14-18Hebdo

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115e semaine de guerre - Lundi 9 octobre au dimanche 15 octobre 1916

 

LUNDI 9 OCTOBRE 1916 - SAINT DENIS L’AREOPAGITE - 799e jour de la guerre

MARDI 10 OCTOBRE 1916 - SAINT FRANCOIS DE BORGIA - 800e jour de la guerre

MERCREDI 11 OCTOBRE 1916 - SAINT PROBE - 801e jour de la guerre

JEUDI 12 OCTOBRE 1916 - SAINT SERAPHIN - 802e jour de la guerre

VENDREDI 13 OCTOBRE 1916 - SAINT EDOUARD - 803e jour de la guerre

SAMEDI 14 OCTOBRE 1916 - SAINT CALIXTE - 804e jour de la guerre

DIMANCHE 15 OCTOBRE 1916 - SAINTE THERESE - 805e jour de la guerre

Revue de presse

-       Le paquebot "Gallia" torpillé par un sous-marin - 1,362 Français et Serbes ont pu être sauvés

-       Venizélos à Salonique

-       Le blocus des côtes américaines par les sous-marins allemands - Neuf navires marchands coulés en un jour entre l'ile de Nantucket et la baie de Delaware - 30 passagers américains à bord d'un des navires coulés

-       Les Roumains se replient vers les sorties des défilés des Carpathes

-       Grande activité de l'artillerie autrichienne sur tout le front italien

-       Importants succès au sud de la Somme

-       L'avance des Serbes continue dans la boucle de la Cerna

-       Bombardement sur tout le front de la Somme - Toutes les contre-attaques ennemies repoussées

-       Victoire italienne sur le Carso - Plus de 6,500 prisonniers

-       Sur le front de Salonique les Anglais ont franchi la voie ferrée Sérès-Demir-Hissar

-       Les Anglais prononcent une attaque vers la route de Bapaume-Péronne

-       63,126 prisonniers sur la Somme

-       Le rétablissement roumain sur la frontière de Transylvanie

-       Au sud-est de Gorizia les Italiens élargissent leurs positions

 

Morceaux choisis de la correspondance

9 octobre - ELLE.- Ne t’inquiète pas de tes lettres, elles m’arrivent très régulièrement et jusqu’alors jamais elles n’ont été ouvertes, ce matin j’ai reçu celle du 5 octobre. Quand elles ont été lues par la censure on s’en aperçoit, puisqu’elles sont recollées par le haut et timbrées de l’autorité militaire. Pendant que nous étions au Moulleau, Thérèse en a reçu une ainsi venant de son mari, et elle a même eu un moment d’émotion car Maurice lui parle souvent de ses chefs d’une façon peu flatteuse. Heureusement cette lettre était insignifiante.

 

Nous sommes allées ce matin à Epinal, où Maman voulait aller dans les banques chercher ses titres d’emprunt. Elle en a pris 50 ici, mais n’a pas voulu en prendre plus pour qu’on ne dise pas au village que c’était une somme énorme et toutes ses économies. Elle a partagé entre Banque de Mulhouse et Banque de France.

 

Ensuite nous sommes allés tous chez Marie Krantz déjeuner, elle voulait encore nous avoir une fois avant l’arrivée de Mademoiselle que j’attendais ce soir. Je suis même allée la chercher à la gare mais sans succès, elle n’y était pas. Enfin cela m’a donné l’occasion d’essayer mes phares qui ont bien marché.

 

Demain, je ferai travailler André, j’ai les livres et les programmes. Il est temps qu’il commence. Nous irons encore tous, puisque ce ne sera pas encore classe régulière, à l’enterrement du vieux Père Parfait, brave homme qui a travaillé 50 ans passés à l’usine et s’est arrêté il y a un mois seulement. C’est vraiment triste de naître pauvre et de travailler toute une vie, pour mourir sans avoir même pu se reposer. Il faut bien qu’il y ait un ciel pour racheter de telles inégalités. Si j’étais pauvre, je serais rudement socialiste, mon Geogi chéri. En attendant comme je ne le suis pas et que je suis gâtée dans mes affections comme dans mes biens, je suis parfaitement heureuse et t’embrasse de tout mon cœur.

 

Je t’ai envoyé ce soir un postal contenant bonbons et chocolats.

