouille très bien en Allemagne. Sans doute c’est long et il doit trouver lui aussi que la guerre traîne. Mais avec son caractère, le moral doit être excellent et puis vous êtes sûres qu’il est à l’abri, c’est déjà quelque chose.

 

Maman a-t-elle pu voir un oculiste à Lausanne ? Que lui a-t-il dit ?

 

Et nos enfants sont-ils bien sages et travaillent-ils bien ? Tu ne m’as pas dit quelle place avait eue notre Dédé. Embrasse-les bien pour moi. Je me réjouis de vous revoir tous dans un mois et je vous embrasse de tout cœur.

 

6 décembre - ELLE.- Je t’ai envoyé 4 petits St Nicolas qui te donneront une petite idée et te feront vivre un instant la fête familiale à laquelle tu vas manquer. J’aurais voulu t’en envoyer un beau grand que tu puisses mettre à la table de tes officiers, mais la poste me l’a refusé comme trop encombrant, et en postal il aurait risqué de t’arriver pour Noël.

 

Nous sommes en retard pour notre distribution de jouets aux enfants des ouvriers car je n’ai pu travailler hier aux poupées.

 

Nous avons eu tante Anna dès le matin et ses filles sont venues la chercher l’après-midi pour l’emmener à Gérardmer. Elle allait voir ses chalets occupés par des Anglais depuis le début, ceux-ci écrivent que tout le linge est usé, qu’il faut le leur remplacer ainsi que du mobilier. C’est étonnant comme des hommes seuls brisent et usent vite. Tante Anna allait donc voir avec eux ce qu’ils veulent. Je suis allée la chercher en gare d’Epinal, car son train n’avait pas de correspondance avec notre vallée avant trois heures de l’après-midi.

 

Elle nous a encore beaucoup parlé de tante Alice, toujours aussi folle de ses demoiselles Fritsch, elle en a deux avec elle à Nice sans que son mari le sache naturellement, de Titite, très élégante, qui n’aime que le monde chic, un jeune homme n’est bien que s’il est élégamment vêtu. Elle va partir à Nice, mais ne descend pas chez sa mère à cause de la contagion, elle va chez Marie Nicolas et se fait faire à Paris des robes du soir, car chez Marie Nicolas il paraît qu’on met des robes ouvertes et le fameux Gégé enfile son smoking tous les soirs. D’après tante Anna, Titite aime beaucoup ce genre-là. J’ai dit que ça n’était pas un grand mal, que cela se faisait en beaucoup d’endroits, « Tu comprends cela en temps de guerre, quand il y a tant de gens en deuil » etc., etc. Elle n’a pas osé me parler de Marie Molard, j’en suis trop près, mais je pense bien qu’elle la confondait dans sa haine avec « tous ceux qui sont à Paris qui s’amusent et vivent dans le luxe ». Titite avait raconté que les Mangin habitent un splendide appartement, que les jeunes filles sont très élégantes, etc.

 

Paul Boucher est remonté en secteur à la Tête de Faux près du Bonhomme à 1 200 mètres d’altitude, il pourra faire du ski car il y a beaucoup de neige, ici nous en avons un peu mais cela ne gêne pas l’auto.

 

La dernière fois que je voyais Paul et Suzanne, je comparais ta tendresse, ta douceur pour moi avec leur attitude à eux. J’espère qu’ils s’aiment bien, mais quelle façon rude de se parler, quel manque de tact à chaque instant, auxquels je ne suis pas habituée et qui me feraient souffrir. Mon Geogi, tu m’as gâtée tu vois et je suis difficile à contenter maintenant.