 

11 octobre - LUI.- J’ai reçu tes deux bonnes lettres du 6 et du 7 courant.

 

Ne crois pas ma pauvre Mie que les employés soient d’une autre nature que les patrons. Ils vont au plus offrant. Sans doute de temps à autre ils disent bien qu’ils ne voudraient pas rester avec qui tu sais, mais cela n’empêche pas que, le cas échéant, ils iraient parfaitement avec lui s’il les payait plus cher, tu peux en être convaincue. Quelques billets de mille francs de plus font passer sur bien des choses. D’ailleurs nous n’en sommes pas encore là mais enfin il ne faut pas toujours et de parti pris critiquer les gens car à la fin tout craque, et le sujet dont il s’agit n’est pas commode et a montré quand il voulait qu’il savait emb... ceux qui lui déplaisaient.

 

Vas-tu descendre chez Marie Paul puisqu’elle t’invite ? Quand pars-tu et combien de temps comptes-tu rester ? Tâche de ne pas trop te fatiguer et de profiter de ton séjour pour te reposer.

 

J’ai écrit avant-hier aux Héritiers et leur ai dit d’envoyer un chèque de 26 250f à Mr Galloy. J’espère qu’il le recevra prochainement. Pour le reste attendons un peu. Il vaut mieux je crois se garder une petite somme. Je ne sais pas trop d’ailleurs ce que nous pourrions acheter. Si tu vois Adrien à Paris, tu pourras lui en parler et tu feras pour le mieux, voilà tout.

 

Je suis content des bonnes nouvelles que tu me donnes de Maguy et lui écrirai demain. Du moment que Georges a bonne mine c’est que cela va bien au physique et au moral et Maman doit être contente.

 

Je suis persuadé que Mr Vérilhac fera tout son possible pour aider Maman. Seulement il n’habite plus je crois boulevard Cauchoise. En écrivant avant-hier aux Héritiers je leur ai demandé sa nouvelle adresse et lui écrirai un mot à l’avance, si Maman est toujours décidée à faire le voyage. Il doit certainement connaître à Rouen des importateurs avec qui il est en relations d’affaire qui pourront certainement faciliter les démarches que Maman aurait peut-être à faire.

 

Tant mieux que notre Dédé n’ait plus de fièvre. S’il est encore un peu pâlot, il ne travaillera pas trop au début. Mademoiselle est-elle arrivée ? Comment la trouves-tu ? Et les enfants, que disent-ils ?

 

Nous n’avons pas très mauvais temps ici, quelques ondées de temps à autre mais en somme nous ne pouvons pas nous plaindre. En tout cas, comme tu le dis, je serai bien mieux dans une maison que dans un gourbi pour l’hiver.

 

11 octobre - JMO 5e RAC/Groupe 95.- Le lieutenant Jacquinot, adjoint au chef d’escadron, quitte le groupe pour aller prendre le commandement d’une batterie de 75 de l’AD 45. Il est remplacé temporairement par le lieutenant Machiels de la 44e batterie.

 

12 octobre - ELLE (dans le train pour Paris).- Me voilà en partance pour Paris. J’ai cru un moment que je manquerais mon train car pour la première fois depuis un an peut-être, en allant mettre la voiture en marche, Faron a trouvé un pneu à plat. Nous n’avions pas le temps de remettre un autre pneu et nous avons pris celui de secours. Heureusement pas d’ennui en route et nous sommes arrivés juste 10 minutes avant l’heure du train, Robert nous a accompagnés avec joie, Maman avait quelques courses à Epinal. Pendant ce temps Faron remettra le pneu. Les deux autres auraient bien voulu venir aussi mais ils avaient leur catéchisme et de plus nous aurions manqué de place.

 

J’ai en face de moi dans le wagon deux officiers et une espèce d’Anglais en civil aux mains toutes huileuses, avec un caoutchouc très sale qui m’a tout l’air d’être un monteur. Il a d’abord lu le Daily Mail et maintenant il dort à poings fermés. J’aimerais joliment mieux avoir mon gentil mari cher comme vis-à-vis. Quand donc referons-nous un petit voyage ensemble comme autrefois, ne serait-ce que jusqu’à Paris ?

 

Tu sais que m’y voilà pour près de quinze jours, si tu pouvais obtenir une mission quelconque, ou tout simplement une permission de 24 heures, j’en serais si heureuse. Crois-tu que je pourrais arriver à Villers-Cotterêts, ce me serait bien facile d’y aller.

 

Tu me dis qu’on fait de la propagande au front pour l’emprunt, j’en ai fait aussi de mon côté et ai décidé Sébastienne à reprendre près de 4 000 frs chez nous pour le transformer. Nous n’avons donc plus à elle que 2 000. Je lui ai ajouté au dernier moment les intérêts depuis le 30 juin jusque maintenant, de la somme qu’elle retirait à 5% mais je ne lui avais pas dit à l’avance, car elle aurait été dans le cas, voyant que je lui donnais presqu’autant, de me laisser sa somme. Pauvre Sébastienne, elle est bien toujours la même, toujours tuée d’ouvrage, elle prétend qu’elle n’a même pas le temps de faire son lit. Je lui ai dit que c’était bien heureux qu’elle n’ait pas d’enfant, que ferait-elle ? Pour me rendre, car il n’y avait pas 4 000 francs net, elle est allée chercher une petite boîte au fond de son armoire, pleine de monnaie d’argent. Il y en avait pour plus de 100 francs certainement, ce n’est pas étonnant qu’elle soit rare si tous les paysans de France la cachent ainsi. On me l’avait déjà dit à Epinal que les jours de foire les paysans viennent avec des billets et s’arrangent toujours à les changer. C’est inouï comme le paysan est méfiant.

 

Quant à mon brave docteur, s’il est pessimiste pour la guerre, il est au contraire très optimiste pour ta chérie femme.

13 octobre - ELLE (Paris).- J’espérais trouver une lettre de toi en arrivant ici me redisant, comme tu sais si bien le dire, tout ton amour et toute ta tendresse, en même temps que de bonnes nouvelles et j’ai été très déçue en ne voyant rien, j’attends à demain.

 

Je t’écris de mon lit et je songe qu’il y ferait bien meilleur si tu étais avec moi, quoique pas très large, je t’y ferais quand même une grande place et, prise dans tes chers bras, je me ferais toute petite et nous dormirions si bien ainsi. Dis, chéri, si tu pouvais venir ? Mais me voilà bien peu raisonnable et je ne devrais pas te parler de ce petit coin de paradis si tu ne peux sortir, je ne dirai pas de ton enfer, mais mettons du purgatoire.

 

J’ai attendu pour t’écrire d’avoir été chez mon brave docteur qui, s’il est pessimiste pour la guerre, est au contraire très optimiste pour ta chérie femme. Il m’a trouvée en tout à fait bonne voie et me présage un retour à la vie normale prochain. Quelle chance, mais nous serons trop heureux alors ! Il est vrai que tu auras bien payé cette joie, par ce long sacrifice de la séparation. Néanmoins, j’ai toujours peur de ce bonheur trop complet que j’ai eu en partage et qui est si rare en ce monde. Si tu étais près de moi, tu me gronderais de cette inquiétude.

 

J’ai trouvé Marie Paul avec bien meilleure mine, l’air reposé, plus d’yeux cernés, j’en suis bien contente. Ils m’ont fait un très gracieux accueil Paul et elle. Paul repart dimanche à Epinal. D’ailleurs tout le monde est toujours si gentil pour moi, à part Alice Kempf. Tu sais, j’ai trouvé pourquoi elle me déteste, c’est parce que je t’ai épousé, elle se dit que sans moi, tu aurais peut-être épousé sa sœur qui ne serait pas morte, etc. Il a fallu que cette petite Mimi vienne contrecarrer tous ses projets.

 

Je t’écrirai demain, car j’ai déjà ramassé pas mal de petits potins qui t’amuseront. En attendant je te serre très fort sur mon cœur. Ta Mi.

 

13 octobre - LUI.- J’ai reçu tes deux bonnes lettres du 8 et du 9 octobre et t’écris celle-ci chez Marie Paul. Tu n’auras pas reçu à Docelles la lettre que je t’écrivais avant-hier ni même celle que je t’ai écrite il y a quatre jours mais on te les renverra.