 

L’oncle Henry et tante Marthe sont partis à Paris. Suzanne nous a dit qu’au moment de partir son beau-père était bien ennuyé, il a reçu avis du contrôleur des contributions disant qu’on n’acceptait pas sa déclaration des bénéfices de guerre. Je me demande alors ce qu’il va faire, Suzanne ne savait rien et n’a pas pu nous dire. Maman aurait bien voulu savoir, mais j’avais déjà dit à Maman que cette façon de refuser ses livres équivaudrait à prouver que ses comptes étaient faux et que cela pourrait coûter cher à l’oncle Henry, surtout que toute l’année dernière il ne faisait que dire à qui voulait l’entendre qu’il gagnerait énormément. Il est allé le dire jusqu’à notre représentant Haumont. Ici Maman est bien décidée à montrer les livres dès qu’on les lui demandera ainsi que les bilans précédents, qu’est-ce que cela peut nous faire ?

 

7 décembre - ELLE.- Ta lettre du 3 m’est arrivée hier soir et je suis ennuyée de savoir que tu changes de secteur car j’ai bien peur qu’on ne t’envoie dans un endroit plus mauvais que Soissons. Ecris-moi en cours de route si tu peux, pour me dire quelle ligne vous prenez et dans quelle direction vous allez. Si tu venais en Lorraine, comme tu le dis, ce serait une joie car on pourrait s’arranger pour se voir. Ou si on vous met au repos quelque part, dis-le moi vite pour que je vienne te faire une petite visite, ce serait si amusant. Si c’est dans une zone d’armées, tu n’as qu’à m’envoyer le nom d’une personne du village avec sa situation, pour que je puisse dire que je viens la voir.

 

Tes dents qui étaient si bonnes jusqu’alors me semblent s’abîmer beaucoup et te faire souffrir souvent, mon pauvre chéri. Si tu as l’occasion de retrouver un dentiste, tu ferais bien de les faire soigner sérieusement, car c’est un mal énervant et si pénible qu’il faut tâcher de l’éviter.

 

J’ai été réveillée en fanfare ce matin par les enfants, qui avaient mis leurs pantoufles dans la cheminée du fumoir pour recevoir leurs jouets de St Nicolas et qui couraient en chemise à la découverte. Noëlle avait mis un bouquet pour St Nicolas et Robert une botte de foin pour la bourrique. J’avais remonté tout cela dans ma chambre pour jouir de leur bonheur sans me lever, et j’entendais la cavalcade de chambre en chambre. Enfin ils sont arrivés chez moi et il n’y a eu que des cris de joie. Nous ne leur avons rien acheté Maman et moi que des St Nicolas en pain d’épices et ils ont trouvé la belle poupée et le chemin de fer offerts par Marie Paul. Je leur avais suggéré de le demander dans leur lettre à St Nicolas, de sorte que c’était justement « ce que j’avais demandé ». Il a fallu s’arracher à la contemplation pour partir au catéchisme et en classe, mais on se réjouit de l’après-midi. André avait des doutes, il m’avait déjà dit plusieurs fois qu’il avait reconnu Grand-mère l’an dernier en St Nicolas. Aussi je le lui ai dit. Il m’a aidée hier dans mes préparatifs et semble encore bien plus content d’être dans la confidence, mais il joue très bien son rôle près des petits. Je lui ai bien recommandé le secret et je crois qu’il le tiendra, on peut lui confier bien des choses, ce n’est pas comme Noëlle. Il me disait hier soir : « Il ne faut surtout pas que Robert sache qu’il n’y a pas de St Nicolas ni de Père Fouettard, car c’est bien commode de l’en menacer quand il ne veut pas obéir ».

 

Le brave Dédé, il continue de faire des projets d’avenir comme cultivateur. L’autre jour j’entendais une conversation avec le petit Auptel qui a douze ans et qui était venu apporter une lettre de Thérèse. Pendant que j’écrivais la réponse, les deux garçons causaient. « Qu’est-ce que tu feras plus tard », demandait André. « Je veux être ingénieur ». « Qu’est-ce que c’est ingénieur ». « On invente des machines, on travaille dans les usines, c’est très intéressant, et toi tu seras industriel ». « Non, je serai laboureur ». « Laboureur ? Avec l’instruction que tu auras, c’est un sale métier, on ne gagne rien, on n’y devient pas riche ». « Cela ne fait rien, j’aime mieux vivre dans les champs que d’être toute la journée dans un bureau à faire des comptes ». Cela m’amusait de les entendre, ils parlaient comme deux petits hommes, et quand le petit Auptel a été parti, André m’a dit, n’est-ce pas Maman qu’on peut être cultivateur quand même on est instruit et que vous ne me défendrez pas de l’être. Tu vois que la vocation tient toujours. Noëlle veut être riche et, comme Clément Auptel, qui est l’oracle, a dit qu’il fallait être industriel pour être riche, elle sera industrielle. C’est cocasse d’entendre toutes ces petites réflexions d’enfants.