 

Le marchand qui m’a vendu la machine à découper est un nommé Tiersot je crois qui habite rue Notre-Dame des Champs, mais je ne sais plus le numéro. Adresse-toi donc au Paradis des Enfants près du Louvre, c’est là qu’on m’a donné l’adresse. Demande des scies en effet plus fortes et tu ferais je crois aussi bien d’acheter chez lui du bois ad hoc qui se travaille très facilement et ne casse pas autant de scies.

 

J’espère que Mademoiselle est enfin arrivée, car tu me dis que tu vas commencer à faire travailler notre Dédé et ce serait bien fatigant ma pauvre Mie. J’espère qu’il s’y mettra bien et qu’il fera des progrès que je serai heureux de constater à ma prochaine permission. Sais-tu qu’elle avance. Voilà déjà trois semaines que je suis reparti. Le temps passe quand même vite, ne trouves-tu pas.

 

J’ai connu le Père Parfait, en effet c’était un brave homme et, comme tu le dis, ces pauvres gens n’ont véritablement pas beaucoup de bonheur. C’est pour cela qu’au fond il ne faut pas trop résister quand on veut améliorer leur sort. Il est vrai que ceux qui veulent l’améliorer ne comprennent bien souvent pas la question et les rendent plus misérables qu’avant.

 

J’espère que tu verras de suite le docteur. Tu me diras ce qu’il t’aura raconté et s’il te faut suivre toujours le même régime. Ne te fatigue pas trop et prends toujours les taxis qui sont si commodes.

 

Un sous-officier de l’autre batterie qui a été dans ma batterie autrefois et qui se rend en permission à Paris est venu aimablement me demander si je n’avais pas de commissions. Je lui ai dit qu’il aille te voir avenue Henri Martin pour te donner de mes nouvelles. C’est un brave garçon, de bonne famille d’ailleurs et très gentil et consciencieux.

 

Tu feras mes bonnes amitiés à Marie Paul que j’espère tu trouveras en bonne santé ainsi qu’à Paul s’il est à Paris et aux Molard.

 

15 octobre - ELLE (Paris).- Je t’avais dit avant-hier que j’aurais des potins à te conter, il se trouve que je les laisserai dans l’oubli aujourd’hui pour m’occuper d’un vrai drame. Tu vois je serre déjà mon écriture pour ne pas avoir trop de pages à envoyer, mais rassure-toi bien vite, cela ne nous concerne pas directement.

 

Dès mon arrivée, Paul m’a dit que Pierre Mangin avait de gros ennuis, que les oncles de Nancy ne voulaient pas admettre l’inventaire tel qu’il était fait et demandaient une nouvelle réunion. Nous en avions un peu parlé ensemble et trouvions que la famille était bien peu raisonnable. Il paraît que l’oncle Paul a écrit déjà deux fois à Paul de se mettre avec eux pour arriver à faire faire à Pierre ce que ces messieurs associés à M. Nicolas et Phulpin veulent. Paul ayant reçu l’inventaire a fait comme Maman et l’oncle Alphonse, paraît-il, il a écrit qu’il était d’accord. Donc, a-t-il répondu à l’oncle Paul, il ne peut se déjuger et maintient son dire.

 

En voyant combien l’oncle Paul avait insisté, j’ai eu peur qu’il en fasse autant pour Maman. Elle n’avait rien reçu avant mon départ, mais comme elle n’y entend rien dans toutes ces questions, je me suis dit que les théories de l’oncle Paul l’impressionneraient peut-être et je lui ai télégraphié un petit mensonge, mais j’espère que tu m’approuveras, car j’ai cru bien faire : « Bataille engagée entre Mangin et famille nancéienne, Georges serait reconnaissant vous restiez neutre, lettre suit ». Tu vois, je t’ai mis en avant pour donner plus de poids à mon dire. Car j’ai pensé qu’il ne fallait pas que Maman se joigne aux ennemis de P., ce qui aurait pu nous occasionner des ennuis plus tard.

 

Hier soir j’ai dîné chez Marie Molard avec les Mangin. Pendant le dîner on a parlé de choses et d’autres. Pierre a soutenu des théories antimilitaristes, socialistes, pessimistes à outrance qui m’ont bien déplu par instant, mais passons. Ce que je vois dans tout cela, c’est que tu auras des ennuis au retour, soit s’il y a procès, soit s’il y a liquidation, ce sera toi qui en subiras les conséquences. Mais voyons, entre nous, ne m’as-tu pas dit toi-même qu’il n’avait pas fait les comptes comme vous les aviez faits les années dernières. Il prétendait hier soir que si. Je n’ai rien dit, tu penses bien, n’étant pas assez au courant des affaires, mais il me semble que dans une de tes dernières lettres que j’ai laissées à Docelles tu me disais que depuis 1911 vous faisiez l’inventaire aux prix de facture et non pas au prix du jour.

 

Les Phulpin sont ici pour quelques jours, ils ont amené leurs trois aînés en pension et ne gardent que leur petite dernière à Bains, où ils vont passer le reste de la guerre et tu ne sais pas ce qu’a dit Léontine à Marie Molard : « Certainement Pierre Mangin va être mis à la porte. Quand il verra qu’il a tout le monde contre lui, il s’en ira ». « Eh bien, a dit Marie, qui est-ce qui dirigera l’affaire pendant la guerre ». « Georges Cuny demandera un sursis ». Marie a eu heureusement la bonne idée de répondre qu’un sursis ne s’obtient pas si facilement qu’on le croit et que d’autre part il est probable que tu ne voudrais pas en demander un. Mais tu vois, ils ne doutent de rien, et surtout du roc au pied duquel ils vont se briser.

 

Mon Geogi, quelle joie de n’avoir pas ces vilains caractères jaloux, aigris, jamais satisfaits du prochain et comme nous sommes plus heureux tous deux de vivre en dehors de toutes ces combinaisons louches. Elles nous atteindront un peu forcément mais, en nous aimant comme nous nous aimons, on acceptera tous ces petits ennuis vaillamment n’est-ce pas chéri, en en laissant tout le poids à ceux qui les ont déchaînés. Surtout ne t’en fais pas trop de bile, réfléchis-y et dis-moi ce qu’il faut faire. Pour Maman s’entend, puisque je n’ai rien à dire pour moi-même.

 

Là-dessus, je me jette dans tes bras et te serre de tout mon cœur. Ta Mi.

 

15 octobre - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre écrite dans le train et j’espère que tu n’auras pas été trop fatiguée par le voyage. Tu penses bien ma pauvre Mi que si je pouvais m’éclipser pendant vingt-quatre heures je ne ferais qu’un saut jusqu’à Paris. Malheureusement c’est impossible et je le regrette bien. Il est inutile aussi que tu essaies de venir jusqu’à Villers-Cotterêts, tu n’aurais sûrement pas de sauf-conduit et tu ne pourrais pas passer. Que veux-tu, nous attendrons la prochaine permission en janvier. Tâche avant tout de bien te reposer à Paris. Tu vas y passer quinze jours. Ne fais pas trop de courses, lève-toi tard et reste bien étendue.

 

Inclus une lettre de l’oncle Paul. Je t’envoie ci-dessous copie de la réponse que je compte y faire. Dis-moi si tu es d’accord ou s’il faut changer quelque chose. Je trouverais très mesquin de la part des associés de sembler rogner les tantièmes à Emile Lemaire et à Pierrat. S’ils veulent se les mettre à dos complètement, ils n’ont qu’à agir ainsi. Seulement moi, je ne peux pas approuver une mesure qui, quoi qu’il arrive, leur paraîtrait à eux une mesure de méfiance. Je les connais. J’estime que la maison en a besoin et qu’ils ont toujours travaillé consciencieusement. A mon avis il faut passer l’éponge sur ce qui s’est fait cette année, puisque tout le monde est d’accord pour abandonner ces errements les années prochaines.

 

En résumé, mon avis est donc de passer l’éponge sur ce qui est fait, mais je dois dire aussi que pour l’avenir je suis toujours du même avis, j’estime qu’on doit inventorier les marchandises au prix de revient si le prix de revient est inférieur au cours du jour.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 15/10/1916 (N° 1347)

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Le sous-lieutenant aviateur Nungesser

Dans une seule journée, le sous-lieutenant aviateur Nungesser a abattu deux avions ennemis et un ballon captif. Cela portait à dix-sept le nombre officiel des appareils abattus par ce pilote. Je dis le nombre officiel, car seuls comptent comme abattus les appareils qui tombent dans nos lignes. Si l’on comptait ceux que Nungesser a mis à mal et qui sont allés choir dans les lignes allemandes, la vingtaine, à coup sûr, serait largement dépassée. Avec Guynemer, avec Navarre, avec Chaput et tant d’autres, Nungesser est un de ces « as » merveilleux qui font l’envie et forcent l’admiration des boches eux-mêmes. De tels hommes, ils n’en ont pas en Allemagne.