 

7 décembre - LUI.- J’ai reçu tes deux bonnes lettres du 3 et du 4 décembre, cette dernière m’apportant la lettre de Paul.

 

Paul a dû acheter beaucoup de coton et, pour être sûr de le recevoir et éviter un report à 20%, il préfère emprunter à 8%. Tu me diras que les banques prêtent à 6%. Oui mais à condition que le découvert qu’on a chez elles ne dépasse pas un certain chiffre qui, dans le cas de la Filature de la Vologne, doit être égal au capital non encore versé. Donc ce qui semble extraordinaire à première vue évidemment me paraît normal à la réflexion. En même temps que ton bleu, j’en recevais un des Héritiers annonçant un nouveau versement. J’écris à Paul pour qu’il verse notre part, soit 30 550 / 4 = 7 637f., à la filature de la Vologne aux conditions indiquées et j’attends sa réponse. Tu voudras bien en prendre note. Tâchons de conserver un peu d’argent liquide, ma Mie. Je sais bien que nous perdons un peu d’intérêt mais je préfère avoir quelque chose sous la main après la guerre. L’argent que tu verses à Dedovo, nous ne pourrons pas le retirer quand bon nous semblera. D’après ce que dit Paul, le prêt à la filature de la Vologne est remboursable le 31 mai, ce n’est donc pas la même chose.

 

Je suis content que Maman ait vu un oculiste à Lausanne qui a pu la rassurer. Mais si l’état général de sa santé n’est pas aussi bon que nous le désirions, c’est simplement parce qu’elle se fatigue trop. J’espère bien en tout cas qu’elle ne recommencera pas pour la Suisse le système qu’elle faisait à Arcachon. Elle doit rester avec vous pendant tout votre séjour. Ces allées et venues sont très fatigantes. Je la prie instamment de ne pas imiter ma pauvre Maman qui s’est beaucoup trop fatiguée à un âge où le surmenage n’est plus permis.

 

Nous partons définitivement dimanche dans la nuit. Il ne va pas faire bien chaud mais nous n’allons pas loin, vingt kilomètres à peine.

 

Excuse cette tache, un peu de cendre de cigarettes. Sois tranquille je ne fume pas trop.

 

Voilà les Allemands à Bucarest, je crains pour notre armée de Salonique. J’espère bien que les Alliés vont tâcher de se secouer un peu, cela me semble bien nécessaire. Ici les Allemands bombardent Soissons ou nos tranchées toutes les nuits depuis quelque temps. Mais je ne crois pas qu’ils veuillent attaquer, ils doivent avoir assez à faire en Roumanie.

 

Pour la demande de Georges, vous ne pouvez pas mesurer la quantité de calories que donne votre houille. Il faudrait demander cela à l’Association des Propriétaires d’Appareils à Vapeur, d’où essais assez coûteux. Georges veut simplement vous demander si en traitant on vous a garanti un certain nombre de calories et combien. Mais vous pouvez lui répondre que ce n’est plus comme en temps de paix et qu’on prend ce qu’on trouve. On ne peut plus imposer de conditions à ce sujet. Il faut traiter avec de bonnes maisons, c’est tout ce que l’on peut faire.

 

Ma Mi, dans un mois nous serons ensemble, tu peux deviner combien je m’en réjouis. Je t’embrasse en attendant comme je t’aime avec nos enfants chéris. Ton Geogi.