 

Nungesser est un glorieux enfant des pays envahis. Il est né à Valenciennes, et il a passé presque toute sa jeunesse dans la vieille cité héroïque qui porte en son blason l’étoile de la Légion d’honneur. Au début de la guerre Nungesser était hussard. Mais l’espace l‘attirait. Il passa dans l’aviation. Ses premiers exploits datent de la fin de 1914. Il abattit son premier avion boche, un Albatros, près d’Arras. Quelques jours plus tard il laissa tomber des bombes sur des hangars de sous-marins, près d’Ostende, et en détruisit trois. Puis il « descendit » son deuxième avion ennemi à 3 000 mètres d’altitude. Pour fêter son triomphe, il exécuta un merveilleux ‘looping the loop’. Dans la région de Nomény, il se trouva peu après aux prises avec deux avions de chasse boches. Il tira de nombreux coups de mitrailleuse et vit l’observateur sauter de sa nacelle. Il se trouvait alors à quelques mètres de l’avion boche et il entendit parfaitement l’observateur, qui était suspendu par les mains à la nacelle, supplier le pilote de le sauver. Le pilote n’en fit rien et l’observateur tomba dans le vide. Nungesser tira alors sur le pilote qui fut tué. Il le vit tomber avec son appareil comme une masse.

 

Au mois de janvier 1915, Nungesser avait déjà abattu ses cinq avions boches et son nom avait l’honneur du communiqué. Cet honneur devait lui être renouvelé dès lors à maintes reprises. A vingt-trois ans, il était décoré de la Légion d’honneur, de la médaille militaire et de la croix de guerre avec tant de palmes que la place manquait pour les fixer toutes sur le ruban. Au mois de février 1916, Nungesser qui, jusqu’alors avait échappé aux balles allemandes, se blessait grièvement dans un accident d’atterrissage à l’aérodrome de Châteaufort. Guéri, on le réforma n° 1. Mais il se réengagea aussitôt, refusa même un congé de convalescence et rejoignit son escadrille le 29 mars. Quinze jours plus tard une nouvelle citation nous apprenait que, malgré son état, il avait volé 19 heures en six jours, livré 12 combats, forçant chaque fois ses adversaires à la fuite et en abattant deux ainsi qu’un « drachen ».

 

Comment dénombrer les actions d’éclat accomplies par Nungesser depuis lors ? Son nom revient sans cesse au communiqué. Il sollicite toujours les misions les plus périlleuses ; il vole parfois jusqu’à sept heures dans une journée. Un jour, il livre seul un combat contre six avions ennemis ; il en abat un et met les autres en fuite. Il a ses vêtements et son appareil criblés de balles ; les organes essentiels de son avion (moteur et commandes) sont atteints ; il le ramène pourtant dans les lignes françaises.

 

Reproduisons en terminant le récit du dernier exploit de Nungesser, rapporté par un de ses amis qui en fut le témoin : « Nungesser était parti ce matin-là dès le petit jour. Il se sentait en train. Je veux au moins mes deux boches aujourd’hui, déclara-t-il aux camarades. Il paria même qu’il les aurait. Que voulez-vous, il se sentait en train ! Et Nungesser en train est évidemment au-dessus de deux boches. Il l’a prouvé, du reste, puisqu’il en a eu trois ! Voilà Nungesser parti. A 7 heures il tombe sur sa première victime et l’abat. Il prend le chemin du retour. A ce moment, il croise deux camarades qui ont échoué à l’attaque d’un drachen. Et le drachen est toujours là, à vingt-six kilomètres en arrière des lignes, qui règle un barrage d’artillerie lourde sur nos troupes, alors en pleine attaque. Nungesser n’hésite pas ! Il a encore suffisamment d’essence. Il arrive au-dessus du drachen, plonge à 600 mètres, des chenilles incendiaires montent vers lui ; il passe entre deux, décharge sa mitrailleuse, le drachen s’enflamme. Hourrah ! Demi-tour, retour vers nos lignes au milieu des obus, atterrissage. Il est 7h30. On se précipite vers lui, on le félicite. « Mon plein, vite, vite. Je repars. » Car Nungesser n’est pas satisfait. Un avion et un drachen, ça ne lui suffit plus. Il est en train, vous comprenez ! Et son plein fait, le voilà reparti, cette fois pour les lignes anglaises, à la recherche de nouveaux adversaires. Il ne trouve rien. Il refait encore une fois son plein, ce sera la quatrième fois depuis le matin, chez les Anglais pour ne pas perdre de temps. Enfin, à 11 heures, il aperçoit une escadrille de six avions boches, des biplans nouveau modèle, aux prises avec quatre anglais. Nungesser fonce dans le tas, choisit une victime, tire quatorze coups, et le boche s’effondre ! Les autres s’enfuient. Nungesser a tenu l’air pendant sept heures et abattu deux avions et un drachen, plus un quatrième qu’il n’a fait qu’endommager. Il a bien rempli sa journée, ou plutôt sa matinée ! Naturellement, félicitations des camarades, de ses chefs, voire des généraux. Le drachen surtout était gênant. Sa disparition a, paraît-il, rendu les plus grands services et épargné sans doute bien des vies. »