 

Bucarest pris, encore une victoire aux Allemands, victoire morale prétendent nos journaux mais nous n’en avons eu, hélas, même pas de semblables à enregistrer, et en tout cas une fameuse douche d’eau glacée sur nous. Encore un pays à libérer avant d’être vainqueur.

Trois ans sans toi c’est trop.

8 décembre - ELLE.- Nos enfants disaient hier soir en se couchant : quelle journée de joie. Et moi je trouve au contraire que chaque jour devient plus triste en nous enlevant une parcelle de nos illusions, la lueur d’espoir en la fin de la guerre qu’on avait eue cet été. Bucarest pris, encore une victoire aux Allemands, victoire morale prétendent nos journaux mais nous n’en avons eu, hélas, même pas de semblables à enregistrer, et en tout cas une fameuse douche d’eau glacée sur nous. Encore un pays à libérer avant d’être vainqueur. Mais je ne veux pas encore broyer du noir quand je suis avec toi, c’est assez de le faire toute seule. Je veux croire que je t’embrasse de tout mon cœur, de toutes les forces de mon amour, cela me redonnera du courage. C’est pour toi mon pauvre chéri que je trouve le temps si long, tant de belles années perdues pour nous, tes enfants qui s’élèvent sans que tu puisses en jouir et leur donner l’empreinte de ta volonté, de tes qualités, je voudrais tant qu’ils te ressemblent. Trois ans sans toi c’est trop.

 

Nos enfants ont donc eu une journée de bonheur, d’abord découverte des jouets de St Nicolas-Marie Paul, chemin de fer et poupée. Puis déjeuner chez Marie Krantz, réjouissance qu’ils aiment infiniment. André et Noëlle ont très gentiment joué leurs petits morceaux par cœur et Robert a tenu à montrer son savoir en jouant do ré mi fa sol à deux mains. Tous les trois ont hérité de tes dispositions musicales. Noëlle joue mieux qu’André, mais celui-ci a plus de facilité pour retenir ses morceaux par cœur. Si plus tard on peut leur faire donner quelques bonnes leçons, ils deviendront très à la hauteur car ils aiment les uns et les autres. De trois à quatre, ils sont allés se promener avec Mademoiselle et à cinq heures St Nicolas dans la personne de Marie Pharisien est venu. Françoise et Lili n’ont pas été effrayés. Ils ont tous les cinq très bien récité leurs petites fables. Nos trois n’ont plus eu de jouets mais ils étaient aussi contents de voir ceux des enfants d’ouvriers et des petits Boucher.

 

On avait invité les demoiselles Marchal, auxquelles on a donné une boîte de bonbons de chocolat ainsi qu’à Mlle Ferney et, aux bonnes et Marie Pharisien et Renard, chacune une paire de gants fourrés pour l’hiver. Tout le monde avait l’air content, même nos bonnes qui grognaient un peu ces derniers temps. Elles trouvent sans doute aussi que la guerre dure trop longtemps.

 

Thérèse a donné à Dédé le Robinson suisse, il en a lu un chapitre hier soir après le dîner et cela a l’air de l’intéresser et à Noëlle « Sans famille ». A la vue de son livre, Noëlle a abandonné tous ses jouets, c’est encore la lecture qu’elle préfère à tout. Elle m’en a de suite lu plusieurs chapitres lorsque nous avons été seules, et il est entendu qu’elle m’en lira tous les jours. La pauvre Noëlle est bien souvent grondée à cause de cela, combien de fois lui a-t-on déjà pris un livre dans son pupitre, qu’elle mettait sous son livre de leçons et qu’elle lisait au lieu d’apprendre sa leçon.

 

Voilà Voinson qui arrive pour me voir, il faut que je me lève et te quitte, mon bon chéri.

 

Après la guerre il faudra beaucoup d’argent et on n’hésitera pas à vérifier par tous les moyens la déclaration des contribuables et les bénéfices.

9 décembre - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre du 6 et en même temps les petits St Nicolas, qui ont été appréciés par toute la popote. Précisément nous avions à dîner les officiers qui viennent nous relever et la journée d’aujourd’hui a été fatigante, d’autant que les Allemands se doutant certainement qu’il y a en ce moment beaucoup de relèves du côté de Soissons ne nous laissent pas tranquilles et nous forcent à veiller une partie de la nuit. Cette nuit, relève de 2 canons par batterie et la nuit prochaine même opération. Puis nous filons à notre nouvelle position, qui n’a pas été occupée depuis un an et que nous allons certainement trouver dans un état déplorable. Enfin pourvu qu’on soit à couvert par ce temps de pluie et, si on nous donne des matériaux, au bout de quinze jours nous serons déjà bien installés. Mais c’est égal, nous sommes loin de la Lorraine qu’on nous avait un peu promis et nous regrettons tous de quitter nos positions actuelles, où nous espérions terminer l’hiver d’une façon tout à fait confortable.

 

En tout cas tu comprends bien que maintenant je ne songe plus qu’à ma permission. Je crois bien que dans quatre semaines je serai avec vous. Quelles bonnes journées nous allons passer, n’est-ce pas ma Mie et comme nous allons bien nous aimer pendant ce temps.

 

Je regrette l’histoire de l’oncle Henry mais cela prouve une fois de plus qu’il faut déclarer correctement. Je préfère moi payer un peu plus cher tous les ans et ne pas être ennuyé plus tard, ce qui arrivera tôt ou tard aux dissimulateurs car après la guerre surtout il faudra beaucoup d’argent et on n’hésitera pas à vérifier par tous les moyens la déclaration des contribuables et les bénéfices.

 

Le ministère vient d’avoir la majorité. Je crois d’ailleurs qu’un simple changement d’hommes ne produirait aucun effet et que c’est un changement de méthodes qu’il faut obtenir. Mais quand et comment ?

 

Tu peux m’écrire à l’ancien secteur postal 162. Je tâcherai de t’écrire un petit mot sitôt notre arrivée.

 

Nous logeons trois officiers, tous les trois fiancés, qui trouvent que c’est bien ennuyeux d’écrire à une fiancée pendant trois ans.

10 décembre - ELLE.- Je ne t’ai pas écrit hier, pensant qu’au moment de ton changement de place et de secteur tu ne recevrais pas régulièrement ta correspondance. J’ai pensé à toi cette nuit. Pendant que j’étais si bien dans mon lit, tu étais en train de circuler dans le sombre, dans la boue, pourvu que tu n’aies pas pris froid.

 

Hier nous avons eu à nouveau un passage de troupes, mais pour une nuit seulement, c’étaient des bataillons qui partaient au camp d’Arches. Nous logions trois officiers, un capitaine faisant fonction de chef de bataillon et deux s/lieutenants. Vers sept heures, ils ont envoyé leur ordonnance nous demander la permission de venir faire un peu de musique dans la soirée. Nous leur avons accordé cette autorisation avec joie, heureuses d’entendre un peu de piano. L’un des trois jouait joliment, on pouvait lui demander n’importe quel air, il le jouait par cœur. Ils semblaient tous les trois des garçons simples et gentils, tous les trois fiancés, qui trouvent que c’est bien ennuyeux d’écrire à une fiancée pendant trois ans.

 

Marie Krantz est arrivée vers 8h1/2 pour faire un bridge, on a attendu que ces Mrs aient fait une heure de musique, puis le capitaine a fait le bridge avec nous et les deux jeunes ont continué à pianoter et à jouer des airs de café-concert. Ils avaient l’air si heureux de se trouver dans une bonne maison, l’un d’eux n’était pas descendu une seule fois des tranchées depuis six mois sauf pour sa permission, il était toujours resté au-dessus du Bonhomme. Le capitaine était venu une ou deux fois à Fraize, néanmoins, il disait d’un air ravi à ses s/lieutenants : « Nous n’aurions pas cru il y a trois jours qu’aujourd’hui nous jouerions du piano et ferions un bridge avec des dames ».