 

C’est ainsi que Nungesser a abattu ses quinzième, seizième et dix-septième appareils ennemis. Il ne met pas les bouchées doubles, comme on voit, il les met « triples ». Détail amusant : dernièrement, à Paris, Nungesser qui avait négligé de porter ses croix et ses nombreuses palmes, eut une discussion avec un chauffeur d’automobile qui le traita d’« embusqué ». Nungesser a beaucoup ri.

 

 

 

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Le front de Champagne - Vue panoramique

Poursuivant la série de nos grands plans panoramiques que nos lecteurs ont accueillie avec un si vif intérêt, nous donnons aujourd’hui le panorama du front de Champagne, terre historique où, depuis la bataille de la Marne, nos soldats n’ont cessé d’accomplir de grandes choses. Que de noms, qui figurent sur cette carte, demeureront dans les siècles futurs illustres dans les fastes de l’héroïsme français : Souain, Somme-Py, Tahure, Perthes, le Mesnil les Hurlus, Massiges, Ville-sur-Tourbe, le bois Sabot, le trou Bricot. Noms obscurs naguère, célèbres aujourd’hui, grâce à la vaillance de nos soldats.

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Ce qui reste du calvaire d'Herbécourt

Fusées éclairantes prêtes à partir

Un avion chargé de fusées avant son départ

Les prisonniers ont touché leur miche

Petits ânes d'Afrique, employés au transport de vivres dans les tranchées

Poste de mitrailleurs anglais à Salonique

Dans la Somme - Tirailleurs sénégalais, corvée de soupe

Sur les rives du Vardar - L'examen au télémètre

Sur les rives du Vardar - Une mitrailleuse en action dans une tranchée

Dans la Somme - Tir de nuit d'un 120 long

En Macédoine - Infirmerie construite à l'aide de bambous

Le treillage permet au guetteur de voir sans être vu

 

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Marine - Le paquebot "Gallia" torpillé par un sous-marin - 1,362 Français et Serbes ont pu être sauvés
  • Etats-Unis - Le blocus des côtes américaines par les sous-marins allemands - Neuf navires marchands coulés en un jour entre l'ile de Nantucket et la baie de Delaware - 30 passagers américains à bord d'un des navires coulés
  • Les Roumains se replient vers les sorties des défilés des Carpathes
  • La Somme - Importants succès au sud de la Somme - 63,126 prisonniers sur la Somme
  • Italie - Victoire italienne sur le Carso - Plus de 6,500 prisonniers
  • Angleterre - L'effort anglais - M. Asquith dépose une demande de crédits de 300 millions de livres
  • Finance - La monnaie d'argent conservée par les paysans
  • Jouets - Le Paradis des Enfants (magasin près du Louvre)
  • Allemagne - Après la manœuvre Scheidemann viendra la manœuvre Bülow
  • Industrie - Inventaire au prix de revient ou au prix du jour
  • Aviation - Nos "As" - Le sous-lieutenant aviateur Nungesser (Portrait dans LPJ Sup)
  • Champagne - Le front de Champagne (LPJ Sup)
  • La barbe et la moustache à travers l'histoire (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)


07/10/2016
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