 

Tout à l’heure nous allons partir à Gérardmer invités par Suzanne à déjeuner. Nous allons avoir un bon chargement dans l’auto, Maman, Thérèse, les trois enfants et moi. Thérèse ne veut pas prendre sa voiture qui ne marche pas bien en ce moment.

 

10 décembre - JMO 5e RAC/Groupe 95.- Le groupe est relevé par l’artillerie du 2ème corps de cavalerie (qui vient occuper le secteur du groupement Baquet) et est remis à la disposition du 37ème C.A.

Le chef d’escadron Bickart est remplacé, dans ses fonctions de commandant de l’artillerie du secteur ouest du groupe Baquet, par le chef d’escadron Bladier, commandant l’artillerie de la 7e D.C.

 

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 10/12/1916 (N° 1355)

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Le général Mazel - Commandant d’armée

Le général Mazel, qui commande une de nos armées sur le front, est un fils de la glorieuse Bretagne. Il est né à Rennes le 16 septembre 1858. Il appartient à l’arme de la cavalerie. Avant la guerre, il était général de brigade et commandant à Dijon la 14e brigade de dragons. Il avait été nommé à ce grade en 1910. Les services rendus par lui le signalèrent bientôt à l’attention du haut commandement. Nommé général de division, puis commandant de corps, il fut enfin appelé à la tête d’une armée.

 

 

 

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Sa dernière vision

Sa dernière vision !... oui, en dépit de la sécheresse de cœur, de l’égoïsme, de l’indifférence que cet homme a montrés toute sa vie, même au milieu des pires malheurs domestiques, nous pouvons la supposer telle. Si déprimé qu’il fût par l’âge et par la maladie, il n’est pas possible qu’avant de mourir, François-Joseph n’ait pas vu, dans un éclair sinistre, toute l’étendue du mal voulu et causé par lui. Dans un ouvrage récemment paru : ‘L’Autriche a voulu la guerre’, M. Pierre Bertrand a établi méthodiquement, irréfutablement, la culpabilité spéciale de l’Autriche dans les événements de 1914. Que François-Joseph ait hésité à lancer son pays dans la sanglante aventure, c’est possible ; mais, sous la pression de l’Allemagne, il a fini par s’y résoudre. Et sa culpabilité est entière. Il partagera donc avec Guillaume II, devant l’histoire, la responsabilité des barbaries qui dévastent l’Europe depuis plus de deux ans.

 

Le destin, en vérité, lui a fait la part trop belle en l’enlevant avant la fin, avant le châtiment. La mort a été trop clémente pour lui. Mais il n’est pas possible qu’en mourant il n’ait pas eu devant les yeux l’image horrible de son crime, il n’est pas possible qu’il n’ait pas vu ces champs couverts de morts, qu’il n’ait pas entendu les malédictions des veuves et des orphelins innombrables que son orgueil, sa duplicité et sa faiblesse devant les volontés du Kaiser ont voués aux larmes et au malheur.

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

 LPJ Illustre 1916-12-10 C.jpg

Obus de 370

Sur le champ de bataille - Il arrive même qu'on se lave

Embarquement d'une pièce de 370

Le chien de liaison part en mission

Dans la Méditerranée, pendant une alerte, soldats russes et français revêtent la brassière de sauvetage

Camp de convoyeurs grecs

Soldat russe portant un camarade blessé

La répartition des pommes de terre en Allemagne

Sentinelle de la territoriale roumaine

Le port de Turincala sur le Danube évacué par les Roumains

"Le Divona" bateau-hôpital quittant Salonique

Le cinéma officiel

  

 

 

Thèmes qui pourraient être développés

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  • Etats-Unis - La tension entre Washington et Berlin au sujet des torpillages
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  • Rationnement - Les Parisiens font des masses de provisions
  • Natalité - Repopulation
  • Enfants - La Saint Nicolas
  • Impôt - Contrôle fiscal
  • Le général Mazel, commandant d'armée (Portrait dans LPJ Sup)
  • Autriche - Les superstitions des Habsbourg (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Religion - Fête religieuse - Immaculée Conception - 8 décembre


02/12/2016
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